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Ce sein qui l'a nourri, ces flancs qui l'ont | Celui que vous voyez, vainqueur de Poly

porté!"

A ces cris douloureux, le peuple est agité: Une foule d'amis, que son danger excite, Entre elle et ses soldats vole et se précipite.

Vous eussiez vu soudain les autels renversés,

Dans des ruisseaux de sang leurs débris dispersés;

Les enfants écrasés dans les bras de leurs mères,

Les frères méconnus, immolés par leurs frères; Soldats, prêtres, amis, l'un sur l'autre expirants:

On marche, on est porté sur les corps des mourants,

On veut fuir, on revient: et la foule pressée D'un bout du temple à l'autre est vingt fois repoussée,

De ces flots confondus le flux impétueux Roule et dérobe Égisthe et la reine à mes

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sang.

la main.)

phonte, C'est le fils de vos rois, c'est le sang de Cresphonte,

C'est le mien, c'est le seul qui reste à ma douleur.

Quels témoins voulez-vous plus certains que mon cœur? Regardez ce vieillard: c'est lui dont la prudence

Aux mains de Polyphonte arracha son enfance.

Les dieux ont fait le reste.
Narbas.
Oui, j'atteste ces dieux
Que c'est là votre roi qui combattait pour

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(En courant vers Égisthe, qui arrive la hache à Il se lève, il regarde; il voit de tous côtés Courir des assassins à pas précipités;

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Le héros malheureux, sans armes, sans défense,

Voyant qu'il faut périr, et périr sans ven-
geance,
Voulut mourir du moins comme il avait vécu,
Avec toute sa gloire et toute sa vertu.
Déjà des assassins la nombreuse cohorte
Du salon qui l'enferme allait briser la porte;
Il leur ouvre lui-même, et se montre à
leurs yeux.

Avec cet œil serein, ce front majestueux,
Tel que dans les combats, maître de son
courage,
Tranquille, il arrêtait ou pressait le carnage.
A cet air vénérable, à cet auguste aspect,
Les meurtriers surpris sont saisis de res-
pect;

Une force inconnue a suspendu leur rage. ,,Compagnons, leur dit-il, achevez votre ouvrage,

Et de mon sang glacé souillez ces cheveux blancs

Que le sort des combats respecta quarante

ans.

Frappez, ne craignez rien: Coligny vous pardonne; Ma vie est peu de chose et je vous l'abandonne; J'eusse aimé mieux la perdre en combattant pour vous."

Ces tigres, à ces mots, tombent à ses ge

noux:

L'un saisi d'épouvante, abandonne ses ar

mes; L'autre embrasse ses pieds qu'il trempe de ses larmes;

Et de ses assassins ce grand homme entouré,

Semblait un roi puissant par son peuple adoré.

Besme, qui dans la cour attendait sa victime,

Monte, accourt, indigné qu'on diffère son crime;

Des assassins trop lents il veut hâter les coups:

Aux pieds de ce héros il les voit trembler

tous.

A cet objet touchant lui seul est inflexible; Lui seul, à la pitié toujours inaccessible, Aurait cru faire un crime et trahir Médicis, Si du moindre remords il se sentait surpris. A travers les soldats il court d'un pas rapide:

Coligny l'attendait d'un visage intrépide; Et bientôt, dans le flanc, ce monstre furieux

Lui plonge son épée en détournant les

yeux,

De peur que d'un coup d'œil cet auguste visage

Ne fit trembler son bras et glaçât son courage.

Du plus grand des Français tel fut le triste sort:

On l'insulte, on l'outrage encore après sa

mort:

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il voulait vu trop longtemps l'orgueilleuse

ignorance,

On a
Écrasant sous ses pieds le mérite abattu,
Insulter aux talents, aux arts, à la science
Autant qu'à la vertu.

Avec un ris moqueur, avec un ton de maître,

Un esclave de cour, enfant des voluptés, S'est écrié souvent: Est-on fait pour connaître?

Est-il des vérités?

Il n'en est point pour vous, âme stupide et fière,

Absorbé dans la nuit, vous méprisez les cieux.

Le Salomon du Nord apporte la lumière; Barbare, ouvrez les yeux.

CHARLES XII.

... Charles XII, roi de Suède, mourut à l'âge de trente-six ans et demi, après avoir éprouvé ce que la prospérité a de plus grand, et ce que l'adversité a de plus cruel, sans avoir été amolli par l'une, ni ébranlé un moment par l'autre. Presque toutes ses actions, jusqu'à celles de sa vie privée et unie, ont été bien loin au delà du vraisemblable. C'est peut-être le seul de tous les hommes, et jusqu'ici le seul de tous les rois, qui ait vécu sans faiblesse: il a porté toutes les vertus des héros à un excès où elles sont aussi dangereuses que les vices opposés. Sa fermeté devenue opiniâtreté fit ses malheurs dans l'Ukraine, et le retint cinq ans en Turquie; sa libéralité dégénérant en profusion a ruiné la Suède; son courage poussé jusqu'à la témérité

a causé sa mort; sa justice a été quelquefois jusqu'à la cruauté; et dans les dernières années le maintien de son autorité approchait de la tyrannie. Ses grandes qualités, dont une seule eût pu immortaliser un autre prince, ont fait le malheur de son pays. Il n'attaqua jamais personne; mais il ne fut pas aussi prudent qu'implacable dans ses vengeances. Il a été le premier qui ait eu l'ambition d'être conquérant sans avoir l'envie d'agrandir ses états; gagner des empires pour les donner. Sa passion pour la gloire, pour la guerre, et pour la vengeance, l'empêcha d'être bon politique; qualité sans laquelle on n'a jamais vu de conquérant. Avant la bataille et après la victoire, il n'avait que de la modestie; après la défaite, que de la fermeté: dur pour les autres comme pour luimême, comptant pour rien la peine et la vie de ses sujets aussi bien que la sienne; homme unique plutôt que grand homme, admirable plutôt qu'à imiter. Sa vie doit apprendre aux rois combien un gouvernement pacifique et heureux est au-dessus de tant de gloire.

Charles XII était d'une taille avantageuse et noble; il avait un très beau front, de grands yeux bleus remplis de douceur, un nez bien formé: mais le bas du visage désagréable, trop souvent défiguré par un rire fréquent qui ne partait que des lèvres; presque point de barbe ni de cheveux: il parlait très peu, et ne répondait souvent que par ce rire dont il avait pris l'habitude. On observait à sa table un silence profond. Il avait conservé dans l'inflexibilité de son caractère cette timidité qu'on nomme mauvaise honte; il eût été embarrassé dans une conversation, parce que, s'étant donné tout entier aux travaux et à la guerre, il n'avait jamais connu la société. Il n'avait lu jusqu'à son loisir chez les Turcs que les Commentaires de César et l'histoire d'Alexandre; mais il avait écrit quelques réflexions sur la guerre et sur ses campagnes depuis 1700 jusqu'à 1709: il l'avoua au chevalier de Folard, et lui dit que ce manuscrit avait été perdu à la malheureuse journée de Pultava.

PIERRE ALEXIOWITZ.

Quelques personnes ont voulu faire favoris, et avait par-dessus Charles l'épasser ce prince pour un bon mathé- tude de la philosophie et le don de maticien; il avait sans doute beaucoup l'éloquence. de pénétration dans l'esprit, mais la preuve que l'on donne de ses connaissances en mathématiques n'est pas bien concluante; il voulait changer la manière de compter par dixaine, et il proposait à la place le nombre soixantequatre, parce que ce nombre contenait à la fois un cube et un carré, et qu'étant divisé par deux, il était enfin réductible à l'unité. Cette idée prouvait seulement qu'il aimait en tout l'extraordinaire et le difficile.

A l'égard de sa religion, quoique les sentiments d'un prince ne doivent pas influer sur les autres hommes, et que l'opinion d'un monarque aussi peu instruit que Charles ne soit d'aucun poids dans ces matières, cependant il faut satisfaire sur ce point comme sur le reste la curiosité des hommes qui ont eu les yeux ouverts sur tout ce qui regarde ce prince. Je sais de celui qui m'a confié les principaux mémoires de cette histoire que Charles XII fut luthérien de bonne foi jusqu'à l'année 1707; il vit alors à Leipsick le fameux philosophe M. Leibnitz, qui pensait et parlait librement, et qui avait déjà inspiré ses sentiments libres à plus d'un prince. Je ne crois pas que Charles XII puisa, comme on l'avait dit, l'indifférence pour le lutheranisme dans la conversation de ce philosophe, qui n'eut jamais l'honneur de l'entretenir qu'un quart d'heure; mais M. Fabrice, qui approcha de lui familièrement sept années de suite, m'a dit que dans son loisir chez les Turcs ayant vu plus de diverses religions, il étendit plus loin son indifférence. La Motraye même, dans ses Voyages, confirme cette idée; le comte de Croissy pense de même, et m'a dit plusieurs fois que ce prince ne conserva de ses premiers principes que celui d'une prédestination absolue, dogme qui favorisait son courage et qui justifiait ses témérités. Le czar avait les mêmes sentiments que lui sur la religion et sur la destinée: mais il en parlait plus souvent; car il s'entretenait familièrement de tout avec ses Herrig, La France litt.

Pierre Alexiowitz avait reçu une éducation qui tendait à augmenter encore la barbarie de cette partie du monde.

Son naturel lui fit d'abord aimer les étrangers avant qu'il sût à quel point ils pouvaient lui être utiles. Le Fort, comme on l'a déjà dit, fut le premier instrument dont il se servit pour changer depuis la face de la Moscovie. Son puissant génie, qu'une éducation barbare n'avait pu détruire, se développa presque tout à coup, il résolut d'être homme, de commander à des hommes, et de créer une nation nouvelle. Plusieurs princes avaient avant lui renoncé à des couronnes par dégoût pour le poids des affaires; mais aucun n'avait cessé d'être roi pour apprendre mieux à régner; c'est ce que fit Pierre le Grand.

Il quitta la Russie en 1698, n'ayant encore régné que deux années, et alla en Hollande, déguisé sous un nom vulgaire, comme s'il avait été un domestique de ce même Le Fort, qu'il envoyait ambassadeur extraordinaire auprès des états-généraux. Arrivé à Amsterdam, inscrit dans le rôle des charpentiers de l'amirauté des Indes, il y travaillait dans le chantier comme les autres charpentiers. Dans les intervalles de son travail, il apprenait les parties des mathématiques qui peuvent être utiles à un prince, les fortifications, la navigation, l'art de lever des plans. Il entrait dans les boutiques des ouvriers, examinait toutes les manufactures; rien n'échappait à ses observations. De là il passa en Angleterre, où il se perfectionna dans la science de la construction des vaisseaux: il repassa en Hollande, et vit tout ce qui pouvait tourner à l'avantage de son pays. Enfin, après deux ans de voyages et de travaux auxquels nul autre homme que lui n'eût voulu se soumettre, il reparut en Russie, amenant avec lui les arts de l'Europe.

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Des

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