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rante milles en huit jours, et où le nom | tante; le goût attique et l'élégance roseul de ce grand prince chassa, pour maine renaquirent à Paris; Uranie eut ainsi dire, sans combattre, les Suédois un compas d'or entre ses mains; Calde toute la Prusse. liope ne se plaignit plus de la stérilité de ses lauriers; et des palais somptueux servirent d'asile aux Muses. GeorgeGuillaume fit des efforts inutiles pour conserver l'agriculture dans son pays: la guerre de trente ans, comme un torrent ruineux, dévasta tout le nord de l'Allemagne. Frédéric-Guillaume repeupla ses états; il changea des marais en prairies, des déserts en hameaux, des ruines en villes; et l'on vit des troupeaux nombreux dans des contrées où il n'y avait auparavant que des animaux féroces. Les arts utiles sont les aînés des arts agréables; il faut donc nécessairement qu'il les précèdent.

Les actions du Monarque nous éblouissent par la magnificence qu'il y étale, par le nombre de troupes qui concourent à sa gloire, par la supériorité qu'il acquiert sur tous les autres rois, et par l'importance des objets, intéressants pour toute l'Europe: celles du Héros sont d'autant plus admirables, que son courage et son génie y font tout, qu'avec peu de moyens il exécute les entreprises les plus difficiles, et que les ressources de son esprit se multiplient à mesure que les obstacles augmentent.

Les prospérités de Louis XIV ne se soutinrent que pendant la vie des Colbert, des Louvois, et des grands capitaines que la France avait portés: la fortune de Frédéric-Guillaume fut toujours égale, et l'accompagna tant qu'il fut à la tête de ses propres armées. Il paraît donc que la grandeur du premier était l'ouvrage de ses ministres et de ses généraux, et que l'héroïsme du second n'appartenait qu'à lui-même.

Le Roi ajouta par ses conquêtes, la Flandre, la Franche-Comté, l'Alsace et, en quelque façon, l'Espagne à sa monarchie, en attirant sur lui la jalousie de tous les princes de l'Europe: l'Electeur acquit par ses traités, la Poméranie, le Magdebourg, le Halberstadt et Minden, qu'il incorpora au Brandebourg; et il se servit de l'envie qui déchirait ses voisins, de sorte qu'ils devinrent les instruments de sa grandeur. Louis XIV était l'arbitre de l'Europe par sa puissance, qui en imposait aux plus grands rois: Frédéric-Guillaume devint l'oracle d'Allemagne par sa vertu, qui lui attira la confiance des plus grands princes. Pendant que tant de souverains portaient impatiemment le joug du despotisme que le roi de France leur imposait, le roi de Danemark et d'autres princes soumettaient leurs différends au tribunal de l'Électeur, et respectaient ses jugements équitables.

François I avait essayé vainement d'attirer les beaux-arts en France; Louis XIV les y fixa; sa protection fut écla

Herrig, La France litt.

Louis XIV mérita l'immortalité pour avoir protégé les arts: la mémoire de l'Electeur sera chère à ses derniers neveux, parce qu'il ne désespéra point de sa patrie. Les sciences doivent des statues à l'un, dont la protection libérale servit à éclairer le monde: l'humanité doit des autels à l'autre, dont la magnanimité repeupla la terre.

Mais le Roi chassa les réformés de

son royaume, et l'Électeur les recueillit dans ses états. Sur cet article, le prince superstitieux et dur est bien inférieur au prince tolérant et charitable; la politique et l'humanité s'accordent à donner sur ce point une préférence entière aux vertus de l'Électeur.

En fait de galanterie, de politesse, de générosité, de magnificence, la somptuosité française l'emporte sur la frugalité allemande; Louis XIV avait autant d'avance sur Frédéric-Guillaume, que Lucullus en avait sur Mithridate.

L'un donna des subsides en foulant ses peuples: l'autre les reçut en soulageant les siens. En France, Samuel Bernard fit banqueroute pour sauver le crédit de la couronne: dans la Marche, la banque des états paya, malgré l'irruption des Suédois, le pillage des Autrichiens et le fléau de la peste.

Tous deux firent des traités et les rompirent, l'un par ambition, l'autre par nécessité: les princes puissants éludent l'esclavage de leur parole par une

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volonté libre et indépendante; les prin- | de troupes pour se présenter devant ces qui ont peu de forces manquent à une armée, l'Electeur approuva qu'il se leurs engagements, parce qu'ils sont sou- renfermât dans Berlin pour y attendre vent obligés de céder aux conjonctures. son arrivée. Le Monarque se laissa gouverner vers la fin de son règne par sa maîtresse, et le Héros, par son épouse: l'amour-propre du genre humain serait trop humilié, si la fragilité de ces demi-dieux ne nous apprenait pas qu'ils sont hom

mes comme nous.

Ils finirent tous deux en grands hommes, comme ils avaient vécu: voyant les approches de la mort avec une fermeté inébranlable; quittant les plaisirs, la fortune, la gloire et vie, avec une indifférence stoïque: conduisant d'une main sûre le gouvernail de l'état, jusqu'au moment de leur mort; tournant leurs dernières pensées sur leurs peuples, qu'ils recommandèrent à leurs successeurs avec une tendresse paternelle; et ayant justifié, par une vie pleine de gloire et de merveilles, le surnom de Grand qu'ils reçurent de leurs contemporains, et que la postérité leur confirme d'une commune voix.

BATAILLE DE FEHRBELLIN.

Pendant que Turenne assurait les frontières de la France par son habileté, le conseil de Louis XIV travaillait à le débarrasser d'un ennemi dangereux; et, afin de séparer Frédéric-Guillaume des Impériaux, la France lui suscita une diversion qui le rappela dans ses propres états.

Quoiqu'en 1673 la Suède eût fait une alliance défensive avec l'Électeur, la France trouva le moyen de la rompre et Wrangel entra dans les Marches de Brandebourg à la tête d'une armée suédoise. Le prince d'Anhalt, qui en était gouverneur, se plaignit amèrement de cette irruption: Wrangel se contenta de lui répondre que les Suédois se retireraient avec leurs troupes, dès que l'Électeur aurait fait sa paix avec la France. Le prince d'Anhalt informa l'Électeur de la désolation de ses etats et des pillages que les Suédois y exerçaient; et comme il y avait trop peu

Tandis que les troupes brandebourgeoises se refaisaient des fatigues de la campagne d'Alsace dans les quartiers d'hiver de la Franconie, les paysans de la Marche, désespérés des vexations des Suédois, s'attroupèrent et remportèrent quelques avantages sur leurs ennemis. Ils avaient formé des compagnies; l'on voyait sur leurs drapeaux le nom de l'Electeur avec cette légende:

Pour le prince et la patrie

Nous sacrifierons notre vie.

Wrangel, qui tenait pourtant une espèce d'ordre parmi les Suédois, tomba malade; et son inaction augmenta les concussions et les pillages: les églises n'étaient point épargnées; et l'avidité intéressée du soldat le poussa aux plus. grandes cruautés.

Les Marches, qui soupiraient après leur libérateur, ne l'attendirent pas longtemps: Frédéric-Guillaume, qui se préparait à se venger de la mauvaise foi des Suédois, partit de ses quartiers de la Franconie et arriva le 21 juin à Magdebourg. Il fit fermer les portes de cette forteresse incontinent après son arrivée, et il usa de toutes les précautions possibles pour dérober aux ennemis les nouvelles de son approche. L'armée passa l'Elbe vers le soir et arriva, par des chemins détournés, la nuit après aux portes de Rathenow. Il fit avertir de son arrivée le baron de Briest, qui était dans cette ville et concerta avec lui en secret les moyens de surprendre les Suédois.

Briest s'acquitta habilement de sa commission: il donna un grand souper aux officiers du régiment de Wangelin, qui étaient en garnison à Rathenow; les Suédois s'y livrèrent sans retenue aux charmes de la boisson; et pendant qu'ils cuvaient leur vin, l'Électeur fit passer le Havel sur différents bateaux à des détachements d'infanterie, pour assaillir la ville de tous les côtés. Le général Derfflinger, se disant commandant d'un parti suédois poursuivi par

les Brandebourgeois, entra le premier | et les mène battant jusqu'au gros de dans Rathenow. Il fit égorger les gar- leur corps; les troupes sortent en même des et en même temps toutes les portes temps de leur camp et se rangent en furent forcées; la cavalerie nettoya les bataille; le prince de Hombourg, plein rues, et les officiers suédois eurent de la d'un courage bouillant, s'abandonne à peine à se persuader à leur réveil qu'ils sa vivacité et engage un combat qui étaient prisonniers d'un prince qu'ils aurait eu une fin funeste, si l'Électeur, croyaient encore avec ses troupes dans averti du danger dans lequel il se troule fond de la Franconie. Si dans ces vait, ne fût accouru à son secours. temps les postes avaient été établies comme à présent, cette surprise aurait presque été impossible; mais c'est le propre des grands hommes de mettre à profit jusqu'aux moindres avantages. L'Electeur, qui savait de quel prix sont les moments à la guerre, n'attendit point à Rathenow que toute son infanterie l'eût joint: il marcha avec sa cavalerie droit à Naven, afin de séparer le corps des Suédois qui était auprès de Brandebourg de celui qui était auprès de Havelberg. Quelque diligence qu'il fit dans cette conjoncture décisive, il ne put point prévenir les Suedois, qui avaient quitté Brandebourg au bruit de son approche et s'étaient retirés par Naven une heure avant qu'il arrivât. Il les suivit avec vivacité; et il apprit par la déposition des prisonniers et des déserteurs que ce corps marchait à Fehrbellin, où il s'était donné rendez-vous avec celui de Havelberg.

L'armée brandebourgeoise consistait en 5600 chevaux; elle n'avait point d'infanterie et menait cependant 12 canons avec elle. Les Suédois comptaient 10 régiments d'infanterie et 800 dragons dans leur camp. Malgré l'inégalité du nombre et la différence des armes l'Électeur ne balança point d'aller aux ennemis afin de les combattre.

Le 18 juin il marche aux Suédois; il confie 1600 chevaux de son avantgarde au prince de Hombourg, avec ordre de ne rien engager, mais de reconnaître l'ennemi. Ce prince part; et après avoir traversé un bois, il voit les troupes suédoises campées entre les villages de Hackenberg et de Tarnow, ayant un marais à leur dos, le pont de Fehrbellin au delà de leur droite, et une plaine rase devant leur front. Il pousse les grand' gardes, les poursuit

Frédéric - Guillaume, dont le coup d'œil était admirable et l'activité étonnante, fit dans l'instant sa disposition: il profita d'un tertre pour y placer sa batterie; il en fit faire quelques décharges sur les ennemis. L'infanterie suédoise en fut ébranlée; et lorsqu'il vit qu'elle commençait à flotter, il fondit avec toute sa cavalerie sur la droite des ennemis, l'enfonça et la défit. Les régiments suédois du corps et d'Ostrogothie furent entièrement taillés en pièces; la déroute de la droite entraîna celle de la gauche; les Suédois se jetèrent dans les marais, où ils furent tués par les paysans, et ceux qui se sauvèrent s'enfuirent par Fehrbellin, où ils rompirent le pont derrière eux.

Il est digne de la majesté de l'histoire de rapporter la belle action que fit un écuyer de l'Électeur dans ce combat. L'Electeur montait un cheval blanc. Froben, son écuyer, s'aperçut que les Suédois tiraient plus sur ce cheval, qui se distinguait par sa couleur, que sur les autres: il pria son maître de le troquer contre le sien, sous prétexte que celui de l'Électeur était ombrageux; et à peine ce fidèle domestique l'eut-il monté quelques moments, qu'il fut tué et, sauva ainsi par sa mort la vie à l'Électeur.

Ce prince, qui n'avait point d'infanterie, ne put ni forcer le pont de Fehrbellin, ni poursuivre l'ennemi dans sa fuite: il se contenta d'établir son camp sur le champ de bataille où il avait acquis tant de gloire; il pardonna au prince de Hombourg d'avoir exposé avec tant de légèreté la fortune de tout l'état, en lui disant: „Si je vous jugeais selon la rigueur des lois militaires, vous auriez mérité de perdre la vie; mais à Dieu ne plaise que je ternisse l'éclat d'un jour aussi heureux en répandant

le sang d'un prince qui a été un des principaux instruments de ma victoire!" Les Suédois perdirent dans cette journée aussi célèbre que décisive 2 étendards, 8 drapeaux, 8 canons, 3000 hommes et grand nombre d'officiers.

Derfflinger arriva avec l'infanterie, les poursuivit le lendemain, fit beaucoup de prisonniers et reprit, avec leur bagage, une partie du butin qu'ils avaient fait dans les Marches de Brandebourg. L'armée suédoise, qui était fondue et réduite à 4000 combattants, se retira par Ruppin et Wittstock dans le duché de Mecklenbourg.

Peu de capitaines ont pu se vanter d'avoir fait une campagne pareille à celle de Fehrbellin. L'Electeur forme un projet aussi grand que hardi, et l'exécute avec une rapidité étonnante: il enlève un quartier des Suédois, lorsque l'Europe le croyait encore en Franconie; il vole aux plaines de Fehrbellin, où les ennemis s'assemblaient; il rétablit un combat engagé avec plus de courage que de prudence; et avec un corps de cavalerie inférieur et harassé des fatigues d'une longue marche, il parvint à battre une infanterie nombreuse et respectable, qui avait subjugué par sa valeur l'Empire et la Pologne: par l'habileté de sa conduite il laisse à juger ce qu'il aurait fait, s'il avait été le maître d'agir en Alsace selon sa volonté. Cette expédition, aussi brillante que valeureuse, mérite qu'on lui applique le Veni, vidi, vici de César. Il fut loué par ses ennemis, béni par ses sujets: et sa postérité date de cette fameuse journée le point d'élévation où la maison de Brandebourg est parvenue dans la suite.

ÉTAT DE LA PRUSSE A LA MORT DU ROI

FREDERIC-GUILLAUME.

A la mort de Frédéric-Guillaume, roi de Prusse, les revenus de l'état ne montaient qu'à sept millions quatre cent mille écus. La population dans toutes les provinces pouvait aller à trois millions d'âmes. Le feu roi avait laissé dans ses épargnes huit millions sept

cent mille écus, point de dettes, les finances bien administrées, mais peu de ressources; la balance du commerce perdait annuellement un million deux cent mille écus, qui passaient dans l'étranger. L'armée était forte de soixante et seize mille hommes, dont à peu près vingt six mille étrangers; ce qui prouve que c'était un effort, et que trois millions d'habitants ne pouvaient pas fournir à recruter même cinquante mille hommes, surtout en temps de guerre. Le feu roi n'était entré en aucune alliance, pour laisser à son successeur les mains libres sur le choix de celles qu'il voudrait former et qui après sa mort seraient les plus avantageuses à l'état.

L'Europe était en paix, à l'exception de l'Angleterre et de l'Espagne, qui se faisaient la guerre dans le nouveau monde pour deux oreilles anglaises que les Espagnols avaient coupées, et qui dépensaient des sommes immenses pour des objets de contrebande bien indignes des grands efforts que faisaient ces deux nations. L'Empereur Charles VI venait de faire la paix avec les Turcs à Belgrad par la médiation de M. de Villeneuve, ministre de France à Constantinople. Par cette paix l'Empereur cédait à l'Empire ottoman le royaume de Servie, une partie de la Moldavie et l'importante ville de Belgrad. Les dernières années du règne de Charles VI avaient été si malheureuses, qu'il s'était vu dépouiller du royaume de Naples, de la Sicile et d'une partie du Milanais, par les Français, les Espagnols et les Sardes. Il avait de plus cédé à la France, par la paix de 1737, le duché de Lorraine, que la maison du Duc, son gendre, avait possédé de temps immémorial. Par ce traité l'Empereur donnait des provinces, et la France de vaines garanties, à l'exception de la Toscane, qui doit être envisagée comme une possession précaire. La France garantissait à l'Empereur une loi domestique qu'il avait publiée pour sa succession, si comme en Europe sous le nom de pragmatique sanction. Cette loi devait assurer à sa fille l'indivisibilité de sa succession. On a sans doute lieu d'être surpris en trouvant la fin

du règne de Charles VI si inférieure à l'éclat qu'il jeta à son commencement. La cause des infortunes de ce prince ne doit s'attribuer qu'à la perte du prince Eugène: après la mort de ce grand homme il n'y eut personne pour le remplacer. L'état manqua de nerf et tomba dans la langueur et dans le dépérissement. Charles VI avait reçu de la nature les qualités qui font le bon citoyen; mais il n'en avait aucune de celles qui font le grand homme: il était généreux mais sans discernement; d'un esprit borné et sans pénétration: il avait de l'application, mais sans génie, de sorte qu'en travaillant beaucoup il faisait peu; il possédait bien le droit germanique; parlant plusieurs langues et surtout le latin dans lequel il excellait; bon père, bon mari, mais bigot et superstitieux comme tous les princes de la maison d'Autriche. On l'avait élevé pour obéir, et non pour commander. Ses ministres l'amusaient à juger les procès du conseil aulique, à s'attacher ponctuellement aux minuties du cérémonial et de l'étiquette de la maison de Bourgogne: et tandis qu'il s'occupait de ces bagatelles, ou que ce prince perdait son temps à la chasse, ses ministres, véritablement maîtres de l'état, disposaient de tout despotiquement.

La fortune de la maison d'Autriche avait fait passer à son service le prince Eugène de Savoie dont nous venons de parler. Ce prince avait porté le petit collet en France. Louis XIV lui refusa un bénéfice: Eugène demanda une compagnie de dragons; il ne l'obtint pas non plus, parce qu'on méconnaissait son génie et que les jeunes seigneurs de la cour lui avaient donné le sobriquet de Dame Claude. Eugène voyant que toutes les portes de la fortune lui étaient interdites, quitta sa mère, madame de Soissons, et la France, pour offrir ses services à l'empereur Léopold; il devint colonel et reçut un régiment; son mérite perça rapidement. Les services signalés qu'il rendit, et la supériorité de ses talents l'élevèrent dans peu aux premiers grades militaires. Il devint généralissime, président du conseil de guerre, et enfin premier

ministre de l'empereur Charles VI. Ce prince se trouva donc chef de l'armée impériale; il gouverna non-seulement les provinces autrichiennes, mais l'Empire même; et proprement il était empereur. Tant que le prince Eugène conserva la vigueur de son esprit, les armes et les négociations des Autrichiens prospérèrent: mais lorsque l'âge et les infirmités l'eurent affaibli, cette tête qui avait si longtemps travaillé pour le bien de la maison impériale, fut hors d'état de continuer ce même travail, et de lui rendre les mêmes services. Quelles réflexions humiliantes pour notre vanité! Un Condé, un Eugène, un Marlborough voient l'extinction de leur esprit précéder celle de leur corps, et les plus vastes génies finissent par l'imbécilité! pauvres humains, ensuite glorifiez-vous si vous l'osez! La décadence des forces du prince Eugène fut l'époque des intrigues de tous les ministres autrichiens. Le comte de Zinzendorf acquit le plus de crédit sur l'esprit de son maître; il travaillait peu, il aimait la bonne chère; c'était l'Apicius de la cour impériale, et l'Empereur disait que les bons ragoûts de son ministre lui faisaient de mauvaises affaires. Ce ministre était haut et fier; il se croyait un Agrippa, un Mécène. Les princes de l'Empire étaient indignés de la dureté de son gouvernement; en cela bien différent du prince Eugène, qui n'employant que la douceur, avait su mener plus sûrement le corps germanique à ses fins.

Lorsque le comte de Zinzendorf fut employé au congrès de Cambray, il crut avoir pénétré le caractère du cardinal de Fleury. Le Français, plus habile que l'Allemand, le joua sous la jambe, et Zinzendorf retourna à Vienne, persuadé qu'il gouvernerait la cour de Versailles comme celle de l'Empereur. Peu de temps après le prince Eugène, que voyait l'Empereur toujours occupé des moyens de soutenir sa pragmatique sanction, lui dit que la seule façon de l'assurer, était d'entretenir cent quatre vingt mille hommes, et qu'il indiquerait les fonds pour le payement de cette augmentation, si l'Empereur y voulait

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