Tu mourus cependant de la mort du vul- | La foudre dort encore, et sur la foule im mense Ainsi qu'un moissonneur va chercher son Plane, avec la terreur, un lugubre si gaire, salaire, plus! lence: Qui peut sonder, Seigneur, ta clémence in- Et comme des finie? Et vous, fléaux de Dieu, qui sait si le Ici tombe un Superbe et l'œil Sur son casque Flotte d'un noir Ce casque brillant d'orgueil et de valeur. ondulant, d'où jaillit la lumière, coursier l'ondoyante cri nière : éblouissant sert de but au trépas; Par la foudre frappé d'un coup qu'il ne sent pas, Comme un faisceau d'acier il tombe sur l'arène; Son coursier bondissant, qui sent flotter la rêne, Lance un regard oblique à son maître expirant, Revient, penche sa tête et le flaire en pleu rant. De ses membres épars voit voler les lambeaux, Et se traînant encor sur la terre humectée, Marque en ruisseaux de sang sa trace ensanglantée. Le blessé que la mort n'a frappé qu'à demi Fuit en vain, emporté dans les bras d'un ami: Sur le sein l'un de l'autre ils sont frappés ensemble, Et bénissent du moins le coup qui les rassemble. Mais de la foudre en vain les livides éclats Pleuvent sur les deux camps; d'intrépides soldats, Comme la mer qu'entr'ouvre une proue écu mante Se renferme soudain sur sa trace fumante, Sur les rangs écrasés formant de nouveaux rangs, Viennent braver la mort sur les corps des mourants! Cependant, las d'attendre un trépas sans vengeance, Les deux champs, animés d'une même vaillance, Se heurtent, et du choc ouvrant leurs bataillons, Mêlent en tournoyant leurs sanglants tourbillons. Sous le poids des coursiers les escadrons s'entr'ouvrent, D'une voûte d'airain les rangs pressés se couvrent; De cette plaine en deuil s'élèvent dans les airs: La harpe, le clairon, la joyeuse cymbale, Mêlant leurs voix d'airain, montent par intervalle, S'éloignent par degrés, et sur l'aile des corps, Les feux croisent les feux, le fer frappe le Et les drapeaux jetés sur des monceaux de fer, éclair: Les rangs entrechoqués lancent un seul Le salpêtre, au milieu des torrents de fumée, Brille et court en grondant sur la ligne enflammée, Et d'un nuage épais enveloppant leur sort, Cache encore à nos yeux la victoire ou la mort. morts. PROCÈS DE LOUIS XVI. Le roi s'accoutumait à sa captivité. Son âme, faite pour le repos et pour le silence, se recueillait à l'abri de ces murs, se fortifiait dans la méditation, s'affranchissait dans la prière, et se con- | lisait sur sa physionomie et dans son regard l'attendrissement de l'homme à travers l'impassibilité du magistrat. solait, par ses épanchements de toutes les heures avec les seuls êtres qu'il eût jamais aimés, dans ce petit cercle de tendresses que le cachot resserrait autour de lui. Oubliant aisément des grandeurs dont le poids l'avait écrasé, Louis XVI ne formait qu'un vou: celui d'être oublié dans cette tour jusqu'à ce que l'invasion étrangère, ou le sang-froid revenu au peuple par les victoires de la république, ou les inconstantes vicissitudes d'une révolution, lui rendissent, non le trône, mais l'obscurité d'un exil plus doux et la liberté de sa famille. L'adoucissement de sa prison, l'accent de compassion et la physionomie moins irritée de ses gardiens entretenaient depuis quelque temps en lui cette lueur d'espérance. Il croyait reconnaître à ces symptômes que la colère s'apaisait au dehors. Elle s'appaisait en effet, mais c'était par la satisfaction prochaine dont elle avait désormais la certitude. Ce n'était plus la peine de haïr une victime qu'on allait sitôt immoler. Chaumette, fils d'un cordonnier du Midi, avait été tour à tour mousse, séminariste, scribe chez un procureur, novice chez des moines, journaliste à Paris, orateur de clubs. Sa physionomie égarée, abjecte et insolente à la fois, portait l'empreinte de toutes les situations qu'il avait traversées avant d'arriver à la seconde magistrature de Paris. On voyait dans ses traits, on entendait dans son accent qu'il était fier de ce déplacement violent des situations, et qu'il triomphait intérieurement en pensant à l'humble état de son père. On lut au roi le décret qui l'appelait à la barre de la Convention. Ce decret ne donnait à Louis XVI que le nom primitif de sa famille, Louis Capet; comme pour lui rappeler qu'aux yeux de la nation il n'était qu'un simple individu. Le roi se montra plus sensible à cette dégradation du nom de sa race qu'à la dégradation de ses autres titres; il eut un mouvement d'indignation à ce mot: Le 11 décembre, pendant le déjeuner de la famille royale, des bruits inusités,,Messieurs, répondit-il, Capet n'est point se firent entendre autour du Temple. Le rappel des tambours, le hennissement des chevaux, le pas de nombreux bataillons sur le pavé de la cour étonnèrent et troublèrent les prisonniers. Ils interrogèrent longtemps les commissaires qui assistaient au repas, sans obtenir de réponse. Enfin on annonça au roi que le maire de Paris et le procureur de la commune viendraient dans la matinée le prendre pour le conduire à la barre de la Convention afin d'y subir un interrogatoire, et que ces troupes étaient son cortège. A midi, Chambon, maire de Paris, et Chaumette, nouveau procureur-syndic de la commune, entrèrent dans la chambre du roi accompagnés de Santerre, d'un groupe d'officiers de la garde nationale et de municipaux ceints de l'écharpe tricolore. Chambon était un médecin savant et humain, que l'estime publique, plus que la faveur révolutionnaire, avait porté par l'élection de la capitale à la première magistrature de Paris. Modéré d'opinion, bon et humain de cœur, on mon nom, c'est le nom d'un de mes ancètres. J'aurais désiré qu'on m'eût laissé mon fils au moins pendant les heures que j'ai passées à vous attendre. Au reste, ce traitement est une suite de ceux que j'éprouve ici depuis quatre mois. Je vais vous suivre, non pour obéir à la Convention, mais parce que mes ennemis ont la force en main." Il demanda à Cléry une redingote de couleur brune, qu'il revêtit par-dessus son habit; il prit son chapeau et il suivit le maire, qui marchait devant lui. Arrivé à la porte de la tour, le roi monta dans la voiture du maire. Paris, ce jour-là, était un camp sous les armes; l'aspect des baïonnettes et du canon comprimait tout, jusqu'à la curiosité! Le mouvement de la vie semblait suspendu. Tous les postes étaient doublés. Une batterie d'artillerie était dressée dans les Tuileries mêmes. De fortes patrouilles échangeaient leur qui-vive sur toutes les places et dans toutes les rues. L'escorte rassemblée le matin au Temple était un corps d'armée tout entier, composé de cavalerie, d'infanterie et d'artillerie. Les citoyens désœuvrés étaient rudement écartés de la voie publique et renvoyés a leurs travaux. Les allées d'arbres qui encaissent les boulevards, les portes et les fenêtres des maisons étaient encombrées de têtes. Tous les regards cherchaient le roi. Le roi lui-même regardait la foule, soit que ses yeux, longtemps sevrés de la vue des hommes assemblés, éprouvassent une jouissance machinale à revoir ce mouvement et cette vie, soit qu'il cherchât dans la physionomie de ce peuple quelque signe d'intérêt ou d'attendrissement. Sa figure, altérée par tant de mois de souffrances et de réclusion, frappait le peuple sans l'attendrir. L'ombre du Temple avait imprimé à son teint ce ton livide, qui semble un reflet des cachots. Sa barbe, qu'il avait été forcé de laisser croître depuis qu'on lui avait enlevé tous les instruments tranchants de toilette, hérissait son menton, ses joues et ses lèvres de poils blonds, touffus, rebroussés, qui enlevaient toute expression et même toute mélancolie à sa bouche. Sa vue basse flottait égarée et éblouie sur la foule, comme un regard qui cherche en vain un front ami pour se poser. La grosseur précoce de sa taille, amincie au feu de ses inquiétudes et de ses veilles, s'était changée en maigreur. Ses joues décharnées retombaient en plis sur son collet. Ses habits trop larges désormais pour sa taille, glissaient de ses épaules et ressemblaient à des habits d'emprunt jetés par la charité publique sur le corps d'un misérable. C'était le spectre de la royauté conduit au supplice, costumé pour laisser en passant son empreinte et son souvenir dans la foule. Arrivés dans la cour des Feuillants, Santerre descendit de cheval, et, debout à la portiére, posa la main sur l'avant-bras du prisonnier, et le conduisit à la barre de la Convention. ,,Citoyens des tribunes, dit le président, Louis est à la barre. Vous allez donner une grande leçon aux rois, un grand et utile exemple aux nations. Souvenez-vous du silence qui accom pagna Louis ramené de Varennes, silence précurseur du jugement des rois par les peuples." Le roi s'assit en face du fauteuil et dans la même enceinte où il était venu jurer la constitution. On fit lecture de l'acte d'accusation. C'était la longue énumération de tous les griefs que les factions de la révolution avaient successivement élevés contre la couronne. Le roi écouta cette lecture dans l'attitude d'une impassible attention. Seulement à deux ou trois passages où l'accusation dépassait les bornes de l'injustice et de la vraisemblance, et où on lui reprochait le sang du peuple si religieusement épargné par lui pendant tout son règne, il ne put s'empêcher de trahir, par un sourire amer et par un mouvement involontaire des épaules, l'indignation contenue qui l'agitait. On voyait qu'il s'attendait à tout, excepté à l'accusation d'avoir été un prince sanguinaire. Il leva les yeux au ciel et prit contre les hommes Dieu à témoin. Louis XVI avait deux manières également nobles de se défendre. La première, c'était de refuser toute réponse, et de s'envelopper dans l'inviolabilité de roi ou dans la résignation du vaincu; la seconde, d'avouer hautement les efforts qu'il avait faits pour combattre les démagogues, et préserver la France de l'anarchie. Il ne trouva dans sa présence d'esprit ni l'un ni l'autre de ces deux systèmes de réponse. Il répondit en inculpé qui dispute l'aveu des faits. Peut-être pensa-t-il trop à sa femme, à sa sœur et à ses enfants. Il décolora ainsi sa défense. De ce jour il ne fut plus un roi qui luttait avec un peuple, il fut un accusé qui conférait avec des juges, et qui laissait intervenir des avocats entre la majesté du trône et la majesté de l'échafaud. Santerre, après l'interrogatoire, reprit le roi par les bras et le reconduisit dans la salle d'attente de la Convention, accompagné de Chambon et de Chaumette. La longueur de la séance et l'agitation de son âme avaient épuisé ses forces; il tombait d'inanition. Louis XVI s'approcha de Chaumette, et lui demanda à voix basse un morceau de pain. Chaumette partagea avec le roi la moitié d'un pain qu'un grenadier de l'escorte venait de lui donner. „Tenez, rompez, dit le démocrate: c'est un déjeuner de Spartiate. Si j'avais une racine, je vous en offrirais la moitié." On annonça la voiture; le roi y monta. Pendant qu'il s'entretenait familièrement et avec un grand calme d'esprit avec ceux qui l'accompagnaient, les hommes de la halle au blé et les charbonniers, formés en bataillons, chantaient autour des roues les couplets les plus meurtriers de la Marseillaise: Tyran! qu'un sang impur abreuve nos sillons! De longs cris de Vive la Révolution! s'élevaient à l'approche du cortège du sein de la foule, et se prolongeant sur toute la ligne jusqu'à la Bastille, ne formaient qu'un cri des Tuileries au Temple. Le roi affectait de ne pas entendre ces augures de mort. En rentrant dans la cour du Temple il leva les yeux et regarda tristement et longtemps les murs de la tour et les fenêtres de l'appartement de la reine, comme si son regard, intercepté par les planches et les barreaux, avait pu communiquer ses pensées à ceux qu'il aimait. Cependant, le roi à peine sorti de la Convention, Pétion et Treilhard avaient obtenu qu'on lui permit, comme à tout accusé, de se choisir deux défenseurs. Le roi choisit les deux plus célèbres avocats de Paris: MM. Tronchet et Target. Il donna lui-même aux commissaires l'adresse de la maison de campagne qu'habitait Tronchet. Il déclara ignorer la demeure de Target. Ces noms rapportés dans la même séance à la Convention, le ministre de la justice Garat fut chargé de notifier aux deux défenseurs le choix que le roi avait fait d'eux pour ce dernier ministère de dévouement et de salut. Tronchet accepta, sans hésiter, la mission glorieuse qui tombait du cœur d'un proscrit sur son nom. Target, parole sonore mais âme pusillanime, s'effraya du danger de paraître en complicité même avec la dernière pensée d'un mourant. Il écrivit à la Convention une lettre cruelle et lâche dans laquelle il écartait de lui avec une peur visible une tâche à laquelle ses principes, disait-il, ne lui permettaient pas de s'attendre. Plusieurs noms s'offrirent pour remplacer Target. Le roi choisit Desèze, avocat de Bordeaux établi à Paris. Mais ces deux hommes n'étaient que les avocats du roi. Il lui fallait un ami. Pour la consolation de ses derniers jours et pour la gloire du cœur humain, cet ami se trouva. Il y avait alors dans une solitude près de Paris un vieillard du nom de Lamoignon, nom illustre et consulaire dans les hautes magistratures de l'ancienne monarchie. Les Lamoignon étaient de ces familles parlementaires qui s'élevaient de siècle en siècle, par de longs services rendus à la nation, jusqu'aux premières fonctions du royaume, et non par les faveurs de cour ou par les caprices des rois. Ce vieillard, du nom de Malesherbes, âgé de soixante-quatorze ans, avait été deux fois ministre de Louis XVI. Malesherbes avait perdu sa place, sans perdre son attachement pour le roi. Du fond de son exil il l'avait suivi des yeux depuis les États-Généraux jusqu'au cachot du Temple. Une correspondance secrète, à rares intervalles, avait porté à Louis XVI les souvenirs, les vœux, les commisérations de son ancien serviteur. A la nouvelle du procès du roi, Malesherbes avait écrit à la Convention pour solliciter la faveur d'être son défenseur. A la lecture de sa lettre, à la fois si noble et si touchante, la Convention tout entière éprouva cette commotion électrique que donne aux hommes assemblés le nom d'un homme de bien. La haine elle-même reconnut les saints droits de l'amitié dans la demande de Malesherbes; cette demande fut accordée. Malesherbes, introduit le jour même dans la tour du Temple, s'avança, incliné et d'un pas chancelant, vers son maître. Louis XVI était assis auprès d'une petite table. Il tenait à la main et lisait avec recueillement un volume de Tacite, cet évangile romain des |