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enfin doucement, et son âme se détacha sans effort de la terre.

Le Lépreux, à la fin de ce récit, couvrit son visage de ses mains; la douleur ôtait la voix au voyageur. Après un instant de silence, le Lépreux se leva. „Étranger, dit-il, lorsque le chagrin ou le découragement s'approcheront de vous, pensez au solitaire de la Cité d'Aoste; vous ne lui aurez pas fait une visite inutile."

Ils s'acheminèrent ensemble vers la porte du jardin. Lorsque le militaire fut au moment de sortir, il mit son gant à la main droite: Vous n'avez jamais serré la main de personne, dit-il au Lépreux, accordez-moi la faveur de serrer la mienne: c'est celle d'un ami qui s'intéresse vivement à votre sort. Le Lépreux recula de quelques pas avec une sorte d'effroi, et, levant les yeux

et les mains au ciel: Dieu de bonté! s'écria-t-il, comble de tes bénédictions cet homme compatissant!

Accordez-moi donc une autre grâce, reprit le voyageur. Je vais partir; nous ne nous reverrons peut-être pas de bien longtemps; ne pourrions-nous pas, avec les précautions nécessaires, nous écrire quelquefois? une semblable relation pourrait vous distraire et me ferait un grand plaisir à moi-même. Le Lépreux réfléchit quelque temps. Pourquoi, dit-il enfin, chercherais-je à me faire illusion? Je ne dois avoir d'autre société que moi-même, d'autre ami que Dieu; nous nous reverrons en lui.

Adieu, généreux étranger, soyez heureux... Adieu pour jamais. Le voyageur sortit. Le Lépreux ferma la porte et en poussa les verrous.

GEORGE SAND.

Madame Dudevant, si célèbre sous le pseudonyme de George Sand, est née à Paris en 1804. Son père, Dupin, homme d'esprit et officier distingué, avait eu pour mère une fille naturelle du maréchal de Saxe. Mademoiselle Dupin passa la plus grande partie de son enfance à Nohant, village situé près de La Châtre, où sa grand'mère avait un petit bien. On la mit ensuite au couvent des Anglaises, à Paris. Après trois années de séjour dans cette institution, elle retourna chez sa grand'mère, qui mourut bientôt. Mlle Dupin quitta alors son village pour aller vivre auprès de sa mère, à Paris. Elle ne tarda pas à épouser M. Dudevant, fils d'un ancien militaire de l'empire. Cette union ne fut pas heureuse. Madame Dudevant vivait, du consentement de son mari, tantôt

LA CAMPAGNE A SIX HEURES DU MATIN.

à Paris, tantôt à Nohant; mais ses moyens d'existence étaient fort bornés, et elle eut recours à divers expédients pour augmenter ses revenus. Enfin, elle publia un roman qui eut un succès prodigieux, et qui lui révéla son génie. Depuis, elle a écrit une foule d'ouvrages qui lui ont valu une grande célébrité. On y remarque une âme enthousiaste, une imagination riche et brillante, une poésie de langage, un talent naturel de raconter et de peindre, qui lui assurent la première place parmi les romanciers contemporains et un rang très élevé dans la littérature française. Par malheur, Madame Dudevant s'est faite le champion du radicalisme le plus ardent. Elle traite dans ses romans les questions politiques, sociales et religieuses. Elle mourut en 1877.

les prés des méandres d'un vert éclatant que le soleil commence à dorer au faîte.

J'ai quitté ma chambre au jour naissant, pour fuir la fatigue qui commenJe me suis assis sur la derçait à alourdir mes paupières. J'ai nière pierre de la colline, et j'ai salué passé mon panier à mon bras, j'y ai en face de moi, au revers du ravin, ta mis mon portefeuille, mon encrier, un blanche maisonnette, ta pépinière et le morceau de pain et des cigarettes, et toit moussu de ton ajoupa. Pourquoi j'ai pris le chemin des Couperies. Me as-tu quitté cet heureux nid, et tes pevoici sur la hauteur culminante. La tits enfants, et ta vieille mère, et cette matinée est délicieuse, l'air est rempli vallée charmante, et ton ami le bohédu parfum des jeunes pommiers. Les mien? Hirondelle voyageuse, tu as été prairies rapidement inclinées sous mes chercher en Afrique le printemps, qui pieds, se déroulent là-bas avec mol- n'arrivait pas assez vite à ton gré! lesse; elles étendent dans le vallon Ingrat! ne fait-il pas toujours assez leurs tapis que blanchit encore la rosée beau aux lieux où l'on est aimé? Que glacée du matin. Les arbres qui presfais-tu à cette heure? Tu es levé sans sent les rives de l'Indre dessinent sur doute; tu es seul, sans un ami, sans

un chien. Les arbres qui t'abritent | de bonheur et de mélancolie. Au comn'ont pas été plantés par toi; le sol mencement de ce rêve, je me vois assis que tu foules ne te doit pas les fleurs qui le parent. Peut-être supportes-tu les feux d'un soleil ardent, tandis que le froid d'une matinée humide engourdit encore la main qui t'écrit. Sans doute tu ne devines pas que je suis là, veillant sur ta pépinière, sur tes terrasses, sur les trésors que tu délaisses! Peut-être endormi au seuil d'une mosquée, crois-tu voir en songe les quatre murs blancs où tu as tant travaillé, tant étudié, tant rêvé, tant vieilli. Peut-être es-tu au sommet de l'Atlas.. Ah! ce mot seul efface toute la beauté du paysage que j'ai sous les yeux. Les jolis myosotis sur lesquels je suis assis, la haie d'aubépine qui s'accroche à mes cheveux, la rivière qui murmure à mes pieds sous son voile de vapeurs matinales, qu'est-ce que tout cela auprès de l'Atlas?

On vient d'ouvrir l'écluse de la rivière. Un bruit de cascade, qui me rappelle la continuelle harmonie des Alpes, s'élève dans le silence. Mille voix d'oiseaux s'éveillent à leur tour. Voici la cadence voluptueuse du rossignol; là, dans le buisson, le cri moqueur de la fauvette; là-haut, dans les airs, l'hymne de l'alouette ravie qui monte avec le soleil; l'astre magnifique boit les vapeurs de la vallée et plonge son rayon dans la rivière, dont il écarte le voile brumeux. Le voilà qui s'empare de moi, de ma tête humide, de mon papier. Il me semble que j'écris sur une table de métal ardent.... Tout s'embrase, tout chante, les coqs s'éveillent mutuellement et s'appellent d'une chaumière à l'autre; la cloche du village sonne l'angelus; un paysan qui recèpe sa vigne au-dessous de moi pose ses outils et fait le signe de la croix.... A genoux, Malgache! où que tu sois, à genoux! Prie pour ton frère qui prie pour toi.

UN RÊVE.

Je t'ai raconté bien des fois un rêve que je fais souvent, et qui m'a toujours laissé, après le sommeil, une impression

sur une rive déserte, et une barque, pleine d'amis qui chantent des airs délicieux, vient à moi sur le fleuve rapide. Ils m'appellent, ils me tendent les bras, et je m'élance avec eux dans la barque. Ils me disent: „Nous allons à ... (ils nomment un pays inconnu), hâtonsnous d'y arriver." On laisse les instruments, on interrompt les chants. Chacun prend la rame. Nous abordons... à quelle rive enchantée? Il me serait impossible de la décrire; mais je l'ai vue vingt fois, je la connais; elle doit exister quelque part sur la terre ou dans quelqu'une de ces planètes dont tu aimes à contempler la pâle lumière dans les bois au coucher de la lune. Nous sautons à terre, nous nous élançons, en courant et en chantant, à travers les buissons embaumės. Mais alors tout disparaît, et je m'éveille. J'ai recommencé souvent ce beau rêve, et je n'ai jamais pu le mener plus loin.

Ce qu'il y a d'étrange, c'est que ces amis, qui me conviennent et qui m'entrainent, je ne les ai jamais vus dans la vie réelle. Quand je m'éveille, mon imagination ne se les représente plus. J'oublie leurs traits, leurs noms, leur nombre et leur âge. Je sais confusément qu'ils sont beaux et jeunes; hommes et femmes sont couronnés de fleurs, et leurs cheveux flottent sur leurs épaules. La barque est grande, et elle est pleine. Ils ne sont pas divisés par couples, ils vont pêle-mêle se choisir, et semblent s'aimer tous également, mais d'un amour tout divin. Leurs chants et leurs voix ne sont pas de ce monde. Chaque fois que je fais ce rêve, je retrouve aussitôt la mémoire des rêves précédents où je les ai vus. Mais elle n'est distincte que dans ce moment-là; le réveil la trouble et l'efface.

Lorsque la barque paraît sur l'eau, je ne songe à rien. Je ne l'attends pas, je suis triste; et une des occupations où elle me surprend le plus souvent, c'est de laver mes pieds dans la première onde du rivage. Mais cette

occupation est toujours inutile. Aussitôt que je fais un pas sur la grève, je m'enfonce dans une fange nouvelle, et j'éprouve un sentiment de détresse puérile. Alors la barque paraît au loin; j'entends vaguement les chants. Puis ils se rapprochent, et je reconnais ces voix qui me sont si chères. Quelquefois, après le réveil, je conserve le souvenir de quelques lambeaux des vers qu'ils chantent; mais ce sont des phrases bizarres et qui ne présentent plus aucun sens à l'esprit éveillé. Il y aurait peut-être moyen, en les commentant, d'écrire le poème le plus fantastique que le siècle ait encore produit. Mais je m'en garderai bien, car je serais désespéré de composer sur mon rêve, et de changer ou d'ajouter quelque chose au vague souvenir qu'il me laisse. Je brûle de savoir s'il y a dans les songes quelque sens prophétique, quelque révélation de l'avenir, soit pour cette vie, soit pour l'autre. Je ne voudrais pourtant pas qu'on m'apprit ce qui en est, et qu'on m'ôtât le plaisir de chercher.

LES PREMIÈRES LECTURES.

cule faisait cruellement flotter les caractères sur la feuille pålissante! C'en est fait, les agneaux bêlent, les brebis sont arrivées à l'étable, le grillon prend possession des chaumes de la plaine. Les formes des arbres s'effacent devant le vague de l'air, comme tout à l'heure les caractères sur le livre. Il faut partir; le chemin est pierreux, l'écluse est étroite et glissante; la côte est rude; vous êtes couvert de sueur; mais, vous aurez beau faire, vous arriverez trop tard: le souper sera commencé. C'est en vain que le vieux domestique, qui vous aime, aura retardé le coup de cloche autant que possible; vous aurez l'humiliation d'entrer le dernier, et la grand'mère, inexorable sur l'étiquette, même au fond de ses terres, vous fera, d'une voix douce et triste, un reproche bien léger, bien tendre, qui vous sera plus sensible qu'un châtiment sévère. Mais, quand elle vous demandera le soir la confession de votre journée, et que vous aurez avoué, en rougissant, que vous vous êtes oublié à lire dans un pré, et que vous aurez été sommé de montrer le livre, après quelque hésitation et une grande crainte de le voir confisqué sans l'avoir fini, vous tirerez en tremblant de votre poche, quoi? Estelle et Némorin ou Robinson Crusoé! Oh! alors la grand'mère sourit. Rassurez-vous, votre trésor vous sera rendu; mais il ne faudra pas désormais oublier l'heure du souper. Heureux temps! o ma Vallée Noire! ó Corinne! ò Bernardin de Saint-Pierre! ó l'Iliade!

la rivière! ô ma jeunesse écoulée! ô mon vieux chien, qui n'oubliait pas l'heure du souper, et qui répondait au son lointain de la cloche par un douloureux hurlement de regret et de gourmandise!

Un livre a toujours été pour moi un conseiller, un consolateur éloquent et calme, dont je ne voulais pas épuiser vite les ressources, et que je gardais pour les grandes occasions. Oh! quel est celui de vous qui ne se rappelle avec amour les premiers ouvrages qu'il a dévorés ou savourés! La couverture d'un bouquin poudreux, que vous re- Millevoye! ò Atala! ò les saules de trouvez sur les rayons d'une armoire oubliée, ne vous a-t-elle jamais retracé les gracieux tableaux de vos jeunes années? N'avez-vous pas cru voir surgir devant vous la grande prairie baignée de rouges clartés du soir, lorsque vous les vites pour la première fois, le vieil ormeau et la haie qui vous abritèrent, et le fossé dont le revers vous servit de lit de repos et de table de travail, tandis que la grive chantait la retraite à ses compagnes, et que le pipeau du vacher se perdait dans l'éloignement. Oh! que la nuit tombait vite sur ces pages divines! que le crépus

GENEVIEVE.

Il y a des natures choisies qui se développent d'elles-mêmes, et dans toutes les positions où il plaît au hasard de les faire naître. La noblesse de cœur est, comme la vivacité d'esprit, une

flamme que rien ne peut étouffer, et qui tend sans cesse à s'élever, comme pour rejoindre le foyer de grandeur et de bonté éternelle dont elle émane. Quels que soient les éléments contraires qui combattent ces destinées élues, elles se font jour, elles arrivent sans effort à prendre leur place, elles s'en font une au milieu de tous les obstacles. Il y a sur leur front comme un sceau divin, comme un diadème invisible qui les appelle à dominer naturellement les essences inférieures; on ne souffre pas de leur supériorité, parce qu'elle s'ignore elle-même; on l'accepte parce qu'elle se fait aimer. Telle était Geneviève, créature plus fraîche et plus pure que les fleurs au milieu desquelles s'écoulait sa vie.

On dit que la poésie se meurt: la poésie ne peut pas mourir. N'eût-elle pour asile que le cerveau d'un seul homme, elle aurait encore des siècles de vie, car elle en sortirait comme la lave du Vésuve, et se fraierait un chemin parmi les plus prosaïques réalités. En dépit de ses temples renversés et des faux dieux adorés sur leurs ruines, elle est immortelle comme le parfum des fleurs et la splendeur des cieux. Exilée des hauteurs sociales, répudiée par la richesse, bannie des théâtres, des églises et des académies, elle se réfugiera dans la vie bourgeoise, elle se mêlera aux plus naïfs détails de l'existence. Lasse de chanter une langue que les grands ne comprennent pas, elle ira murmurer à l'oreille des petits des paroles d'amour et de sympathie. Et déjà n'est-elle pas descendue sous les voûtes des tavernes allemandes? ne s'est-elle pas assise au rouet des femmes? ne berce-t-elle pas dans ses bras les enfants du pauvre? Compte-t-on pour rien toutes ces âmes aimantes qui la possèdent et qui souffrent, qui se taisent devant les hommes et qui pleurent devant Dieu? Voix isolées qui enveloppent le monde d'un choeur universel et se rejoignent dans les cieux, étincelles divines qui retournent à je ne sais quel astre mystérieux, peut-être à l'antique Phébus, pour en redescendre sans cesse sur la terre et l'alimen

ter d'un feu toujours divin! Si elle ne produit plus de grands hommes, n'en peut-elle pas produire de bons? Qui sait si elle ne sera pas la divinité douce et bienfaisante d'une autre génération, et si elle ne succédera pas au doute et au désespoir dont notre siècle est atteint? Qui sait si dans un nouveau code de morale, dans un nouveau catéchisme religieux, le dégoût et la tristesse ne seront pas flétris comme des vices,' tandis que l'amour, l'espoir et l'admiration seront récompensés comme des vertus!

La poésie révélée à toutes les intelligences serait un sens de plus que tous les hommes peut-être sont plus ou moins capables d'acquérir, et qui rendrait toutes les existences plus étendues, plus nobles et plus heureuses. Les mœurs de certaines tribus montagnardes le prouvent avec une évidence éclatante: la nature, il est vrai, prodigue de grands spectacles dans de telles régions, s'est chargée de l'éducation de ces hommes, mais les chants des bardes sont descendus dans les vallés, et les idées poétiques peuvent s'ajuster à la taille de tous les hommes. L'un porte sa poésie sur son front, un autre dans son cœur; celui-ci la cherche dans une promenade lente et silencieuse au sein des plaines, celui-là la poursuit au galop de son cheval, à travers les ravins; un troisième l'arrose sur sa fenêtre, dans un pot de tulipes; au lieu de demander où elle est, ne devrait-on pas demander: „Où n'est-elle pas!" Si ce n'était qu'une langue, elle pourrait se perdre; mais c'est une essence qui se compose de deux choses: la beauté répandue dans la nature extérieure, et le sentiment départi à toute intelligence ordinaire. Pour condamner à mort la poésie, et la porter au cercueil, il nous faudra donc arracher du sol jusqu'à la dernière des fleurettes dont Geneviève faisait ses bouquets.

Car elle aussi était poète, et croyez bien qu'il y a au fond des plus sombres masures, au sein des plus médiocres conditions, beaucoup d'existences qui s'achèvent sans avoir produit un sonnet, mais qui pourtant sont de magnifiques poèmes.

1 Les catéchismes de la doctrine chrétienne l'ont

fait depuis qu'il existe des catéchismes.

Il faut bien peu de chose pour éveiller ces esprits endormis dans l'épaisse atmosphère de l'ignorance, et pour les entourer à jamais d'une lumineuse auréole qui ne les quitte plus. Un livre tombé sous la main, un chant ou quelques paroles recueillies d'un passant, une étude entreprise dans un dessein prosaïque, ou par nécessité, le moindre hasard providentiel suffit à une âme élue pour découvrir un monde d'idées et de sentiments. C'est ce qui était arrivé à Geneviève. L'art frivole d'imiter les fleurs l'avait conduite à examiner ses modèles, à les aimer, à chercher dans l'étude de la nature un moyen de perfectionner son intelligence; peu à peu elle s'était identifiée avec elle, chaque jour, dans le secret de son cœur, elle dévorait avidement le livre immense ouvert devant ses yeux. Elle ne songeait pas à celle à laquelle tous ses instants étaient forcément consacrés; mais elle avait surpris le secret de l'universelle harmonie. Ce monde inanimé qu'autrefois elle regardait sans le voir, elle le comprenait désormais; elle le peuplait d'esprits invisibles, et son âme s'y élançait pour y embrasser sans cesse l'amour infini qui plane sur la création. Emportée par les ailes de son imagination toute puissante, elle apercevait, au-delà des toits enfumés de sa petite

ville, une nature enchantée qui se résumait, sur sa table, dans un bouton d'aubépine. Un chardonneret familier, qui voltigeait dans sa chambre, lui apportait du dehors toutes les mélodies des bois et des prairies; et lorsque sa petite glace lui renvoyait sa propre image, elle y voyait une ombre divine si accomplie qu'elle était émue sans savoir pourquoi, et versait des pleurs délicieux comme à l'aspect d'une sœur jumelle.

Elle s'était donc habituée à vivre en dehors de tout ce qui l'entourait; ce n'était pas, comme on le prétendait, une vertu sauvage et sombre: elle était trop calme dans son innocence, pour avoir jamais cherché sa force dans les maximes farouches. Heureuse avec sa liberté et ses occupations; orpheline, riche par son travail au-delà de ses besoins, elle était affable et bonne avec ses amies d'enfance: elle eût craint de leur paraître vaine de son petit savoir, et se laissait égayer par elles; mais elle supportait cette gaieté plutôt qu'elle ne la provoquait; et si jamais elle ne leur donnait le moindre signe de mépris et d'ennui, du moins son plus grand bonheur était de se retrouver seule dans sa petite chambre, et de faire sa prière en regardant la lune et en respirant les jasmins de sa fenêtre.

PROSPER MÉRIMÉE.

Prosper Mérimée, romancier, historien, dramaturge et savant, est né à Paris en 1802. Il s'est consacré de bonne heure aux lettres, et a publié sur divers sujets plusieurs ouvrages d'un mérite éminent. Les plus remarquables sont: Essai sur l'architecture du moyen age; Voyage archéologique dans le sud et l'ouest de la France et en Corse, Théatre de Clara Gazul, recueil de pièces dramatiques dans le goût espagnol; des nouvelles et

L'ENLÈVEMENT DE LA REDOUTE. Un militaire de mes amis, qui est mort de la fièvre en Grèce, il y a quelques années, me conta un jour la première affaire à laquelle il avait assisté. Son récit me frappa tellement, que je l'écrivis de mémoire aussitôt que j'en eus le loisir.

des contes, entre autres Matteo Falcone, l'Enlèvement de la redoute, Colomba, son chefd'oeuvre; une Histoire de Don Pedro le Cruel, etc. Mérimée est un narrateur parfait et un écrivain très pur. Aucun autre ne se distingue à un plus haut degré que lui par la précision et la netteté de la pensée et du style; son défaut est d'exagérer ces qualités, et de tomber quelquefois dans la dureté et la sécheresse. Il mourut en 1870.

„Je rejoignis le régiment le 4 septembre au soir. Je trouvai le colonel au bivouac. Il me reçut d'abord assez brusquement; mais après avoir lu la lettre de recommandation du général B..., il changea de manières, et m'adressa quelques paroles obligeantes."

„Je fus présente par lui à mon ca

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