Images de page
PDF
ePub

dans la classe de ce qui saisit l'existence des corps. Y a-t-il plusieurs actes de l'esprit qui saisissent l'existence des corps, et l'enchaînement des idées est-il un de ces actes? Ou bien un enchaînement d'idées cohérentes entre elles est-il la même chose sous une expression différente que ce qui saisit l'existence des corps. Si une seule idée ne saisit pas l'existence des corps, comment un enchaînement d'idées la saisirait-il? Ce terme moyen ne peut donc pas rapprocher le mincur la perception du majeur saisit l'existence des corps.

Nous en dirons autant de la seconde preuve : Dieu a révélé dans la Bible qu'il a créé des corps. Comment faire de cela un terme. moyen, qui puisse se placer entre le mineur la perception et le majeur saisit l'existence des corps? En supposant que cette preuve établisse qu'il y a des corps, elle n'établit pas dans quel cas nous les percevons.

La troisième preuve n'est pas plus démonstrative. Comment par la relation de l'effet à la cause établir un lien entre le mineur et le majeur? On suppose ce raisonnement:

La perception est un effet,

Cet effet est causé par l'existence des corps :

Donc la perception est causée par l'existence des corps.

La mineure est incontestable, la perception est un effet, si par effet on entend ce qui commence par autrui et non par soi-même; mais le moyen effet doit être un genre relativement au mineur la perception. Or, s'il en est ainsi, nous devrons trouver dans la majeure : tout effet est causé par l'existence des corps. Ce n'est pas ce qu'on nous propose : on affirme que cet effet particulier est causé par l'existence.des corps, et c'est précisément ce qu'il fallait démontrer. Le terme moyen effet est pris deux fois en un sens particulier, et on a vu par les règles du raisonnement que le moyen doit être pris au moins une fois en un sens général.

Mais, dira-t-on, l'idée de corps est une modification de l'âme causée par la présence du corps, comme l'idée de nousmêmes est causée par la présence de nous-mêmes, comme l'idée de l'infini est causée par l'existence réelle et actuelle de l'infini; ce qui donnerait lieu à ce nouveau syllogisme :

Toute idée est causée par la présence extérieure et actuelle de son objet.

L'idée de corps a pour objet le corps :

L'idée de corps est causée par la présence extérieure et actuelle du corps.

Ce syllogisme sera démonstratif, si, en effet, toute idée est causée par la présence extérieure et actuelle de son objet; mais l'idée du triangle parfait n'est pas causée par la présence extérieure et actuelle de son objet, donc on ne peut pas assurer que toute idée et en particulier l'idée de corps soit causée par la présence extérieure et actuelle de son objet.

Ainsi aucune des prétendues démonstrations de l'existence des corps et de leur influence actuelle sur l'âme ne peut fournir un raisonnement régulier; il faut prendre la perception des corps pour un fait spécial, sui generis, primitif, indivisible, qui ne peut se rapporter à aucun genre, qui n'a point d'équivalent et qui par conséquent ne peut se rapprocher d'aucun terme moyen dans un syllogisme.

On doit comprendre aussi facilement pourquoi les perceptions primitives de la conscience ne peuvent pas non plus se démontrer par le raisonnement. Pour prouver que la conscience ne nous trompe pas et nous révèle sincèrement ce qui se passe en nous, on ne pourrait poser que ce syllogisme :

Il doit y avoir autant de réalité extérieure dans la cause de l'idée qu'il y en a par représentation dans l'idée.

Dans l'idée de moi-même, la réalité représentative de l'idée est moi-même :

Donc il y a dans la cause de cette idée la réalité extérieure de moi-même.

La majeure de ce syllogisme est la même que celle du syllogisme précédent : toute idée de l'âme est causée par un objet extérieur, présent et actuel, majeure qui est contredite par l'idée de la sirène, de la chimère, du cercle parfait, de la vertu parfaite, et par toutes les idées que nous devons à nos croyances. Il y a dans notre intelligence des idées de différentes espèces : les unes saisissent des réalités extérieures, les autres n'en saisissent pas; nous distinguons immédiatement

les premières des secondes; si cette distinction n'est pas immédiate, elle n'existe pas, car elle ne peut pas être le résultat d'un raisonnement.

La différence entre le raisonnement et la perception immédiate n'est pas moins évidente dans l'acquisition des connaissances de l'intuition pure extérieure. Comment par le raisonnement passer de cette connaissance expérimentale: corps étendu à cette connaissance de l'intuition pure espace infini? par quel terme moyen rapprocherons-nous l'un de l'autre ? où est la classe qui contienne l'étendue sensible et qui rentre comme espèce dans le genre espace infini? Ces deux idées n'étant pas déduites l'une de l'autre, ni la même sous des expressions différentes, ont donc une origine diverse et ne doivent pas être attribuées à la même faculté. Ce que nous venons de dire de la génération qu'on suppose entre l'idée de corps étendu et celle d'espace infini, s'applique aisément aux idées de la durée observable et du temps pur, comme aux idées de la cause limitée et de la substance active infinie. Il n'y a pas de moyen terme par lequel du périssable on puisse déduire l'impérissable.

CHAPITRE II.

LA MÉTHODE OU LES SCIENCES ET LES ARTS.

§ 1. DIVISION DES SCIENCES.

[ocr errors]
[ocr errors]

§ 2. LA MÉTHODE DE DÉCOUVERTE PROPRE A

S 3. LA MÉTHODE D'ENSEIGNEMENT. -§ 4. DI$ 5. LES DIFFÉRentes sortes d'IMAGINATION. $ 6. L'ÉS 7. LE GOUT, L'ESPRIT ET LE GÉNIE.

CHAQUE GENRE DE SCIENCES.
VISION DES ARTS.
LOQUENCE ET LA POESIE.

[ocr errors]

§ 1er. Division des sciences.

Les œuvres des sciences et des arts sont les plus compliquées de l'esprit humain. Examinons d'abord quelles sont les facultés employées dans la formation des sciences. Nous avons vu que les idées s'unissent et se désunissent selon que leurs objets se composent et se décomposent; que les objets se composent en tant qu'ils s'ajoutent les uns aux autres pour former un tout continu, ou un tout complexe, ou une classe, et qu'ils se décomposent, en tant qu'on distingue les parties d'un tout continu, les éléments d'un tout complexe, ou les espèces d'un genre1. Nous avons fait voir qu'unir ou désunir deux idées c'est ce qu'on appelle juger, et que tout acte primitif de l'esprit est un jugement2; nous avons ajouté que deux idées unies ou désunies par le moyen d'une troisième forment un raisonnement. L'opération des sciences est de la même nature que celles du jugement et du raisonnement; elle n'en diffère qu'en degré. Elle consiste aussi à unir ou à désunir les idées, et par conséquent les objets des idées, d'une part en les ajoutant les uns aux autres pour former un tout continu, ou un tout complexe, ou une classe, de l'autre en

1. Voy. liv. VII, chap. 1er, § 6.

2. Voy. ibid., § 2-5.

3. Voy. liv. VIII, chap. 1, § 1.

distinguant les parties d'un tout continu, ou les éléments d'un tout complexe, ou les espèces d'un genre.

Les sciences qui décomposent ou composent les parties d'un tout continu, sont 1° la géographie, qui donne la division et la description de la superficie du globe terrestre ; la géologie, qui distingue et décrit ses parties intérieures ; l'anatomie, qui fait connaître les parties extérieures et intérieures du corps humain : ces sciences travaillent sur une étendue observable. 2o La chronologie ou la partie de l'astronomie qui divise la durée observable en jours, heures, minutes, secondes, tierces, etc., et unit les jours en mois, années, siècles, époques, cycles ou périodes.

L'astronomie tout entière n'a d'abord été qu'une sorte de géographie et de chronologie des cieux on les divisait en différentes zones, que le soleil visitait tour à tour inégalement, et on liait les étoiles entre elles par des figures, dont elles étaient les points culminants et qui présentaient des chars, des lyres, des lions, des ours, des centaures, de jeunes filles, etc... « On voit, dit Turgot, le progrès immense que les sciences ont fait, et on a perdu de vue l'enchaînement insensible par lequel elles tiennent aux premières idées. Les hommes ont d'abord observé les astres avec les yeux. L'horizon naturel a d'abord été le premier instrument, et les trois cent soixante jours de l'année luni-solaire sont le modèle de la division du cercle en trois cent soixante degrés. Les étoiles depuis la première jusqu'à la quatrième grandeur sont visibles à tous les hommes; l'alternative des jours et des nuits, les changements des phases de la lune furent des mesures naturelles du temps; l'alternative du chaud et du froid et les besoins du labourage firent comparer le cours du soleil et celui de la lune. De là l'année, les mois, les noms des principales constellations. » Aujourd'hui l'astronomie ne regarde plus les globes célestes comme roulant sur une voûte de cristal; elle ne fait plus partie des sciences qui se bornent à composer ou à décomposer les parties d'un tout continu; elle envisage les corps célestes comme des objets discontinus, dont elle étudie les mouvements et les attractions; elle rentre

« PrécédentContinuer »