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pour en déterminer le sens, et la logique a eu raison d'appeler ce genre de raisonnement le sophisme de l'ambiguïté des

mots.

§ 5. Du sensualisme de David Hume.

Le système, qui rapporte toutes nos connaissances à la sensation produit, suivant l'acception qu'on donne à ce dernier terme, deux conséquences différentes. Si l'on entend par sensation la perception, c'est-à-dire la communication de l'âme avec les objets extérieurs matériels, la doctrine de la sensation conduit, comme nous l'avons dit, au matérialisme, à l'athéisme et à la morale de l'intérêt; si l'on entend par sensation un acte intérieur qui n'affirme rien sur l'existence externe de son objet, cette doctrine conduit à l'idéalisme, c'est-à-dire à la conclusion que l'âme ne connaît que ses idées, et non des objets extérieurs. Il y a dans l'Essai sur l'entendement humain un grand nombre de phrases qui peuvent se prendre dans cette dernière acception 1. Nous avons vu que ce côté avait été aperçu et développé par Berkeley et par David Hume. La sensation n'étant qu'une modification de l'âme ou une idée, et l'âme n'étant en communication qu'avec ses idées, Berkeley trouve en Dieu la cause des idées et supprime les corps. David Hume, plus hardi, retranche Dieu et l'âme, et ne laisse plus que les idées elles-mêmes 2; mais il abandonne bientôt cette interprétation de la doctrine de la sensation, pour s'en tenir à l'acception la plus ordinaire. Avant les idées il admet des impressions, dont les idées ne sont que les copies, et il regarde les impressions comme produites par les sens extérieurs ou les sens internes. Les unes sont déterminées par les objets sensibles, comme les impressions de la vue, de l'ouïe, du toucher; les autres sont de pures affections de l'âme, comme l'amour, la haine, le désir et la volition'. Toute prétendue idée qui ne correspond à aucune impression

1. Voy. plus haut, t. II, p. 95.

2. Ibid., p. 96 et suiv.

3. OEuvres philosophiques, trad. franç., t. I, p. 77, 153.

n'est qu'un mot vide de sens'. L'idée de cause, de pouvoir, de rapport nécessaire, ne correspond à rien de réel hors de l'esprit', et n'est que l'habitude de voir deux événements se succéder constamment et l'attente instinctive du second à la vue du premier3. Dans les idées de l'espace et du temps David Hume ne découvre que des contradictions qui viennent surtout de la divisibilité à l'infini, et il propose de considérer ces idées non comme des notions dont l'objet serait universel et infiniment étendu, mais comme des noms généraux exprimant plusieurs idées particulières. Les idées sur lesquelles reposent les mathématiques ne seraient aussi que des idées particulières fournies par les sens et reproduites par l'imagination; et, en conséquence, les quantités mathématiques ne pourraient pas être divisibles à l'infini *. « Rien n'est plus libre, dit-il encore, que l'imagination humaine, mais elle ne saurait s'écarter de ce fonds d'idées que lui suggèrent les sens extérieurs ou internes. » Quant à la morale elle est plutôt, suivant lui, l'objet du sentiment que de l'entendement. La beauté, soit morale, soit physique se sent plutôt qu'elle ne s'aperçoit. «Si nous en raisonnons, si nous tâchons d'en fixer les règles, nous envisageons alors le sentiment universel du genre humain 6. »

Telle est la forme que la doctrine de la sensation revêt sous la plume de David Hume, lorsqu'il l'expose de suite et dans l'intention de proposer un système complet. Toutes les conséquences en sont rigoureusement déduites et toutes les parties solidement liées entre elles; mais, dans d'autres endroits de ses ouvrages, quand l'esprit de système ne souffle plus dans son âme, il revient à une plus juste appréciation de la vérité. De même qu'il a abandonné les conséquences idéalistes de la doctrine de Locke, il n'est pas plus fidèle aux consé

1. OEuvres philosophiques, t. Ier, p. 83 et plus haut, t. II, p. 140. 2. Ibid.

3. Voy. plus haut, t. II, p. 445.

4. OEuvr. philos., trad. franç., t. II, p. 111, 115 et la note de la page 115.

5. Ibid., t. Ier, p. 153.

6. Ibid., t. II, p. 130.

quences matérialistes de celte théorie. Nous avons montré qu'il reconnaît des idées qui ne sont pas des copies d'impression telle que l'idée de certaines couleurs idéales, l'idée de la perfection, et ce qu'il appelle la relation des idées, c'est-à-dire les propositions de géométrie, d'algèbre et d'arithmétique qui se découvrent, dit-il, par de simples opérations de la pensée, ne dépendent en rien des choses qui existent dans l'univers et sont d'éternelles vérités1. La doctrine sensualiste, qui périrait déjà par l'erreur qu'elle renferme, périt donc plus encore par les inconséquences de ses plus habiles défenseurs.

1. Voy. plus haut, l. II, p. 282.

CHAPITRE V.

S1. CONCEPTUALISME.

SANCES A PRIORI.

SYSTÈME DE KANT.

§ 2. LES CONNAISSANCES A POsteriori et les CONNAIS- § 3. JUGEMENTS ANALYTIQUES ET JUGEMENTS SYNTHÉTIQUES. - § 4. LES CONCEPTIONS TRANSCENDANTALES. DIVISION DE CES CONCEPTIONS. § 5. LES CONCEPTIONS TRANSCENDANTALES QUI ACCOMPAGNENT L'EXERCICE DE LA. FACULTÉ SENSITIVE. LE MATÉRIEL ET LE FORMEL DE LA CONNAISSANCE; L'OBJECTIF ET LE SUBJECTIF. § 6. CONFUSION DE L'ESPACE PUR ET DE LA FORME GÉOMÉTRIQUE AVEC L'ÉTENDUE ET LA FORME SENSIBLES. L'ESPACE RÉEL AVEC LES CONCEPTIONS GÉOMÉTRIQUES. LA DURÉE OBSERVABLE AVEC LE TEMPS ABSolu. TRANSCENDANTALES QUI ACCOMPAGNENT L'EXERCICE DE L'ENTENDEMENT. LES CAS-10. DISTINCTION ARBITRAIRE ENTRE LES CONCEPTIONS DE LA

TÉGORIES.

S 7. CONFUSION DE § 8. CONFUSION DE S9. LES CONCEPTIONS

§ 11. DIVISION ERRONÉE

S 12. LES CATÉGORIES NE SONT PAS

FACULTE SENSITIVE ET CELLES DE L'ENTENDEMENT.
DES CATÉGORIES DE L'ENTENDEMENT.
TOUTES DONNÉES A PRIORI FAR L'ENTENDEMENT.
DES CONCEPTIONS VIDES DE RÉALITÉ EXTÉRIEURE.
ENTRE DESCARTES ET KANT.

KANT.

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S 13. ELLES NE SONT PAS

-

S 14. QUELQUE ANALOGIE -S 15. DE CE QUE LE PHILOSOPHE ALLEMAND ENTEND PAR UN SCHÈME. S 16. LES PRINCIPES DE L'ENTENDEMENT SUIVANT - § 17. DES CONCEPTIONS TRANSCENDANTALES QUI ACCOMPAGNENT LA RAISON PURE OU DES IDÉES. - § 18. DIVISION DES IDÉES. -S 19. LES PARALOGISMES DE LA PSYCHOLOGIE RATIONNELLE. -S 20. LES ANTINOMIES DE LA COSMOLOGIE RATIONNELLE. - § 21. L'IDÉAL DE LA THÉOLOGIE RATIONNELLE. S 22. DES PREUVes morales de l'existence de dieU.-§ 23. DE LA DIFFÉRENCE - § 24. RÉSUMÉ SUR LA

QUI EXISTE ENTRE LA CONNAISSANCE ET LA CROYANCE.

DOCTRINE DE KANT. - § 25. De ce qu'on entend par IDÉALISME.

§ 1. Conceptualisme.

Les contradictions que nous avons signalées dans les écrits de David Hume ne furent pas remarquées. On demeura frappé seulement de la vive clarté avec laquelle il avait démontré que certaines idées ne peuvent sortir ni de la sensation, ni de la réflexion. Il avait conclu que ces idées ne sont

que des noms vides de sens, et qu'il faut les bannir du langage. Ce nominalisme nouveau ne pouvait pas plus triompher que celui de l'antiquité et du moyen âge, pour les raisons que nous avons plusieurs fois indiquées1. Un philosophe de Koenigsberg, que l'éloquence d'un de nos maîtres a rendu célèbre et presque populaire en France, malgré l'obscurité de la pensée et l'affectation du langage, Kant, ne put consentir à ne voir que des mots dans les idées d'espace, de temps, de cause, de substance, etc. Il ne crut cependant pas devoir faire signifier à ces termes des objets extérieurs à l'esprit, et instituer ainsi un nouveau genre de réalisme fort légitime; il pensa que ces mots expriment de pures conceptions de l'intelligence, sans réalité extérieure, n'ayant d'existence que dans l'esprit et produisit un nouveau conceptualisme, qui ne pouvait avoir plus de succès que l'ancien3, puisqu'il éliminait du nombre des réalités extérieures non plus seulement les genres ou les qualités générales, mais l'espace, le temps, la substance et la cause.

§ 2. Les connaissances a posteriori et les connaissances a priori.

Kant commence par distinguer des connaissances qui nous viennent de l'expérience, et d'autres qui, bien que provoquées par l'expérience, n'en sont cependant pas dérivées". Il a été précédé dans cette voie par Platon, Descartes et Leibniz. Ce dernier s'est servi, comme le fait Kant, des mots a posteriori et a priori pour exprimer les connaissances de l'expérience et celles qui ont une autre origine. « Les connaissances a priori, dit le philosophe de Koenigsberg, sont nécessaires et universelles; nécessaires, en ce sens que

1. Voy. plus haut, t. II, p. 138 et 140, et t. III, p. 219.

2. M. Victor Cousin.

3. Voyez plus haut, t. III, թ. 220.

4. Voy. plus haut, t. II, p. 11.

5. Critique de la raison pure, 7o édit., Leipsick, 1828 (en allemand), p. 2. 6. Voy. plus haut, t. III, p. 301, et Leibniz, Nouveaux essais, liv. IV, chap. x, $2.

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