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dans ce sanctuaire, ne faut-il pas que je prononce ici les mêmes paroles que disait autrefois le diacre, lorsque le prêtre était arrivé à la plus auguste partie des sacrés mystères? Sancta sanctis, les choses saintes ne sont que pour les saints. Enfants du siècle, hommes nourris dans le mensonge et la vanité, jusqu'ici vous m'avez entendu, parceque j'ai dit des choses que le monde corrompu est capable d'admirer, quoiqu'il ne soit pas toujours capable de les faire : mais m'entendrez-vous et me croirez-vous lorsque je vous parlerai des sentiments que la religion et la piété lui inspiraient? Vous ne les avez pas entendus de sa bouche: M. de Turenne, content d'exposer aux yeux du siècle les dehors d'une vie sage et réglée, gardait pour les conversations qu'il avait avec les serviteurs de Jésus-Christ des sentiments dont le monde n'était pas digne, et il n'avait garde d'exposer ces perles évangéliques à des profanes qui les eussent foulées aux pieds par leurs railleries sacrilèges. Aussi n'est-ce pas à vous que je donne ce cœur à examiner dans cette partie de mon discours; c'est à Dieu, c'est à ses saints, c'est à ces sacrées épouses de Jésus-Christ, qui, par leur piété, prennent plus d'intérêt à la religion de ce prince que le sang ne leur en a fait prendre en tout le reste.

Ne pensez pas, messieurs, que notre héros perdît à la tête des armées, et au milieu des victoires, ces sentiments de religion. Certes, s'il y a une occasion au monde où l'âme pleine d'elle-même soit en danger d'oublier son Dieu, c'est dans ces postes éclatants où un homme, par la sagesse de sa conduite, par la grandeur de son courage, par la force de son bras, et par le nombre de ses soldats, devient comme le dieu des autres hommes, et, rempli de gloire en lui-même, remplit tout le reste du monde d'amour, d'admiration, ou de frayeur. Les dehors même de la guerre, le son des instruments, l'éclat des armes, l'ordre des troupes, le silence des soldats, l'ardeur de la mêlée, le commencement, le progrès et la consommation de la victoire, les cris différents des vaincus et des vainqueurs, attaquent l'âme par tant d'endroits, qu'enlevée à tout ce qu'elle a de sagesse et de modération, elle ne connait ni Dieu ni elle-même. alors que les impies Salmonées osent imiter le tonnerre de Dieu, et répondre par les foudres de la terre aux foudres du ciel: c'est alors que les sacriléges Antiochus n'adorent que leurs bras et leurs cœurs, et que les insolents Pharaon,

C'est

enflés de leur puissance, s'écrient: C'est moi qui me suis fait moi-même. Mais aussi la religion et l'humilité paraissent-elles jamais plus majestueuses que lorsque, dans ce point de gloire et de grandeur, elles retiennent le cœur de l'homme dans la soumission et la dépendance où la créature doit être à l'égard de son Dieu ?

GITON ET PHÉDON, OU LE RICHE ET LE PAUVRE.
(LA BRUYÈRE.)

Giton a le teint frais, le visage plein et les joues pendantes, l'œil fixe et assuré, les épaules larges, l'estomac haut, la démarche ferme et délibérée: il parle avec confiance, il fait répéter celui qui l'entretient et il ne goûte que médiocrement tout ce qu'il lui dit: il déploie un ample mouchoir et se mouche avec grand bruit; il crache fort loin et il éternue fort haut; il dort le jour, il dort la nuit, et profondément; il ronfle en compagnie; il occupe à table et à la promenade plus de place qu'un autre; il tient le milieu en se promenant avec ses égaux; il s'arrête, et l'on s'arrête; il continue de marcher, et l'on marche; tous se règlent sur lui: il interrompt, il redresse ceux qui ont la parole; on ne l'interrompt pas, on l'écoute aussi long-temps qu'il veut parler, on est de son avis; on croit les nouvelles qu'il débite. S'il s'assied, vous le voyez s'enfoncer, dans un fauteuil, croiser les jambes l'une sur l'autre, froncer le sourcil, abaisser son chapeau sur ses yeux pour ne voir personne, on le relever ensuite et découvrir son front par fierté ou par audace. Il est enjoué, grand rieur, impatient, présomptueux, colère, libertin, politique, mystérieux sur les affaires du temps: il se croit des talents et de l'esprit; il est riche.

Phédon a les yeux creux, le teint échauffé, le corps sec et le visage maigre: il dort peu et d'un sommeil fort léger; est abstrait, rêveur, et il a, avec de l'esprit, l'air d'un stupide: il oublie de dire ce qu'il sait ou de parler d'événements qui lui sont connus, et s'il le fait quelquefois, il s'en tire mal; il croit peser à ceux à qui il parle: il conte brièvement; il ne se fait pas écouter, il ne fait point rire; il applaudit, il sourit à ce que les autres lui disent, il est de leur avis, il court, il vole, pour leur rendre de petits services : il est complaisant, flatteur, empressé; il est mystérieux sur ses

affaires, quelquefois menteur; il est superstitieux, scrupuleux, timide: il marche doucement et légèrement, il semble craindre de fouler la terre; il marche les yeux baissés, et il n'ose les lever sur ceux qui passent. Il n'est jamais du nombre de ceux qui forment un cercle pour discourir; il se met derrière celui qui parle, recueille furtivement ce qui se dit, et se retire si on le regarde. Il n'occupe point de lieu, il ne tient point de place, il va les épaules serrées, le chapeau abaissé sur ses yeux pour n'être point vu; il se replie et se renferme dans son manteau: il n'y a point de galeries si embarrassées et si remplies de monde, où il ne trouve moyen de passer sans effort et de se couler sans être aperçu. Si on le prie de s'asseoir, il se met à peine sur le bord d'un siége: il parle bas dans la conversation, et il articule mal: libre néanmoins sur les affaires publiques, chagrin contre le siècle, médiocrement prévenu des ministres et du ministère, il n'ouvre la bouche que pour répondre: il tousse, il se mouche sous son chapeau, il crache presque sur soi, et il attend qu'il soit seul pour éternuer, ou, si cela lui arrive, c'est à l'insu de la compagnie; il n'en coûte à personne ni salut ni compliment: il est pauvre.

Teint, complexion; démarche, gait; délibéré, free; goûte, relishes; crache, spits; éternue, sneezes; ronfle, snores; s'enfoncer, to sink; croiser, cross; froncer le sourcil, frown; enjoué, jovial; rieur, jeerer; colère, passionate.

Les yeux creux, the eyes sunk in his head; échauffé, overheated; le corps sec, his body thin; maigre, lean; rêveur, thoughtful; s'en tire mal, does it awkwardly; peser, to weigh, to be a burden; empressé, eager to serve; fouler, tread on; recueille, catches up; serrées, shrunk; se replie, wriggle; embarrassées, thronged; se couler, to go through; chagrin contre le siècle, discontented with the age; prévenu du, favourable to; sur soi (sur lui), upon himself; a l'insu de, unknown to, unnoticed by.

MÉNIPPE, OU LES PLUMES DU PAON.
(LA BRUYÈRE.)

Ménippe est l'oiseau paré de divers plumages qui ne sont pas à lui; il ne parle pas, il répète des sentiments et des discours, se sert même si naturellement de l'esprit des autres, qu'il y est le premier trompé, et qu'il croit souvent dire son goût, ou expliquer sa pensée, lorsqu'il n'est que l'écho de quelqu'un qu'il vient de quitter. C'est un homme qui est de mise un quart d'heure de suite; qui, le moment

d'après, baisse, dégénère, perd le peu du lustre qu'un peu de mémoire lui donnait, et montre la corde: lui seul ignore combien il est au-dessous du sublime et de l'héroïque; et, incapable de savoir jusqu'où l'on peut avoir de l'esprit, il croit naïvement que ce qu'il en a est tout ce que les hommes en sauraient avoir: aussi a-t-il l'air et le maintien de celui qui n'a rien à désirer sur ce chapitre, et qui ne porte envie à personne. Il se parle souvent à soi-même, et il ne s'en cache pas: ceux qui passent le voient, et il semble prendre un parti, ou décider qu'une telle chose est sans réplique. Si vous le saluez quelquefois, c'est le jeter dans l'embarras de savoir s'il doit rendre le salut ou non; et, pendant qu'il délibère, vous êtes déjà hors de portée. Sa vanité l'a fait honnête homme, l'a fait devenir ce qu'il n'était pas. juge, en le voyant, qu'il n'est occupé que de sa personne, qu'il sait que tout lui sied bien, et que sa parure est assortie, qu'il croit que tous les yeux sont ouverts sur lui, et que les hommes se relaient pour le contempler.

L'on

Paon, peacock; esprit, wit; vient de quitter, has just left; qui est de mise, agreeable; un quart d'heure de suite, for a whole quarter of an hour; portée, reach; sied, suits, becomes; assortie, finery, dress; assortie, sorted; se relaient, come in turn.

GNATHON, OU L'ÉGOÏSTE.
(LA BRUYÈRE.)

Gnathon ne vit que pour soi, et tous les hommes ensemble sont à son égard comme s'ils n'étaient point. Non content de remplir à une table la première place, il occupe lui seul celle de deux autres: il oublie que le repas est pour lui et pour toute la compagnie; il se rend maître du plat et fait son propre de chaque service: il ne s'attache à aucun des mêts qu'il n'ait achevé d'essayer de tous: il voudrait pouvoir les savourer tous, tout à la fois; il ne se sert à table que de ses mains; il manie les viandes, les remanie, démembre, déchire, et en use de manière qu'il faut que les conviés, s'ils veulent manger, mangent ses restes: il ne leur épargne aucune de ces malpropretés dégoûtantes, capables d'ôter l'appétit aux plus affamés: le jus et les sauces lui dégouttent du menton et de la barbe: s'il enlève un ragoût de dessus un plat, il le répand en chemin dans un autre plat et sur la nappe; on le suit à la trace; il mange haut et avec grand

Il

bruit: il roule les yeux en mangeant; la table est pour lui un ratelier: il cure ses dents et il continue à manger. se fait, quelque part où il se trouve, une manière d'établissement, et ne souffre pas d'être plus pressé au sermon ou au théâtre, que dans sa chambre. Il n'y a, dans un carrosse, que les places du fond qui lui conviennent; dans toute autre, si on veut l'en croire, il pâlit et tombe en faiblesse. S'il fait un voyage avec plusieurs, il les prévient dans les hôtelleries, et il sait toujours se conserver, dans la meilleure chambre, le meilleur lit. Il tourne tout à son usage: ses valets, ceux d'autrui courent dans le même temps pour son service tout ce qu'il trouve sous sa main lui est propre, hardes, équipages: il embarrasse tout le monde, ne se contraint pour personne, ne plaint personne, ne connaît de maux que les siens, que sa réplétion et sa bile; ne pleure point la mort des autres, n'appréhende que la sienne, qu'il rachèterait volontiers de l'extinction du genre humain.

LA BIBLE.

(FÉNÉLON, DIAL. SUR L'ÉLOQ. DE LA CHAIRE.) L'Écriture surpasse en naïveté, en vivacité, en grandeur tous les écrivains de Rome et de la Grèce. Jamais Homère même n'a approché de la sublimité de Moïse dans ses cantiques, particulièrement le dernier, que tous les enfans des Israélites devaient apprendre par cœur. Jamais nulle ode Grecque ou Latine n'a pu atteindre à la hauteur des Psaumes; par exemple, celui qui commence ainsi : "Le Dieu des dieux, le Seigneur a parlé, et il a appelé la terre," surpasse toute imagination humaine. Jamais Homère ni aucun autre poëte n'a égalé Isaïe peignant la majesté de Dieu, aux yeux duquel les royaumes ne sont qu'un grain de poussière; l'univers qu'une tente qu'on dresse aujourd'hui, et qu'on enlève demain. Tantôt ce prophète a toute la douceur et toute la tendresse d'une églogue, dans les riantes peintures qu'il fait de la paix; tantôt il s'élève jusqu'à laisser tout au-dessous de lui. Mais qu'y a-t-il, dans l'antiquité profane, de comparable au tendre Jérémie, déplorant les maux de son peuple; ou à Nahum, voyant de loin, en esprit, tomber la superbe Ninive sous les efforts d'une armée innombrable? On croit voir cette armée, on croit entendre le bruit des armes et des

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