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chariots; tout est dépeint d'une manière vive qui saisit l'imagination; il laisse Homère loin derrière lui. Lisez encore Daniel, dénonçant à Balthazar la vengeance de Dieu toute prête a fondre sur lui; et cherchez, dans les plus sublimes originaux de l'antiquité, quelque chose qu'on puisse leur comparer. Au reste, tout se soutient dans I'Écriture; tout y garde le caractère qu'il doit avoir, l'histoire, le détail des lois, les descriptions, les endroits véhéments, les mystères, les discours de morale; enfin, il y a autant de différence entre les poëtes profanes et les prophètes, qu'il y en a entre le véritable enthousiasme et le faux. Les uns, véritablement inspirés, expriment sensiblement quelque chose de divin; les autres, s'efforçant de s'élever au-dessus d'eux mêmes, laissent toujours voir en eux la faiblesse humaine.

FRAGMENTS DES AVENTURES DE TÉLÉMAQUE. (FÉNÉLON.)

LIVRE CINQUIEME.

SOMMAIRE.

Télémaque raconte qu'en arrivant en Crète il apprit qu'Idoménée, roi de cette île, avait sacrifié son fils unique pour accomplir un vou indiscret; que les Cretois, voulant venger le sang du fils, avaient réduit le pere à quitter leur pays; qu'après de longues incertitudes ils étaient actuellement assemblés; pour élire un autre roi. Télémaque ajoute, qu'il fut admis dans cette assemblée; qu'il y remporta les prix à divers jeux; qu'il expliqua les questions laissées par Minos dans le livre de ses lois et que les vieillards juges de l'île, et tous les peuples, voulurent le faire roi, voyant sa sagesse.

Bientôt nous vîmes le sommet du mont Ida au-dessus des autres montagnes de l'île, comme un vieux cerf dans une forêt porte son bois rameux au-dessus des têtes des jeunes faons dont il est suivi. Peu-à-peu nous vîmes plus distinctement les côtes de cette île, qui se présentaient à nos yeux comme un amphithéâtre. Autant que la terre de Cypre nous avait paru négligée et inculte, autant celle de Crète se montrait fertile et ornée de tous les fruits travail de ses habitants.

par le

De tous côtés nous apercevions des villages bien bâtis, des bourgs 2 qui égalaient des villes, et des villes superbes. Nous ne trouvions aucun champ3 où la main du diligent laboureur (3) Pron. chan.

(1) Pron. fan.

(2) Pron. bour.

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chariots; tout est dépeint d'une manière vive qui saisit l'imagination; il laisse Homère loin derrière lui. Lisez encore Daniel, dénonçant à Balthazar la vengeance de Dieu toute prête a fondre sur lui; et cherchez, dans les plus sublimes originaux de l'antiquité, quelque chose qu'on puisse leur comparer. Au reste, tout se soutient dans l'Écriture; tout y garde le caractère qu'il doit avoir, l'histoire, le détail des lois, les descriptions, les endroits véhéments, les mystères, les discours de morale; enfin, il y a autant de différence entre les poëtes profanes et les prophètes, qu'il y en a entre le véritable enthousiasme et le faux. Les uns, véritablement inspirés, expriment sensiblement quelque chose de divin; les autres, s'efforçant de s'élever au-dessus d'eux mêmes, laissent toujours voir en eux la faiblesse humaine.

FRAGMENTS DES AVENTURES DE TÉLÉMAQUE. (FÉNÉLON.)

LIVRE CINQUIEME.

SOMMAIRE.

Télémaque raconte qu'en arrivant en Crète il apprit qu'Idoménée, roi de cette île, avait sacrifié son fils unique pour accomplir un vœu indiscret; que les Cretois, voulant venger le sang du fils, avaient réduit le pere à quitter leur pays; qu'après de longues incertitudes ils étaient actuellement assemblés; pour élire un autre roi. Télémaque ajoute, qu'il fut admis dans cette assemblée; qu'il y remporta les prix à divers jeux; qu'il expliqua les questions laissées par Minos dans le livre de ses lois et que les vieillards juges de l'île, et tous les peuples, voulurent le faire roi, voyant sa sagesse.

Bientôt nous vîmes le sommet du mont Ida au-dessus des autres montagnes de l'île, comme un vieux cerf dans une forêt porte son bois rameux au-dessus des têtes des jeunes faons dont il est suivi. Peu-à-peu nous vîmes plus distinctement les côtes de cette île, qui se présentaient à nos yeux comme un amphithéâtre. Autant que la terre de Cypre nous avait paru négligée et inculte, autant celle de Crète se montrait fertile et ornée de tous les fruits par le travail de ses habitants.

De tous côtés nous apercevions des villages bien bâtis, des bourgs2 qui égalaient des villes, et des villes superbes. Nous ne trouvions aucun champ3 où la main du diligent laboureur (1) Pron. fan. (2) Pron. bour. (3) Pron. chan.

ne fût imprimée; partout la charrue avait laissé de creux sillons: les ronces, les épines, et toutes les plantes qui occupent inutilement la terre, sont inconnues en ce pays. Nous cousidérions avec plaisir les creux vallons où les troupeaux de bœufs mugissaient dans les gras herbages le long des ruisseaux; les moutons paissant sur le penchant d'une colline, les vastes campagnes couvertes de jaunes épis, riches dons de la féconde Cérès; enfin, les montagnes ornées de pampres et de grappes d'un raisin déjà coloré qui promettait aux vendangeurs les doux présents de Bacchus pour charmer les soucis des hommes.

Mentor nous dit qu'il avait été autrefois en Crète, et il nous expliqua ce qu'il en connaissait. Cette ile, dit-il, admirée de tous les étrangers, et fameuse par ses cent villes, nourrit sans peine tous ses habitants, quoiqu'ils soient innombrables. C'est que la terre ne se lasse jamais de répandre ses biens sur ceux qui la cultivent. Son sein fécond ne

peut s'épuiser; plus il y a d'hommes dans un pays, pourvu qu'ils soient laborieux, plus ils jouissent de l'abondance: ils n'ont jamais besoin d'être jaloux les uns des autres. La terre, cette bonne mère, multiplie ses dons selon le nombre de ses enfans qui méritent ses fruits par leur travail. L'ambition et l'avarice des hommes sont les seules sources de leur malheur: les hommes veulent tout avoir, et ils se rendent malheureux par le désir du superflu; s'ils voulaient vivre simplement, et se contenter de satisfaire aux vrais besoins, on verrait partout l'abondance, la joie, la paix, et l'union.

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C'est ce que Minos, le plus sage et le meilleur de tous les rois, avait compris. Tout ce que vous verrez de plus merveilleux dans cette île est le fruit de ses lois. L'éducation qu'il faisait donner aux enfants rend les corps sains et robustes on les accoutume d'abord à une vie simple, frugale, et laborieuse; on suppose que toute volupté amollit le corps et l'esprit; on ne leur propose jamais d'autre plaisir que celui d'être invincibles par la vertu, et d'acquérir beaucoup de gloire. On ne met pas seulement ici le courage à mépriser la mort dans les dangers de la guerre,9 mais encore à fouler aux pieds les plus grandes richesses et

(1) Pron. si-ion.

(3) Pron. Cérèss.

(2) Pron. i-nutilmen.

(4) Pron. bac-cûss.

(9) Pron. ghèrre.

(5) Pron. meintor.
(6) Pron. Minôss.
(7) Pron. mè-ieur.
(8) Pron. dangé.

les plaisirs honteux. Ici on punit trois vices qui sont impunis chez les autres peuples; l'ingratitude, la dissimulation, et l'avarice.

Pour le faste et la mollesse, on n'a jamais besoin de les réprimer, car ils sont inconnus en Crète. Tout le monde y travaille, et personne ne songe à s'y enrichir; chacun se croit assez payé de son travail par une vie douce et réglée, où l'on jouit en paix et avec abondance de tout ce qui est véritablement nécessaire à la vie. On n'y souffre ni meubles précieux, ni habits magnifiques, ni festins délicieux, ni palais dorés. Les habits sont de laine fine et de belles couleurs, mais tout unis et sans broderie. Les repas y sont sobres; on y boit peu de vin: le bon pain en fait la principale partie, avec les fruits que les arbres offrent comme d'eux-mêmes, et le lait des troupeaux. Tout au plus on y mange un peu de grosse viande sans ragoût; encore même a-t-on soin de réserver ce qu'il y a de meilleur dans les grands troupeaux de bœufs, pour faire fleurir l'agriculture. Les maisons y sont propres, commodes, riantes, mais sans ornements. La superbe architecture n'y est pas ignorée; mais elle est réservée pour les temples des Dieux et les hommes n'oseraient avoir des maisons semblables à celles des Immortels. Les grands biens des Crétois sont la santé, la force, le courage, la paix et l'union des familles, la liberté de tous les citoyens, l'abondance des choses nécessaires, le mépris des superflues, l'habitude du travail et l'horreur de l'oisiveté, l'émulation pour la vertu, la soumission aux lois, et la crainte des justes Dieux.

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Je lui demandai en quoi consistait l'autorité du roi ; et il me répondit: Il peut tout sur les peuples; mais les lois peuvent tout sur lui. Il a une puissance absolue pour faire le bien, et les mains liées dès qu'il veut faire le mal. Les lois lui confient les peuples comme le plus précieux de tous les dépôts, à condition qu'il sera le père de ses sujets. Elles veulent qu'un seul homme serve par sa sagesse et par sa modération à la félicité de tant d'hommes; et non pas que tant d'hommes servent, par leur misère et par leur servitude lâche, à flatter l'orgueil et la mollesse d'un seul homme. Le roi ne doit rien avoir au-dessus des autres, excepté ce qui est nécessaire ou pour le soulager dans ses pénibles fonctions, ou pour imprimer aux peuples le respect de celui qui doit soutenir les lois. D'ailleurs le roi doit (1) Pron. beû or beûff. (2) Pron. org-auye.

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