Images de page
PDF
ePub

une côte douce et unie, où, nageant sans peine, nous abordâmes sur le sable. C'est là que vous nous vîtes, ô grande Déesse qui habitez cette île; c'est là que vous daignâtes nous recevoir.

LIVRE DIX-NEUVIÈME.

Sommaire.

Télémaque descendu aux enfers pour y chercher son père qu'il croit mort, traverse le Tartare, où il voit les tourments que souffrent les ingrats, les parjures, les hypocrites et surtout les mauvais rois : il entre ensuite dans les Champs-Elysées, où il est témoin de la félicité des hommes justes. Là il rencontre Arcésius son bisaïeul, qui lui dit qu' Ulysse son père est encore vivant, et lui donne quelques instructions.

2

Les hommes passent comme les fleurs qui s'épanouissent le matin, et qui le soir sont flétries et foulées aux pieds.1 Les générations des hommes s'écoulent comme les ondes d'un fleuve rapide; rien ne peut arrêter le temps, qui entraîne après lui tout ce qui parait le plus immobile. Toi-même, ô mon fils, mon cher fils, toi-même qui jouis maintenant d'une jeunesse si vive et si féconde en plaisirs, souviens-toi que ce bel âge n'est qu'une fleur qui sera presque aussitôt séchée qu'éclose: tu te verras changer insensiblement; les grâces riantes, les doux plaisirs qui t'accompagnent, la force, la santé, la joie s'évanouiront comme un beau songe; il ne t'en restera qu'un triste souvenir; la vieillesse languissante et ennemie des plaisirs viendra rider ton visage, courber ton corps, affoiblir tes membres, faire tarir dans ton cœur la source de la joie, te dégoûter du présent, te faire craindre l'avenir, te rendre insensible à tout excepté à la douleur. Ce temps te paraît éloigné. Hélas! tu te trompes, mon fils; il se hâte, le voilà qui arrive: ce qui vient avec tant de rapidité n'est pas loin de toi, et le présent qui s'enfuit est déjà bien loin, puisqu'il s'anéantit dans le moment que nous parlons, et ne peut plus se rapprocher. Ne compte donc jamais, mon fils, sur le présent: mais soutiens-toi dans le sentier rude et âpre de la vertu, par la vue de l'avenir.

3

(1) Pron. pié.
(2) Pron. vié-iesse.

VOL. I.

K

(3) Pron. cor.
(4) Pron. santié.

1

Prépare-toi par des mœurs pures et par l'amour de la justice, une place dans l'heureux séjour de la paix.

Tu reverras bientôt ton père reprendre l'autorité dans Ithaque. Tu es né pour régner après lui. Mais hélas! 2 O mon fils, que la royauté est trompeuse! quand on la regarde de loin, on ne voit que grandeur, éclat et délices; mais de près, tout est épineux. Un particulier peut, sans déshonneur mener une vie douce et obscure. Un roi ne peut, sans se déshonorer, préférer une vie douce et oisive aux fonctions pénibles du gouvernement: il se doit à tous les hommes qu'il gouverne, et il ne lui est jamais permis d'être à luimême ses moindres fautes sont d'une conséquence infinie, parce qu'elles causent le malheur des peuples, et quelquefois pendant plusieurs siècles; il doit réprimer l'audace des méchants, soutenir l'innocence, dissiper la calomnie. Ce n'est pas assez pour lui de ne faire aucun mal; il faut qu'il fasse tous les biens possibles dont l'état a besoin. Ce n'est pas assez de faire le bien par soi-même, il faut encore empêcher tous les maux que les autres feraient, s'ils n'étaient retenus. Crains donc, mon fils, crains une condition si périlleuse; arme-toi de courage contre toi-même, contre tes passions, et contre les flatteurs.

(1) Pron. mæurse.
(2) Pron. héláss.

(3) Pron. kelkefoi or kèke-foi.
(4) Pron. biein.
(5) Pron. péri-ieuze.

S'épanouissent, blossom; flétries, faded; foulées aux pieds, trampled upon; fleuve, river; éclose, open; s'évanouiront, will vanish; songe, dream; rider, to wrinkle; courber, to bend; tarir, to dry; l'avenir, the future; s'anéantit (comes to nothing), is gone; compte, rely; sentier, path; rude, rough; âpre, hard; mœurs, manners, ways; pure (pure), honest; séjour, abode.

DIX-HUITIÈME SIÈCLE.

ÉCRIVAINS ILLUSTRES.

VERS le COMMENCEMENT de ce siècle, sous les règnes de Louis XIV. et de Louis XV., florissaient,

ROLLIN-NÉ EN 1661.

Vertueux et sincère ami de la jeunesse, qu'il avait longtemps enseignée, il composa pour elle, d'abord le Traité des Études, ouvrage aussi estimable pour les vues sages et les idées lumineuses qu'il renferme, que pour la manière dont il est écrit; et plus tard, l'Histoire Ancienne, et une partie de l'Histoire Romaine. Dans l'une et l'autre, il est trop prolixe, et manque parfois de discernement et d'exactitude; mais il enchante par l'air de candeur et de bonne foi qui règne dans son style, d'ailleurs clair, facile, et même élégant. Crevier a continué son histoire romaine jusqu'au règne de Constantin, et Lebeau a ensuite ajouté l'histoire du Bas Empire. Le premier de ses deux continuateurs a un style lourd et diffus: le second écrit mieux.-Mourut en 1741.

MASSILLON-NÉ EN 1663.

Jamais orateur ne monta dans la chaire apostolique animé d'un zèle plus ardent pour la religion, et d'une charité plus vive pour les hommes, et jamais aussi une voix plus éloquente que la sienne n'y prêcha la divine morale de l'Evangile. Habile à sonder le cœur humain dans tous ses replis, il en dévoile les passions les plus secrètes pour

les combattre l'une après l'autre ; et quand il en a fait voir les traits hideux, et détruit par le raissonnement toutes les vaines illusions, sa parole douce et pénétrante nous ramène à la vertu, dont il sait surtout nous inspirer l'amour. Ce n'est pas seulement l'élévation des pensées, la force de la dialectique ou l'onction persuasive, ce n'est pas non plus la noblesse, l'éclat, l'harmonie ou l'élégance du style, c'est bien plutôt l'admirable assemblage de tant de qualités diverses, qui fait le caractère de cet illustre prédicateur. Les sermons qu'il composa pour l'instruction de Louis XV., encore enfant, et des personnes de sa cour, sont autant de chefs-d'œuvre : ils ont été réunis en un volume sous le titre de Petit Carême. Ceux de l'Avent, et ses Conférences, ne sont guère moins estimables.-Mourut en 1742.

D'AGUESSEAU-NÉ EN 1668.

L'un des hommes de son siècle les plus recommendables par leurs vertus et leurs talents précoces. Dès l'âge de vingt-trois ans il fut nommé procureur général au parlement de Paris, qu'il n'étonna pas moins par sa sagesse que par son éloquence, et qu'il quitta ensuite pour devenir Garde des sceaux. Ses Discours, où brille une raison supérieure, renferment d'excellents préceptes pour le magistrat et l'orateur: le style en est plein de noblesse et de douceur. Mourut en 1751.

DUBOS-NÉ EN 1670.

L'Abbé Dubos a composé plusieurs ouvrages historiques, dont les plus estimés sont l'Histoire critique de l'Etablissement de la Monarchie Française dans les Gaules, et l'Histoire de la Ligue de Cambrai. Il a laissé aussi des Réflexions critiques sur la poésie et la peinture: Elles ne sont pas sans intérêt.-Mourut en 1742.

SAINT-SIMON-NÉ EN 1675.

Ses MÉMOIRES, qui portent l'empreinte d'une âme élevée et indépendante, où l'on découvre un esprit éclairé et judi

cieux, et dont il faut louer aussi la vigueur et le coloris du style, sont un des plus beaux monuments historiques, des plus intéressants et des plus curieux que nous ayons sur le règne de Louis XIV. et la régence du Duc d'Orléans. Mourut en 1737.

DUMARSAIS-NÉ EN 1676.

On a beaucoup vanté ses Tropes et sa Grammaire, qui cependant ne valent pas son Essai sur les Préjugés. Mourut en 1756.

SAURIN-NÉ EN 1677.

Ministre et célèbre prédicateur de l'église protestante. C'est à la Haye, où il s'était retiré, qu'il se fit admirer par son éloquence, que le charme de sa déclamation rendait irrésistible. Aujourd'hui, en lisant ses sermons et ses Discours sur l'ancien et le nouveau testament on est encore frappé de la force et de l'élégance du style.-Mourut en 1730.

LE SAGE-NÉ EN 1677.

Ce grand peintre de mœurs s'exerça avec un succès égal dans le roman et dans la comédie. La première œuvre de son talent fut le roman du Diable boiteux, fiction ingénieuse et plaisante, à l'aide de laquelle il nous rend témoin des actions que le monde tient les plus secrètes. Il composa ensuite sa comédie de Turcaret, où il attaque à outrance l'avarice des financiers de son temps. Cette pièce, que Molière n'eût pas désavouée, fut bientôt suivie du fameux roman de Gil Blas. La vérité avec laquelle y sont peints les hommes, dans toutes les conditions, fait de cet ouvrage un chef-d'œuvre, où l'on pourrait néanmoins reprocher à l'auteur d'avoir montré trop d'indulgence pour les vices. Gusman d'Alfarache, et Le Bachelier de Salamanque, sont des traductions de l'Espagnol, que Le Sage fit dans sa vieillesse. Mourut en 1747.

« PrécédentContinuer »