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multitudine videbor bonus et in bello fortis. C'est par elle que mon règne sera agréable à votre peuple, ô mon Dieu, que je le gouvernerai justement, et que je serai digne du trône de mes pères: per hanc disponam populum tuum juste, et ero dignus sedium patris mei.

Non, Sire, ce ne sera ni la force de vos armées, ni l'étendue de votre empire, ni la magnificence de votre cour, qui vous rendront cher à vos peuples: ce seront les vertus qui font les bons rois, la justice, l'humanité, la crainte de Dieu. Vous êtes un grand roi par votre naissance; mais vous ne pouvez être un roi cher à vos peuples que par vos vertus. Les passions qui nous éloignent de Dieu nous rendent toujours injustes et odieux aux hommes : les peuples souffrent toujours des vices du souverain. Tout ce qui outre l'auto. rité l'affaiblit et la dégrade: les princes dominés par les passions sont toujours des maîtres incommodes et bizarres ; le gouvernement n'a plus de règle, quand le maître luimême n'en a point. Ce n'est plus la sagesse et l'intérêt public qui président aux conseils, c'est l'intérêt des passions: le caprice et le goût forment les décisions que devait dicter l'amour de l'ordre; et le plaisir devient le grand ressort de toute la prudence de l'empire. Oui, Sire, la sagesse et la piété du souverain toute seule peut faire le bonheur des sujets; et le roi qui eraint Dieu est toujours cher à son peuple.

Mais si la crainte de Dieu rend dans les princes et les grands l'autorité aimable, c'est elle encore, Sire, qui la rend glorieuse. Tous les biens et tous les succès, disait encore un sage roi, me sont venus avec elle, et c'est par elle que l'honneur et la gloire m'ont toujours accompagné: et innumerabilis honestas per manum illius.* Dieu ne prend pas sous sa protection ceux qui ne vivent pas sous ses ordres.

Je sais que l'impie prospère quelquefois, qu'il paraît élevé comme le cèdre du Liban, et qu'il semble insulter le ciel par une gloire orgueilleuse qu'il ne croit tenir que de lui-même. Mais attendez; son élévation va lui creuser elle-même son précipice: la main du Seigneur l'arrachera bientôt de dessus la terre. La fin de l'impie est presque toujours sans honneur; tôt ou tard il faut enfin que cet édifice d'orgueil et d'injustice s'écroule. La honte et les malheurs vont succéder ici-bas à la gloire de ses succès: on le verra peutêtre traîner une vieillesse triste et déshonorée; il finira par

* Sap. vii. 11.

l'ignominie. Dieu aura son tour, et la gloire de l'homme injuste ne descendra pas avec lui dans le tombeau.

Repassez sur les siècles qui nous ont précédés, comme disait autrefois un prince juif à ses enfants: cogitate generationes singulas;* et vous verrez que le Seigneur a toujours soufflé sur les races orgueilleuses, et en a fait sécher la racine; que la prosperité des impies n'a jamais passé à leurs descendants; que les trônes eux-mêmes, et les successions royales, ont manqué sous des princes fainéants et efféminés; et que l'histoire des crimes et des excès des grands est en même temps l'histoire de leurs malheurs et de leur décadence.

SUR L'HUMANITÉ DES GRANDS ENVERS LE

Sire,

PEUPLE.

(MASSILLON, PETIT-CARÊME.)

Ce n'est pas la toute puissance de Jésus-Christ et la merveille des pains multipliés par sa seule parole, qui doit aujourd'hui nous toucher et nous surprendre. Celui par qui tout était fait pouvait tout sans doute sur des créatures qui sont son ouvrage et ce qui frappe le plus les sens dans ce prodige n'est pas ce que je choisis aujourd'hui pour nous consoler et nous instruire.

C'est son humanité envers les peuples. Il voit une multitude errante et affamée au pied de la montagne; et ses entrailles se troublent, et sa pitié se réveille, et il ne peut refuser aux besoins de ces infortunés non seulement son secours, mais encore sa compassion et sa tendresse: vidit turbam multam, et misertus est eis.

Partout il laisse échapper des traits d'humanité pour les peuples. A la vue des malheurs qui menacent Jérusalem, il soulage sa douleur par sa pitié et par ses larmes.

Quand deux disciples veulent faire descendre le feu du ciel sur une ville de Samarie, son humanité s'intéresse pour ce peuple contre leur zèle, et il leur reproche d'ignorer encore l'esprit de douceur et de charité dont ils vont être les ministres.

Si les apôtres éloignent rudement une foule d'enfants qui

*Mac. ii. 61.

s'empressent autour de lui, sa bonté s'offense qu'on veuille l'empêcher d'être accessible; et plus un respect mal entendu éloigne de lui les faibles et les petits, plus sa clémence et son affabilité s'en rapprochent.

Grande leçon d'humanité envers les peuples, que JésusChrist donne aujourd'hui aux princes et aux grands. Ils ne sont grands que pour les autres hommes; et ils ne jouissent proprement de leur grandeur qu'autant qu'ils la rendent utile aux autres hommes.

C'est-à-dire, l'humanité envers les peuples est le premier devoir des grands; et l'humanité envers les peuples est l'usage le plus délicieux de la grandeur.

Sire,

Toute puissance vient de Dieu, et tout ce qui vient de Dieu n'est établi que pour l'utilité des hommes. Les grands seraient inutiles sur la terre s'ils ne s'y trouvaient des pauvres et des malheureux : ils ne doivent leur élévation qu'aux besoins publics; et loin que les peuples soient faits pour eux, ils ne sont eux-mêmes tout ce qu'ils sont que pour les peuples.

Quelle affreuse providence, si toute la multitude des hommes n'était placée sur la terre que pour servir aux plaisirs d'un petit nombre d'heureux qui l'habitent, et qui souvent ne connaissent pas le Dieu qui les comble de bienfaits!

Si Dieu en élève quelques uns, c'est donc pour être l'appui et la ressource des autres. Il se décharge sur eux du soin des faibles et des petits; c'est par-là qu'ils entrent dans l'ordre des conseils de la sagesse éternelle. Tout ce qu'il y a de réel dans leur grandeur, c'est l'usage qu'ils en doivent faire pour ceux qui souffrent; c'est le seul trait de distinction que Dieu ait mis en nous: ils ne sont que les ministres de sa bonté et de sa providence; et ils perdent le droit et le titre qui les fait grands, dès qu'ils ne veulent l'être que pour aux-mêmes

L'humanité envers les peuples est donc le premier devoir des grands; et l'humanité renferme l'affabilité, la protection, et les largesses.

Je dis l'affabilité. Oui, sire, on peut dire que la fierté, qui d'ordinaire est le vice des grands, ne devrait être que comme la triste ressource de la roture et de l'obscurité. I paraîtrait bien plus pardonnable à ceux qui naissent, pour

ainsi dire, dans la boue, de s'enfler, de se hausser, et de tâcher de se mettre, par l'enflure secrète de l'orgueil, de niveau avec ceux au-dessous desquels ils se trouvent si fort par la naissance. Rien ne révolte plus les hommes d'une naissance obscure et vulgaire que la distance énorme que le hasard a mis entre eux et les grands: il peuvent toujours se flatter de cette vaine persuasion, que la nature a été injuste de les faire naître dans l'obscurité, tandis qu'elle a réservé l'éclat du sang et des titres pour tant d'autres dont le nom fait tout le mérite: plus ils se trouvent bas, moins ils se croient à leur place. Aussi l'insolence et la hauteur deviennent souvent le partage de la plus vile populace; et plus d'une fois les anciens règnes de la monarchie l'ont vue se soulever, vouloir secouer le joug des nobles et des grands, et conjurer leur extinction et leur ruine entière.

Les grands, au contraire, placés si haut par la nature, ne sauraient plus trouver de gloire qu'en s'abaissant: ils n'ont plus de distinction à se donner du côté du rang et de la naissance; ils ne peuvent s'en donner que par l'affabilité ; et s'il est encore un orgueil qui puisse leur être permis, c'est celui de se rendre humains et accessibles.

Il est vrai même que l'affabilité est comme le caractère inséparable et la plus sûre marque de la grandeur. Les descendants de ces races illustres et anciennes, auxquels personne ne dispute la supériorité du nom et l'antiquité de l'origine, ne portent point sur leur front l'orgueil de leur naissance: ils vous la laisseraient ignorer, si elle pouvait être ignorée. Les monuments publics en parlent assez, sans qu'ils en parlent eux-mêmes: on ne sent leur élévation que par une noble simplicité: ils se rendent encore plus respectables en ne souffrant qu'avec peine le respect qui leur est dû et, parmi tant de titres qui les distinguent, la politesse et l'affabilité est la seule distinction qu'ils affectent. Ceux, au contraire, qui se parent d'une antiquité douteuse, et à qui l'on dispute tout bas l'éclat et les prééminences de leurs ancêtres, craignent toujours qu'on ignore la grandeur de leur race, l'ont sans cesse dans la bouche, croient en assurer la vérité par une affectation d'orgueil et de hauteur, mettent la fierté à la place des titres; et, en exigeant au-delà de ce qui leur est dû, ils font qu'on leur conteste même ce qu'on devrait leur rendre.

En effet, on est moins touché de son élévation quand on est né pour être grand: quiconque est ébloui de ce degré

éminent où la naissance et la fortune l'ont placé, c'est-à-dire qu'il n'était pas fait pour monter si haut. Les plus hautes places sont toujours au-dessous des grandes âmes; rien ne les enfle et ne les éblouit, parceque rien n'est plus haut qu'elles.

La fierté prend donc sa source dans la médiocrité, ou n'est plus qu'une ruse qui la cache; c'est une preuve certaine qu'on perdrait en se montrant de trop près: on couvre de la fierté des défauts et des faiblesses que la fierté trahit et manifeste elle-même; on fait de l'orgueil le supplément, si j'ose parler ainsi, du mérite; et on ne sait pas que le mérite n'a rien qui lui ressemble moins que l'orgueil.

Aussi les plus grands hommes, Sire, et les plus grands rois, ont toujours été les plus affables. Une simple femme thécuite venait exposer simplement à David ses chagrins domestiques; et si l'éclat du trône était tempéré par l'affabilité du souverain, l'affabilité du souverain relevait l'éclat et la majesté du trône.

Nos rois, Sire, ne perdent rien à se rendre accessibles: l'amour des peuples leur répond du respect qui leur est dû. Le trône n'est élevé que pour être l'asile de ceux qui viennent implorer votre justice ou votre clémence: plus vous en rendez l'accès facile à vos sujets, plus vous en augmentez l'éclat et la majesté. Et n'est-il pas juste que la nation de l'univers qui aime le plus ses maîtres ait aussi plus de droit de les approcher? Montrez, Sire, à vos peuples tout ce que le ciel a mis en vous de dons et de talents aimables; laissez-leur voir de près le bonheur qu'ils attendent de votre règne. Les charmes et la majesté de votre personne, la bonté et la droiture de votre cœur, assureront toujours plus les hommages qui sont dus à votre rang, que votre autorité et votre puissance.

Ces princes invisibles et efféminés, ces Assuérus devant lesquels c'était un crime digne de mort pour Esther même d'oser paraître sans ordre, et dont la seule présence glaçait

le

sang dans les veines des suppliants, n'étaient plus, vus de près, que de faibles idoles, sans âme, sans vie, sans courage, sans vertu; livrés dans le fond de leurs palais à de vils esclaves, séparés de tout commerce comme s'ils n'avaient pas été dignes de se montrer aux hommes, ou que des hommes faits comme eux n'eussent pas été dignes de les voir, l'obscurité et la solitude en faisaient toute la majesté. Il y a dans l'affabilité une sorte de confiance en soi-même

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