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qu'une impuissance du vice, une régularité de l'âge plutôt que du cœur, et une bienséance qu'on doit au monde autant qu'à Jésus-Christ. Cependant la religion ne veut pas qu'on désespère; et plus d'une fois, ô mon Dieu, vous avez appelé des ouvriers à la onzième heure du jour, et guéri des paralytiques de trente ans, peut-être pour prévenir par ces prodiges le désespoir des vrais pénitents, et peut-être aussi pour amuser la fausse confiance des pécheurs.

*

Mais pour vous, messieurs, qui, au milieu des périls et des fureurs de la guerre, pouvez tous les jours dire comme David, que vous n'êtes séparés que d'un seul dégré de la mort, uno tantùm gradu ego morsque dividimur ; vous qui ne devez compter sur la vie que comme sur un trésor que vous tenez exposé sur un grand chemin; qui touchez tous les moments à l'éternité, et qui ne tenez au monde et à ses plaisirs que par le plus faible de tous les liens: ah! qu'estce qui peut vous rassurer lorsque vous vous livrez à des passions d'ignominie? et de quel espoir pouvez-vous vous amuser vous-mêmes? Est-ce ces moments que vous accordez à la religion sur le point d'un combat qui flatten votre espérance? Est-ce la prière et les bénédictions d'un ministre? Mais vous qui êtes de bonne foi, quelle est alors, je vous prie, la situation de votre cœur? Vous est-il jamais arrivé de repasser, en pareille occasion, dans l'amertume de votre cœur, toutes les années de votre vie? Avez-vous jamais pensé, dans ces circonstances, à offrir au Seigneur un cœur contrit et humilié, et à invoquer ses miséricordes sur les misères de votre âme? La gloire, le devoir, le péril, vous ne voyez que cela. Les retours sur la conscience sont alors moins de saison que jamais: on éloigne même ces pensées, comme dangereuses à la valeur; on redouble les plaisirs et les excès pour faire diversion et s'empêcher soimême de s'en occuper; et l'on passe, hélas! presque toujours du crime et de la débauche à la mort. Horrible destinée, ô mon Dieu! et si commune cependant aux personnes à qui je parle ! Vous le savez, mes frères; et mille fois dans la fureur des combats vous avez vu disparaître en un instant les compagnons de vos excès; vous les avez vus ne mettre presque qu'un intervalle entre une impiété et le dernier soupir, et un coup fatal venir les enlever à vos côtés dans le temps même peut-être qu'ils faisaient encore avec vous des projets de crime.

* 1 Reg. xx. 3.

Et pourquoi leur infortune ne vous ébranlerait-elle pas ? Pourquoi ne vous instruiriez-vous pas dans le malheur de leur surprise? Est-ce parce que ces exemples sont trop fréquents que vous n'en êtes plus frappés? c'est-à-dire que vous vous rassurez à mesure que le péril augmente. Pourquoi ne vous laisseriez-vous pas toucher à la bonté et à la longanimité de votre Dieu, qui ne vous a sauvés de tant de périls et conservés jusqu'à présent que pour vous ménager plus de loisir de vous convertir à lui? Pourquoi changeriezvous ses desseins de miséricorde en des desseins de colère, et emploieriez-vous des jours qu'il n'a prolongés que pour votre salut, à prolonger le cours de vos iniquités?

Eh! si dans cette action où vous ne dûtes votre délivrance qu'à un prodige, et dont vous-même crûtes ne jamais sortir, le glaive de la mort vous eût frappé, quelle eût été, mon frère, votre destinée ? quelle âme auriez-vous présentée au tribunal de Jésus-Christ? quel monstre d'ordures, de blasphèmes, de vengeances! N'êtes-vous pas effrayé de vous représenter alors sous le foudre d'un Dieu vengeur, tremblant devant sa face, et les abîmes éternels ouverts à vos pieds? Sa main toute-puissante vous délivra; il vous couvrit de son bouclier; son ange détourna lui-même les coups qui, en décidant de votre vie, auraient décidé de votre éternité; et quel usage en avez-vous fait depuis? quelle reconnaissance envers votre libérateur? quel hommage lui avez-vous fait d'un corps que vous tenez doublement de lui? Vous l'avez fait servir à l'iniquité; et d'un membre de JésusChrist vous en avez fait un instrument de honte et d'infamie. Ah! vous avez bien su mettre le danger que vous courûtes alors à profit pour votre fortune; mais avez-vous su le mettre à profit pour votre salut? vous l'avez fait valoir auprès du prince; mais en a-t-il été question auprès de Dieu ? Vous en êtes monté d'un dégré dans le service; et vous voilà toujours le même dans la milice de Jésus-Christ. Craignez, craignez que ce moment fatal ne revienne, que le Seigneur ne vous livre enfin à votre propre destinée, qu'il ne vous traite comme l'impie Achab, et qu'un coup parti de sa main invisible n'aille, à la première occasion, terminer enfin vos iniquités et commencer ses vengeances.

Que votre sort est à plaindre messieurs! La voie des armes, où les engagements de la naissance et le service du prince vous appellent, est, à la vérité, brillante aux yeux des sens, c'est le seul chemin de la gloire, c'est le seul poste

digne d'un homme qui porte un nom; mais, en matière de salut, de toutes les voies, c'est la plus terrible. Voilà les périls, voici les moyens de les éviter.

Car enfin le bras de Dieu n'est pas raccourci; le salut n'est nulle part impossible; le torrent n'entraîne que ceux qui veulent bien s'y prêter; le Seigneur a ses élus partout; et les mêmes dangers qui sont des écueils pour les réprouvés deviennent des occasions de mérite aux justes.

Des postes, des honneurs, des distinctions, un nom dans l'univers? Mais quelle foule de concurrents faut-il percer pour en venir là ! que de circonstances faut-il assortir, qui ne se trouvent presque jamais ensemble! Et d'ailleurs estce le mérite qui décide toujours de la fortune? Le prince est éclairé, je le sais; mais peut-il tout voir de ses yeux? Combien de vertus obscures et négligées! combien de services oubliés ou dissimulés! et, d'autre part combien de favoris de la fortune, sortis tout à coup du néant, vont de plain-pied saisir les premiers postes! et de là quelle source de désagréments et de dégoûts! On se voit passer sur le corps par des subalternes, gens qu'on a vu naître dans le service, et qui n'en savent pas encore assez même pour obéir, tandis qu'on se sent soi-même sur le penchant de l'âge, et qu'on ne rapporte de ses longs services qu'un corps usé, des affaires domestiques désespérées, et la gloire d'avoir, toujours fait la guerre à ses frais. Eh! qu'entend-on autre chose parmi vous, que des réflexions sur l'abus des prétentions et des espérances? Vous-mêmes, qui m'écoutez, quelle est là-dessus votre situation? Et cependant on sacrifie l'éternité à des chimères; on se flatte toujours qu'on sera du nombre des heureux ; et on ne s'aperçoit pas que la Providence ne semble laisser au hasard et au caprice des hommes le partage des postes et des emplois que pour nous faire regarder avec des yeux chrétiens les titres et les honneurs, et nous faire rapporter au roi du ciel, aux yeux de qui rien n'échappe et qui nous tiendra compte de nos plus petits soins, les services que nons rendons aux rois de la terre, qui souvent ou ne peuvent les voir ou ne sauraient les récompenser.

Mais quand même votre bonheur répondrait à vos espérances; quand même les douces erreurs et les songes sur lesquels votre esprit s'endort deviendraient un jour des réalités; quand même, par un de ces coups du hasard qui

entrent toujours pour beaucoup dans la fortune des armes, vous vous verriez élevés à des postes auxquels vous n'oseriez même aspirer, et que vous n'auriez plus rien à souhaiter du côté des prétentions humaines: que sont les félicités d'icibas? et quelle est leur fragilité et leur rapide durée ? Que nous reste-t-il de ces grands noms qui ont autrefois joué un rôle si brillant dans l'univers ? ils ont paru un seul instant, et disparu pour toujours aux yeux des hommes. On sait ce qu'ils ont été pendant ce petit intervalle qu'a duré leur éclat; mais qui sait ce qu'ils sont dans la région éternelle des morts? Les chimères de la gloire et de l'immortalité ne sont là d'aucun secours : le Dieu vengeur, qui du haut de son tribunal pèse leurs actions et discerne leur mérite, n'en juge pas sur ce que nous disons et sur ce que nous pensons d'eux ici-bas; et tout ces grands traits, qui font tant d'honneur à leur mémoire et qui enrichissent nos annales, sont peut-être les principaux chefs de leur condamnation, et les traits les plus honteux de leur âme aux yeux de Dieu.

Hélas! messieurs, que sont les hommes sur la terre ? des personnages de théâtre. Tout y roule sur le faux; ce n'est partout que représentations; et tout ce qu'on y voit de plus pompeux et de mieux établi n'est l'affaire que d'une scène. Qui ne le dit tous les jours dans le siècle? Une fatale révolution, une rapidité que rien n'arrête, entraîne tout dans les abimes de l'éternité: les siècles, les générations, les empires, tout va se perdre dans ce gouffre; tout y entre, et rien n'en sort. Nos ancêtres nous en ont frayé le chemin, et nous allons le frayer dans un moment à ceux qui viennent après nous. Ainsi les âges se renouvellent; ainsi la figure du monde change sans cesse; ainsi les morts et les vivants se succèdent et se remplacent continuellement. Rien ne demeure, tout s'use, tout s'éteint. Dieu seul est toujours le même, et ses années ne finissent point. Le torrent des âges et des siècles coule devant ses yeux; et il voit avec un air de vengeance et de fureur de faibles mortels, dans le temps même qu'ils sont entraînés par le cours fatal, l'insulter en passant, profiter de ce seul moment pour déshonorer son nom, et tomber au sortir de là entre les mains éternelles de sa colère et de sa justice.

Eh! faisons après cela des projets de fortune et d'élévation: nourrissons notre cœur de mille espérances flatteuses: prenons à grands frais des mesures infinies pour nous

ménager un instant de bonheur; et ne faisons jamais une seule démarche pour atteindre à une félicité qui ne finit point. C'est une fureur dont on ne croirait pas l'homme capable, si l'expérience de tous les jours n'y était.

Et d'ailleurs cet instant même de bonheur est-il tranquille? Les soupçons, les jalousies, les craintes, les agitations éternelles et inévitables aux grands emplois, le sort journalier des armes, la faveur des concurrents, la fatigue des ménagements et des intrigues, les caprices de ceux de qui on dépend, et tant de revers à essuyer, le vide même des prospérités temporelles qui, de loin, piquent et attirent le cœur, mais qui, touchées de près, ne peuvent ni le fixer ni le satisfaire; est-il de félicité que tout cela ne trouble et n'altère? et ceux que vous regardez comme les heureux du siècle sont-ils toujours tels à leurs propres yeux? O Seigneur, à qui seul appartient la gloire et la grandeur, l'homme ne comprendra-t-il jamais qu'il n'est point pour lui de félicité durable et tranquille hors de vous; que tout ce qui plait icibas peut amuser le cœur, mais ne saurait le satisfaire; que la gloire et les plaisirs ne piquent presque que dans le moment qui les précède; que les inquiétudes et les dégoûts qui les suivent sont des voix secrètes qui nous appellent à vous; et que, quand même on pourrait se promettre une fortune paisible, ce ne serait qu'une vapeur dont un instant décide, et qu'on voit naître, s'épaissir, monter, s'étendre, s'évanouir dans un moment?

DEMOSTHÈNE ET CICERON.
(D'AGUESSEAU.)

Ne compter pour rien les travaux de l'enfance, et commencer les sérieuses, les véritables études dans le temps où nous les finissons; regarder la jeunesse, non comme un âge destiné par la nature au plaisir et au relâchement, mais comme un temps que la vertu consacre au travail et à l'application négliger le soin de ses biens, de sa fortune, de sa santé même, et faire, de tout ce que les hommes chérissent le plus, un digne sacrifice à l'amour de la science, et à l'ardeur de s'instruire: devenir invisible pour un temps; se réduire soi-même dans une captivité volontaire, et s'ensevelir

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