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loup derrière le buste d'un Pan à tête de bélier : la gazelle, l'autruche, l'ibis, la gerboise, sautent parmi les décombres; et la poule sultane s'y tient immobile, comme un oiseau hieroglyfique de granit et de porphyre.

La vallée de Tempé, les bois de l'Olympe, les côtes de l'Attique et du Péloponèse, étalent de toutes parts les ruines de la Grèce. Là, commencent à paraître les mousses, les plantes grimpantes et les fleurs saxatiles; une guirlande vagabonde de jasmin embrasse une Vénus antique, comme pour lui rendre sa ceinture. Une barbe de mousse blanche descend du menton d'une Hébé; le pavot croît sur les feuillets du livre de Mnemosyne, aimable symbole de la renommée passée et de l'oubli présent de ces lieux. Les flots de l'Egée qui viennent expirer sous de croulants portiques, Philomèle qui se plaint, Alcyon qui gémit, Cadmus qui roule ses anneaux autour d'un autel, le cigne qui fait son nid dans le sein d'une Léda: tous ces accidents, produits par les Grâces, enchantent ces poétiques débris. Un souffle divin anime encore la poussière des temples d'Apollon et des Muses, et le paysage entier, baigné par la mer, ressemble au beau tableau d'Apelle, consacré à Neptune, et suspendu à ses rivages.

DÉPART POUR LA CROISADE.

(MICHAUD, HISTOIRE DES CROISADES.)

Dès que le printemps parut, rien ne put contenir l'impatience des croisés: ils se mirent en marche pour se rendre dans les lieux, où ils devaient se rassembler. Le plus grand nombre allait à pied; quelques cavaliers paraissaient au milieu de la multitude; plusieurs voyageaient montés sur des chars traînés par des bœufs ferrés; d'autres côtoyaient la mer, descendaient les fleuves dans des barques; ils étaient vêtus diversement, armés de lances, d'épées, de javelots, de massues de fer, &c. La foule des croisés offrait un mélange bizarre et confus de toutes les conditions et de tous les rangs; des femmes paraissaient en armes au milieu des guerriers. On voyait la vieillesse à côté de l'enfance, l'opulence près de la misère; le casque était confondu avec le froc, la mitre avec l'épée, le seigneur avec le serf, le maître avec le serviteur. Près des villes, près des forteresses, dans les plaines, sur les montagnes, s'élevaint des

tentes, des pavillons pour les chevaliers, et des autels dressés à la hâte pour le service divin: partout se déployait un appareil de guerre et de fête solennelle. D'un côté, un chef militaire exerçait ses soldats à la discipline; de l'autre, un prédicateur rappelait à ses auditeurs les vérités de l'évangile. Ici, on entendait le bruit des clairons et des trompettes;. plus loin on chantait des psaumes et des cantiques. Depuis le Tibre jusqu'à l'Océan, et depuis le Rhin jusqu'au-delà des Pyrénées, on ne rencontrait que des troupes d'hommes revêtus de la croix, jurant d'exterminer les Sarrasins, et d'avance célébrant leurs conquêtes; de toutes parts retentissait le cri des croisés: Dieu le veut! Dieu le veut!

Les pères conduisaient eux-mêmes leurs enfants, et leur faisaient jurer de vaincre ou de mourir pour Jésus-Christ. Les guerriers s'arrachaient des bras de leurs épouses et de leurs familles et promettaient de revenir victorieux. Les femmes, les vieillards, dont la faiblesse restait sans appui, accompagnaient leurs fils et leurs époux dans la ville la plus voisine: et, ne pouvant se séparer des objets de leurs affection, prenaient le parti de les suivre jusqu'à Jérusalem. Ceux qui restaient en Europe enviaient le sort des croisés, et ne pouvaient retenir leurs larmes; ceux qui allaient chercher la mort en Asie étaient pleins d'espérance et de joie.

Parmi les pélerins partis des côtes de la mer, on remarquait une foule d'hommes qui avaient quitté les îles de l'Océan.

Leurs vêtements et leurs armes, qu'on n'avait jamais vus, excitaient la curiosité et la surprise. Ils parlaient une langue qu'on n'entendait point; et, pour montrer qu'ils étaient chrétiens, ils élevaient deux doigts de leur main l'un sur l'autre en forme de croix. Entraînés par leur exemple et par l'esprit d'enthousiasme répandu partout, des familles, des villages entiers partaient pour la Palestine; ils étaient suivis de leurs humbles pénates; ils emportaient leurs provisions, leurs ustensiles, leurs meubles. Les plus pauvres marchaient sans prévoyance, et ne pouvaient croire que celui qui nourrit les petits des oiseaux laissât périr de misère des pélerins revêtus de sa croix. Leur ignorance ajoutait à leur illusion, et prêtait à tout ce qu'ils voyaient un air d'enchantement et de prodige; ils croyaient sans cesse toucher au terme de leur pélerinage. Les enfants des villageois, lorsqu'une ville ou un château se présentait à leurs yeux, demandaient si c'était là Jérusalem. Beaucoup de

grands seigneurs, qui avaient passé leur vie dans leurs donjons rustiques, n'en savaient guère plus que leurs vassaux ; ils conduisaient avec eux leurs équipages de pêche et de chasse, et marchaient précédés d'une meute, portant leur faucon sur le poing. Ils espéraient atteindre Jérusalem en faisant bonne chère, et montrer à l'Asie le luxe grossier de leurs châteaux.

Au milieu du délire universel, personne ne s'étonnait de ce qui fait aujourd'hui notre surprise. Ces scènes si étranges, dans lesquelles tout le monde était acteur, ne devaient être un spectacle que pour la postérité.

FRAGMENT DE L'HISTOIRE D'ÉLISABETH. (MADAME COTTIN.)

Mais quand les neiges commençaient à fondre, et qu'une légère teinte de verdure s'étendait sur la terre, alors la famille s'occupait en commun des soins du jardin : Springer labourait les plates bandes! Phédora préparait les semences, et Elisabeth les confiait à la terre. Leur petit enclos était entouré d'une palissade d'aunes, de cornouillers blancs et de bourdaînes, espèce d'arbrisseau fort estimé en Sibérie, parce que sa fleur est la seule qui exhale quelque parfum. Au midi Springer avait pratiqué une espèce de serre, où il cultivait avec un soin particulier certaines fleurs inconnues à ce climat; et quand venait le moment de leur floraison, il les pressait contre ses lèvres, il les montrait à sa femme, il en ornait le front de sa fille en lui disant: Elisabeth, paretoi des fleurs de ta patrie, elles te ressemblent; comme toi elles s'embellissent dans l'exil. Ah! puisses-tu n'y pas mourir comme elles.

Hors ces instants d'une douce émotion, il était toujours silencieux et grave: on le voyait demeurer des heures entières enseveli dans une profonde rêverie, assis sur le même banc, les yeux tournés vers le même point, poussant de profonds soupirs que les caresses de sa femme ne calmaient pas, et que la vue de sa fille rendait plus amers. Souvent il la prenait dans ses bras, la pressait étroitement sur son cœur, et puis tout à coup, la rendant à sa mère, il s'écriait; Emmène, emmène cette enfant, Phédora; sa détresse, la tienne, me feront mourir: ah! pourquoi as-tu voulu me

suivre? Si tu m'avais laissé seul ici, si tu ne portais pas la moitié de mes maux, si je te savais tranquille et honorée dans ta patrie, il me semble que je vivrais dans ce désert sans me plaindre. A ces mots la tendre Phédora fondait en larmes; ses regards, ses paroles, ses actions, tout en elle décelait le profond amour qui l'attachait à son époux. Elle n'aurait pu vivre un seul jour loin de lui, ni se trouver malheureuse quand ils étaient toujours ensemble. Dans leur ancienne fortune peut-être que de grandes dignités, d'illustres et dangereux emplois, le tenaient souvent éloigné d'elle; dans l'exil ils ne se quittaient plus. Ah! si elle avait pu ne pas s'affliger du chagrin de son époux, peut-être aurait-elle aimé leur exil.

Phédora, quoique âgee de plus de trente ans, était belle encore; également dévouée à son époux, à sa fille et à son Dieu, ces trois amours avaient gravé sur son front des charmes que le temps n'efface point. On y lisait qu'elle avait été créée pour aimer avec innocence, et qu'elle remplissait sa destinée. Elle s'occupait à préparer elle-même les mets qui plaisaient le plus à son époux; attentive à ses moindres désirs, elle cherchait dans ses yeux ce qu'il allait vouloir pour l'avoir fait avant qu'il l'eût demandé. L'ordre, la propreté, l'aisance même, régnaient dans leur petite demeure. La plus grande pièce servait de chambre aux deux époux; un grand poële l'échauffait: les murs enfumés étaient ornés de quelques broderies et de divers dessins de la main de Phédora et de sa fille; les fenêtres étaient en carreaux de verre, luxe assez rare dans ce pays, et qu'on devait au produit des chasses de Springer. Deux cabinets composaient le reste de la cabane; Élisabeth couchait dans l'un, l'autre était occupé par la jeune paysanne tartare et par tous les ustensiles de cuisine et les instruments de jardinage.

Ainsi la semaine se passait dans ces soins intérieurs, soit à tisser des étoffes avec des peaux de rennes, ou à les doubler avec d'épaisses fourrures; mais quand le dimanche arrivait, Phédora, soupirait tout bas de ne pouvoir assister à l'office divin, et passait une partie de ce jour en prières. Prosternée devant Dieu et devant une image de saint Basile, pour lequel elle avait une profonde vénération, elle les invoquait en faveur des objets de sa tendresse; et si chaque jour sa dévotion devenait plus vive, c'est qu'elle avait toujours éprouvé qu'à la suite de ces pieux exercices son cœur,

plus éloquent, savait mieux trouver les pensées et les expressions qui pouvaient consoler son époux.

Élevée dans ces bois sauvages depuis l'âge de quatre ans, la jeune Élisabeth ne connaissait point d'autre patrie: elle trouvait dans celle-ci de ces beautés que la nature offre encore même dans les lieux qu'elle a le plus maltraités, et de ces plaisirs simples que les cœurs innocents goûtent partout. Elle s'amusait à grimper sur les rochers qui bordaient le lac, pour y prendre des œufs d'éperviers et de vautours blancs, qui y font leurs nids pendant l'été. Souvent elle attrapait des ramiers au filet, et en remplissait une volière ; d'autres fois elle prenait des corrasins qui vont par bandes, et dont les écailles pourprées, collées les unes contre les autres, paraissaient à travers les eaux du lac comme des couches de feu recouvertes d'un argent liquide. Jamais, durant son heureuse enfance, il ne lui vint dans la pensée qu'il pouvait y avoir un sort plus fortuné que le sien. Sa santé se fortifiait par le grand air, sa taille se développait par l'exercice, et sur son visage, où reposait la paix de l'innocence, on voyait chaque jour naître un agrément de plus. Ainsi, loin du monde et des hommes, croissait en beauté cette jeune vierge pour les yeux seuls de ses parents, pour l'unique charme de leur cœur, semblable à la fleur du désert, qui ne se pare pas moins de vives couleurs, quoiqu'elle ne puisse être vue que par l'astre à qui elle doit la vie.

Il n'y a d'affections tendres et profondes que celles qui se concentrent sur peu d'objets; aussi Élisabeth, qui ne connaissait que ses parents, et n'aimait qu'eux seuls dans le monde, les aima avec passion; ils étaient tout pour elle, les protecteurs de sa faiblesse, les compagnons de ses jeux, et son unique société. Elle ne savait rien qu'ils ne lui eussent appris: ses amusements, ses talents, son instruction, elle leur devait tout; et, voyant que tout lui venait d'eux, et que par elle-même elle ne pouvait rien, elle se plaisit dans une dépendance qu'ils ne lui faisaient sentir que par des bienfaits. Cependant, quand la jeunesse succéda à l'enfance, et que la raison commença à se développer, elle s'aperçut des larmes de sa mère, et vit que son père était malheureux. Plusieurs fois elle les conjura de lui en dire la cause, et ne put obtenir d'autre réponse, sinon qu'ils pleuraient leur patrie; mais pour le nom de cette patrie et le rang qu'ils y occupaient, ils ne les lui confièrent jamais, ne voulant pas exciter de douloureux regrets dans son âme, en lui appre

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