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qu'on puisse enrégistrer au droit européen le principe qu'il n'y a plus d'esclavage.1

§ 58. L'analyse de la liberté individuelle nous fait distinguer les droits élémentaires suivants, savoir:

Premièrement le choix libre d'une résidence dans un pays quelconque où l'homme croit pouvoir vivre le plus librement et à son aise. Aucun individu n'est attaché irrévocablement à la glėbe de l'État, qui l'a vu naître ou qui l'a protégé quelque temps. La terre est la patrie commune de tous les hommes, et pour sauvegarder sa liberté il faut avoir la faculté de chercher une nouvelle patrie dans une autre partie du globe. Le droit d'émigration est donc un droit imprescriptible, limité seulement par des engagements volontaires ou légaux auxquels les hommes ont été soumis dans les temps passés. L'ancienne théorie de même que l'ancienne pratique des États n'avaient qu'une intelligence très-imparfaite d'un principe qui aujourd'hui ne fait plus l'objet d'aucun doute. M. de Haller même a admis le droit d'émigration comme un droit fondamental. Quant aux restrictions particulières de ce droit, nous les examinerons au § 59 ci-après.

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Deuxièmement, conservation, défense et développement de la personnalité physique dans les limites de la nécessité et sans lésion d'autrui. De là découlent la faculté d'assujettir la nature aux besoins matériels de la vie, la propriété, sa conservation et son accroissement par le libre échange, le mariage comme moyen de réproduction de l'espèce humaine, tous ces droits contenus dans les limites tracées par la loi morale.

Troisièmemeut, droit d'existence et de libre développement de la personnalité morale et par suite faculté d'acquérir

1 Parmi les écrits qui ont traité ce grand sujet nous nous bornerons à citer Biot, L'abolition de l'esclavage ancien. Paris 1841. Agenor de Gasparin, Esclavage et traite des noirs. Paris 1838. Foelix, dans la Revue étrangère. t. IV et V. Phillimore I, 316.

2 V. sur l'ancienne théorie les écrits indiqués par de Kamptz § 122. V. sur M. de Haller le compte-rendu dans la Revue critique de législation t. VII. (1855) p. 478. Il appelle le droit d'émigration,, flebile beneficium." Comparez aussi Merlin, Répert. m. Souveraineté. § 14. Zachariae, 40 Bücher vom Staat. IV, 1, 258.

et de développer des connaissances par un libre échange intellectuel; faculté enfin de se former des convictions religieuses sur le monde invisible et d'y conformer sa conduite.

Tels sont les droits primordiaux et privés de tous les hommes, droits qu'on ne doit pas confondre avec les droits politiques ou de citoyen. A l'égard de ces derniers il n'existe aucun principe uniforme et généralement admis par toutes les nations. Leurs formes et leurs modifications dépendent de la condition du pouvoir et de l'esprit publics. La déclaration des droits de l'homme et du citoyen, placée en tête de la constitution française du 3 septembre 1791, avait tâché de les réunir ensemble.

C'est à l'État à prescrire les formes ou les modes d'expression de ces droits qui existent indépendamment de lui, à en tracer l'ordre et les limites, et à fournir les moyens de les réaliser. C'est par là qu'ils entrent dans le domaine de la législation intérieure de chaque État. Mais le concert commun de l'Europe a consacré le principe qu'il n'y a plus de personnes ou nationalités proscrites et hors de loi, comme il y en avait jadis, p. e. celle des nommés Égyptiens ou Bohémiens (Cingari), et qu'il faut accorder à toute personne une protec tion de sa vie et de ses biens. Il y a encore plus. L'esprit cosmopolitique des États modernes fait jouir les étrangers presque partout des mêmes droits privés que les regnicoles, ainsi qu'il sera dit au § 60 ci-après. Les régulations particulières ne concernent que l'étendue de cette concession et constituent cette partie de la jurisprudence que l'on appelle habituellement le droit international des étrangers, ou droit international privé, et que l'on pourrait nommer aussi bien le droit international de l'homme.

Les regnicoles et sujets des États.

§ 59. Constatons d'abord le caractère distinctif de la sujétion, c'est-à-dire de la dépendance personnelle d'un certain État.

1 Comparez déjà de Réal, Science du Gouvernem. IV, 7, 1, 1. Vattel Droit des gens. II, 1, 19. 6, 17. Günther II, 344.

Sont considérés comme membres ou sujets de l'État, d'après

le droit international:

1° Les regnicoles, c'est-à-dire tous ceux qui sont établis dans le territoire d'un État à demeure perpétuelle, peu importe qu'ils y soient nés ou qu'ils y aient fixé leur domicile ;

2° les personnes qui, d'une manière définitive, y sont entrées en service, soit dans les armées de terre ou de mer, soit dans l'administration civile;

3° les femmes de ces personnes, de même que les enfants légitimes d'un père, les enfants naturels d'une mère, et les enfants nés à l'étranger de parents regnicoles, tant qu'ils n'ont pas la capacité civile nécessaire pour choisir leur domicile et avant d'en avoir profité.1 Jusqu'alors l'enfant doit être regardé comme étant régi par les lois du pays auquel appartiennent ses parents, quoique les tribunaux du pays où l'enfant réside ne suivent pas partout cette règle;

4° enfin les enfants trouvés dans un pays, à moins que leur origine n'ait pu être constatée.

Le droit public interne indique les droits politiques et civils dont jouissent ces différentes classes de personnes, ainsi qu'il peut admettre, en dehors de ces catégories, encore d'autres aux droits de cité. Néanmoins il est évident que l'extension donnée par les lois ou patentes d'un État à la qualité de sujet, ne peut porter aucun préjudice aux liens de sujétion envers un autre État suivant les règles internationales ci-dessus exposées. 2

Sont considérés comme sujets d'un État sous certains rapports seulement (subditi secundum quid) les personnes ci-après dénommées, savoir:

1 Vattel I, 19. § 215. Quant aux enfants nés sur mer v. § 78 ciaprès.

* Les conflits entre les divers États deviennent de jour en jour plus gênants. L'on ne pourra y remédier que par des traités. Les États-Unis de l'Amérique ont déjà pris ce chemin. Comp. „, Conventions regulating Nationality." 1868. Comparez encore Westlake dans la Revue du droit intern. 1869. p. 102.

les étrangers possédant des immeubles dans un territoire ou y exerçant certains droits qui les font assimiler aux regnicoles (forenses, foranei, cives qui foras habitant), appelés pour cela sujets mixtes quant aux propriétés;1

les étrangers qui font un séjour plus ou moins prolongé sur le territoire (albini, alibi nati, aubains).2

Caractère international de la sujétion.

§ 59. La qualité de sujet d'État opère une soumission entière sous l'empire de l'État, mais elle ne constitue pas, d'après ce que nous avons déjà établi, un lien indissoluble sous le point de vue international; elle cesse de fait par l'émigration; il n'y a pas lieu à une revendication du sujet émigré dans un autre pays. Néanmoins l'émigration peut être surveillée et réglementée par l'État. Les lois peuvent notamment imposer l'obligation d'en donner un avis préalable aux autorités locales, avis qui fournira à ces dernières le moyen de s'assurer si l'émigrant a satisfait à tous ses engagements, et d'exiger de lui une caution destinée à assurer l'accomplissement de ceux qu'il doit remplir encore. Autrefois il était d'usage d'exiger des émigrants le sacrifice d'une portion de leur patrimoine. Les traités internationaux ont à peu près aboli tous les restes de cette coutume.

A la question d'émigration vient se rattacher naturellement une autre. Le sujet d'un État peut-il être à la fois sujet d'un autre ou sujet mixte? Cette double nationalité, bien que tolérée dans une partie de l'Europe, a été proscrite expressément par plusieurs législations, qui dans ces cas exigent que la personne choisisse entre son domicile actuel et celui de son origine. 3

1 V. l'article de Jordan, inséré dans le Staats- Lexicon. VI, 361. 2 Une dissertation complète sur ces diverses catégories se trouve dans Schilter, De jure peregrinorum, dans ses Exercitatt. ad Digesta. Gaschon, Code des Aubains. Paris 1818.

3 Zouch, De j. fecial. II, 2. 13, qui nie la possibilité d'être sujet de plusieurs États, va trop loin. Car tout dépend des dispositions des lois des divers pays. Déjà les lois de l'ancien monde variaient sur ce

Tant que les rapports de sujétion n'ont pas été dissous par l'émigration, la loi internationale accorde à l'État certains droits, en même temps qu'elle lui impose certaines obligations. Ces droits et ces obligations se résument dans les règles suivantes :

I. L'État pourra appuyer les justes réclamations de ses regnicoles à l'étranger, défendre ses sujets par les voies internationales, lorsqu'ils sont l'objet de poursuites arbitraires, et exiger la réparation des lésions commises à leur préjudice (jus protectionis civilis, in specie jus repraesentationis omnimodae). Conformément à ce principe et la Confédération germanique et l'Empire actuel de l'Allemagne se sont chargés expressément d'une représentation solidaire des différents États qui le composent et, le cas échéant, de leurs sujets.1

II. L'État peut rappeler ses sujets établis à l'étranger, dès qu'il le juge convenable (jus avocandi). Néanmoins, pour obtenir leur retour, il ne peut réclamer à cet effet l'assistance des autorités étrangères. C'est une conséquence de l'indépendance de chaque État pour ses affaires intérieures. Aussi un gouvernement n'est-il pas même tenu d'autoriser sur son territoire la publication des lettres de rappel envoyées par un gouvernement étranger.2

III. Le sujet d'un État continue, pendant son séjour à l'étranger, à être soumis à la juridiction et aux lois de sa patrie. C'est en observant ces lois seulement qu'il y conserve ses droits civils et politiques. D'autre part l'État fera droit aux engagements contractés par ses regnicoles à l'étranger, pourvu qu'ils ne soient pas contraires aux lois de la mèrepatrie (§ 35). Mais les lois fiscales ne sont pas applicables

point. V. Cicéron pro Balbo chap. 12:,, Sed nos (Romani) non possumus et hujus esse civitatis et cujusvis praeterea; ceteris omnibus concessum est." V. Moser, Vers. VI, 52. Günther II, 326. Gaschon (Disc. prél.) p. 73. Les lois françaises n'admettent pas la double nationalité d'un individu.

1 V. Klüber, Oeffentl. Recht. § 173 a. et la Constitution de l'Empire art. 3. al. 6.

2 Moser, Nachbarliches Staatsrecht. p. 118. 687. Idem, Versuch des Völkerrechts. VI, chap. 4. 6. Les anciens auteurs admettaient cette espèce de revendication d'un Gouvernement étranger, p. ex. Moser, Grundsätze in Friedenszeiten. V, 1. § 27. Günther II, 309 suiv.

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