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J.-J. Moser1 (1701-1786) qui n'admet que l'autorité des faits; ensuite la nouvelle école des publicistes presque tout entière, depuis que Kant, en renversant le droit naturel, après l'avoir détaché de l'éthique et de la spéculation, a donné au droit la volonté positive pour base unique. Dans cet esprit enseignait et écrivait G.-Fréd. de Martens (1756-1821) qui n'admettait à-peu-près dans le droit public des nations aucune autre autorité que celle des traités conclus entre elles et les principes y établis, ensuite Ch. - Théophile Günther (né en 1772), Frédéric Saalfeld (à Gottingue, 1809), Th. - Ant. - Henri Schmalz (1760 —1831), Jean-Louis Klüber (1762-1835), Jules Schmelzing, Charles-Louis Pölitz (1772-1834) et Chr.- Sal. Zachariae (1769-1843). Tous ces auteurs ne reconnaissent l'existence d'un droit naturel ou philosophique entre les nations qu'autant qu'il est capable d'influer sur la rédaction des lois positives. Quelquefois ils le consultent au besoin à titre de loi subsidiaire, sans s'expliquer aucunement pour quels motifs ils lui accordent ce titre ni sur les fondements du droit naturel. Les théories enseignées par ces auteurs sont elles-mêmes dépourvues souvent d'une base positive. M. Pinheiro - Ferreira s'est élevé naguère avec énergie contre cette école de publicistes: dans ses commentaires sur Martens il s'est rapproché de nouveau de l'école opposée qui, pour l'interprétation des lois positives, appelle à son secours la spéculation et la critique scientifique.3 M. Wheaton aussi, tout en se plaçant du côté de la pratique et des lois positives, n'a nullement fermé l'oreille à l'équité et à la critique au point de vue élevé de la justice universelle.*

1 Le principal ouvrage de cet infatigable publiciste est intitulé: Versuch des neuen europäischen Völkerrechts. 1777-1780. 10 vol. V. Ompteda § 103. Kamptz, Neue Literatur. § 35.

2 Ci-devant professeur et puis diplomate. Il a publié pour la première fois ses idées dans un programme publié à Gottingue en 1787 et intitulé: Von der Existenz eines positiven europ. Völkerrechts. V. la liste de ses publications dans Kamptz, Neue Literatur. § 35 suiv.

Le droit des gens par G. - Fr. de Martens, avec des notes par Pinheiro - Ferreira. 1831. 1863. 2 vol.

4 Elements of the intern. Law. London 1836. 2 vol. publ. aussi à Boston par Mr. Lawrence, traduit en français sous le titre: Éléments du droit intern. Leipz. et Paris 1848. 1858.

C'est ce point de vue qu'ont embrassé en général les publicistes français, anglais et espagnols les plus récents.1

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Parmi ces théories si diverses dont nous venons d'esquisser l'analyse rapide, on rencontre au point extrême celle qui donne au droit international pour base principale l'intérêt des États, soit l'intérêt individuel de chaque État en particulier, soit l'intérêt collectif de tous. Montesquieu d'abord et tout récemment Jérémie Bentham ont professé cette théorie. Le vrai utile sans doute s'identifie avec les commandements de la morale: néanmoins il faut convenir en même temps que ce mot se prête facilement à des malentendus.5

La philosophie la plus récente n'a pas réussi non plus à mettre un terme à la contradiction des théories et des principes. Tantôt, avec Schelling, elle suppose une révélation de la loi, émanation de l'esprit divin, accordée aux nations: tan

1 Nous nommerons parmi les auteurs français: Du Rat-Lasalle, Droit et législation des armées de terre et de mer, qui contient dans le t. I. p. 370 un précis du droit des gens; surtout Th. Ortolan, Règles internationales de la mer. Paris 1845; parmi les auteurs anglais : Oke Manning, Commentaries on the Law of Nations. London 1839. James Reddie, Researches in maritime intern. Law. Edinb. 1844. 1845. 2 vol. Wildman, Intern. Law. London 1849. 2 vol. Rob. Phillimore, Commentaries upon Intern. Law. Lond. dep. 1854. 4 vol. Travers Twiss, the Law of nations. Oxford 1861; pour l'Amérique du Sud André Bello, Principios de derecho de gentes, publié à Santiago de Chile, réimprimé à Paris en 1840; parmi les auteurs espagnols Jose Maria de Pando (décédé en 1840), Elementos del Derecho Intern. Madr. 1843. Ant. Riquelme, Elementos de Derecho Publ. internacional, con explication de las reglas que constituyon el derecho internacion. Espagnol. t. I. II.; pour l'Amérique du Nord Kent, Commentaries on American Law. Vol. I. H.-W. Halleck, Internat. Law in Peace and War. New-York 1861. Les auteurs néerlandais sont énumérés par Did. van Hogendorp, de iuris gent. studio in patria. Amstelod. 1856.

2 On peut reprocher surtout cet égoïsme national aux auteurs du droit maritime dont nous parlerons ci-après, notamment aux auteurs anglais. Les auteurs français au contraire se sont rapprochés en ce dernier temps du point de vue cosmopolitique des auteurs allemands et scandinaves.

3 De l'esprit des lois. I, 3.

Jerem. Bentham, Principles of intern. Law. (Works, coll. under superintendence of J. Bowring. P. VIII. p. 535 et suiv.).

5 On trouve de bonnes observations dans Oke Manning p. 58 suiv.

tôt, avec Hegel, elle revendique le droit international aussi au profit de la liberté humaine, au profit de la volonté qui pose elle-même le droit, soit individuellement, soit dans la communauté sociale.

Nous avons déjà exposé notre propre opinion aux §§ 2 et 3 ci-dessus.1 Du reste nous nous dispensons d'indiquer déjà ici les matières spéciales du droit international, lesquelles sont traitées par les auteurs séparément, p. ex. le droit maritime, le droit de guerre, les droits des Aubains etc. en renvoyant nos lecteurs aux chapitres de notre ouvrage qui traitent les dites matières.

III.

DROITS RÉCIPROQUES SPÉCIAUX DES NATIONS.

Caractère général de ces droits.

§ 11. Le droit international européen engendre non-seulement par lui-même des droits et des obligations mutuelles entre tous les États qui appartiennent au concert européen, mais il fait naître encore sous son égide des droits spéciaux entre l'un et l'autre État (§ 12). En général tous les droits de ces deux espèces ont pour objet ou des intérêts matériels ou de pures convenances extérieures connues dans le langage diplomatique sous le nom de "Droits de cérémonie, droits cérémoniaux." Ces derniers ne sont souvent que les formes extérieures de rapports nécessaires. Nous n'en tiendrons compte qu'autant que le droit international autorise les gouvernements d'exiger leur observation dans leurs rapports mutuels. Mais nous n'entendons nullement nous livrer à l'examen

1 Warnkönig a donné un aperçu très-estimable des diverses théories. Voy. Tübinger Zeitschrift für Rechtswissenschaft. Vol. VII, 622 suiv.

du cérémonial intérieur des cours et des autorités constituées dans leurs relations publiques ou au dehors, dont les dispositions sont réglées par l'autonomie de chaque État.1

Modes d'acquisition.

§ 12. Les fondements particuliers sur lesquels les droits particuliers des États reposent, sont

1° les traités internationaux;

2° l'occupation ou la prise de possession des biens sans maître.

A ces deux modes, qui feront l'objet d'un examen ultérieur, il faut ajouter encore:

3° la possession immémoriale;

4° les usages, les coutumes reçus entre plusieurs nations, manifestés par des actes extérieurs et non contestés, lorsque notamment ils ne sont pas l'effet de l'erreur ou de la violence;2

5° la prise de possession par suite d'une renonciation expresse ou tacite.

Mais le droit public européen n'admet pas indistinctement l'autorité de la „prescription," bien que la prescription forme une partie intégrante et nécessaire d'un système complet de lois civiles. L'école, la doctrine a longuement discuté cette question, sans l'avoir pleinement résolue. En effet la pratique internationale s'est toujours refusée à admettre la prescription d'une manière absolue. Elle pourrait servir de règle dans certains corps d'États fédéraux, comme autrefois elle a eu sa

1 Nous employons le mot droits cérémoniaux" dans un sens synonyme à celui qu'on attache au caractère cérémoniel des agents diplomatiques. Ompteda, loc. cit. § 206 déjà se plaignait des fréquents malentendus de ce mot, malentendus qui ont fait considérer tous les droits cérémoniaux comme une partie intégrante du droit international.

2 V. Günther, Europäisches Völkerrecht. I, p. 16-20. 28-31. Martens, Précis du droit des gens (1821) § 6. 65-67.

3 Ompteda § 213. Kamptz § 150. Pinheiro - Ferreira sur Martens, note 31, remarque à juste titre qu'il faut distinguer droit et loi de prescription.

valeur dans l'ancien empire germanique, mais il serait même difficile de l'appliquer encore sans loi expresse aux rapports établis actuellement entre les divers souverains de l'Allemagne.

Il est donc constant que les droits une fois acquis, auxquels des clauses spéciales ou leur but n'assignent pas une durée limitée, subsistent indéfiniment et aussi longtemps que les parties intéressées n'y renoncent ou ne se trouvent pas dans l'impossibilité de les exécuter. La renonciation peut faire l'objet d'une convention expresse ou tacite, résultant d'un abandon volontaire qui met le possesseur à l'abri de toute contestation. Il est incontestable en même temps que l'abandon peut être présumé en cas d'une très-longue possession non contestée et non interrompue; c'est toujours aux principes de la renonciation qu'il faut recourir en pareille question.1 La prescription est purement une question de fait.

Il en est de même à l'égard de la prescription immémoriale (antiquitas, vetustas, cujus contraria memoria non existit), c'est-à-dire la possession dont l'origine est inconnue et qui contient une présomption de propriété. La possession immémoriale est un titre approbatif du fait accompli, titre devant lequel doit se taire l'autorité de l'histoire. A combien de contestations les limites territoriales et les droits des États ne donneraient-ils pas lieu si on prétendait leur demander leurs titres légitimes, s'ils ne puisaient leur raison d'être dans la force de faits accomplis? Néanmoins il faut convenir en même temps qu'un siècle de possession injuste ne suffit pas pour enlever à celle-ci les vices de son origine.2

La possession sert de règle subsidiaire aux rapports internationaux.

§ 13. A défaut de lois clairement définies, les hommes peuvent régler librement leurs rapports par la force seule de

1 Grotius II, 4, 1 et suiv. Pufendorf IV, 12, 11. Vattel II, 11, § 149. Wheaton II, 4, § 4.

2 Grotius II, 4, § 7. Vattel II, 11, § 143. Waechter, De modis tollendi pacta inter gentes. Stuttg. 1779. § 39 suiv. de Steck, Éclaircissements de divers sujets. Ingolst. 1785. Günther, Völkerr. I, p. 116 suiv.

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