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en eux-mêmes des sentiments conformes à ce qu'elle nous enseigne; et enfin elle doit être tellement l'objet et le centre où toutes choses tendent, que qui en saura les principes puisse rendre raison et de toute la nature de l'homme en particulier, et de toute la conduite du monde en général.

10 bis.

.. Ils blasphèment ce qu'ils ignorent. La religion chrétienne consiste en deux points. Il importe également aux hommes de les connaître, et il est également dangereux de les ignorer. Et il est également de la miséricorde de Dieu d'avoir donné des marques des deux.

Et cependant ils prennent sujet de conclure qu'un de ces points n'est pas de ce qui leur devrait faire conclure l'autre. Les sages qui ont dit qu'il y a un Dieu ont été persécutés, les Juifs haïs, les Chrétiens encore plus. Ils ont vu par lumière naturelle que, s'il y a une véritable religion sur la terre, la conduite de toutes choses doit y tendre comme à son centre. Et sur ce fondement, ils prennent lieu de blasphémer la religion chrétienne, parce qu'ils la connaissent mal. Ils s'imaginent qu'elle consiste simplement en l'adoration d'un Dieu considéré comme grand, et puissant, et éternel; ce qui est proprement le déisme, presque aussi éloigné de la religion chrétienne que l'athéisme, qui y est tout à fait contraire. Et de là ils concluent que cette religion n'est pas véritable, parce qu'ils ne voient pas que toutes ces choses concourent à l'établissement de ce point, que Dieu ne se manifeste pas aux hommes avec toute l'évidence qu'il pourrait faire.

Mais qu'ils en concluent ce qu'ils voudront contre le déisme, ils n'en concluront rien contre la religion chrétienne, qui consiste proprement au mystère du Rédempteur, qui, unissant en lui les deux natures, humaine et divine, a retiré les hommes de la corruption du péché pour les réconcilier à Dieu en sa personne divine.

Elle enseigne donc ensemble aux hommes ces deux vérités : et qu'il y a un Dieu dont les hommes sont capables, et qu'il y a une corruption dans la nature qui les en rend indignes. Il importe également aux hommes de connaître l'un et l'autre de ces

points, et il est également dangereux à l'homme de connaître Dieu sans connaître sa misère, et de connaître sa misère sans connaître le Rédempteur qui l'en peut guérir. Une seule de ces connaissances fait ou l'orgueil des philosophes, qui ont connu Dieu et non leur misère, ou le désespoir des athées, qui connaissent leur misère sans Rédempteur. Et ainsi, comme il est également de la nécessité de l'homme de connaître ces deux points, il est aussi également de la miséricorde de Dieu de nous les avoir fait connaître. La religion chrétienne le fait; c'est en cela qu'elle consiste. Qu'on examine l'ordre du monde sur cela, et qu'on voie si toutes choses ne tendent pas à l'établissement des deux chefs de cette religion.

11.

Si l'on ne se connaît plein de superbe, d'ambition, de concupiscence, de faiblesse, de misère et d'injustice, on est bien aveugle. Et si en le connaissant on ne désire d'en être délivré, que peut-on dire d'un homme?... Que peut-on donc avoir que de l'estime pour une religion qui connaît si bien les défauts de l'homme, et que du désir pour la vérité d'une religion qui y promet des remèdes si souhaitables?

12.

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PREUVE. 1o La religion chrétienne, par son établissement1: par elle-même établie si fortement, si doucement, étant si contraire à la nature. 2o La sainteté, la hauteur et l'humilité d'une âme chrétienne. 3° Les merveilles de l'Écriture sainte. 4° JÉSUS-CHRIST en particulier.

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5o Les apôtres en particulier. 6° Moïse et les prophètes en particulier. -7° Le peuple juif. 8° Les prophéties. 9° La perpétuité. Nulle religion n'a la perpétuité. -10° La doctrine, qui rend raison de tout. 11° La sainteté de cette loi. 12° Par la conduite

-

du monde.

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Il est indubitable qu'après cela on ne doit pas refuser, en considérant ce que c'est que la vie et que cette religion, de suivre l'inclination de la suivre, si elle nous vient dans le

1. C'est-à-dire, prouve Jésus-CHRIST par son établissement.

cœur ; et il est certain qu'il n'y a nul lieu de se moquer de ceux qui la suivent.

REMARQUES SUR L'ARTICLE XI

Fragment 1. — « La vraie religion doit avoir pour marque d'obliger à aimer son Dieu... Et cependant aucune autre ne l'a ordonné; la nôtre l'a fait. >>

...

Marc, XII, 28: « Et il se présenta un docteur qui lui demanaa quel était le premier de tous les commandements. Jésus répondit: Le premier est : Écoute, Israël, le Seigneur ton Dieu est le seul Seigneur. Et tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force. C'est le premier commandement. » Ce qui est souligné est pris du Deuteronome, vi, 4-5; mais si on se reporte à ce livre même, on se rendra parfaitement compte de ce qui étonnait Pascal, que nulle part que chez les Juifs il n'ait été prescrit d'aimer Dieu. C'est là le passage fameux qui, sous le nom de Schema, est pour les Juifs, depuis des siècles, une oraison solennelle. Le voici d'après la traduction de M. Cahen: « Tu aimeras le Dieu Jehovah..... etc. Et quand le Dieu Jehovah t'amènera dans la terre qu'il a promise à tes pères; qu'il te donnera de grandes et belles villes que tu n'a pas bâties, des maisons pleines de biens que tu n'a pas amassés, des citernes que tu n'as pas creusées, des oliviers et des vignes que tu n'as pas plantés; quand tu mangeras et que tu te rassasieras; prends garde d'oublier Jehovah qui t'a fait sortir du pays d'Égypte, de la maison d'esclavage. Tu craindras le Dieu Jehovah, tu ne serviras que lui, et tu jureras par son nom. Ne marche pas derrière les dieux étrangers, les dieux des peuples d'autour de toi. Car un Dieu jaloux, le Dieu Jehovah est au milieu de toi; garde que la colère du Dieu Jehovah ne s'élève contre toi, et ne te fasse disparaître de dessus la terre. »

On voit bien que le Juif d'autrefois aime son Dieu parce que c'est le sien, et que l'amour de Jehovah c'est la haine de l'étranger, qui est l'ennemi. Il s'attache à ce nom de toute son âme et de toute sa force comme au signe sacré de sa patrie, et aussi comme au gage de son existence; Jehovah est un Palladium.

Le verset reproduit dans l'Évangile n'exprimait donc pas précisément ni ce que nous entendons aujourd'hui par l'amour de Dieu, ni même ce que Jésus entendait. Mais c'est par ce verset et par cet élan

du cœur des Juifs que l'idée de l'amour de Dieu s'est introduite dans l'esprit des hommes.

L'expression même d'aimer, appliquée aux dieux, n'était pas de la langue des Grecs. M. Letronne a fait à ce sujet des observations curieuses dans un Mémoire (posthume) sur l'utilité qu'on peut retirer de l'étude des noms propres grecs pour l'histoire et l'archéologie; et M. Egger a signalé dans Aristote le passage suivant (Eth. Nicom. VIII, 7) : « Quand il y a entre les personnes de trop grandes différences pour la vertu, le vice, la richesse, ou toute autre chose, l'amitié disparaît; on n'y prétend même pas. Et c'est ce qui se voit très-clairement à l'égard des dieux, lesquels l'emportent beaucoup sur nous par toute sorte de biens. Cela se voit aussi à l'égard des rois Il n'est pas facile de déterminer à quel degré d'éloignement l'amitié cesse; on peut supprimer beaucoup de qualités communes, et elle subsistera; mais si la distance est trop grande, comme de l'homme à Dieu, l'affection n'est plus possible. »

« Nulle religion n'a demandé à Dieu de l'aimer et de le suivre. » Juvénal dit bien (après Sénèque) :

Orandum est, ut sit mens sana in corpore sano (Sat. x, 356).

...

« Ce qu'il faut demander, c'est une âme saine dans un corps sain. » Mais, outre qu'il ne parle pas d'aimer Dieu, il ajoute, contrairement à la doctrine chrétienne de la grâce:

Monstro quod ipse tibi possis dare.

<< Tout cela, tu peux te le donner toi-même. » Quant à l'idée de suivre Dieu, elle est très-familière à l'antiquité, mais non pas celle de demander à Dieu de le suivre.

Fragments 5 bis et 5 ter.

L'idée dominante de ces deux fragments paraît développée pour la première fois dans la Lettre aux Hébreux, et particulièrement dans le chap. xi de cette Lettre. Mais on a vu que Pascal a pris ces idées plus près de lui, dans Balzac 1.

Et le morceau de Pascal lui-même semble avoir abouti à cette seconde partie du Discours sur l'histoire universelle de Bossuet, intitulée, La suite de la religion, qui est le corps même de l'ouvrage, et pour laquelle le reste a été fait. Voyez surtout, au commencement du numéro XIII de cette seconde partie : « Cette Église, toujours attaquée et jamais vaincue, est un miracle perpétuel, etc. »

Je n'ai pas besoin de dire que tout cela est plein de méprises et d'illusions. Dès le commencement, lorsque Dieu, dans la Genèse, dit

1. Jérôme, après avoir énuméré les autres Lettres de Paul, ajoute: Epistola autem quæ fertur ad Hebræos, non ejus creditur, etc. (Catalog. scriptor. ecclesiastic.)

au serpent: « Je susciterai la guerre entre toi et la femme, entre ta race et sa race; elle écrasera ta tête, et tu t'efforceras de mordre son talon, » on sent bien que ces paroles doivent être prises au sens propre, et ne signifient pas qu'il naîtra d'une femme un Messie qui terrassera le démon. Et ainsi du reste. Cette prétendue suite n'est, comme toute suite historique, qu'une succession des plus prodigieuses disparates. Ni l'Évangile ne ressemble au Pentateuque, ni le catholicisme du temps de Pascal à l'Évangile.

Mais Pascal croit, et il porte dans ces subtilités l'éloquence de l'imagination et du cœur. On reconnaît, à l'accent profond des plus simples paroles, celui qui s'écriait, dans la nuit de flammes dont il conservait le memento sur sa poitrine, « Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob », avant de dire, « Dieu de JÉSUS-CHRIST. »

A la fin du fragment 5 ter, ces mots, lorsque Noé vivait encore, lorsque Sem vivait encore, sont une distraction de Pascal. Noé ne vivait plus, d'après la Genèse, lors de la vocation d'Abraham, ni Sem au temps de Moïse.

Port-Royal a fondu en un seul morceau les deux fragments 5 bis et 5 ter, et, là encore, le texte se trouve altéré malheureusement. Dans le premier fragment, tel que l'a écrit Pascal, la répétition continuelle du même tour, image de l'immobilité de la religion, est une beauté que la version de Port-Royal fait disparaître.

Fragment 6. « Mais jamais la religion n'a souffert cela et n'en a usé. » Cependant Pascal lui-même a laissé un petit écrit, qu'on trouvera dans ce volume, sur les changements introduits dans la discipline de l'Église.

a... Il n'y en a point qui ait duré mille ans.» Port-Royal, quinze cents ans. En effet, le royaume de France avait déjà duré plus de mille ans au temps de Pascal. Rome a duré plus de mille ans de Romulus à Augustule. Mais Pascal et Port-Royal se tiennent toujours dans le cercle de l'histoire classique. Ils auraient rayé cette pensée s'ils avaient songé à la durée de l'empire chinois.

Fragment 7.« Il y aurait trop d'obscurité, etc. » Ce premier alinéa, qui manque dans Port-Royal, mais qui a été publié depuis, paraît bien de Pascal, quoique M. Faugère ne l'ait retrouvé dans aucun manuscrit.

a Il y aurait trop de clarté, etc. » Pascal seul a pu écrire cela; on ne lui aurait pas prêté de telles paroles. Voir, au sujet de ce sentiment de Pascal, tout l'article xx.

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