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note : « Le mot мOI, dont l'auteur se sert dans la pensée suivante, ne signifie que l'amour-propre. C'est un terme dont il avait accoutumé de se servir avec quelques-uns de ses amis. » On lit encore dans la Logique de Port-Royal (troisième partie, chapitre XIX, Des sophismes d'amour-propre, etc., 6) : « Feu M. Pascal, qui savait autant de véritable rhétorique que personne en ait jamais su, portait cette règle [de ne point parler de soi] jusques à prétendre qu'un honnête homme devait éviter de se nommer, et même de se servir des mots de je et de moi, et il avait accoutumé de dire à ce sujet que la piété chrétienne anéantit le мor humain, et que la civilité humaine le cache et le supprime. »

Port-Royal ne pouvant conserver cette apostrophe à Miton, a écrit faiblement : « Ainsi ceux qui ne l'ôtent pas, et qui se contentent seulement de le couvrir, sont toujours haïssables. »

.....

Fragment 23. << Mais j'ai cru trouver au moins bien des compagnons dans l'étude de l'homme, et que c'est la vraie étude qui lui est propre. J'ai été trompé. » Port-Royal écrit : « en l'étude de l'homme, puisque c'est celle qui lui est propre. » Mais Pascal ne dit pas cela, il dit qu'il l'a cru, et il ne le croit plus. Il n'y a plus pour lui d'autre science que celle de la croix.

Ils suppriment cette fin : « Mais n'est-ce pas que ce n'est pas encore là la science que l'homme doit avoir? » ne voulant pas prendre sur eux ce désaveu de la philosophie morale.

Fragment 25 bis. « La nature a mis toutes ses vérités chacune en soi-même... chacune tient sa place. » Ne serait-il pas plus exact de dire que c'est nous qui faisons aux choses dans notre langage des places distinctes, et que dans la nature tout est mêlé ?

Pascal, en raillant les divisions des philosophes, ne paraît pas s'être souvenu, non plus que Port-Royal après lui, qu'elles ont été adoptées par la religion, qui distingue trois vertus théologales et quatre cardinales.

Fragment 29. Il y a des gens qui mentent simplement pour mentir. » Observation bien vraie, qui doit mettre en garde contre les témoignages, surtout pour l'extraordinaire ou le merveilleux.

Fragment 30. — « Mais ils ont les pieds aussi bas que les nôtres. Ils y sont tous à même niveau.» Port-Royal: Ils sont tous. Mais cet y est nécessaire; il signifie, par les pieds, du côté des pieds; comme s'il y avait Par là, ils sont tous à même niveau. - Toutes ces images, où est toujours l'idée de mesure, sont bien des images de mathématicien.

C'est aussi mal à propos que Port-Royal met, au reste des hommes où Pascal a mis, aux moindres des hommes; et qu'il supprime le mouvement, non, non, trouvant sans doute cette vivacité indiscrète.

Fragment 32. On raconte que Boileau adressa un jour ce compliment à une jeune personne, à qui on avait fait déployer devant lui des talents douteux : « On vous a tout appris, mademoiselle, hormis à plaire; c'est pourtant ce que vous savez le mieux. »

Fragment 33. « Qu'il cherchait le bon air [Montaigne]. » C'est ainsi que Malebranche lui reproche d'être un pédant à la cavalière.

« Le sot projet qu'il a de se peindre ! » Le charmant projet ! dit Voltaire. Mais la Logique de Port-Royal développe le mot de Pascal dans une digression très-dure sur Montaigne (III, XIX, des Sophismes d'amour-propre, etc.. 6).

Fragment 34. — « Plaindre les malheureux n'est pas contre la concupiscence. » Pascal trouvant dans l'homme un bon sentiment, la compassion pour ceux qui souffrent, craint que cela ne contredise ses idées sur la dépravation essentielle de la nature humaine, et s'attache à ramener encore ce sentiment à l'amour de soi : il fait ce qu'a fait La Rochefoucauld; mais l'un est un misanthrope janséniste, l'autre un misanthrope philosophe.

Fragment 40..— « Montaigne a tort.» Manque dans Port-Royal. Avant M. Cousin, les éditions donnaient au contraire: Montaigne a raison. On avait changé le texte faute de le comprendre. Ce que Pascal reproche à Montaigne, ce n'est pas d'avoir dit que la coutume ne doit être suivie que parce qu'elle est coutume; en ce point il est de son avis : c'est d'avoir cru que le peuple ou la foule la suit pour cela, tandis qu'elle la suit parce qu'elle la croit juste. Montaigne disait en effet : « Les loix se maintiennent en credit, non parce qu'elles sont iustes, mais parce qu'elles sont loix. » (Voir son texte dans les notes sur le fragment II, 8.) Cependant Montaigne pensait réellement comme Pascal, puisqu'il ajoute que c'est là le fondement mystique de leur autorité ; il ne parle pas du fondement qu'elles ont dans l'opinion.

« La coutume ne doit être suivie que parce qu'elle est coutume, et non parce qu'elle soit raisonnable ou juste.» Ce subjonctif est un latinisme. Port-Royal ajoute par scrupule : « Cela s'entend toujours de ce qui n'est point contraire au droit naturel ou divin. » Pascal reconnaît bien un droit divin, ou plutôt une volonté de Dieu, qui est la loi, mais il ne reconnaît pas de droit naturel. Voir ш, 8.

Fragment 43 bis.

« Le nez de Cléopâtre, etc. » On voit bien l'en

chaînement des idées. Si le nez de Cléopâtre eût été plus court, il l'eût été trop, et elle n'eût pas été belle, Antoine n'en eût pas été amoureux, et n'eût pas répudié pour elle Octavie. Il ne se serait donc pas brouillé avec Octave, etc. Reste à savoir si Octave et Antoine ne se seraient pas brouillés infailliblement pour toute autre raison, et si en tout cas l'empire romain n'aurait pas toujours fini par être à ur seul et par prendre l'Egypte comme tout le reste. On peut voir, au sujet de ce paradoxe de Pascal, repris par d'autres, un piquant et excellent morceau de M. Deschanel (Causeries de quinzaine, 1861, pages 201-205).

« Le nez de Cléopâtre. » Port-Royal a mis: Si le nez de Cléopâtre eût été, etc.; mais ce tour régulier est trop grave pour cette boutade.

Fragment 44. « Cet amusement était bon à Auguste ou à Alexandre. » Port-Royal a supprimé le nom d'Auguste, probablement parce qu'Auguste n'a pas été ce qu'on appelle un conquérant mais il n'avait que vingt ans quand il partagea avec Antoine et Lépide la domination de l'empire romain, qui était l'empire du monde; il n'en avait que trente-deux quand, par la bataille d'Actium, il resta seul maître de tout.

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Fragment 49. « Comme par exemple les soldats de Mahomet, les voleurs, les hérétiques. » Port-Royal écrit seulement comme, par exemple, les voleurs, etc. Ainsi Pascal mettait intrépidement sur la même ligne les hérétiques et les voleurs; et les hommes qui n'étaient pas de sa croyance lui paraissaient des gens, comme on dit, sans foi ni loi, qui s'écartaient de l'ordre même de la nature. Un Turc à ses yeux est à peine un homme. Voyez cette gradation dans les Provinciales: Sont-ce des religieux et des prêtres qui parlent de cette sorte? Sont-ce des chrétiens? Sont-ce des Turcs? Sont-ce des hommes? Sont-ce des démons ?.. » (Lettre 14.) et, dans les Pensées, (XXIV, 16): Ne voyons-nous pas vivre et mourir les bêtes comme les hommes et les Turcs comme les chrétiens ? »

Fragment 50. - « Voilà le commencement et l'image de l'usurpation de toute la terre. » La hardiesse de cette pensée a été relevée par l'auteur du Génie du Christianisme dans le chapitre sur Pascal (III• partie, liv. II, chap. 6). Il a raison de dire que Rousseau en s'en inspi rant, ne l'a pas égalée : « Le premier qui, ayant enclos un terrain s'avisa de dire Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d'horreurs n'eût point épargnés

au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables: Gardez-vous d'écouter cet imposteur; vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n'est à personne! » (Discours sur l'inégalité des conditions, 2e partie.) Rousseau fait bien moins peur en criant et en s'agitant, que Pascal dans son analyse froide et méprisante. L'un s'indigne contre l'usurpation et la menace. Il appelle sur ceux qui possèdent toutes les colères qui ont si fort éclaté depuis; l'autre n'a point de colère contre les possesseurs, il ne les voit pas, il ne voit que ces pauvres enfants qu'il prend en pitié. « Et voilà, dit encore Châteaubriand une de ces pensées qui font trembler pour Pascal. Quel ne fût point devenu ce grand homme, s'il n'avait été chrétien? >>On se demande comment les éditeurs de Port-Royal ont osé conserver un tel passage; n'en auraient-ils pas compris toute la portée, que nous sentons si bien aujourd'hui ? Cependant ne nous troublons pas : des esprits bien lumineux ont porté du jour dans ces ténèbres où le tien et le mien ont leurs origines; ils ont montré que l'homme s'approprie les choses en mettant dans les choses une part de lui-même qui les fait siennes, son activité libre et son travail. Oui, ce chien peut être à cet enfant, si cet enfant s'est fait suivre de ce chien, s'il l'a apprivoisé et dressé. Cette place au soleil sera bien sa place, si c'est lui qui l'a trouvée, ménagée, rendue commode, ou si ses camarades la lui défèrent un jour qu'il se sera battu pour eux. Ce n'est pas dans une note que l'on peut creuser ces problèmes; mais tant qu'on dira toi et moi, je crois qu'il faudra dire aussi tien et mien. Qui veut supprimer la propriété devra supprimer la personne.

Fragment 52.— « S'ils ont écrit de politique, etc. » Ce second alinéa a été supprimé par Port-Royal. Le fragment complet est profondément sceptique; ainsi tronqué, il devenait équivoque et on n'en sentait pas toute l'intention.

Fragment 55. — « Un vrai ami est une chose si avantageuse, même pour les plus grands seigneurs, etc. » Voir dans La Bruyère, des Grands, l'alinéa qui commence ainsi : « Un homme en place doit aimer son prince, sa femme, ses enfants, et après eux les gens d'esprit; il les doit adopter, il doit s'en fournir et n'en jamais manquer, etc. » On voit à ce début seul que La Bruyère vise à mettre de l'esprit dans ce qu'il dit; Pascal est tout simple, et n'est occupé que de sa pensée. Fragment 60. « On dira qu'il est vrai que l'homicide est mauvais. Oui, car nous connaissons bien le mal et le faux. » L'auteur de la quatorzième Provinciale, si éloquente contre les casuistes habiles à excuser l'homicide, ne pouvait pas parler autrement. Mais il se contredit

lui-même, car le moyen de connaître le mal et le faux si on ne connaît le bien et le vrai?

<< La continence vaut mieux. » C'est la doctrine de S. Paul, I Cor.

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« Nous n'avons ni vrai ni bien qu'en partie, et mêlé de mal et de faux. » Ce mélange n'est pas toujours dans les choses, il n'est souvent que dans le langage, qui enveloppe, sous une même expression, des cas très-différents. Il n'y a rien d'abstrait dans la vie, tout est déterminé par les personnes et les circonstances. Il ne s'ensuit pas de là que rien ne soit purement vrai, mais seulement qu'il y a beaucoup plus de vérités particulières, que de vérités générales dont la forme soit applicable partout.

ARTICLE VII

1.

A mesure qu'on a plus d'esprit, on trouve qu'il y a plus d'hommes originaux. Les gens du commun ne trouvent pas de différence entre les hommes.

2.

Diverses sortes de sens droit; les uns dans un certain ordre de choses, et non dans les autres ordres, où ils extravaguent. Les uns tirent bien les conséquences de peu de principes, et c'est une droiture de sens. Les autres tirent bien les conséquences des choses où il y a beaucoup de principes. Par exemple, les uns comprennent bien les effets de l'eau, en quoi il y a peu de principes; mais les conséquences en sont si fines, qu'il n'y a qu'une extrême droiture d'esprit qui y puisse aller; et ceux-là ne seraient peut-être pas pour cela grands géomètres, parce que la géométrie comprend un grand nombre de principes, et qu'une nature d'esprit peut être telle qu'elle puisse bien pénétrer peu de principes jusqu'au fond. et qu'elle ne puisse pénétrer le moins du monde les choses où il y a beaucoup de principes.

Il y a donc deux sortes d'esprits : l'une, de pénétrer vivement

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