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vaillant à la campagne, j'étais privé de bien des conseils et de bien des entretiens qui auraient pu m'être utiles 1.

On trouve dans l'autographe, à côté de plusieurs fragments, des indications, telles que Le bon sens, Contrariétés, Divertissement, Écoulement, Point formaliste, Infini, rien, etc., qui ne sont pas proprement des titres, mais des étiquettes dont Pascal se servait pour retrouver sa pensée. Je ne les ai pas fait entrer dans le texte, mais je les ai conservées en note.

On trouve de temps en temps dans le manuscrit des phrases ou des pensées que Pascal lui-même a barrées après les avoir écrites et qu'il a refaites autrement. Je ne me suis pas assujetti à conserver toutes ces variantes; j'ai cependant indiqué en note celles qui offraient plus d'intérêt.

Ce n'est pas assez, en citant Montaigne, d'indiquer le livre et le chapitre, car il y a des chapitres fort longs. J'ai donc toujours cité la page, et je l'ai fait d'après l'édition de M. Le Clerc, Paris, 1826, 5 vol. in-8. Le fameux chapitre XII du second livre, Apologie de Raimond Sebond, méritait par son importance d'être désigné d'une manière particulière qui le fît tout de suite reconnaître. Je me suis servi de l'abréviation Apol., en citant toujours la page.

Je n'ai pas cru devoir m'astreindre à employer dans le texte, pour les imparfaits, l'orthographe du siècle de Louis XIV. Cela peut paraître nécessaire pour les poëtes, à causes des rimes; mais pour les prosateurs cette affectation de fidélité à l'orthographe du temps ne me paraît pas fondée en raison; car si on conserve l'o des imparfaits, pourquoi ne conserverait-on pas tout le reste de cette orthographe? Pourquoi n'écrirait-on pas, comme dans l'édition de Port-Royal, luy, reconnoistre, s'arreste, veüe, etc.? Dans Montaigne, on doit au contraire conserver l'o, puisque l'on conserve toute l'orthographe du xvre siècle.

Je désire par-dessus tout que la Faculté des lettres de Paris et l'École normale, auxquelles j'ai l'honneur d'appartenir, reconnaissent dans ce travail quelque chose de leur esprit, de l'esprit de l'Université, pour employer un nom que la loi nous donnait hier encore, et que l'estime publique, je l'espère, nous conservera. Je soumets ce travail à mes

1. On verra cependant que je tiens de M. Le Clerc un renseignement précieux, le plus curieux certainement qui soit dans mes Remarques. C'est l'indication de la source authentique la plus ancienne de la célèbre image de la sphère dont le centre est partout.

Qu'on me permette de remercier ici respectueusement M. Deliége, de Versailles, l'ami d'un oncle que j'ai perdu, qui par le souvenir de cette amitié a bien voulu s'intéresser vivement à mon travail, et qui m'a encouragé et aidé par de longues et fréquentes lettres, me prodiguant à la fois, avec une complaisance infatigable, les conseils d'un esprit plein de sagesse et de goût, et les indications de tout genre que sa riche littérature lui fourLissait.

superieurs, à mes maîtres, à mes collègues; je l'offre à mes auditeurs et à mes élèves, comme un souvenir et une continuation de nos entretiens. Élève moi-même de cette École, si chère à tous ses enfants, j'ai gardé fidèlement, et j'ai la confiance qu'on retrouvera ici la tradition des sentiments qu'elle inspire ou quelle nourrit, l'ardeur pour le travail, la gravité des pensées, le zèle du bien, le goût de la vraie science et de la vraie éloquence, et en philosophie comme en toutes choses un égal amour de la règle et de la liberté. Novembre 1851.

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Il me reste à expliquer pourquoi le titre de la nouvelle édition l'annonce comme entièrement transformée. Voici en quoi consiste cette transformation. Dans la première édition, toutes les notes étaient placées au-dessous du texte. C'était une gêne pour l'œil, qu'une note tirait en bas à chaque instant, et pour l'esprit qui ne pouvait suivre commodément une lecture toujours hachée. Le commentateur ressemblait à un interlocuteur qui couperait la parole à Pascal, l'interrompant sans cesse pour placer une question ou une objection. Cette fois, je n'ai laissé au bas des pages qu'un petit nombre de notes, qui ne peuvent pas être séparées du texte, et qui aident à le lire; et mes observations ont été rassemblées, en un discours suivi, à la fin de chacun des vingt-cinq Articles dont se compose mon édition.

INTRODUCTION'

PREMIÈRE PARTIE

ÉTUDE SUR LES PENSÉES DE PASCAL

On trouvera plus loin l'histoire de la vie de Pascal; je voudrais faire ici celle de son esprit et de ses idées. Je laisse à d'autres l'entreprise de discuter les Pensées; je voudrais seulement les expliquer. Je ne prétends qu'étudier l'homme et son génie dans ces fragments, et me endre compte des caractères particuliers que cette défense de la religion présente entre toutes les autres.

Pascal est d'abord un mathématicien, un savant; il l'est dès l'enfanec, si l'on peut dire qu'il ait cu une enfance; il dépense le feu de sa jeunesse dans ces travaux; avant vingt-cinq ans, il est en possession des plus grands résultats. Puis, du milieu de la vie. aride de la science, nous voyons ce cœur, que la poursuite de la vérité abstraite ne satisfait pas, s'ouvrir à des pensées qui le remplissent davantage. Il cherche la passion, mais pure, et la vertu, mais brûlante. Il était chrétien, il devient dévot: ce n'est pas assez, il devient sectaire, car la piété commune ne lui suffit pas. La dévotion qui l'a conquis ne le laisse plus échapper et finit par absorber tout son être. Elle est encore exaltée par la maladie, qui s'est saisie de lui dès l'adolescence et qui depuis ne cesse de lui livrer des assauts, jusqu'à ce qu'elle l'accable à trente-neuf ans, irritant par ses continuelles atteintes l'impatience de son esprit absolu et la mélancolie de n âme ardente.

Eh bien ! le géomètre, le cœur passionné, le malade, se retrouvent dans les Pensées. C'est une œuvre d'extrême logique et d'extrême sensibilité, où l'émotion la plus vive est au cœur même de la critique la

1. Cette Introduction se compose de trois parties:

1° Mon Etude sur les Pensées de Pascal.

2o La Préface de la première édition des Pensées, la Vie de Pascal, par sa sœur, et mes Remarques sur ces deux écrits.

3o L'Entretien de Pascal avec M. de Saci, qui est comme une autre préface dictée par Pascal lui-même.

plus rigoureuse et la plus sèche; et, de temps en temps, un cri douloureux ou une brusque secousse nous avertit que cette intelligence supérieure, qui semblait oublier son corps, a senti les pointes de la souffrance et la menace de la mort.

S'il ne s'agissait que d'exposer la thèse de Pascal et ce qu'on peut appeler son système de philosophie, il n'y a rien à faire pour cela, car c'est ce qui a été fait admirablement par lui-même. Ce système était déjà formé et arrêté dans son esprit avant qu'il eût rien écrit des Pensées ni qu'il songeât à les écrire; il l'a développé à l'époque même où il entra à Port-Royal, dans ce fameux Entretien avec M. de Saci, que Fontaine nous a conservé. C'est là qu'il se place entre les deux espèces de philosophie qui, dit-il, se partagent le monde : d'un côté, celle des sages, des vertueux, des stoïciens, qui serait la sienne s'il n'était chréien, car l'homme naturel est stoïcien dans Pascal; de l'autre, celle des douteurs, des railleurs, des relâchés, épicuriens et pyrrhoniens, tels que Montaigne. Et après avoir montré que ces philosophies ne sauraient ni subsister l'une sans l'autre ni s'accorder l'une avec l'autre, de manière qu'il n'y a pas, ce semble, de sagesse possible pour l'esprit humain, il trouve dans la religion, c'est-à-dire dans le dogme de la chute et de la grâce, qui est pour lui toute la religion, une sagesse supérieure où il lui paraît que les principes qui semblaient incompatibles se concilient et mettent une double vérité à la place d'une double erreur. Il faut se reporter à cet Entretien; il contient la clef des Pensées, il en est la véritable introduction 1.

Mais la philosophie n'est pas chose impersonnelle, surtout chez un pareil homme. L'esprit qui a produit en dehors de soi sa pensée ne la rapporte plus à sa source et la croit volontiers indépendante de luimême, mais il se trompe : sa thèse est ce que l'a faite son caractère, sa vie, le fond habituel de ses sentiments. Voilà le système de Pascal; ce n'est pas assez, cherchons-en les racines au fond de son âme. La plus profonde est la foi. La vie de Pascal appartient à la foi tout entière; on ne saurait trouver dans cette existence si suivie un intervalle où on puisse supposer que la foi se soit retirée de lui. On lira le témoignage de madame Perier sur sa jeunesse, et, depuis, si nous parcourons toutes les dates de son histoire, que trouvons-nous? L'affaire du frère Saint-Ange, 1647; la Prière pour le bon usage des maladies, 1648; la Lettre sur la mort de son père, 1651; Jacqueline au couvent, qui, dès la fin de 1653, réussit à attirer vers la retraite celui qui l'y

1. Le système, la méthode philosophique de Pascal, prise abstraitement, a été analysée et discutée d'une manière supérieure dans l'article Pascal du Dictionnaire des sciences philosophiques (par M. Franck). Je renvoie à ce morceau, si serré et si fort, ceux qui veulent discuter les Pensées; je ne prétends, comme je l'ai dit, que les exposer.

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