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ARGUMEN T.

L'Homme

Homme le plus heureux eft celui qui rend fon Bonheur le moins dépendant des autres, & en même temps celui qui poffede plusieurs goûts auxquels il commande. C'est l'homme qui aime l'étude & les fciences. Il eft à la fois plus indépendant & plus éclairé. Il eft des plaifirs vifs que donne la Philofophie, foit celle qui étudie la nature, foit celle qui étudie l'homme. Le Philofophe jouit même en fe trompant. Il aime l'hiftoire qui fert à l'étude expérimentale de l'homme. Il ne renonce point aux plaifirs des fens; mais il les maîtrife. La Poéfie, la Mufique, la Peinture, la Sculpture, l'Architecture, font pour lui des Louvelles fources de plaifirs.

LE BONHEUR,

POEME ALLEGORIQUE.

CHANT

I I I.

Au

Lu faîte des grandeurs, au sein de la Richeffe
Qui peut tourmenter l'homme, & l'agiter fans ceffe ?
Quel ferpent fous les fleurs fe gliffe près de lui?
Ce montre à l'œil glacé, dit mon guide, eft l'Ennui.
Du venin qu'il répand la maligne influence,
Jufque dans fon palais dévore l'Opulence.

Dans les bras du plaifir, dans le fein des Amours
Son fouffle empoifonné ternit les plus beaux jours.
Quel remede à ce mal! fans doute c'est l'étude;
Plaifir toujours nouveau, qu'augmenté l'habitude.
Aux charmes qu'elle t'offre abandonne ton cœur.
En elle reconnois la fource du Bonheur :
En elle viens puifer ce plaifir dont l'ufage,
Convient à tout état, en tous lieux, à tout âge;
Plaisir vrai, dont le fage a la femence en lui.
Malheur à l'infenfé qui l'attendant d'autrui,
Et qui de la Fortune ignorant le caprice,
De fon Bonheur fur elle a fondé l'édifice;

L'a mis dans les grandeurs, dans le fafte & les biens :
Pour rivaux il aura tous fes concitoyens.

Vers des monts escarpés à ces mots elle avance; Sur leur cîme je vois le Doute, le Silence, La Méditation à l'œil perçant & vif,

La fage Expérience au regard attentif ;

Ensemble ils affuroient par des travaux immenses, Les nouveaux fondements du palais des Sciences: Ils y portoient déjà le jour des vérités.

Ces monts par des mortels feroient-ils habités? Que vois-je à leur fommet? Des fages, reprit-elle; Ils s'abreuvent ici d'une joie immortelle.

A leur puiffante voix la Nature obéit;

Son voile eft tranfparent à l'oeil de leur efprit.
D'un pas ils ont franchi la borne qui sépare,
Le vrai le plus commun d'un vrai fin & plus rare.
Dans les fecrets du ciel leurs yeux ont fu percer;
Des effets à leur caufe, ardente à s'élancer,
Leur raifon a détruit le regne des prestiges ;
A leurs fages regards il n'eft plus de prodiges.
Semblables à des Dieux ils ont pefé les airs,
Mefuré leur hauteur, ceintré notre univers,
A d'uniformes loix affervi la Nature.

Dans la variété qui forme fa parure,

Dans l'abyme des eaux, fur les monts, dans les cieux,
Que de fecrets profonds ne s'offrent qu'à leurs yeux!
L'un examine ici quelles forces puiffantes
Sufpendent dans l'éther ces étoiles errantes :
Comment en débrouillant l'immobile chaos,
L'attraction rompit les chaînes du repos.

Cet autre a rallumé les flambeaux de la vie ;
De la rapide Mort la courfe eft ralentie:
L'art émouffe déjà le tranchant de fa faulx,
Et le Temps eft plus lent à creuser les tombeaux.
Plus loin reconnois-tu ces ames courageuses
Qui fendirent du Nord les ondes pareffeufes;
Ces flots qui, foulevés & durcis par les vents;
Surnagent fur les mers en rochers tranfparents,

Dans ces triftes climats où leur gloire se fonde,
Sur un axe plus court ils fufpendent le monde.
Que leurs vaftes travaux étonnent mon efprit!
Je fens qu'à leur afpect mon ame s'agrandit.
Ici, je pourrai donc épier la Nature,
Percer de fes fecrets la profondeur obfcure!
Je pourrai donc enfin rencontrer le Bonheur!
N'euffai-je qu'un feul goût; il fuffit à mon coeur.
Un doute cependant me faifit, & m'accable :
L'Erreur eft de nos maux la fource inépuisable,
Elle s'ouvre un accès dans le plus grand efprit:
C'est l'onde qui par-tout & filtre & s'introduit.

On la vit autrefois, chez les Romains, en Grece,
Subjuguer dans Zénon, & charmer dans Lucrece.
Le plus fage eft trompé : fouvent la Vanité

Doit mêler des ennuis à fa félicité.

Mais Defcartes m'entend: j'ai, me dit-il, moi-même,
Marché les yeux couverts du bandeau du Systême,
Remplacé par l'erreur les erreurs d'un ancien,
Bâti mon univers fur les débris du fien.

Dois-je m'en affliger? j'errai, mais comme un fage;
Et j'ai du moins marqué l'écueil par mon naufrage.
Il faut, dit Malebranche, en faire ici l'aveu;
L'on ne vit rien en moi, quand je vis tout en Dieu.
Si je n'étincellai que de fauffes lumieres,

Et fi Locke a flétri mes lauriers éphémeres;
Inftruit
par mes erreurs, il m'a pu dévancer.
C'est par l'erreur qu'au vrai l'homme peut s'avancer,
Si je me fuis trompé; fi ma raison esclave,
Des préjugés du temps ne put brifer l'entrave,
Pardonne, ô Vérité : quand j'en reçus la loi,
Je ne t'offenfois pas ; je les prenois pour toi.
Il dit, & j'apperçois plufieurs d'entre les fages,
Qui mêlent en riant fous des épais feuillages
Les voluptés des fens aux plaifirs de l'efprit.
Quel eft fous ces berceaux le Dieu qui les conduit?

L'Amour a-t-il quitté les bofquets d'Idalie,
Pour les arides monts où fe plaît Uranie?
Les fages voudroient-ils se bannir de ces lieux ?

Non: mais, dit la Sageffe, ils font dans l'âge heureux Où le Dieu de l'Amour les brûle de fes flammes: Doivent-ils, chaftes foux, les éteindre en leurs ames? Ma main entrelaffa dans le facré Vallon,

Le myrte de Vénus au laurier d'Apollon.
L'Amour est un des Dieux à qui je rends hommage,
C'est le tyran d'un fol, mais l'efclave d'un fage.
Il donne à l'un des fers, à l'autre des plaifirs.
Ici, des fens, du cœur maîtrisant les defirs,
L'heureux Anacréon, guidé par la Sageffe
Des rofes du plaifir colore fa Maîtreffe,
Dévoile fes beautés, & célebre l'Amour.
Chante voluptueux, il regne en ce féjour.
Jouiffez des beaux jours que le Printemps fait naître ;
La fleur à peine éclofe eft prête à difparoître.
En vos cœurs, nous dit-il, que l'heureux fouvenir
D'un plaifir qui s'éteint, y rallume un defir.
Caufez avec Zénon, dansez avec les Graces.
Puiffe l'Amour folâtre, empreffé fur vos traces,
De fon ivreffe en nous prolonger les inftants!
Voyez ce papillon au retour du Printemps,
Comme il voltige autour d'une rofe nouvelle,
Se balance dans l'air, fufpendu fur fon aîle,
Contemple quelque temps fa forme & fes couleurs,
Et vole fur fon fein pour ravir fes faveurs.
Ainfi lorsque l'Aurore éclairant l'hémisphere,
Vient rendre à la beauté le don heureux de plaire,
Ce papillon, c'est moi; la rofe, c'eft Doris.
Admirant de fon fein l'incarnat & les lys,
Mon avide regard contemple avec ivresse,
Son beau corps arondi des mains de la Molleffe.
Ne puis-je du defir modérer les fureurs,
Je vole entre fes bras, & ravis fes faveurs.

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