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De tout ce que la terre, ou renferme, ou produit,
Leur main a compofé le Bonheur qui le fuit.

Colomb, dans ce deffein, fend les plaines de l'onde,
Et rapporte avec lui, du fein d'un autre monde,
Et de nouveaux befoins, & de nouveaux defirs,
Germes qui produiront nos maux & nos plaifirs.
Mais, dira-t-on, quels biens produifit le commerce
D'un efpoir faftueux vainement on nous berce.
Le luxe, qui le fuit dans les états divers,
N'a-t-il pas augmenté les maux de l'univers ?
Que de maux, en effet, font prêts à s'introduire
Chez le peuple où le luxe établit for empire!
L'artifan y gémit fous le faix des impôts;
Le courage avili s'y perd dans le repos.
Le puiffant fans pudeur y brigue l'efclavage,
De fa foumiffion fon fafte eft un ôtage.

Ces fuperfluités, ce fafte, ces plaifirs,

Ces vains amufements qui charment nos loisirs,
Ce commerce, ces arts dont chaque ville abonde,
Sont moins les bienfaiteurs que les fléaux du monde.
Mais le mal que nous fait notre luxe effronté,
Au luxe proprement doit-il être imputé ?
N'eft-il pas un effet d'une caufe étrangere,
Le produit d'un pouvoir avide & fanguinaire ?
Les hommes, par leurs loix fages, ou corrompus,'
Doivent à leurs tyrans leurs vices, leurs vertus.
Dans nos heureux climats le luxe, la dépenfe,
Amuse la richeffe, & nourrit l'indigence.
Qui peut contre le luxe armer les fouverains?
Seroient-ce les plaifirs qu'il procure aux humains ?
Des utiles vertus le compagnon fidelte;

Le plaifir fur leurs pas fans ceffe nous rappelle.
Sans le plaifir enfin, pere du mouvement,
L'univers fans reffort rentre dans le néant.

É PITRE

SUR

LE PLAISIR.

A M. DE VOLTAIR E.

C'est le plaifir qui nous appelle au travail. C'est l'espérance des plaifirs qui font la fuite des richeffes & des grandeurs, qui nous porte à les chercher. Hiftoire abrégée de la Société, depuis fon origine jufqu'à l'état où elle eft parvenué, & dans lequel on voit l'amour du plaifir, mobile de toutes les actions, reffort néceffaire des Sociétés ; il en fait le bonheur & la gloire, la honte ou le malheur, felon qu'il eft dirigé par les legislateurs. La perfection de la législation eft de rendre le bonheur des individus utile au bonheur de la Société. Le defpotifme où tout a pour objet le bonheur d'un feul, & la fuperftition, qui a pour but l'empire & le bonheur des Prêtres, font également oppofés à cette bonne législation.

Quand l'homme, par fa pente entraîné vers le crime,

De defirs indifcrets, l'efclave ou la victime,
Céde au poids de fes maux qui femble l'ècraser ;
Eft-ce donc le plaifir qu'il en faut accufer?
En vain le faux dévot le bannit de la terre;
eft à tous nos maux un baume falutaire.
C'est l'éternel objet de tous nos vœux divers:

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Adorons donc en lui l'ame de l'univers!

Sa voix, qui nous appelle, à tous fe fait entendre.
Si l'efpoir d'en jouir nous fait tout entreprendre ;
Si, créateur des arts, il nous donne des goûts,
Dois-je les immoler aux caprices des foux ?

De ces arts décriés, quand l'étude féconde
N'auroit jamais donné qué des plaifirs au monde,
Ces arts auroient comblé notre premier defir.
Qui peut de fes befoins diftinguer le plaifir?
C'est un préfent du ciel fait par l'Etre faprême.
Quoi qu'en dife un dévôt, c'est un bien en lui-même.
Il en eft du plaifir ainfi que des honneurs:
Par les foins vigilants de fes difpenfateurs,
Eft-il le prix d'un acte injufte ou légitime.

Il nous porte aux vertus, ou nous entraîne au crime.
Eclairant les mortels ou trompant leur raison,
Tour-à-tour il devient & remede & poifon.
Le plaifir, dirigé par une main habile,
Dans tout gouvernement eft un reffort utile.

Aux champs Iduméens voyez cet impofteur,
Eveiller la difcorde, & répandre l'erreur :
Par quels moyens fut-il, favori de la gloire,
A fes drapeaux fanglants enchaîner la victoire?
Par quel art, abufant les crédules humains,
Echauffoit-il les cœurs de ces fiers Sarrafins,
Qui toujours affamés de fang & de carnage,
Courboient l'orgueil des rois au joug de l'esclavage?
L'univers confterné plioit fous leurs efforts.
Le fourbe, du plaifir employant les refforts,
A côté des travaux plaçoit la récompense.
Il flattoit les defirs; & sûr de leur puiffance,
Au féroce vainqueur ouvrant le paradis,
Par de-là les dangers lui montroit les houris."

Veux-tu, plus curieux, t'inftruire & mieux connoître
Les effets du plaifir, ce qu'il peut fur ton être,

Et quel principe actif, puissant & général,

De

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De toute éternité mut le monde moral?

Pénétre dans ton cœur ; que ton œil examine
De la fociété l'enfance & l'origine;

Vois ce moment où Dieu créa cet univers :

Il commande: le feu, l'eau, la terre & les mers
S'arrondiffent en globe, & l'efpace, docile

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A reçu dans fes flancs la matiere immobile.
De mille aftres épars Dieu maintenant l'accord,
porte
la chaleur, la force & le reffort.
Pour premier habitant de ce monde vifible,
Sa main a créé l'homme; il naît, il eft fenfible;
Il connoît le plaifir, & reffent la douleur,
Et déjà l'amour-propre a germé dans fon cœur.
Cet amour, en tout temps, armé pour fa défense
Même dans fon berceau protége fon enfance;
Et contre tout danger devenu fon appui,
Dans fa décrépitude il veille encor fur lui.

Je dois à cet amour ma joie & ma trifteffe,
Mes craintes, mes fureurs, mes talents, ma fageffe.
En tout temps cet amour allumant mes defirs,
Me fait fuir la douleur, & chercher les plaifirs.

Parmi ceux que je goûte il en est un suprême:
Tout autre, à fon afpect, difparoît de lui-même,
Comme un spectre léger fuit à l'aspect du jour;
Et ce plaifir fuprême eft celui de l'amour.
Ses feux brûlent Adam; il voit Eve, l'admire,
L'aime, l'embraffe, & céde au charme qui l'attire.
Il eft pere; fes fils fe nourriffent de glands.

Dans des antres profonds & creufés par le temps
L'un de l'autre d'abord écartés fur la terré,
Sans or & fans befoins, ils ont vécu fans guerre :
Victimes, ou vainqueurs des ours & des lions,
Rois ensemble & fujets dans de vaftes cantons,
Ils fuivent tous l'inftin&t de la fimple nature.
Leur nombre enfin s'accroît la terre fans culture
Déjà ne fournit plus d'affez riches préfents,
Tome Y.

K

15

Pour fauver de la faim fes nombreux habitants.
L'art vient à leur fecours; il a fouillé la mine,
Il en tire le fer, il le fond, il l'affine.

Ce métal fur l'enclume eft en foc façonné.
Attelé fous le joug le boeuf marche incliné.
Le befoin, le plaifir, fources de l'induftrie,"
Ont fécondé la plaine, émaillé la prairie,,
Embelli les jardins, & paré nos guérets

Des couleurs de Vertumne & des fruits de Palès.
La vigne croît, s'éleve, & verdit les montagnes;
Les épis ondoyants jauniffent les campagnes;
Et le travail enfin de toutes les faifons

De la ftérile terre arrache des moiffons.

Mais des premiers mortels lorfque la race entiere, D'une courfe rapide achevoit fa carriere;

Lorfqu'enfin par les ans entraînée aux tombeaux,
Elle eut cédé la terre à des mortels nouveaux :
Un nouvel art apprit à l'active avarice

A partager le champ, qui d'épis fe hériffe.
L'homme s'en rendit maître; il l'appella fon bien;
C'est alors qu'on connut & le tien & le mien;

Et

que la terre entr'eux partageant ses richesses, N'offrit plus aux humains fes communes largeffes.

Un foffé large & creux enferme leur enclos. C'est là fe livrant aux douceurs du repos,

que

Ils vivent quelque temps dans une paix profonde:-
Mais qu'il dut être court, ce temps fi cher au monde !
Dans les hameaux déjà je vois le fort s'armer:
Il veut, le fer en main, recueillir fans femer.
De fa coupable audace ofant tout fe promettre,
Aux plus rudes travaux fon orgueil vient foumettre
Le foible qui réclame en vain l'appui des Dieux.

Thėmis, dit-on, alors remonta dans les cieux.
La terre en ce moment eft livrée au pillage.
Nulle propriété qu'on ne doive au carnage.
Le vainqueur infenfible au cri de la raison,

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