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la religion, lorsqu'on s'éleve contre les perfécutions? N'est-ce pas avouer plutôt que la religion n'eft indifférente ni en elle-même, ni dans la confcience de ceux qui la profeffent? Ceux, au contraire, qui perfécutent un homme qui ne professe pas la même religion qu'eux, qui veulent lui arracher une confeffion parjure, qui le forcent à des œuvres facrileges; ceux-là, mon Révérend Pere, ne semblent-ils pas établir cette conduite fur des idées peu conféquentes aux objets que fe doit proposer un zele charitable & éclairé. L'indifférence peut-elle être reprochée à ceux qui soutiennent qu'on ne peut éviter à la religion ces outrages, & conferver à l'état des hommes qui font dans l'erreur que par la tolérance civile qui profcrit l'injure, & contient l'erreur dans le filence.

4°. La vraie notion de la liberté, dites-vous, mon Révérend Pere, telle qu'on doit l'admettre pour les moralités des actions humaines, y eft confidérablement altérée.

Mon deffein n'eft pas d'entrer avec vous dans les combats théologiques fur la nature & l'étendue du pouvoir de la liberté. Ces combats font trop périlleux. Je me bornerai à l'idée métaphyfique de la liberté ; & pour éviter toute difcuffion, je me fixerai à la définition vulgaire enfeignée dans les écoles, & dans les livres mêmes d'inftitutions philofophiques deftinés à leur usage. Libertas eft potentia rationalis ad oppofita; ce qui paroît fignifier que la liberté eft le pouvoir qu'a l'ame de délibérer pour fe déterminer avec raifon à agir, ou à ne pas agir. Il y a donc dans la liberté, pouvoir & intel ligence. Mais de quelle nature peut être ce pou

voir ? Eft-ce une force motrice ou phyfique ? me femble que ce genre de pouvoir ne peut pas être attribué à l'ame. Du moins un tel pouvoir n'a-t-il aucun rapport avec la liberté dans laquelle on ne peut reconnoître qu'une force d'intention, tendant à un choix par raifon de préférence. C'est donc la force d'intention & la raison de préférence qui conftituent le pouvoir effectif de la liberté d'un être intelligent, lorfqu'il délibere pour fe déterminer avec raison. Ainfi ce pouvoir effectif ( car je ne parle pas ici de la fimple aptitude, ou de la fimple capacité de ce pouvoir, parce qu'il s'agit de la liberté même) ce pouvoir effectif, dis-je, renferme donc la force d'intention, & le motif qui intéreffe l'ame, & qui la porte à délibérer. Ainfi l'exercice régulier de la liberté a pour objet l'intérêt bien entendu d'où il réfulte que l'exercice régulier : de la liberté n'eft effentiellement qu'un acte de l'intelligence éclairée : auffi les enfants, les imbécilles, les fous ne font-ils point reconnus pour des hommes libres. Or voilà précisément les idées de l'Auteur à qui vous reprochez d'avoir altéré la vraie notion de la liberté, quoiqu'à fes idées il ajoute, d'après St. Paul, quant au furnaturel, l'expreffion du respect religieux pour la profondeur de cette matiere.

5o. La probité & la juftice, ajoutez-vous, mon Révérend Pere, font regardées dans ce livre comme de purs effets de la fenfibilité physique & de l'intérêt.

Cette imputation n'eft pas énoncée de maniere à présenter des idées affez nettes. Parlez-vous ici des idées ou des actes de probité & de juftice? Les idées de la justice & de la probité doivent se

rapporter à l'évidence, & les actes doivent se rapporter à la liberté. Dans l'un & l'autre cas que trouvez-vous dans le livre de l'Esprit qui foit contraire à la vérité & à la morale? Seroit - ce fon opinion fur la nature de l'évidence? Mais avant que nous puiffions adopter la vôtre, il faut que vous ayez la bonté de nous l'expliquer, & que vous difiez fincérement fi vous la foutenez comme de foi; car il est important de ne pas confondre dans vos imputations les vérités de religion avec les opinions philofophiques.

6°. Les paffions y font tellement exaltées, qu'on traite de ftupide quiconque cesse d'être passionné.

Vous ne pouvez pas vous diffimuler que dans le langage philofophique, & notamment dans le livre dont il est question, le mot de paffions ne fignifie pas les affections déréglées, mais fimplement les affections vives de l'ame, qui peuvent devenir criminelles ou vertueufes felon leur objet. Or fous ce point de vue pouvez vous douter que l'activité morale ne foit le principe des qualités & des vertus morales, comme la ferveur eft la fource des vertus chrétiennes; ferveur & activités, paffions précieuses qui font les faints & les grands hommes. La tiédeur est abhorrée dans la piété. L'inertie doit être profcrite par la morale humaine & par la politique. Ferez- vous des guerriers redoutables fans un amour vif de la gloire des commerçants induftrieux fans un defir vif des richeffes, &c. ? Vous ne pouvez pas vous cacher, mon Révérend Pere, que c'eft dans ce fens que l'Auteur dit que les paffions font les contrepoids qui meuvent le monde moral,

Le refte de vos imputations eft fi vague, qu'on ne peut pas y répondre d'une maniere précise. Vous dites qu'on trouve dans ce livre des principes dont on pourroit tirer de mauvaises conféquences. Mais quels font les principes dont on ne tire pas de mauvaises conféquences quand on veut en abufer? Vous dites qu'en parlant contre les détracteurs de la science, l'Auteur ne diftingue pas la fauffe curiofité d'avec les études louables; mais que m'importe? Parmi les favants que ces détracteurs ont perfécutés, je vois qu'il cite Socrate, Galilée, Defcartes. Ces gens-là n'avoient-ils qu'une fauffe curiofité? Vous condamnez la logique de l'Auteur fur les conclufions du particulier au général. Je vous confeille cependant, mon Révérend Pere, de vous déterminer à ne jamais conclure autrement, quand yous raisonnerez d'après des faits. Comme il n'eft pas aifé d'avoir tous les faits particuliers poffibles qui concourent à former un résultat général, il faut bien fe contenter d'en avoir une quantité fuffifante pour établir une probabilité. Alors, quoi qu'en dife la logique, on fait bien de conclure, & l'on a trèsbien raisonné. Au refte, mon Révérend Pere, je ne me mêlerai pas de défendre le livre de l'Esprit fur les critiques philofophiques ou littéraires : c'eft à l'ouvrage à fe défendre lui-même de ce côté-là. Mais qui pourroit ne pas juftifier avec zele un citoyen estimable, lorfque fon honneur & fa religion font attaqués par des imputations injuftes?

J'ai l'honneur d'être, &c.

ANALYSE

ANALYSE

De la Lettre précédente, faite par le Journaliste de Trévoux.

Cette Lettre a été faite pour la défense du livre de

l'Esprit preuve manifefte qu'on défend tout ce qu'on veut, quand on ne s'embarrasse point de dire des vérités, & qu'on garde l'incognito (1).

Elle n'attaque point les grandes Analyses que nous avons données du livre de l'Esprit, dans nos Mémoires d'Octobre & de Novembre. Elle s'attache à la petite notice inférée vers la fin du Journal de Septembre ; notice destinée à faire connoître fommairement que l'Esprit n'étoit sûr ni en métaphyfique, ni en religion, ni en morale, ni en politique.

Nous commencions cette critique littéraire par defirer que l'Auteur de l'Esprit eût voulu nous inftruire des devoirs qu'impofe la loi naturelle, de la diftinétion primitive & essentielle du bien & du mal, &c. Sur quoi on vient ici nous difputer tous les premiers principes des loix. On nous dit que l'idée de la loi naturelle eft vague, abftraite, nulles ment liée aux caufes qui déterminent l'établissement des loix pofitives. On prétend que la loi naturelle s'interprete diverfement par les hommes; que par cette raifon il a fallu des loix pofitives pour fixer leur conduite. On ajoute qu'il y a dans tous les gouvernements des vices établis, & des vertus profcrites par les loix; qu'il faut néanmoins obéir aveuglé ment, &c.

(1) Que veut dire ce regret de l'incognito ? C'est au moins une imprudence de la part du Journaliste. Que fait un nom à la vérité ? C'eft d'elle uniquement dont il s'agit.

Tome V

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