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DE LA

LIBERTÉ

E T DE L'INTÉRÊT.

J'ai peu de chofes à ajouter fur ce fujet, à ce qu'a

dit l'Auteur de la Lettre au Journaliste; car la liberté n'eft certainement, comme il l'a définie après toutes les écoles, que le pouvoir qu'a l'ame de délibérer pour le déterminer avec raifon. Le Journaliste dira-t-il que c'eft le pouvoir de délibérer pour se déterminer fans raifon ? Il paroît que tel eft fon fentiment; car il affure qu'en fuppofant une intelligence éclairée fur fon intérêt bien entendu, il n'y auroit jamais de choix véritable. La lumiere, felon lui, interdit donc la contrariété des volontés indécifes qui engagent à délibérer. Ainfi il faut être aveugle pour être libre; dès qu'il y aura lumiere il n'y aura plus de liberté. Pour nous prouver cette idée finguliere, le Journaliste nous affure que deux hommes également éclairés choifiroient toujours de la même façon. Mais pourquoi chercher deux hommes ? Il suffit d'envisager seulement un même homme dans la vivacité des appétits, & dans l'état de fatiété, dans la violence des paffions, & dans le calme, pour juger fi, avec le même degré de lumiere, il fe décidera toujours pour le bien fans des fecours furnaturels.

Dans l'hypothefe d'une intelligence éclairée, dit le Journaliste, la volonté ne s'égareroit jamais. En effet, fi l'on fuppofe un homme fans paffions d'aucune espece, & auquel la droite raison faffe voir conftamment & vivement dans toutes les circonf

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tances fon intérêt dans la pratique de fes devoirs, fa volonté ne s'égarera jamais, & il n'en fera pas moins libre. Il aura toujours le pouvoir de délibérer pour fe déterminer avec raifon; & l'exercice de Sa liberté fera toujours régulier, parce qu'il sera dirigé par fon intelligence éclairée fur fon intérêt bien entendu.

On ne peut voir fans étonnement combien de petites rufes employe ce Journaliste pour defigurer l'endroit dont il eft queftion. Il fupprime le mot régulier, qu'on joint à celui d'exercice de la liberté; il en fait de même de l'épithete bien entendu, qui caractérise le mot d'intérêt. Et c'eft ainfi que ce prêtre critique en use ordinairement. Croitil donc honorer fon état & fa fonction par ces supercheries subalternes ?

Tous les moralistes conviennent que les hommes font déterminés à toutes leurs actions par un intérêt quelconque. L'Auteur de l'Esprit en conclut que le grand art du législateur eft d'intéreffer les hommes à l'obfervation des loix, & à ces facrifices apparents de l'intérêt personnel, auxquels les peuples & la patrie doivent fouvent leur confervation & leur bonheur. Mais le Journaliste prétend que le principe de l'intérêt eft irréligieux & frivole, & que les hommes doivent fe conduire par des motifs qui ne foient pas intéreffants. Il faut donc qu'il ait la bonté de nous expliquer quels font ces motifs indifférents, ces motifs qui ne font pas des motifs.

Notre foible raifon ne conçoit pas quels peuvent être des motifs qui n'ont nul objet d'amour, ou nul intérêt de haine, d'efpérance, de crainte, de délectation, de rétribution, d'attrait pour la vertu,

pour

pour l'honneur & pour la gloire, d'averfion pour le vice, le mépris & l'infamie.

Surement les législateurs ignorent cette métaphyfique. La fanction des loix pofitives n'admet que des idées fenfibles, que des motifs intéreffants. Et la loi naturelle même ne feroit-elle pas inefficace, fi le grand législateur ne lui avoit pas affuré une dot? Mais ces idées du Journaliste font trop visiblement éloignées de la raifon pour nous y arrêter plus long-temps.

Tome V.

A a

DE LA PER SÉCUTION.

L'Auteur de l'Esprit s'éleve contre la perfécution

avec une force qui mérite la reconnoiffance de tous ceux qui ont quelque fentiment humain. Après avoir fait une peinture auffi touchante que vraie des maux qu'un zele aveugle & barbare a fait aux hommes dans les différentes religions, il s'écrie: » Quel » homme vertueux, & quel chrétien, fi fon ame » tendre eft remplie de la divine onction qui s'exhale » des maximes de l'évangile, s'il eft fenfible aux » plaintes des malheureux, & s'il a quelquefois ef» fuyé leurs larmes, ne feroit point à ce spectacle » touché de compaffion pour l'humanité « !

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Ce font là, dit le Journaliste, les nuances d'une haine profonde contre le chriftianifme, c'est le vœu d'une indifférence totale en matiere de religion.

Il faut que le droit d'égorger ceux qui ne penfent pas comme lui foit bien cher à ce critique, pour qu'il ofe fe faire l'apologiste de cette fureur qui a tant fait gémir les peuples, & n'a pas même épargné les rois, les états, les tribunaux fouverains.

Ce font ces perfécutions féditieuses qui ont excité dans les nations tant de troubles, de révoltes, de guerres, de maffacres, de maffacres, d'incendies, de pillages, d'ufurpations, & pour lefquelles les chefs de l'églife & le Clergé marquent aujourd'hui tant d'éloignement. L'idée de la loi naturelle, de la juftice. divine imprimée dans le cœur de tous les hommes, peut-elle donc fe concilier avec ce zele & cette piété effrénée qu'on impute à la religion, & qui

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font incompatibles avec elle ? Ce fanatisme détestable ne détruit-il pas toute idée de religion & d'équité? On ne peut l'appuyer fur d'autre titre que celui de la foumiffion, qui s'arrache par la violence, & ce droit affreux ne peut s'exercer que par le double crime de celui qui perfécute & de celui qui obéit. Mais les bons gouvernements font avertis de fe précautionner contre la perfécution par les maximes mêmes enfeignées dans les états où elle regne, & par les effets terribles de la perfécution dans ceux où les différentes religions s'attribuent le droit de perfécuter.

La violence de la perfécution n'eft point une prérogative particuliere de la vraie religion, & c'est fous ce point de vue que la politique civile doit l'envisager.

Les Jurieu & les Boffuet réclamoient également le droit de perfécution, & follicitoient également la puiffance temporelle à perfécuter. Sous le regne d'Elifabeth on perfécutoit les catholiques en Angleterre; en France on perfécutoit les hérétiques. Là on perfécutoit l'ancienne religion; ici c'étoient les nouvelles opinions: les uns blâment la conduite d'Elifabeth, les autres défapprouvent celle da Charles IX.

Il n'y a point de juges fur la terre pour décider du droit exclufif de perfécuter, c'eft la loi du plus fort. Toutes les religions enfeignées fe l'attribuent; mais cette prétention injufte eft par-tout anéantie par cette loi d'équité & de paix qu'aucune religion n'oferoit rejetter, & fur laquelle elles s'appuyent toutes, parce qu'elle eft la jurifprudence univerfelle, la religion divine intimée à tous les hommes.

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