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premiere entrée dans le monde, voit les patriotes languir dans le mépris, la mifere & l'oppreffion; s'il apprend que, haïs des Grands & des riches, les hommes vertueux tarés à la ville, font encore bannis de la cour, c'eft-à-dire, de la fource des graces, des honneurs & des richeffes ( qui fans contredit font des biens réels), il y a cent à parier contre un que mon fils ne verra dans inoi qu'un radoteur abfurde, qu'un fanatique auftere, qu'il méprisera ma perfonne, que fon mépris pour moi réfléchira fur mes maximes, & qu'il s'abandonnera à tous les vices que favorisent la forme du gouvernement & les mœurs de fes compatriotes.

Qu'au contraire, les préceptes donnés à fon enfance lui foient rappellés dans l'adolefcence, & qu'à fon entrée dans le monde un jeune homme y voie les maximes de fes maîtres honorées de l'approbation publique; plein de refpect pour ces maximes, elles deviendront la regle de fa conduite; il fera

vertueux.

En Turquie, toujours en crainte, toujours exposé à la violence, un citoyen peut-il aimer la vertu & la patrie? S'il eft fans ceffe obligé de repouffer la force par la force pour affurer fön bonheur; peu lui importe d'être jufte; il lui fuffit d'être fort. Or dans un gouvernement arbitraire, quel eft le fort? Celui qui plaît aux defpotes & aux fous-defpotes. Leur faveur eft une puiffance. Pour l'obtenir, rien ne coûte. L'acquiert-on par la baffeffe, le menfonge & l'injuftice? On eft bas, menteur & injufte. L'homme franc & loyal, déplacé dans un tel gouvernement, y feroit empalé avant la fin de l'année. S'il n'eft point d'homme qui ne redoute la douleur & la mort,

tour fcélérat peut toujours en ce pays juftifier la conduite la plus infame.

Des befoins mutuels ont forcé les hommes à fe réunir en fociété. S'ils ont fondé des villes, c'eft qu'ils ont trouvé plus d'avantage à fe raffembler qu'à s'ifoler. Le defir du bonheur a donc été le feul principe de leur union. Or ce même motif doit forcer de se livrer au vice, lorfque, par la forme du gouvernement, les richeffes, les honneurs, & la félicité en font les récompenfes.

Quelque infenfible qu'on foit à l'amour des richeffes & des grandeurs, il faut, dans tout pays où la loi impuiffante ne peut efficacement protéger le foible contre le fort, où l'on ne voit que des oppreffeurs & des opprimés, des bourreaux & des pendus, que l'on recherche les richeffes & les places, finon comme un moyen de faire des injuftices, au moins comme un moyen de fe fouftraire à l'oppreffion.

Mais il eft des gouvernements arbitraires où l'on prodigue encore des éloges à la modération des fages & des héros anciens; où l'on vante leur défintéreffement, l'élévation & la magnanimité de leur ame. Soit: mais ces vertus y font paffées de mode; la louange des hommes magnanimes eft dans la la bouche de tous & dans le cœur d'aucun. Perfonne n'eft dans fa conduite la dupe de pareils éloges,

A quoi fe réduifent dans un gouvernement defpotique les confeils d'un pere à fon fils, à cette phrafe effrayante; » Mon fils, fois bas, rampant, » fans vertus, fans vices, fans talents, fans carac

tere. Sois ce que la cour veut que tu fois; & cha

que inftant de la vie fouviens-toi que tu es ef» clave <<.

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Je veux qu'un Lacédémonien eût, du temps de Xerxès, été nommé inftituteur d'un seigneur Persan. Que fût-il arrivé? qu'élevé dans les principes du patriotisme & d'une frugalité auftere, le jeune homme odieux à fes compatriotes, eût, par fa probité mâle & courageufe, mis des obftacles à fa fortune.» O Grec, trop durement vertueux, fe fût » alors écrié le pere, qu'as-tu fait de mon fils! tự » l'as perdu. Je defirois en lui cette médiocrité d'ef » prit, ces vertus molles & flexibles auxquelles » on donné en Perfe les noms de fageffe, d'efprit," » de conduite, d'ufage du monde, &c. Ce font de

beaux noms, diras-tu, fous lefquels la Perfe dé» guife les vices accrédités dans fon gouvernement. » Soit. Je voulois le bonheur & la fortune de mon » fils. Son indigence, ou fa richeffe; fa vie ou fa » mort dépend du prince : tu le fais: il falloit done" » en faire un courtifan adroit ; & tu n'en as fait, » qu'un héros & un homme vertueux «. Tel eût été le difcours du pere. Qu'y répondre ? Quelle plus grande folie euffent ajouté les prudents du pays, que de donner l'éducation honnête & magnanime à l'homme deftiné par la forme du gouvernement à n'être qu'un courtifan vil & un fscélérat obscur.

Il s'enfuit donc qu'en tout pays où la vertu eft odieufe au puiffant, il eft également inutile & fou de prétendre à la formation de citoyens honnêtes.

CA

CHAPITRE

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X.

Toute réforme importante dans la partie morale de l'éducation en fuppofe une dans les loix & la forme du gouvernement.

Propofe-t-on dans un gouvernement vicieux un

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bon plan d'éducation ? Les préceptes de cette éducation nouvelle font ils en contradiction avec les mœurs & le gouvernement? Ils font toujours réputés mauvais. En quel moment feroit-il adopté ? Lorsqu'un peuple éprouve de grands malheurs, de grandes calamités, & qu'un concours heureux & fingulier de circonftances fait fentir au prince la néceffité d'une réforme.

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Quelques hommes illuftres ont jetté de grandes lumieres fur ce fujet; & l'éducation est toujours la même. Pourquoi ? C'eft qu'il fuffit d'être éclairé pour concevoir un bon plan d'inftruction; & qu'il faut être puiffant pour l'établir. Qu'on ne s'étonne donc pas fi dans ce genre les meilleurs ouvrages n'ont point encore opéré de changement fenfible. Mais ces ouvrages doivent-ils, en conféquence être regardés comme inutiles? Non : ils ont réellement avancé la fcience de l'éducation. Un méchanicien invente une machine nouvelle; en a-t-il calculé les effets & prouvé l'utilité? La fcience eft perfectionnée. La machine n'eft point faite elle n'eft encore d'aucun avantage au public; mais elle

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eft découverte. Il ne s'agit que de trouver le riche qui la faffe conftruire; & tôt ou tard ce riche fe

trouve.

Qu'une idée fi flatteuse encourage les philofophes à l'étude de la fcience de l'éducation. S'il eft. une recherche digne d'un citoyen vertueux, c'eft celle des vérités dont la connoiffance peut être un jour fi utile à l'humanité. Quel efpoir confolant dans fes travaux que celui du bonheur de la poftérité! Les découvertes en ce genre font comme autant de germes, qui, dépofés dans les bons efprits, n'attendent qu'un événement qui les féconde; & tôt ou tard cet événement arrive.

L'univers moral est aux yeux du ftupide dans un › état conftant de repos & d'immobilité. Il croit que tout a été, eft, & fera comme il eft. Dans le paffé & l'avenir, il ne voit jamais que le préfent, Il n'en eft pas ainfi de l'homme éclairé. Le monde moral lui présente le spectacle toujours varié d'une révolution perpétuelle. L'univers toujours en mou-“ vement lui paroît forcé de íe reproduire fans ceffe fous des formes nouvelles, jusqu'à l'épuisement total de toutes les combinaisons, jufqu'à ce que tout ce qui peut être, ait été, & que l'imaginable ait exifté.

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Le philofophe apperçoit donc dans un plus ou moins grand lointain le moment où la puiffance adoptera le plan d'inftruction présenté par la fageffe. Qu'excité par cet efpoir, le philofophe s'occupe d'avance à fapper les préjugés qui s'opposent à l'exécution de ce plan.

Yeut-on s'élever un magnifique monument? il faut, avant d'en jetter les fondements, faire choix.

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