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Cependant jufqu'au pied de la roche fatale,
Où gronde le tonnerre, où la Fortune étale
Ces titres, ces honneurs, fi chers aux préjugés,
Tous les ambitieux s'étoient déjà rangés.

Prêts à l'efcalader, ils s'avancent en foule.

La terre fous leurs pas, mugit, tremble, s'écroule;
L'un échappe au danger, & gravit fur les monts;
L'autre tombe englouti fous des gouffres profonds.
Je vois briller l'acier dans ces mains meurtrieres,
Les Séjans orgueilleux frappés par les Tiberes;
Les Aarons à leurs pieds renverser les Dathans,
Les Bajazets tomber aux fers des Tamerlans.

Dans mon cœur détrompé tout portoit l'épouvante; L'Effroi glaçoit mes fens; quand de fa main puiflante, L'inconftante Déeffe, un bandeau fur les yeux, Saififfant au hafard un de ces orgueilleux, Elle-même le place au plus haut de fon trône. C'eft-là que fous le dais l'ambitieux s'étonne

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Se plaint d'être à ce terme, où fon cœur doit fentir
Le malheur imprévu d'exifter fans defir.

Eh quoi dit-il, frappé de terreurs légitimes,
Confumé de remords allumés par mes crimes,
Entouré d'ennemis prêts à me déchirer,
J'aurai donc tout à perdre, & rien à defirer?

Oui ces ambitieux à qui l'on rend hommage
Sages aux yeux du fou, font foux aux yeux du fage.
Il vous dira qu'un Grand n'eft rien fans la vertu ;
Que de quelque fplendeur qu'un Dieu l'ait revêtu,
Il n'eft à fes regards qu'un léger météore,
Qui brille de l'éclat du feu qui le dévore.
Grand, accablé d'ennuis, affaiffé fous leur poids,
Tu fouffres chaque inftant les maux que tu prévois,
Je fuis de tes tourments le fpectacle funefte;
Sageffe, arrache-moi d'un lieu que je détefte.
La terre s'ouvre alors; la mer monte & mugit;
L'Ambition s'envole, & le mont s'engloutit.

LE BONHEUR,

POE ME

ALLEGORIQUE.

CHANT II

ARGUMENT

Les richeffes font moins des biens réels que le · moyen d'en acquérir; les rechercher pour ellesmêmes, c'est n'en pas connoître l'ufage. Le ri che ignorant éprouve l'ennui, le mépris des hommes à talents, des favants. Il ne faut point de connoiffances dans une fortune bornée; la nature indique les jouiffances. Il faut des lumieres pour jouir d'une grande fortune, qui ne fer roit qu'à charge, fi elle ne donnoit de nouveaux goûts. Recherchez donc le commerce des philofophes & de's favants: Apprenez à penser avec eux, en vous défiant de leurs fyftêmes. Les Stoïciens ont placé le Bonheur dans le calme d'une ame impaffible; état chimérique dont l'Orgueil veut perfuader l'existence, fans en être persuadé lui-même,

LE BONHEUR,

POEME ALLEGORIQUE.

CHANT 1 I.

Si l'Amour, fes plaifirs, le pouvoir, la grandeur,

N'ouvrent point aux mortels le temple du Bonheur
Faudra-t-il le chercher au fein de la richeffe ?
On ne l'y trouve point, repliqua la Sageffe.
La richeffe n'eft rien : fes ftériles métaux

N'enferment en leur fein ni les biens, ni les maux.
L'or a fans doute un prix qu'il doit à fon usage;
Echange du plaifir entre les mains du Sage,
Dans celles de l'Avare, il l'eft du repentir.

Sans attrait pour les arts, de quoi peut-il jouir?
Non, ce n'eft pas pour lui que Bouchardon enfante,
Que Rameau prend la lyre, & que Voltaire chante;
Qu'Uranie a tracé le plan des vaftes cieux;
Que fur fon rọc encore aride & nébuleux,
Fontenelle répand les fleurs & la lumiere ;

Et qu'au pied d'un ormeau, le front orné de lierre,
Il inftruit les Bergers à chanter leur plaifir.
L'opulent accablé du poids de fon loifir,

Aux dégoûts, à l'ennui, conduis par l'Ignorance,

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