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M. DE LA FONTAINE A M. VERGIER.

ÉPÎTRE.

1687.

C'est pitié, monsieur, que de nous autres mortels : nous avons beau nous munir de préparatifs contre les attaques des passions, elles nous emportent à la première occasion qui se présente, comme si nous n'avions fait aucune résolution de nous défendre. Voilà un commencement bien moral, je ne sais si la suite sera pareille. Qu'avoit à faire M. d'H..... de s'attirer la visite qu'il eut dimanche, et que ne m'avertissoit-il? Je lui aurois représenté la foiblesse du personnage, et lui aurois dit que son très-humble

consumer trois ou quatre jours en distractions rêveries dont on a fait des contes dans tout Paris. Vous conterez, s'il vous plaît, à la campagne l'Iliade de mes malheurs. Non que je veuille vous attrister, tous tant que vous êtes; quand je le voudrois, on ne plaint guère les gens de mon âge qui tombent dans ces erreurs.

Ma lettre vous fera rire.
Je vous entends déjà dire,
Cet homme n'est-il pas fou?
Dans l'entreprise qu'il tente,
Il est plus près du Pérou
Qu'il n'est du cœur d'Amarante.

serviteur étoit incapable de résister à une fille de Vous avez raison d'en parler ainsi, j'en conviens,

quinze ans, qui a les yeux beaux, la peau délicate et blanche, les traits du visage d'un agrément infini, une bouche et des regards... je vous en fais le juge, sans parler de quelques autres merveilles sur lesquelles M. d'H..... m'obligea de jeter la vue. Que ne me fit-il la description tout entière de mademoiselle de B...... je serois parti avant le dîner; je ne me serois pas écarté de trois lieues comme je fis, ni n'aurois pas été comme un idiot me jeter dans Loure, c'est-à-dire dans un village qui n'en est éloigné que d'un quart de lieue, et plus loin de Paris que n'en est Bois-le-Vicomte. J'avoue que la pluie me fit arrêter plus de deux heures à Aunoy. J'étois encore à cheval qu'il étoit près de dix heures du soir; et un laquais, le seul homme que je rencontrai, m'apprit de combien j'avois quitté la vraie route. Il me remit dans la voie, en dépit de mademoiselle de B..... qui m'occupoit tellement, que je ne songeois ni à l'heure ni au chemin, si bien que, ne pouvant gagner Paris, qui étoit à plusieurs lieues, il fallut gîter au village. Vous voyez, monsieur, que sans la visite qu'elle vous fit, je n'aurois pas eu un gîte, dont il plaise à Dieu de nous délivrer. J'eus beau dire l'Oraison de saint Julien, mademoiselle de B.... fut cause que je couchai dans un malheureux hameau. Elle m'a fait

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Amarante est jeune et belle;
Je suis vieux sans être beau,
Et vais pour quelque cruelle
M'embarquer tout de nouveau.
Plus je pense en mon cerveau
De combien peu d'apparence
Seroit pour moi l'espérance
De la toucher quelque jour,
Plus je vois que c'est folie
D'aimer nymphe si jolie
Sans être le dieu d'Amour.
Amarante et le printemps
Ont un air qui se ressemble :
Voici comme je prétends
Que l'on les compare ensemble.
Par les lis premièrement
J'entame le parallèle,
Et soupçonne aucunement
Ceux qu'Amarante recèle.
Je suis trompé si son sein
N'en est un plein magasin :
Le mal est que ce sont choses
Pour vous et moi lettres closes.
Nous sommes simples mortels;

Dunkerque; mais cette voluptueuse nonchalance, qui avait pour lui tant d'attraits, l'empêcha d'arriver à de plus hauts emplois, et de s'adonner même sérieusement à la poésie qu'il aimait beaucoup; car le plaisir qui résultait pour lui d'une occupation régulière lui semblait bientôt dépourvu d'une partie de son charme. Le 23 août 1720, Vergier fut assassiné d'un coup de pistolet, à minuit, rue du Boutdu-Monde; il revenait de souper chez un de ses amis.

Il faut offrir des autels
A ces lis; nul diadême
N'est digne d'en approcher,
Bien moins encor d'y toucher,
Et crois que Jupiter même,
Tout Jupiter qu'il se dit,
N'en auroit pas le crédit,
Sans l'hymen et son attache.
Ces endroits délicieux

Pour nos mains et pour nos yeux
Ne sont pas faits, que je sache.
Que ne suis-je de ces dieux
Nommés rois en ces bas-lieux !
Bientôt pour moi ces deux titres,
A la belle dédiés,

Se verroient mis à ses pieds;
Et vous bientôt vous auriez
Le revenu de deux mîtres;

L'une est Saint-Germain-des-Prés,
L'autre est Saint-Denis en France.
Voilà votre révérence
Ayant musique, où l'on va
Plus souvent qu'à l'Opéra :
L'on n'y reçoit que les bonnes
Et les honnêtes personnes,
C'est à vous sagement fait :
Hélas! ce n'est qu'un souhait
Votre table est renversée,
Votre marmite est cassée :

Peu chanceux, et vous et moi,
Nous n'avons eu de nos vies,
Moi, l'encolure d'un roi,
Ni vous celle, en bonne foi,
D'un homme à deux abbayes.
Pour revenir à nos lis,

Ils sont relevés de roses,
Ceux-là sont nouveau fleuris,
Celles-ci sont frais écloses.
Ici la comparaison
De la nouvelle saison
Cloche un peu, je vous l'avoue,
Et la beauté que je loue,
Par ses trésors éclatants,
Fait bonte à ceux du printemps.
Comment pourrai-je décrire
Ses regards si gracieux ?
Il semble, à voir son sourire,
Que l'Aurore ouvre les cieux.
Il faut aimer Amarante
D'une ardeur persévérante :
Adieu, volages amours,
Selon l'objet, la constance ;
Celle-ci, j'en ai croyance,

M'arrêtera pour toujours.
Si ceci plaît à la belle,
Dites-lui que les neuf Sœurs
M'ont promis d'avoir pour elle
De pleins amas de douceurs.
Cette saison printanière
Ne sera pas la dernière
Des comparaisons qu'Amour
Va m'inspirer à sa cour.
Une autre fois, je l'espère,
Je ferai, moyennant Dieu,
Quelque reine de Cythère
D'Amarante de Beaulieu.

Je n'ai pas besoin de vous exhorter à prendre la chose un peu moins tragiquement que ne le porte mon aventure. Il me semble même que ces vers-là ne sont nullement tragiques. Vous pourrez vous en moquer tant qu'il vous plaira, je vous le permets; et si cette jeune divinité, qui est venue troubler mon repos, y trouve sujet de se réjouir, je ne lui en saurai pas mauvais gré. A quoi servent les radoteurs, qu'à faire rire les jeunes filles? Si mademoiselle de G... est encore à Bois-le-Vicomte, je vous conjure de lui dire de ma part, que sa présence doit avoir fort embelli un lieu auquel je ne croyois pas qu'il se pût rien ajouter. Vous ornerez ce discours des choses les plus gracieuses que vous pourrez, et que vous jugerez les plus convenables à une personne que les Grâces ne quittent point. Je suis, etc.

RÉPONSE

DE M. VERGIER A M. DE LA FONTAINE.

1687.

N'en soyez point en peine, monsieur, le récit de vos malheurs n'a point fait verser de larmes on a eu sur cela toute la fermeté que vous pouvez désirer; et il n'est pas jusqu'à mademoiselle d'H..... qui, toute bonne qu'elle est, n'en ait été divertie; enfin tout le monde en a ri, personne n'en a été surpris.

Que vous vous trouviez enchanté
D'une beauté jeune et charmante,
L'aventure est peu surprenante.

Quel âge est à couvert des traits de la beauté?
Ulysse, beau parleur, ni moins vieux, ni moins sage
Que vous pouvez l'être aujourd'hui,
Ne se vit-il pas, malgré lui,

Arrêté par l'amour, sur maint et maint rivage?
Qu'en quittant cet objet, dont vous êtes épris,

Sur le choix des chemins vous vous soyez mépris,
L'accident est encor moins rare;

Et qui pourroit être surpris
Lorsque La Fontaine s'égare?

Tout le cours de ses ans n'est qu'un tissu d'erreurs,
Mais d'erreurs pleines de sagesse ;
Les plaisirs l'y guident sans cesse

Par des chemins semés de fleurs.

Les soins de sa famille, et ceux de sa fortune,
Ne causent jamais son réveil ;
Il laisse à son gré le soleil
Quitter l'empire de Neptune;

Il dort tant qu'il plaît au sommeil.

Il se lève au matin, sans savoir pourquoi faire :
Il se promène ; il va sans dessein, sans objet,
Et se couche le soir, sans savoir d'ordinaire
Ce que dans le jour il a fait.

On s'étonne seulement, monsieur, que vous ne vous soyez égaré que de quatre lieues; selon l'ordre et selon les lois du mouvement, étant une fois ébranlé, vous deviez aller sur la même ligne tant que terre et votre cheval auroient pu vous porter, ou du moins jusqu'à ce que quelque muraille opposée à votre passage, en vous heurtant, vous fît changer de route; et cette présence d'esprit doit désormais vous justifier des distractions dont on vous accuse.

En parlant d'Ulysse, j'ai fait réflexion que le titre d'Odyssée conviendroit peut-être mieux à vos aven- | tures que celui d'Iliade que vous leur donnez; et les erreurs de ce héros ne me paroissent pas avoir peu de rapport avec votre voyage. Je ne trouverois qu'une différence entre Ulysse et vous:

Ce héros s'exposa mille fois au trépas;

Il parcourut les mers presque d'un bout à l'autre,
Pour chercher son épouse et revoir ses appas:
Quels périls ne courriez-vous pas
Pour vous éloigner de la vôtre ?

Mais la différence est petite, et il falloit bien que cette comparaison cût le sort de toutes les autres, c'est-à-dire qu'elle clochât un peu. Vous êtes bien plus juste dans les vôtres. Celle du printemps est charmante et celle de l'aurore est riante au possible. Enfin l'une et l'autre sont telles qu'elles pourroient bien avoir fait des affaires. Je me doute fort qu'une dame et une demoiselle qui sont ici ne les ont point vues sans envie. C'est chose étrange dans ce sexe, que l'ambition d'être la plus belle. Mais vous avez un bon moyen de vous remettre en grace.

De votre muse ravissante

Les chants, les discours séducteurs,

Apaiseront par leurs charmes flatteurs, Cette tempête menaçante :

Un encens bien moins précieux Que n'est celui que votre main présente, Calma cent fois la colère des dieux.

Après tout, monsieur, c'est bien le moins que je doive à vos présents que de vous en remercier. Vous êtes le premier homme du monde pour les châteaux en Espagne; et puisque vos rêveries sont si agréables, je ne m'étonne pas que vous vous y plaisiez tant. C'est un mal qui se communique; et je vous avoue qu'en lisant votre lettre, je n'ai pu me défendre d'y tomber.

De

Tout indigne que je me sens

Des biens que m'ont donnés vos songes,
J'ai quelque temps abandonné mes sens
A de si doux et si plaisants mensonges.
Déjà mon esprit prévenu

vos riches bienfaits régloit le revenu ;
Déjà dressant des équipages,

Je me donnois jusqu'à des pages;
Et digne nourrisson de l'aise, du sommeil,
Je me trouvois d'autres vertus encore,
Vertus des abbés seulement,

Et que tout autre humain ignore.

Mais enfin, en moins d'un moment,

La raison, qui nous sert bien moins à nous conduire
Qu'à nous persécuter toujours cruellement,
Est venue à mes yeux détruire,
Du faîte jusqu'au fondement,
Un édifice si charmant.

Je n'ai pourtant pas tant perdu, et de cela il me reste une chose que j'estime infiniment : c'est le plaisir de savoir que vous me voulez du bien, et que vous avez, en quelque manière, pour moi, les senments d'amitié que j'ai pour vous. J'ai fait voir votre lettre à mademoiselle de B... Sa jeunesse et sa modestie ne lui ont pas permis de dire ce qu'elle en pensoit; mais je ne doute pas que des douceurs si bien apprêtées ne l'aient beaucoup touchée. M. et madame d'H... m'ont chargé de vous faire leurs compliments. Votre lettre leur a fait un plaisir infini, et je pense que la campagne, qu'ils aiment déjà tant, les charmeroit bien davantage s'ils y étoient souvent régalés de pareilles lectures. Mademoiselle G... me charge de vous dire, monsieur, qu'elle n'est fàchéc de n'avoir pas toutes les grâces dont vous la loucz que parce que ce défaut l'empêche de vous remercier comme vous le méritez. Je suis, etc.

Les richesses qu'elle amène :

Bois par bosquets dispersés,

A MONSIEUR LE DUC DE NOAILLES.

1718.

Je ne rêve que campagne;
Pour cet innocent séjour,

Je bâtis nuit et jour

Mille châteaux en Espagne.
Sur cela, mes visions
Forment plus d'illusions
Qu'une ambitieuse mère
N'en enfante et n'en nourrit
Pour un fils qu'elle chérit;
Réalisez ma chimère,

D'un seul mot vous le pouvez :
En main, seigneur, vous avez
Et la forme et la matière ;
Même à ce mot plein d'appas,
Sans y songer, n'allez pas
Donner sa puissance entière :
Car tant de force il prendroit,
Qu'à l'instant il me rendroit
Le souverain et le maître
D'un palais dont la splendeur,
Et dont la vaste grandeur
M'incommoderoient peut-être.
Je ne veux qu'une maison,
Dont la plus saine raison,
Selon mon rang, ma naissance,
Règle la magnificence :
Qu'en un petit bâtiment,
Un modeste ameublement,
Sans égard aux goûts de mode,

N'ait qu'un air propre et commode
Pour son plus riche ornement :
Jardins où la jeune Flore,
Sans appareil, fasse éclore
Ses fleurs en toute saison;
Vue au riant horizon
Sans être précipitée,
Supérieure pourtant,
De tous côtés présentant,
Dans une juste portée,
L'aimable variété,
Dont en sa fécondité
Nature pour nous décore

Les champs les plus fortunés :
Coteaux richement ornés,
Plaines plus riches encore;
Rivière au cours serpentant,
Dont le flot qu'elle promène,
Partout s'en aille portant

Clochers aux cieux élancés,

Bourgs, hameaux, châteaux, villages, Divers spectacles donnant :

Laborieux attelages,

Tantôt les champs sillonnant,

Tantôt les moissons traînant:
Parmi de vastes prairies,
Troupeaux sans nombre paissants,
Et sur les herbes fleuries,
Leurs gardiens innocents
Au son des hautbois dansants.
Mais quel chant plein d'allégresse
Vient de ces coteaux heureux,
Que d'un regard amoureux
Le soleil toujours caresse?
C'est Bacchus qui de ses dons
Vient y couronner l'automne :
Je reconnois, aux fredons
Que la vendangeuse entonne,
L'air vif et réjouissant,

Que ce Dieu, même en naissant,
A tous les hommes inspire.
L'amour aux yeux satisfaits,
Le suit et croit son empire
Affermi par ses bienfaits.
Dieux, quelle aimable peinture!

Et quel spectacle charmant
Pour un cœur simple, et n'aimant
Que la plus simple nature!
Au-devant de ses plaisirs,

Je sens que tout mon cœur vole
Plus enflammé de désirs
Que n'est le berger qui vole
Un baiser, tendre larcin,
Sur le blanc et ferme sein,
Ou sur la bouche vermeille
De sa belle qui sommeille.
Mais, dans cet aimable lieu,
Que la douceur de ma vie
Doit sembler digne d'envie !
Là, dans un juste milieu,

La vertu voluptueuse,

La volupté vertueuse

Ne se séparent jamais.
La liberté souhaitée
Sans cesse y règne aussi,
Modeste et non effrontée,
Ni telle qu'en ce temps-ci
On la voit régner ici.

mais

Si dans cette humble chaumière Mes amis viennent me voir,

Sans élever plus haut d'un cran

Son étude ni son génie ;

Du reste, quant aux mœurs, réglé comme un cadran,

Et si dévot, que dans le voisinage

Il servoit de modèle à tous les vrais croyants.
Il avoit femme aux yeux noirs et brillants,
Belle, bien faite, égale, douce, sage;
Pour couper court, femme aimable en tout sens,
Et qui l'aimoit on ne peut davantage :

Puis, comme on sait, dévots et pauvres gens,
Four honorer l'état du mariage,

Sont la plupart de grands faiseurs d'enfans.
Aussi Mahmoud (c'est notre personnage)
En mouloit-il au moins un tous les ans.
Or une année il advint qu'en un temps,
Temps de grossesse, où femmes de bon sens
Quelquefois paroîtront folles à triple étage,

Tant leurs goûts sont extravagants,

La sienne eut une envie, ou plutôt une rage,
De tâter d'un certain laitage
Qu'on nomme en turc du kaimack.
J'ai, disoit-elle, un feu dans l'estomac
Qui me dévore, et suis sûre, je gage,
Sans me regarder au miroir,
Qu'il y paroît sur mon visage.

Mon cher mari, mon cher bon, mon espoir,
Fais-moi manger du kaïmack ce soir. »
"Ce soir? s'écria-t-il; je voudrois le pouvoir;

Mais comment faire? on n'en vend qu'au viilagc; C'est fort loin, il est tard; tu sais bien tout cela. Jusqu'à demain, m'amour, tâche à prendre courage, Je t'en irai chercher. Cependant, d'ici là,

Observe bien tes mains; car, dis-moi, quel dommage,
Si te grattant partout où le hasard voudra,
Tu nous allois planter un morceau de fromage
Droit sur le bout du nez du poupon qui viendra!
La pauvrette, à ce badinage,

Sourit, prit patience, et pourtant soupira.
Dès la pointe du jour Mahmoud lui tint parole,
Choisit un plat bien écuré,

Et court, ou plutôt vole,

Au laitage tant désiré.

Mais en allant s'il fut Eole,

Pour le boiteux Vulcain on l'eût pris au retour,
Lorsqu'il vint à passer par une longue plainc,
Dont le soleil faisoit un four.

Heureusement au bout il vit une fontaine
Rencognée à l'écart dans un petit détour,
Et tout clopin clopant s'y rendit avec peine.
Son bassin regorgeoit d'une eau riante et saine;
Des gazons émaillés l'ornoient tout à l'entour;
Un plane l'ombrageoit par son vaste contour,
Et les zéphyrs au frais, sans agiter l'arène,

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Luttoient si joliment contre le chaud du jour,
Qu'au murmure de l'onde et de leur douce haleine.
Tout sembloit dire en ce séjour :

« Ou dormez, ou faites l'amour. »> Faire l'amour! Mahmoud n'en avoit point envie, Quand même il auroit eu de quoi;

Mais oui bien de dormir, et plus que de sa vie : Aussi tout étendu dormoit-il comme un roi. (Posez le cas qu'un roi dorme mieux qu'un autre homme

J'en pense au rebours, quant à moi. )

Quoi qu'il en soit, tandis qu'il dépêche son somme.
Un gros serpent goulu, d'ailleurs fort bien instruit,
Dont l'arbre creux formoit le gîte,
En dégringole à petit bruit,

Mange le kaïmack et remonte au plus vite,
Et juste dans le plat d'étain

Qu'avoit mis le dormeur auprès de son orcille,
Laisse tomber un beau sequin.

Le Turc ouvre les yeux à ce son argentin,
Regarde, se les frotte, et si fort s'émerveille,

Qu'il doute s'il dort ou s'il veille,

Ne pouvant concevoir ni par qui ni par où,
Dans un lieu si désert, lui venoit telle chance,
Quand l'animal, passant la tête hors du trou,
Se dresse, se rengorge en serpent d'importance
Siffle pour l'avertir, et lui dit : « Cher Mahmoud,
D'un petit air de connoissance,
Vraiment ton kaïmack étoit de fort bon goût;
Il y paroît, je crois, à ma reconnoissance :
En effet, j'en suis si content,
Que si tu me promets de garder le silence,
Et de m'en apporter chaque matin autant,
Un sequin tous les jours sera la récompense. »
Notre homme, qui de peur étoit quasi perclus,
A de si doux propos, si richement conçus,
Se dégourdit, se lève, et fait la révérence,
Promet du secret tant et plus

A l'illustre animal, qu'il traite d'Excellence
(Beaux titres de tout temps suivirent la finance ).
Et, devenu léger, de nouveau recourut
Chercher du kaïmack pour sa chère femelle.
Savoir sur son retard ce qu'il dit à la belle,

Quelle fut son excuse, et comme on le reçut,

Il n'en est point parlé : c'est pour moi lettre close. Mais, de retour à son taudis,

Aussitôt la première chose

Fut le corps contre terre et l'âme au paradis,
De rondre grâce au ciel de sa bonne aventure;
Puis en digne patron des zélés osmanlis,

« Grand Mahomet, dit-il, pourvu que ceci dure
Seulement cinq ans accomplis,

Je te jure d'aller à ces lieux ennoblis
Par ta naissance et par ta sépulture.

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