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Pouvaient plaire à des yeux qui ne t'avaient point vue. Mais que fais-je ? son nom refroidit nos discours.

CLORIS.

Songeons plutôt qu'il faut en terminer le cours.
Nous l'oublions tous deux. Adieu, la nuit nous presse.

TIRCIS.

Encore un mot, Cloris; un mot, et je te laisse.

Tircis allait poursuivre, et Cloris l'écoutait.
Tout prêts à se quitter, l'Amour les arrêtait.
Il renaissait toujours quelque chose à se dire
Mais Thémire parut; l'importune Thémire,
Sans bien connaître encor ses mouvemens jaloux,
Se pressa d'interrompre un entretien si doux.
Injustice ordinaire : une beauté cruelle
Ne voit qu'avec dépit qu'on s'est consolé d'elle.

TIRCIS ET SILVANDRE. (Imitation de Théocrite.)

TIRCIS.

Le doux bruit qu'on entend dans ces sombres bocages,
Quand le zéphyr se joue à travers les feuillages,
N'approche point pour moi du son de ton hautbois.
Tu le disputerais au Dieu même des bois.

SILVANDRE.

Le murmure flatteur de ces claires fontaines,
Qui des tendres amans sait enchanter les peines,
N'approche point pour moi du charme de tes airs;
Tu le disputerais au Dieu même des vers.

TIRCIS.

Asseyons-nous, Silvandre, à l'ombre de ce hêtre.
La beauté de ce jour et de ce lieu champêtre
De ton hautbois oisif doit réveiller les sons.
Oiseaux, pour l'écouter, suspendez vos chansons.
Nymphes, dieux des forêts, accourez pour l'entendre;
Que tout prête l'oreille aux accords de Silvandre.

SILVANDRE.

Il ne m'est pas permis de toucher le hautbois.
Voici l'heure que Pan repose dans ce bois.
Dès l'aurore occupé d'une chasse pénible,
Il passe ses momens dans un sommeil paisible.
Par mes sons importuns si j'allais le troubler,
Tu connais son courroux, il pourrait m'accabler.
Toi, tu n'as rien à craindre; il permet que l'on chante;
Suis-moi sur ces gazons, et que ta voix touchante
Daigne me révéler les douleurs de Daphnis :
A tes chansons, berger, je garde un digne prix.
C'est un vase qu'Eumolpe apporta de Corinthe:
L'ouvrier d'un côté grava ce labyrinthe,

Chef-d'œuvre de Dédale, et qu'un savant burin
Semble avoir à son gré transporté sur l'airain.
Ce monstre homme et taureau qu'un fol amour fit naître,
Qui du sang des humains brûlait de se repaître ;
Sous le fer de Thésée y perd enfin le jour ;
Le héros tient le fil qui trace son retour;
Tandis qu'un peu plus loin Ariane tremblante,
Craint que le sort cruel n'ait trompé son attente;
Les yeux au labyrinthe et les mains vers les cieux,
Au secours de Thésée elle appelle les dieux.
L'autre moitié du vase offre une autre aventure :
De Daxe et de la mer on y voit la peinture;
Sur le haut d'un rocher la fille de Minos
Suit des yeux un vaisseau qu'on voit fendre les flots.
Hélas! c'est le vaisseau du parjure Thésée ;
Il méprise les pleurs d'Ariane abusée;
Pour prix de ses bienfaits il lui perce le cœur,
Trop ordinaire effet d'une sincère ardeur.
Ce don d'un de tes airs sera la récompense
Sans rien diminuer de ma reconnaissance.
Mérite donc ce prix que je garde à ta voix;
Chante. Quand de la mort on a subi les lois,
Quand on est parvenu dans les sombres retraites,
Tous les chants sont finis, les ombres sont muettes.

TIRCIS.

Muses, pour m'inspirer, joignez-vous à l'Amour.
Le malheureux Daphnis, près de perdre le jour,
Confiait aux échos ses mortelles atteintes ;
Il faisait retentir les forêts de ses plaintes;
Il détestait l'Amour. Amour, inspire-moi
Ce que le désespoir lui dicta contre toi.
Les fureurs des amans à tes yeux ont des charmes;
Ils n'en prouvent que mieux le pouvoir de tes armes.
Tu t'applaudis du coup qui leur ravit le jour.
Muses, pour m'inspirer, joignez-vous à l'Amour.

| Non, tu n'es point, Amour, le fils d'une déesse,
Dit-il; sur le Caucase une affreuse tigresse
T'enfanta dans sa rage; et, pour comble d'horreur,
Tu suças
à la fois son lait et sa fureur.
Quand tes feux pour Iris embrasèrent mon ame,
De quel espoir charmant animais-tu ma flamme?
Tu flattais ma tendresse; et les regards d'Iris,
Perfides comme toi, m'en promettaient le prix.
Vous me flattiez tous deux d'une fausse espérance;
Mes soins n'ont pu d'Iris vaincre l'indifférence.
Accablé de mes maux, j'en perds enfin le jour.
Muses, pour m'inspirer, joignez-vous à l'Amour.

Aux plaintes de Daphnis les Nymphes s'attendrirent; Dans le creux des rochers les échos en gémirent; Comme aux accords d'Orphée on vit du fond des bois Les lions attendris accourir à sa voix.

Près du triste berger les bergers accoururent;
Avec eux les Sylvains, les Faunes y parurent.
Pan même y vint aussi. Berger trop malheureux
Dit-il, pourquoi nourrir de si funestes feux ?
Tu brûles pour Iris qui méprise ta flamme,
Tandis que cent beautés voudraient toucher ton âme;
Imite-moi, berger; rends mépris pour mépris.
Je brûlais pour Diane aussi fière qu'Iris ;
Mais j'éteignis bientôt une flamme trop vaine.
Daphnis d'un long soupir exprime alors sa peine,
Ses yeux appesantis se dérobaient au jour.
Muses, pour m'inspirer, joignez-vous à l'Amour.

Tu vins aussi, Vénus! mais, déesse cruelle,
Tu vins pour insulter à sa douleur mortelle.
Oui, berger, lui dis-tu, voilà le digne prix
Que l'Amour offensé gardait à tes mépris.
Tu le croyais sans force; et tu traitais de fable
Son flambeau, son carquois, et son arc redoutable.
Connais enfin ton crime; il t'en coûte le jour.
Muses, pour m inspirer, joignez-vous à l'Amour.
Oui, je connais, dit-il, votre pouvoir funeste;
Mais plus je le connais, et plus je le déteste.

J'expire sous vos coups; mais jusqu'aux sombres bords
J'emporte contre vous ma rage et mes transports.
Que dis-je ? reprit-il. Ah! vous êtes encore,
Dieux qui m'ôtez le jour, les seuls dieux que j'implore.
Amour, Vénus, mon cœur vous pardonne son sort,
Si vous faites qu'Iris plaigne du moins ma mort.
O ciel! que le trépas aurait pour moi de charmes!
Si je croyais qu'il dût lui coûter quelques larmes ;
Qu'Iris pût souhaiter de me rendre le jour.
Muses, pour m'inspirer, joignez-vous à l'Amour.

Viens, me dit-il, témoin de mon ardeur sincère,
Je remets en tes mains cette flûte si chère
De ma longue amitié ce doit être le prix :
Mais ne t'en sers, berger, que pour chanter Iris;
Que pour lui rappeler ma tendresse fidèle;
Et que Daphnis enfin est mort d'amour pour elle!
En achevant ces mots, Daphnis perdit le jour.
Muses, pour le chanter, joignez-vous à l'Amour.

SILVANDRE.

Dieux, quelle perte! hélas ! que sa plainte me touche! Jamais rien de si doux n'est sorti de ta bouche. Prends ce vase, berger; que n'est-ce un vase d'or! Au-dessous de tes chants je le croirais encor.

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Du plus amoureux des hommes,

O mon aimable Chéré,

Que n'êtes-vous où nous sommes !

Jamais plus juste désir
N'anima mon cœur sincère :
Les belles, faites pour plaire,
Sont faites pour le plaisir ;
Et c'en est ici l'asile,
De ces plaisirs tant aimés.
La paix les tient renfermés
Dans ce prieuré tranquille.
Hier, il en était plein:

J'en vois naître aujourd'hui mille :
Mille y renaîtront demain.
Je n'y ressens qu'un chagrin,
C'est que le temps soit mobile;
Et que son sable inhumain
Trace déjà le chemin

Qui nous ramène à la ville.

Décrirai-je ces plaisirs,
Que rappelle chaque aurore,
Plus rians que les Zéphyrs,
Quand ils vont caresser Flore!
Mais pourquoi les peindre? Hélas!
Un seul mot les rend croyables,
Et vante assez leurs appas :
Ils m'ont rendu supportables
Des lieux où vous n'étiez pas.

Je veux toutefois les peindre, Pour occuper mon loisir ;

PIRON (ALEXIS) naquit à Dijon, le 9 juillet 1689. Sa famille désirait qu'il embrassât l'état ecclésiastique; mais Piron, qui ne sentait aucune vocation pour l'Eglise, se livra à l'étude de la médecine qu'il abandonna ensuite pour le barreau. Il n'avait pas achevé l'étude du droit quand la mort de son père arriva. Privé de toutes ressources et poussé par le désir de se faire un nom, il partit alors pour Paris, où il se vit forcé d'abord de copier des manuscrits; mais dégoûté bientôt de ce travail, il se mit à composer de petites pièces pour les théâtres de la foire. Un premier succès lui fit comprendre quelle carrière il était appelé à suivre. Piron donna au Théâtre-Français

Y puissé-je réussir,

De manière à vous contraindre
A venir vous éclaircir,
Par le propre témoignage
Des beaux yeux qu'on désira;
Des plaisirs, en ce cas-là,
Parfait serait l'assemblage :
Les peigne alors qui pourra.
De quatre heureux personnages

Que nous nous trouvons ici,

Deux sont fous, et deux sont sages : Providence en tout ceci :

Mélange qui, Dieu merci,

Sans relâche nous ballotte,

Et nous promène à grands pas,
Du compas à la marotte,
De la marotte au compas.
Figurez-vous le tracas

D'un quatrain de cette espèce,
Et voyez courir sans cesse
La sagesse après les rats,
Les rats après la sagesse.
Tantôt les règles en jeu,
Et tantôt les purs caprices.
Voilà, quant aux gens du lieu
Voici, quant à ses délices.

Sachez que, premièrement,
Le prioral ermitage
Consiste en un bâtiment
Mal conçu pour l'ornement,
Très-bien conçu pour l'usage.
Tout s'y resserre ou s'étend,
Selon son juste mérite;
C'est pour cela, dit l'ermite,
Que le réfectoire est grand,
Et la chapelle petite.
Aussi l'heureux parasite,
De la cave au galetas,

plusieurs tragédies estimables et quelques comédies toutes oubliées, à l'exception d'une seule la Métromanie, qui sera toujours placée au rang de nos chefs-d'œuvre. L'Académie française l'élut d'une voix unanime; mais le roi, d'après les conseils de Boyer, ordonna aux académiciens de faire un autre choix pour punir l'auteur d'une ode qu'il avait composée quarante années auparavant. On doit à Piron des poésies légères plus remarquables par leur facilité que par leur correction et leur élégance, plusieurs contes écrits avec une verve maligne très plaisante et un grand nombre d'épigrammes vives et mordantes.

Voit cette sentence écrite :

« Courte messe, et long repas. » Rien ne manque aux délicats: Table en entremets féconde,

Cave où le nectar abonde;

Et la glacière à deux pas :

Les lits les meilleurs du monde;
Plume entre deux matelas,

Doux somme entre deux beaux draps:

Un calme dont rien n'approche;
Jamais le moindre fracas
De carrosse, ni de cloche:
Paix, bombance, liberté;
Liberté, sans anicroche :
L'horloge, à la vérité,

Qui voudra nous le reproche !
Rarement est remonté,
Mais non pas le tournebroche.
Une autre félicité,
Après Benedicite,

C'est de voir par la fenêtre
De notre salle à manger,
Cueillir, dans le potager,
La fraise qui vient de naître :
De voir la petite faux
Moissonner à notre vue,
Là, de jeunes artichauts,
Ici, la tendre laitue,
Le pourpier et l'estragon,
Qui, tout-à-l'heure en salade,
Va piquer, près du dindon,
L'appétit le plus malade.

Du même endroit, nous voyons
Venir l'innocence même,
Lise, qui, sur des clayons
Nous apporte de la crême :

Blanche un peu plus que sa main,
Mais moins blanche que son sein,
Et que la perle enfantine
D'un ratelier des plus nets,
Que ne touchèrent jamais
Capperon, ni Carmeline (1).
C'est elle aussi qui, le soir,
En cent postures gentilles
(Où, sans jupe ni mouchoir,
Vous seriez charmante à voir),
Dresse, et redresse nos quilles :
Jeu tout des plus innocens,
Où, pour aiguiser nos dents,
Quand la faim nous abandonne,

(1) Fameux dentistes.

Nous nous exerçons un temps, Avant que le souper sonne.

Le quiller est dans un bois
Qui touche à la maisonnette,
Bois d'une beauté complète,
Triste et charmant à la fois;
Bois qui peint ces lieux terribles

Où loin des profanes yeux,
Nos druïdes et leurs dieux

Se rendaient inaccessibles

A nos crédules aïeux :

Mais dans ces cantons paisibles,
Et moins superstitieux,

Bois où l'amour a des armes

A qui l'austère pudeur

Se soumettrait sans alarmes :
Bois où, même avec douceur,
Dans le plus cruel malheur,
L'amant verserait des larmes :
Bois où tout, jusqu'à l'horreur,
Pour un cœur tendre a des charmes.
Là, dans le sein du repos,
L'âme s'égare et s'oublie ;

Sa douce mélancolie

Transforme des lieux si beaux,
Et n'en fait qu'un seul enclos
D'Amathonte, de Paphos,
De Cythère et d'Idalie.

Jamais en effet l'Amour
Ne trouverait un séjour
Plus propre à son badinage :
Qu'il y serait amusé!
Car je le sais par usage,
C'est un enfant avisé;

Dans un quinconce il est sage:
Mais plus l'endroit est sauvage,
Plus il est apprivoisé.
Disparaissez, lieux superbes
Où rien ne croît au hasard,
Où l'arbre est l'enfant de l'art,
Où le sable, au lieu des herbes
Nous attriste le regard:
Lieux où la folle industrie
Arrondit tout au ciseau :
Où rien aux yeux ne varie,
Où tout s'aligne au cordeau
De la froide symétrie,
Et de l'ennuyeux niveau!

Ici l'auguste Nature, Dans toute sa majesté,

Offre une vive peinture

De la noble liberté.

Sublime et toujours nouvelle,

Sous l'œil elle s'embellit:

Sa variété révèle

Une ressource éternelle,

Que jamais rien ne tarit.

Qu'en ce point l'art est loin d'elle!
Son chef-d'œuvre se décrit :
Mais la beauté naturelle
Reste au-dessus du récit.

Sous l'épais et baut feuillage
De ce bois qu'ont révéré

Le temps, la hache, et l'orage,
De l'engageante Chéré

Je me retrace l'image.

Ah! qu'au fond de ce bocage;
Son aspect serait charmant !
Le beau lieu, l'heureux moment!
Que de fleurs sur son passage!
Que de soupirs éloquens !
Que les gages de ma flamme
Seraient tendres et fréquens !

Mais où s'égare mon âme !
O bel objet désiré

Du plus amoureux des hommes !

O mon aimable Chéré !

Que n'êtes-vous où nous sommes !

A MADAME DE BOULONGNE,

QUI SE PLAIGNAIT DE L'INSOMNIE, ET NE POUVAIT SENDORMIR QU'UN LIVRE A LA MAIN.

Vous vous plaignez, belle Uranic,

Et ne vous plaignez pas pour rien :
C'est un grand mal que l'insomnie ;
Car le sommeil est un grand bien.
Par le secours de la lecture
Vous espérez vous en tirer :
Mais vous ne pouvez ignorer
Que lire, pendant qu'elle dure,
Ne sert qu'à la faire durer.
Avouez que votre esprit l'aime ;
Et, sans vous en apercevoir,
Que vous l'entretenez vous-même
Par la démangeaison extrême
Que vous avez de tout savoir.
De tout savoir ! et pourquoi faire ?
Qu'auriez-vous plus qu'auparavant?

Quoi que sache le plus savant,
Vous savez mieux; vous savez plaire.
Plus d'une qui, sur ce grand point,
N'aura jamais, n'eut et n'a point
L'honneur d'étre votre pareille,
Fière de ses simples attraits,
Vit satisfaite à moins de frais,

N'a d'autre souci qui l'éveille,
Que celui d'avoir le teint frais,
L'oeil brillant, la bouche vermeille,
Et pour cela, ne lit jamais,
Dine, soupe, se couche en paix,
Et dort sur l'une et l'autre oreille.

Mais puisqu'enfin c'est votre goût,
Qu'aux champs, à la ville, partout,
Sans lire, vous ne sauriez vivre :
Et que,
sur le chevet surtout,
A la main il vous faut un livre,
Pour mettre à profit les instans
Que le sommeil tarde à se rendre,
Où, tandis qu'il est chez vos gens,
Vous vous ennuyez à l'attendre ;
Je ne m'oserais plus répandre
En un trop long raisonnement,
Et je soumets mon sentiment
A la raison qui vous gouverne.
Lisez. Que j'ose seulement,
Moi, petit esprit subalterne,
En présentant cette lanterne,
Hasarder un petit conseil,
Qui, si vous cherchez le sommeil,
N'est rien moins qu'une baliverne.

Attendant l'effet du pavot,
Gardez-vous au moins d'un Voltaire,
D'un Montesquieu, d'un Tannevot,
De tel autre qui peut trop plaire :
C'est moins remède que venin;
Morphée étant, quand on l'appelle
Avec tels appeaux à la main,
Un vrai chien de Jean-de-Nivelle.
De Nivelle plutôt lisez
Les vers anathématisés :

Lisez quelque pièce nouvelle,
Qu'a fait réussir la Clairon;
Quelque semblable bagatelle,
Que vend Duchesne au quarteron ;
Quelque essai d'une Muse obscure,
Débutante dans le Mercure ;
Ou bien quelque autre rogaton :
Vous dormirez, je vous l'assure.

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