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PRÉFACE.

1687.

Loin de remplir ici d'ennuyeux compliments,
Un inutile et long prélude,

Sans crainte, sans inquiétude,
Je livre mes amusements
A la critique la plus rude.
Cette espèce de fermeté

Ne vient point de la vanité

Que m'auroient pu donner les plus fameux suffrages; De plus justes raisons font ma tranquillité.

Du temps qui détruit tout je crains peu les outrages: Le grand nom de Louis, mêlé dans mes ouvrages, Les conduira sans doute à l'immortalité.

ÉPÎTRE A M. MASCARON, ÉVÊQUE DE TULLE, ET DEPUIs d'agen.

1672.

Des bords du fameux Lignon

Le moyen de vous écrire ?
L'air de ce pays inspire
Je ne sais quoi de fripon

Qui n'est pas propre à vous dire.
Depuis que feu Céladon
Pour la précieuse Astrée,
L'âme de douleur outrée,

Mit ses jours à l'abandon,
Amour résolut, dit-on,
Que l'air de cette contrée
Rendroit le plus fier dragon
Doux comme un petit mouton.
Depuis que j'y suis entrée,
J'ai déjà changé de ton.

Je ne me meurs pas encore;

Mais, entre nous, j'ai bien peur D'une inquiète langueur

* Mme DESHOULIÈRES (Antoinette du Ligier de La Garde) naquit à Paris, en 1638, de Melchior du Ligier, seigneur de La Garde, chevalier de l'ordre du roi, et de Claudine Gaultier.

La nature avait pris plaisir à rassembler en mademoiselle de La Garde les agrémens du corps et de l'esprit. Avide de s'instruire, elle forma très jeune la résolution d'étudier le latin, l'italien et l'espagnol, et, dans la suite, les auteurs les plus estimés de ces trois langues lui devinrent familiers. Son inclination pour la poésie se montra d'abord au plaisir qu'elle prenait à la lecture des vers. Ce fut d'Hesnault qui lui fit apercevoir les talens qu'elle avait pour y réussir elle-même. Ses parens fa marièrent, en 1651,

Qui me force à voir l'aurore:
J'ai partout l'esprit rêveur;
Un noir chagrin me dévore.
Un tel changement d'humeur
Me fait trembler pour mon cœur.
S'il alloit devenir tendre,
S'il sentoit la moindre ardeur,
Il seroit bientôt en cendre.
Hélas! loin de badiner,
Loin d'être fourbe et volage,
Comme veut le bel usage,

Il iroit s'abandonner,
En jeune cœur qui se pique
De sentiment héroïque,
A ces beaux engagements
Qu'on trouve dans les romans.
Oui, malgré ce qu'on pratique,
Il aimeroit à l'antique.

Ah! que de fâcheuses nuits!
Que de soupçons! que d'alarmes!
Que de chagrins! que d'ennuis!
Que de soupirs! que de larmes!
Il vaut mieux, si je le puis,
M'arracher à tous les charmes
Du beau séjour où je suis.
Sans consulter davantage,
Quittons ce fatal rivage;
Mais quittons-le sans retour,
Ce rivage où chaque jour,
Sans avoir eu part au crime,
Chaque cœur sert de victime
Aux vengeances de l'Amour.
Ici tout ce qui respire

Se plaint, languit et soupire.
Dans les forêts les oiseaux,
Dans les plaines le zéphyre,
Les bergers sous les ormeaux,
Les Naïades dans les eaux,

Tout sent l'amoureux martyre;

Guillaume de La Fon de Boisguérin, seigneur des Houlières, gentilhomme de Poitou. Elle mourut à Paris, le 17 février 1694, et fut inhumée, le 19 du même mois. dans l'église de Saint-Roch. Ses ouvrages peuvent être cités comme un modèle de la poésie facile. Son siècle, par pure galanterie sans doute, l'avait surnommée la dixième Muse et la Calliope française. Mme Deshoulières s'est essayée dans un genre qu'aurait dû lui interdire la nature de son talent; heureusement qu'un succès obtenu au théâtre ne l'a pas abusée au point de lui faire suivre long-temps une carrière dans laquelle elle eût infailliblement compromis la réputation qu'elle s'était acquise dans un genre beaucoup plus modeste.

Et tout sert, en nous parlant
Contre l'austère sagesse
A mettre en goût de tendresse

Le cœur le plus indolent.
Vous dont l'âme indifférente

Ne connoît aucun souci,
Pour l'avoir toujours contente
Profitez de tout ceci;

Et, quelque espoir qui vous tente,
Ne venez jamais ici.

RONDEAU.

Taisez-vous, tendres mouvements, Laissez-moi pour quelques moments; Tout mon cœur ne sauroit suffire Aux transports que l'amour m'inspire Pour le plus parfait des amants.

A quoi servent ces sentiments? Dans mes plus doux emportements Ma raison vient toujours me dire: Taisez-vous.

La cruelle, depuis deux ans....
Mais! hélas ! quels redoublements
Sens-je à mon amoureux martyre?
Mon berger paroît, il soupire;
Le voici vains raisonnements
Taisez-vous.

A Mlle DE LA CHARCE,

POUR LA FONTAINE DE VAUCLUSE.

1673.

Quand vous me pressez de chanter
Pour une fontaine fameuse

Vous avez oublié que je suis paresseuse;
Qu'un simple madrigal pourroit m'épouvanter;
Qu'entre une santé languissante

Et d'illustres amis par le sort outragés

Mes soins sont toujours partagés.

Par plus d'une raison, devencz moins pressante, Daphné, vous ne savez à quoi vous m'engagez.

Peut-être croyez-vous que, toujours insensible,

Je décrirai dans mes vers,

Entre de hauts rochers dont l'aspect est terrible, Des prés toujours fleuris, des arbres toujours verts, Une source orgueilleuse et pure,

Dont l'eau, sur cent rochers divers,
D'une mousse verte couverts,
S'épanche, bouillonne, murmure;

Des agneaux bondissant sur la tendre verdure,
Et de leurs conducteurs les rustiques concerts?

De ce fameux désert la beauté surprenante,
Que la nature seule a pris soin de former,
Amusoit autrefois mon âme indifférente.
Combien de fois, hélas ! m'a-t-elle su charmer!
Cet heureux temps n'est plus : languissante, attendrie,
Je regarde indifféremment

Les plus brillantes eaux, la plus verte prairie;
Et du soin de ma bergerie

Je ne fais même plus mon divertissement.
Je passe tout le jour dans une rêverie

Qu'on dit qui m'empoisonnera.

A tout autre plaisir mon esprit se refuse;
Et si vous me forcez à parler de Vaucluse,
Mon cœur tout seul en parlera.

Je laisserai conter de sa source inconnue
Ce qu'elle a de prodigieux,

Sa fuite, son retour, et la vaste étendue
Qu'arrose son cours furieux.

Je suivrai le penchant de mon âme enflammée :
Je ne vous ferai voir dans ces aimables lieux
Que Laure tendrement aimée,
Et Pétrarque victorieux.

Aussi bien de Vaucluse ils font encor la gloire :
Le temps qui détruit tout respecte leurs plaisirs ;
Les ruisseaux, les rochers, les oiseaux, les zéphyrs,
Font tous les jours leur tendre histoire.
Oui, cette vive source, en roulant sur ces bords,
Semble nous raconter les tourments, les transports
Que Pétrarque sentoit pour la divine Laure.

Il exprima si bien sa peine, son ardeur,

Que Laure, malgré sa rigueur,
L'écouta, plaignit sa langueur,
Et fit peut-être plus encore.

Dans cet antre profond où, sans autres témoins
Que la naïade et le zéphyre,

Laure sut, par de tendres soins,

De l'amoureux Pétrarque adoucir le martyre,
Dans cet antre où l'amour tant de fois fut vainqueur,
Quelque fierté dont on se pique,

On sent élever dans son cœur

Ce trouble dangereux par qui l'amour s'explique,
Quand il alarme la pudeur.

Ce n'est pas seulement dans cet antre écarté Qu'il reste de leurs feux une marque mortelle :

Ce fertile vallon, dont on a tant vanté

La solitude et la beauté,

Voit mille fois le jour, dans la saison nouvelle,
Les rossignols, les serins, les pinsons,
Répéter sous son vert ombrage

Je ne sais quel doux badinage

Dont ces heureux amants leur donnoient des leçons.

Leurs noms sur ces rochers peuvent encor se lire; L'un avec l'autre est confondu;

Et l'âme à peine peut suffire

Aux tendres mouvements que leur mélange inspire.
Quel charme est ici répandu!

A nous faire imiter ces amants tout conspire.
Par les soins de l'amour leurs soupirs conservés
Enflamment l'air qu'on y respire,

Et les cœurs qui se sont sauvés
De son impitoyable empire,

A ces déserts sont réservés.

Tout ce qu'a de charmant leur beauté naturelle
Ne peut m'occuper un moment.

Les restes précieux d'une flamme si belle
Font de mon jeune cœur le seul amusement.
Ah! qu'il m'entretient tendrement
Du bonheur de la belle Laure!
Et qu'à parler sincèrement

Il seroit doux d'aimer, si l'on trouvoit encore
Un cœur comme le cœur de son illustre amant!

Est tout l'effet qu'elle produit.

Toujours impuissante et sévère,

Elle s'oppose à tout, et ne surmonte rien.
Sous la garde de votre chien,
Vous devez beaucoup moins redouter la colère
Des loups cruels et ravissants,

Que, sous l'autorité d'une telle chimère,

Nous ne devons craindre nos sens.

Ne vaudroit-il pas mieux vivre, comme vous faites,
Dans une douce oisiveté?

Ne vaudroit-il pas mieux être comme vous êtes,
Dans une heureuse obscurité,

Que d'avoir, sans tranquillité,
Des richesses, de la naissance,

De l'esprit et de la beauté ?

Ces prétendus trésors, dont on fait vanité,

Valent moins que votre indolence:

Ils nous livrent sans cesse à des soins criminels;
Par eux plus d'un remords nous ronge;
Nous voulons les rendre éternels;

Sans songer qu'eux et nous passerons comme un songe.
Il n'est dans ce vaste univers

Rien d'assuré, rien de solide :

Des choses d'ici-bas la fortune décide
Selon ses caprices divers.

Tout l'effort de notre prudence

Ne peut nous dérober au moindre de ses coups. Paissez, moutons, paissez sans règle et sans science; Malgré la trompeuse apparence,

Vous êtes plus heureux et plus sages que nous.

LES MOUTONS.

IDYLLE. 1674.

Hélas! petits moutons, que vous êtes heureux!
Vous paissez dans nos champs, sans souci, sans alarmes :
Aussitôt aimés qu'amoureux,

On ne vous force point à répandre des larmes ;
Vous ne formez jamais d'inutiles désirs.
Dans vos tranquilles cœurs l'amour suit la nature :
Sans ressentir ses maux, vous avez ses plaisirs.
L'ambition, l'honneur, l'intérêt, l'imposture,

Qui font tant de maux parmi nous,
Ne se rencontrent point chez vous.
Cependant nous avons la raison pour partage,
Et vous en ignorez l'usage.
Innocents animaux, n'en soyez point jaloux,
Ce n'est pas un grand avantage.
Cette fière raison dont on fait tant de bruit,
Contre les passions n'est pas un sûr remède :
Un peu de vin la trouble, un enfant la séduit;
Et déchirer un cœur qui l'appelle à son aide

IMITATION

DE LA PREMIÈRE ODE D'HORACE.

A M. COLBERT, MINISTRE D'ÉTAT ET CONTRôleurGÉNÉRAL DES FINANCES.

1675.

Illustre protecteur des filles de Mémoire,
Ministre vigilant, dont les soins précieux
De l'auguste Louis éternisent la gloire;
Colbert, dont les travaux, des ans victorieux,
De miracles divers enrichiront l'histoire ;
Vous, par qui l'on voit à la fois
Les beaux arts rétablis, le commerce, les lois;
Vous, dont la sage prévoyance,

Au milieu de la guerre, entretient l'abondance
Dans les vastes états du plus vaillant des rois;
Pour connoître des cœurs quelle est la différence,
Quittez pour un moment vos pénibles emplois.

Couvert d'une noble poussière,
On voit un jeune audacieux,

Triomphant d'une cour entière,

D'un superbe tournoi sortir victorieux.

Par les louanges qu'on lui donne,

Il se croit au-dessus des plus fameux guerriers; Et le laurier qui le couronne

Est à son gré le plus beau des lauriers.

L'espoir de parvenir aux dignités suprêmes
Rend esclave de la faveur. ·

Rien d'un ambitieux ne rebute le cœur ;

Son repos, et ses amis mêmes,

Sont des biens qu'il immole au soin de sa grandeur.

En cultivant les champs, le laboureur avare
D'une riche moisson flatte tous ses désirs :
Les autres passions, où la raison s'égare,
N'excitent dans son cœur ni douleur ni plaisirs.

A peine échappé du naufrage,

Le nocher hasardeux remonte sur la mer.
Durant les périls de l'orage,
Effrayé de se voir en proie au flot amer,
Il regrette l'heureux rivage :

Mais dès lors que de son trident Neptune a par trois fois frappé l'onde irritée,

On voit le pilote imprudent,

Sans aucun souvenir des écueils ni du vent, Emporté par l'espoir dont son âme est flattée,

S'exposer comme auparavant.

Gouverne qui voudra cet immense univers;
Tout est indifférent dans la fureur bachique.
A l'ombrage des pampres verts,
Le buveur, dégagé de mille soins divers,
Au culte de Bacchus sans réserve s'applique ;
Et, bravant du bon sens le pouvoir tyrannique,
Il met sa raison dans les fers.

Les affreux et sanglants combats

Qui coûtent tant de pleurs aux amantes, aux mères,
Pour les guerriers ont des appas;

Et la gloire et l'honneur, ces fatales chimères,
Leur font avec plaisir affronter le trépas.

Pour les sombres forêts le diligent chasseur De Mars et de l'Amour néglige les conquêtes: Il met le suprême bonheur

. A forcer d'innocentes bêtes.

Soit que l'astre des cieux, dans son rapide tour,
Répande aux mortels sa lumière,

Soit que l'inégale courrière
Répare la perte du jour,

Jamais son âme forcenée

D'un tranquille sommeil ne goûte les douceurs ;

La poursuite d'un cerf lui fait de l'hyménée Mépriser toutes les faveurs.

Colbert, il seroit impossible

De compter des humains les caprices divers.
Pour moi, de qui le cœur ne s'est trouvé sensible
Qu'à l'innocent plaisir de bien faire des vers,
Scule aux bords des ruisseaux je chante sur ma lyre
Ou le dieu des guerriers ou le dieu des amants,
Et ne changerois pas pour le plus vaste empire
Ces doux amusements.

Pleine du beau feu qui m'anime, Avant qu'un autre hiver ramène les glaçons, Je chanterai Louis, sage, actif, magnanime, Et vainqueur malgré les saisons. Colbert, si vous daignez m'entendre, Si pour quelques moments mes chants peuvent suspendre Les chagrins que traîne après soi

Cette profonde politique

Où le bien de l'état sans cesse vous applique, Quel sort plus glorieux pour moi?

LES FLEURS.

IDYLLE.

1677.

Que votre éclat est peu durable,
Charmantes fleurs, honneur de nos jardins!
Souvent un jour commence et finit vos destins ;
Et le sort le plus favorable

Ne vous laisse briller que deux ou trois matins.
Ah! consolez-vous-en, jonquilles, tubéreuses,
Vous vivez peu de jours, mais vous vivez heureuses,
Les médisants ni les jaloux

Ne gênent point l'innocente tendresse

Que le printemps fait naître entre Zéphyre et vous.
Jamais trop de délicatesse

Ne mêle d'amertume à vos plus doux plaisirs.
Que pour d'autres que vous il pousse des soupirs;
Que loin de vous il folâtre sans cesse ;
Vous ne ressentez point la mortelle tristesse
Qui dévore les tendres cœurs,
Lorsque, pleins d'une ardeur extrême,
On voit l'ingrat objet qu'on aime

Manquer d'empressement, ou s'engager ailleurs.
Pour plaire, vous n'avez seulement qu'à paroître ;
Plus heureuses que nous, ce n'est que le trépas

Qui vous fait perdre vos appas.

Plus heureuses que nous, vous mourez pour renaître Tristes réflexions! inutiles souhaits!

Quand une fois nous cessons d'être,

Aimables fleurs, c'est pour jamais.

Un redoutable instant nous détruit sans réserve;
On ne voit au-delà qu'un obscur avenir :
A peine de nos noms un léger souvenir

Parmi les hommes se conserve.

Nous entrons pour toujours dans le profond repos

D'où nous a tirés la nature,

Dans cette affreuse nuit qui confond le héros

Avec le lâche et le parjure,

Et dont les fiers destins, par de cruelles lois,
Ne laissent sortir qu'une fois.

Mais, hélas ! pour vouloir revivre,

La vie est-elle un bien si doux?

Quand nous l'aimons tant, songeons-nous De combien de chagrins sa perte nous délivre? Elle n'est qu'un amas de craintes, de douleurs, De travaux, de soucis, de peines; Pour qui connoît les misères humaines, Mourir n'est pas le plus grand des malheurs.

Cependant, agréables fleurs,

Par des liens honteux attachés à la vie,
Elle fait seule tous nos soins;

Et nous ne vous portons envie

Que par où nous devons vous envier le moins..

LES OISEAUX.

IDYLLE. 1678.

L'air n'est plus obscurci par des brouillards épais;
Les prés font éclater les couleurs les plus vives;
Et dans leurs humides palais

L'hiver ne retient plus les naïades captives.
Les bergers, accordant leur musette à leur voix,
D'un pied léger foulent l'herbe naissante ;
Les troupeaux ne sont plus sous leurs rustiques toits.
Mille et mille oiseaux à la fois,
Ranimant leur voix languissante,

Réveillent les échos endormis dans ces bois :
Où brilloient les glaçons on voit naître les roses.
Quel dieu chasse l'horreur qui régnoit dans ces lieux ?
Quel dieu les embellit? Le plus petit des dieux
Fait seul tant de métamorphoses;

Il fournit au printemps tout ce qu'il a d'appas.
Si l'Amour ne s'en mêloit pas,
On verroit périr toutes choses;
Il est l'âme de l'univers ;

Comme il triomphe des hivers

Qui désolent nos champs par une rude guerre,
D'un cœur indifférent il bannit les froideurs.

L'indifférence est pour les cœurs

Ce que l'hiver est pour la terre.

Que nous servent, hélas ! de si douces leçons ?
Tous les ans la nature en vain les renouvelle ;
Loin de la croire, à peine nous naissons,
Qu'on nous apprend à combattre contre elle.
Nous aimons mieux, par un bizarre choix,
Ingrats, esclaves que nous sommes,
Suivre ce qu'inventa le caprice des hommes,
Que d'obéir à nos premières lois.
Que votre sort est différent du nôtre,
Petits oiseaux qui me charmez !
Voulez-vous aimer? vous aimez.

Un lieu vous déplaît-il? vous passez dans un autre.
On ne connoît chez vous ni vertus, ni défauts:
Vous paroissez toujours sous le même plumage;
Et jamais dans les bois on n'a vu les corbeaux
Des rossignols emprunter le ramage.

Il n'est de sincère langage,

Il n'est de liberté, que chez les animaux.
L'usage, le devoir, l'austère bienséance,
Tout exige de nous des droits dont je me plains;
Et tout enfin du cœur des perfides humains
Ne laisse voir que l'apparence.
Contre nos trahisons la nature en courroux
Ne nous donne plus rien sans peine.
Nous cultivons les vergers et la plaine,
Tandis, petits oiseaux, qu'elle fait tout pour vous.
Les filets qu'on vous tend sont la seule infortune
Que vous avez à redouter.

Cette crainte nous est commune ;

Sur notre liberté chacun veut attenter:
Par des dehors trompeurs on tâche à nous surprendre.
Hélas! pauvres petits oiseaux,

Des ruses du chasseur songez à vous défendre:
Vivre dans la contrainte est le plus grand des maux.

STANCES.

Hé! que te sert, Amour, de me lancer des traits ?
N'ai-je pas reconnu ta fatale puissance?
Ne te souvient-il plus des maux que tu m'as faits?
Laisse-moi dans l'indifférence,

A l'ombre des ormeaux, vivre et mourir en paix.

Souvent, dans nos plaines fleuries,

Je mêle, avec plaisir, mes soupirs à mes pleurs.
Le chant des rossignols, les déserts enchanteurs,
Le murmure des eaux, et l'émail des prairies,

Mon chien sensible à mes douleurs,
Mes troupeaux languissants, ces guirlandes de fleurs,
Que le temps, mes soupirs et mes pleurs ont flétries,
Don cher et précieux du plus beau des pasteurs,
Tout nourrit avec soin mes tendres rêveries.

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