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Fénelon, des bons rois l'instituteur divin,
Dans sa prose traînante est un faible écrivain;
Par grâce à La Fontaine on laisse quelques fables.
Nos orateurs chrétiens sont froids ou détestables.
Massillon, Bourdaloue, en deux ou trois discours,
A peine ont de quoi plaire aux lecteurs de nos jours.
De l'immortel Pascal on attaque la gloire.
Le vengeur de la foi, le flambeau de l'histoire,
Des plus parfaits écrits l'incomparable auteur,
L'éloquent Bossuet n'est qu'un déclamateur.
On accable Boileau d'invectives rimées ;
On le déchire en prose. O troupe de Pygmées!
S'il pouvait un moment revenir parmi nous,
Comme un effroi soudain vous disperserait tous !
Au feu de ses éclairs, aux éclats de sa foudre,
Que bientôt à ses pieds vous tomberiez en poudre !
Vos maîtres ne sont plus, mais leurs écrits vivront;
Ils vivront à jamais, les vôtres périront,

Profitez du moment, jouissez du prestige;
Le bon sens en gémit, la raison s'en afflige.
Qu'importe à des tyrans? Ils règnent, c'est assez,
Par eux les vrais talens semblent être éclipsés.
Philosophes du jour, et précepteurs du monde,
Enflés de la faveur dont le vent les seconde,
Ils troublent à l'envi, par leurs cris assidus,
Et tout ce qui respire, et tout ce qui n'est plus.
C'est peu que les vivans éprouvent leur furie ;
Leur sombre vanité, qui de fiel s'est nourrie,
Portant dans les tombeaux ses odieux efforts,
Se fait un aliment de la cendre des morts.

Et cependant, ami, ces mortels téméraires,
Ces esprits envieux, méchans, atrabilaires,
Aux yeux de l'univers nous font avec fierté
De leurs rares vertus l'étalage affecté.
Chez eux tout est parfait, et leur bouche l'atteste.
La vérité sans doute a le ton plus modeste.
Mais leur âme, crois-moi, qui cherche à nous tromper,
A ses propres regards ne saurait échapper.
Ils se connaissent mieux qu'on ne peut les connaître;
Ils ne furent jamais ce qu'ils voudraient paraître.
Ils savent bien, ces cœurs doubles et tortueux,
Que nul d'entre eux n'est grand, ni bon, ni vertueux,
Contre leurs jugemens qu'eux-mêmes ils réclament;
Qu'ils approuvent tout bas ce que tout haut ils blâment;
Que, loués l'un par l'autre en de nombreux écrits
L'un pour l'autre en secret ils n'ont que du mépris,
Que leur gloire est le fruit des plus vils artifices,
Leur vertu, l'art trompeur qui sait masquer leurs vices;
Qu'ils se cachent en vain sous ce faible bandeau,
Et que du philosophe ils n'ont que le manteau.
De faux sages unis sont toujours de faux frères.

Eux-mêmes tôt ou tard découvrent leurs mystères.
Il ne faut qu'un caprice, une rivalité,
Qu'un succès trop brillant, un écrit trop vanté,
Qu'un refus de louange, injuste ou légitime,
C'en est fait, il n'est plus d'amitié ni d'estime ;
Il n'est plus de liens entre ces cœurs jaloux,
Et l'intérêt d'un seul vend le secret de tous.
Le bien ne sort jamais du sein de la malice.
Est-ce l'humanité, l'amour de la justice,
Est-ce le goût du vrai qui forme des complots,
Qui traite les humains d'ignorans ou de sots,
Qui fronde, qui détruit, qui ment, qui calomnie,
Qui n'épargne ni rang, ni vertu, ni génie,
Et qui, par cent canaux secrètement ouverts,
Du venin de sa rage infecte l'univers ?

Ami, le vrai mérite abhorre ces intrigues,
Il ne subsiste point par le secours des brigues;
Opprimé pour un temps, il triomphe à son tour,
Et ne doit qu'à lui scul ce trop juste retour.

Mais admire avec moi les travers où s'égare
De ces hommes altiers l'injustice bizarre.
Un seul mot qui les blesse est un crime odieux.
Veulent-ils se venger, tout est juste à leurs yeux.
Boileau, qui d'Apollon réglait si bien l'empire,
Cet unique Boileau, qu'en vain l'on veut proscrire,
Et dont les vers heureux, sans cesse répétés,
Par ses propres censeurs sont toujours imités,
Qu'a-t-il dit, qu'a-t-il fait dans ses divins ouvrages,
Qui dût à sa mémoire attirer tant d'outrages?
Il se plut à fronder les Pradons, les Cotins;
Il traduisit les Grecs, imita les Latins;

Ce sont de grands forfaits : mais a-t-il dans ses rimes
De l'exacte décence oublié les maximes?
Des méchans écrivains a-t-il noirci les mœurs,
Inondé le public d'injures et d'horreurs,
D'écrits licencieux amusé les ruelles,
Rempli d'obscénités des feuilles criminelles?
A-t-il enfin souillé, par de honteux écarts,
Ses talens, ses succès, et la gloire des arts?

Tel fut donc ce Boileau. Quels sont ses adversaires?
Des sages, nous dit-on, qui, des esprits vulgaires,
N'ont jamais adopté le goût ni les erreurs.
Quels sages! ou plutôt quels sophistes menteurs!
Ils blâment la satire, et forgent des libelles;
Ils prêchent la concorde, et vivent de querelles.
Mais dans tous ces combats ils affichent en vain
Un faux air de mépris, un insolent dédain.
Leur dépit orgueilleux se décèle et transpire :
Le chagrin les dévore; et, quand ils semblent rire,
Ce n'est qu'un ris forcé, qui, par de vains éclats,

Peint dans un furieux la gaîté qu'il n'a pas.

Mais comment, dans un siècle où nous parlons sans cesse
De mœurs, d'humanité, de douceur, de sagesse,
Termes si rebattus que l'écho des déserts
Est las de les entendre et d'en remplir les airs;
Comment, dis-je, en un siècle et si doux et si sage,
Au mensonge, aux noirceurs donne-t-on son suffrage?
N'en soyons pas surpris : ce siècle trop flatté
Est le siècle du luxe et de la volupté.

Tu connais mieux que moi les archives du monde;
Le luxe est des grands maux la semence féconde.
Ses charmes n'ont jamais adouci les mortels,
Les corps sont amollis, et les cœurs sont cruels.
Quand le luxe, aux Romains plus fatal que la guerre,
Se fut emparé d'eux pour mieux venger la terre,
Les arts dont il abuse, irritant leurs désirs,
Livrèrent ces vainqueurs à d'infâmes plaisirs.
Le sang humain coula dans les amphithéâtres;
De ce spectacle affreux devenus idolâtres,
Les neveux de Camille et du censeur Caton
Riaient à ces combats qu'abhorrait Cicéron.
Les danses, les festins, les amours adultères,
Se mêlaient tour à tour à leurs jeux sanguinaires.
Rome sévère et sobre eut des enfans humains;
Elle changea de mœurs, et n'eut plus de Romains.
Nous-mêmes, descendus d'aïeux un peu rustiques,
Sommes-nous ces Français dont les fastes antiques
Célébraient les vertus et les nobles travaux ?
Terribles aux combats, gais dans leurs vieux châteaux,
Sur des airs villageois ils chantaient leurs prouesses,
Leur prince, leur pays, quelquefois leurs maîtresses,
Et malheur à quiconque, en des vers pleins de fiel,
Eût outragé son frère ou blasphémé le Ciel.
De ces bons chevaliers l'âme franche et loyale
Aurait mal accueilli cette verve brutale.

Ils n'étaient point savans, encor moins beaux esprits;
Mais des devoirs de l'homme ils connaissaient le prix.
L'union des époux, le bonheur domestique,
Le respect des autels, l'honneur, la foi publique,
De la société resserraient le lien;

Ce fut notre âge d'or, car tout peuple eut le sien.

Tu reconnais, ami, le portrait de nos pères;
Tu reconnais ces mœurs qui te sont toujours chères,
Ces mœurs que tu peignis avec tant de chaleur,
Dans cet heureux volume, ouvrage de ton cœur.
De nos preux devanciers tu ranimes la cendre;

On croit, en te lisant, leur parler, les entendre.
Flatteuse illusion! leur âme et leurs vertus
Vivant dans tes écrits, ailleurs n'existent plus.
Que diraient-ils, ces morts, l'honneur de notre empire,
Les Gaston, les Bayard, les Dunois, les Lahire,
S'ils voyaient aujourd'hui leurs neveux délicats
Dans des chars élégans promener leurs appas;
Et de petits guerriers, sous de hautes frisures,
Dormir dans leurs boudoirs sur un tas de brochures ?
Quel changement! Nos arts affaiblis, énervés,
Prêtent leur ministère à des goûts dépravés.
Leurs travaux réunis se consacrent au vice;
D'un monde enthousiaste ils servent le caprice.
Le luxe est leur Mécène; il forme les talens;
Il les rend, comme lui, frivoles, insolens;

Il donne aux méchans vers des fleurons, des vignettes,
D'ornemens fastueux enrichit des sornettes,

Y répand la licence, en exclut la pudeur,
Corrompt l'art du poète et l'esprit du lecteur;

Et pour mieux cimenter tous les maux qu'il fait naître,
Ce luxe est philosophe, ou du moins prétend l'être.

Cet insigne travers nous était destiné.
L'homme à ses passions le plus abandonné,
Aux sermens de l'hymen l'époux le moins fidèle,
L'épouse à ses devoirs publiquement rebelle,
Le jeune efféminé, le vieillard scandaleux,
Le publicain nourri des pleurs du malheureux,
Le magistrat qui vend le glaive et la balance,
Le prélat dont le pauvre a maudi l'opulence,
Le ministre ennemi du prince et de l'état,
Et le prêtre incrédule, et le moine apostat,
Tous suivent l'étendard de la philosophie,
Et font de ses leçons la règle de leur vie.

Leurs maîtres cependant, par de faux désaveux,
Cherchent à repousser les traits lancés contre eux.
On sème, disent-ils, de ridicules craintes.
Cette philosophie, objet de tant de plaintes,
Ce complot dangereux dont on fait tant de bruit,
N'est qu'un fantôme, un nom qu'un zèle amer poursuit.
Ils prennent à témoin de cette haine extrême,
Les rois, les nations, la terre, le ciel même.
Mais que prouvent enfin ces discours et ces cris?
Interrogeons les mœurs, consultons les écrits;
Et jugeons par les faits, jugeons par les ouvrages,
Si le siècle présent est le siècle des sages.

VERT-VERT.

A MADAME L'ABBESSE DE ***.

CHANT PREMIER.

Vous, près de qui les grâces solitaires
Brillent sans fard, et règnent sans fierté;
Vous, dont l'esprit, né pour la vérité,
Sait allier à des vertus austères
Le goût, les ris, l'aimable liberté;
Puisqu'à vos yeux vous voulez que je trace
D'un noble oiseau la touchante disgrâce,
Soyez ma muse, échauffez mes accens,
Et prêtez-moi ces sons intéressans,
Ces tendres sons que forma votre lyre
Lorsque Sultane (1) au printemps de ses jours,
Fut enlevée à vos tristes amours,
Et descendit au ténébreux empire.
De mon héros les illustres malheurs
Peuvent aussi se promettre vos pleurs :
Sur sa vertu par le sort traversée,
Sur son voyage et ses longues erreurs,
On aurait pu faire une autre Odyssée,
Et par vingt chants endormir les lecteurs;
On aurait pu des fables surannées
Ressusciter les diables et les dieux,
Des faits d'un mois occuper des années,
Et, sur des tons d'un sublime ennuyeux,
Psalmodier la cause infortunée
D'un perroquet non moins brillant qu'Énée,
Non moins dévot, plus malheureux que lui:
Mais trop de vers entraînent trop d'ennui.
Les muses sont des abeilles volages;
Leur goût voltige, il fuit les longs ouvrages,
Et, ne prenant que la fleur d'un sujet,
Vole bientôt sur un nouvel objet.

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Dans vos leçons j'ai puisé ces maximes :
Puissent vos lois se lire dans mes rimes!
Si, trop sincère, en traçant ces portraits
J'ai dévoilé les mystères secrets,
L'art des parloirs, la science des grilles,
Les graves riens, les mystiques vétilles,
Votre enjoûment me passera ces traits.
Votre raison, exempte de faiblesses,
Sait vous sauver ces fades petitesses;
Sur votre esprit, soumis au seul devoir,
L'illusion n'eut jamais de pouvoir;

Vous savez trop qu'un front que l'art déguise
Plaît moins au ciel qu'une aimable franchise.
Si la Vertu se montrait aux mortels,

Ce ne serait ni par l'art des grimaces,
Ni sous des traits farouches et cruels,
Mais sous votre air, ou sous celui des Grâces,
Qu'elle viendrait mériter nos autels.

Dans maint auteur de science profonde
J'ai lu qu'on perd à trop courir le monde ;
Très-rarement en devient-on meilleur :
Un sort errant ne conduit qu'à l'erreur.
Il nous vaut mieux vivre au sein de nos Lares,
Et conserver, paisibles casaniers,
Notre vertu dans nos propres foyers,
Que parcourir bords lointains et barbares :
Sans quoi le cœur, victime des dangers,
Revient chargé de vices étrangers.
L'affreux destin du héros que je chante
En éternise une preuve touchante :
Tous les échos des parloirs de Nevers,
Si l'on en doute, attesteront mes vers.

A Nevers donc, chez les Visitandines,
Vivait naguère un perroquet fameux,
A qui son art et son cœur généreux.
Ses vertus même, et ses grâces badines,
Auraient dû faire un sort moins rigoureux,
Si les bons cœurs étaient toujours heureux.
Vert-Vert (c'était le nom du personnage),

l'auteur de Vert-Vert, l'une des meilleures comédies du 18e siècle, le Méchant, ouvrage un peu froid peut-être, mais plein de verve et d'esprit, et écrit avec une élégance remarquable. Gresset fut membre de l'Académie française. Des scrupules de piété le firent par malheur renoncer à la poésie, et, chose singulière! il devint un des ennemis les plus ardens de l'art auquel il devait sa réputation. Il mourut à Amiens le 16 juin 1777.

Transplanté là de l'indien rivage,
Fut, jeune encor, ne sachant rien de rien,
Au susdit cloître enfermé pour son bien.
Il était beau, brillant, leste et volage,
Aimable et franc, comme on l'est au bel âge,
Né tendre et vif, mais encore innocent;
Bref, digne oiseau d'une si sainte cage,
Par son caquet digne d'être au couvent.

Pas n'est besoin, je pense, de décrire

Les soins des sœurs, des nonnes, c'est tout dire ;
Et chaque mère, après son directeur,
N'aimait rien tant: même dans plus d'un cœur,
Ainsi l'écrit un chroniqueur sincère,
Souvent l'oiseau l'emporta sur le père.
Il partageait, dans ce paisible lieu,

Tous les sirops dont le cher père en Dieu,
Grâce aux bienfaits des nonnettes sucrées,
Réconfortait ses entrailles sacrées.
Objet permis à leur oisif amour,
Vert-Vert était l'âme de ce séjour;
Exceptez-en quelques vieilles dolentes,
Des jeunes cœurs jalouses surveillantes,
Il était cher à toute la maison.
N'étant encor dans l'âge de raison,
Libre, il pouvait et tout dire et tout faire;
Il était sûr de charmer et de plaire.
Des bonnes sœurs égayant les travaux,
Il béquetait et guimpes et bandeaux;
Il n'était point d'agréable partie,
S'il n'y venait briller, caracoler,
Papillonner, siffler, rossignoler;
Il badinait, mais avec modestie,
Avec cet air timide et tout prudent
Qu'une novice a même en badinant.
Par plusieurs voix interrogé sans cesse,
Il répondait à tout avec justesse :
Tel autrefois César, en même temps,
Dictait à quatre, en styles différens.

Admis partout, si l'on en croit l'histoire,
L'amant chéri mangeait au réfectoire :
Là, tout s'offrait à ses friands désirs ;
Outre qu'encor pour ses menus plaisirs,
Pour occuper son ventre infatigable,
Pendant le temps qu'il passait hors de table,
Mille bonbons, mille exquises douceurs,
Chargeaient toujours les poches de nos sœurs.
Les petits soins, les attentions fines,
Sont nés, dit-on, chez les Visitandines;
L'heureux Vert-Vert l'éprouvait chaque jour.
Plus mitonné qu'un perroquet de cour,

Tout s'occupait du beau pensionnaire; Ses jours coulaient dans un noble loisir.

Au grand dortoir il couchait d'ordinaire :
Là, de cellule il avait à choisir ;
Heureuse encor, trop heureuse la mère
Dont il daignait, au retour de la nuit,
Par sa présence honorer le réduit!
Très-rarement les antiques discrètes
Logeaient l'oiseau ; des novices proprettes
L'alcove simple était plus de son goût :
Car remarquez qu'il était propre en tout.
Quand chaque soir le jeune anachorète
Avait fixé sa nocturne retraite,
Jusqu'au lever de l'astre de Vénus
Il reposait sur la boîte aux agnus.
A son réveil, de la fraîche nonnette,
Libre témoin, il voyait la toilette.
Je dis toilette, et je le dis tout bas;
Oui, quelque part j'ai lu qu'il ne faut pas
Aux fronts voilés des miroirs moins fidèles
Qu'aux fronts ornés de pompons et dentelles.
Ainsi qu'il est pour le monde et les cours
Un art, un goût de modes et d'atours,
Il est aussi des modes pour le voile;

Il est un art de donner d'heureux tours
A l'étamine, à la plus simple toile.
Souvent l'essaim des folâtres Amours,
Essaim qui sait franchir grilles et tours,
Donne aux bandeaux une grâce piquante,
Un air galant à la guimpe flottante;

Enfin, avant de paraître au parloir,

On doit au moins deux coups d'œil au miroir.
Ceci soit dit entre nous, en silence :
Sans autre écart revenons au héros.
Dans ce séjour de l'oisive indolence,
Vert-Vert vivait sans ennui, sans travaux :
Dans tous les cœurs il régnait sans partage.
Pour lui sœur Thècle oubliait ses moineaux;
Quatre serins en étaient morts de rage;
Et deux matous autrefois en faveur,
Dépérissaient d'envie et de langueur.

Qui l'aurait dit, en ces jours pleins de charmes,
Qu'en pure perte on cultivait ses mœurs;
Qu'un temps viendrait, temps de crime et d'alarmes,
Où ce Vert-Vert, tendre idole des cœurs,
Ne serait plus qu'un triste objet d'horreurs?
Arrête, muse, et retarde les larmes
Que doit coûter l'aspect de ses malheurs,
Fruits trop amers des égards de nos sœurs.

CHANT SECOND.

On juge bien qu'étant à telle école
Point ne manquait du don de la parole
L'oiseau disert; hormis dans les repas,
Tel qu'une nonne, il ne déparlait pas :
Bien est-il vrai qu'il parlait comme un livre,
Toujours d'un ton confit en savoir-vivre,
Il n'était point de ces fiers perroquets
Que l'air du siècle a rendus trop coquets,
Et qui, sifflés par des bouches mondaines,
N'ignorent rien des vanités humaines.
Vert-Vert était un perroquet dévot,
Une belle âme innocemment guidée;
Jamais du mal il n'avait eu l'idée,
Ne disait onc un immodeste mot:
Mais en revanche il savait des cantiques,
Des orémus, des colloques mystiques;
Il disait bien son Bénédicité,
Et Notre Mère, et Votre Charité,
Il savait même un peu du soliloque,

Et des traits fins de Marie Alacoque :

Il avait eu, dans ce docte manoir,
Tous les secours qui mènent au savoir.

Il était là maintes filles savantes

Qui mot pour mot portaient dans leurs cerveaux
Tous les noëls anciens et nouveaux.

Instruit, formé par les leçons fréquentes,
Bientôt l'élève égala ses régentes:

De leur ton même adroit imitateur,

Il exprimait la pieuse lenteur,

Les saints soupirs, les notes languissantes
Du chant des sœurs, colombes gémissantes :
Finalement, Vert-Vert savait par cœur
Tout ce que sait une mère de chœur.

Trop resserré dans les bornes d'un cloître,
Un tel mérite au loin se fit connaître ;
Dans tout Nevers, du matin jusqu'au soir,
Il n'était bruit que des scènes mignonnes
Du perroquet des bienheureuses nonnes;
De Moulins même on venait pour le voir.
Le beau Vert-Vert ne bougeait du parloir :
Sœur Mélanie, en guimpe toujours fine,
Portait l'oiseau : d'abord aux spectateurs
Elle en faisait admirer les couleurs,
Les agrémens, la douceur enfantine;

Son air heureux ne manquait point les cœurs.
Mais la beauté du tendre néophyte
N'était encor que le moindre mérite;

On oubliait ces attraits enchanteurs,

Dès que sa voix frappait les auditeurs.
Orné, rempli de saintes gentillesses,
Que lui dictaient les plus jeunes professes,
L'illustre oiseau commençait son récit;
A chaque instant de nouvelles finesses,
Des charmes neufs, variaient son débit:
Éloge unique et difficile à croire
Pour tout parleur qui dit publiquement,
Nul ne dormait dans tout son auditoire;
Quel orateur en pourrait dire autant?
On l'écoutait, on vantait sa mémoire :
Lui cependant, stylé parfaitement,
Bien convaincu du néant de la gloire,
Se rengorgeait toujours dévotement,
Et triomphait toujours modestement.
Quand il avait débité sa science,
Serrant le bec et parlant en cadence,
Il s'inclinait d'un air sanctifié,
Et laissait là son monde édifié.

Il n'avait dit que des phrases gentilles,
Que des douceurs, excepté quelques mots
De médisance, et tels propos de filles
Que par hasard on apprenait aux grilles,
Ou que nos sœurs traitaient dans leur enclos.

Ainsi vivait dans ce nid délectable,

En maître, en saint, en sage véritable,
Père Vert-Vert, cher à plus d'une Hébé,
Gras comme un moine et non moins vénérable,
Beau comme un cœur, savant comme un abbé,
Toujours aimé, comme toujours aimable,
Civilisé, musqué, pincé, rangé,
Heureux enfin s'il n'eût pas voyagé.

Mais vint ce temps d'affligeante mémoire,
Ce temps critique où s'éclipse sa gloire.
O crime! ô honte! ô cruel souvenir !
Fatal voyage! aux yeux de l'avenir
Que ne peut-on en dérober l'histoire!
Ah! qu'un grand nom est un bien dangereux!
Un sort caché fut toujours plus heureux.
Sur cet exemple on peut ici m'en croire,
Trop de talens, trop de succès flatteurs,
Traînent souvent la ruine des mœurs.

Ton nom, Vert-Vert, tes prouesses brillantes,
Ne furent point bornés à ces climats ;
La renommée annonça tes appas
Et vint porter ta gloire jusqu'à Nantes.
Là, comme on sait, la Visitation
A son bercail de révérendes mères,
Qui, comme ailleurs, dans cette nation,

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