Images de page
PDF
ePub
[blocks in formation]
[merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small]

Et le génie et la gafté

Ont marqué, par la main du sage,
Du sceau de l'immortalité;
Dites-moi, divin solitaire,
Dites, par quelle cruauté
Rappelez-vous à la lumière

Un phosphore, une ombre légère,
Qu'ont tracé mes faibles crayons,
Et dont la lueur passagère
S'efface au feu de vos rayons?,
Sur les songes de ma jeunesse
Laissez les voiles de l'oubli;
Que mon désert soit embelli
Par votre main enchanteresse.
Voilà le seul lien de fleurs
Par qui je veux tenir encore
A cet art qu'on profane ailleurs,
Et que la raison même adore
Quand il brille de vos couleurs.
Prenez cette lyre éclatante
Qui, par ses sons majestueux,
Maîtrise mon âme, m'enchante,
M'élève à la hauteur des cieux;
Ou que ce facile génie,
Qui de la céleste harmonic
Sait descendre aux délassemens
D'une douce philosophie,
M'offre encor ses amusemens,
Ces écrits sans cajolerie,
Sans satire, sans basse envie,
Ces écrits nobles et rians,
Sans pesante bouffonnerie,
Où la gaîté, jointe au bon sens,
Crayonne l'humaine folie

Sous les traits heureux et brillans
De la bonne plaisanterie,
Dont tout le monde a la manie,
Et qu'atteignent si peu de gens.
Mais, par malheur pour qui vous aime,
Ne confiant rien qu'à regret,
Toujours mécontent de vous-même,
Vous voulez être trop parfait,
Et, dans votre trop beau système,

[ocr errors][merged small][merged small][merged small]

Quelques ombres, quelques défauts
Ne déparent point une belle :

Trois fois j'ai vu la Voltaire nouvelle,
Et trois fois j'ai trouvé des agrémens nouveaux.
Aux règles, me dit-on, la pièce est peu fidèle.
Si mon esprit contre elle a des objections,
Mon cœur a des larmes pour elle :

Les pleurs décident micux que les réflexions.
Le goût, partout divers, marche sans règle sûre;
Le sentiment ne va point au hasard :

On s'attendrit sans imposture;

Le suffrage de la nature
L'emporte sur celui de l'art.
Oui, préférant à la règle sévère
L'enchantement d'un délire divin,

En dépit du Zoïle et du censeur austère,
Je compterai toujours sur un plaisir certain;
Quand on réunira les muses de Voltaire

Et les grâces de la Gaussin

L'ART D'AIMER.

CHANT PREMIER.

J'ai vu Coigny, Bellone, et la Victoire;
Ma faible voix n'a pu chanter la gloire:
J'ai vu la cour; j'ai passé mon printemps
Muet aux pieds des idoles du temps:
J'ai vu Bacchus, sans chanter son délire :
Du dieu d'Issé j'ai dédaigné l'empire:
J'ai vu Plutus ; j'ai méprisé sa cour:
J'ai vu Daphné; je vais chanter l'Amour.

Toi seul, ô toi! jeune objet que j'adore,
De tous les dieux sois le seul que j'implore ;
Que l'art d'aimer se lise en traits vainqueurs,
En traits de feu, tel qu'il est dans nos cœurs.
L'amour m'inspire, il m'apprend comme on aime;
De ses plaisirs instruisons l'amour même.
A tes genoux, dans tes bras, sous tes yeux,
J'en donnerais des leçons, même aux dieux.
Aux vrais amours ma lyre consacrée
Ne chante point et Lampsaque et Caprée,
Ni de Chrysis les lascives fureurs,

Ni de Flora les nocturnes horreurs.
Qu'ici l'Amour, épurant son système,

Nu, mais décent, plaise à la pudeur même ;
Que Vénus donne à Vesta des désirs :
Je veux des mœurs compagnes des plaisirs.
Qu'à d'autres chants soit aussi réservée,
De Sybaris la mollesse énervée,
Des Amadis les respects insensés,
Et du Lignon les bords toujours glacés.
Dans mes portraits, Albane plus fidèle,
Peignons l'Amour comme on peint une belle ;
D'un jour aimable éclairons son tableau,
Vrai, mais flatté, tel qu'il est, mais en beau.

BERNARD (PIERRE-JOSEPH), né à Grenoble en 1710, était fils d'un sculpteur; il fit ses études chez les jésuites, qui l'engagèrent vivement à se fixer parmi eux; mais un goût décidé pour les plaisirs le rendit sourd à leurs conceils et à leurs prières. Bernard croyait que Paris était le seul théâtre où son esprit et ses talens pouvaient se faire jour rapidement et briller dans tout leur éclat; il y vint donc; mais, contre son espoir, il y passa deux ans dans l'obscurité la plus complète. Son épitre à Claudine et sa chanson de la Rose attirèrent enfin l'attention sur lui; dès lors il trouva des protecteurs, et se vit recherché de

[ocr errors]

J'appelle amour cette atteinte profonde,
L'entier oubli de soi-même et du monde,
Ce sentiment soumis, tendre, ingénu,
Prompt, mais durable, ardent, mais soutenu
Qu'émeut la crainte, et que l'espoir enflamme
Ce trait de feu qui des yeux passe à l'âme,
De l'âme aux sens; qui, fécond en désirs,
Dure et s'augmente au comble des plaisirs;
Qui, plus heureux, n'en est que plus avide:
Voilà le dieu de Tibulle et d'Ovide,
Voilà le mien. Heureux cent fois le cœur
Qui tient du ciel cet ascendant vainqueur!

Quand ce rayon, cette vive étincelle Perce au travers du sein qui la recèle, Voici les lois qu'un amant peut ouir : Choisir l'objet, l'enflammer, en jouir. Beautés, amans, voilà notre carrière.

Déjà mon char a franchi la barrière;
Daphné me voit; et l'Amour qui m'entend
Met dans ses mains le myrte qui m'attend.
Jadis un sage, armé d'un trait de flamme,
Analysa les voluptés de l'âme :
Platon.... Mais quoi! d'un froid mortel atteint,
L'Amour a fui, son flambeau s'est éteint.
Cesse, a-t-il dit, ou choisis mieux ton guide;
A ses leçons vois l'ennui qui préside.
Oses-tu bien à Cythère, à ma cour,
Donner pour loi son chimérique amour?
Ne veux-tu pas, martyr de la constance,
Prêcher des cœurs l'éternelle alliance?
Mais devant qui, zélateur indiscret,
De tes langueurs vas-tu chanter l'attrait?
Un joug pénible est-il donc le partage
D'un peuple ardent, indocile, volage,
Fidèle à Mars, mais perfide aux amours,
Fait pour jouir, plaire, et changer toujours?
Vois par ses goûts quel doit être son mastre;
Et, pour l'instruire, apprends à le connaître.

toutes les sociétés, dont il fit les délices par les charmes de son esprit et la lecture de ses vers nains, vifs et badins, dont quelques-uns sont dignes d'Anacréon Les principaux titres littéraires de Bernard sont le poème de l'Art d'aimer, l'opéra de Castor et Pollux et plusieurs petites pièces gracieuses et légères auxquelles il dut le surnom de Gentil-Bernard que lui donna Voltaire. L'abus de tous les plaisirs avait de bonne heure épuisé ses forces: aussi vécut-il pendant plus de deux années dans un état voisin de l'imbécillité, avant que la mort mit un terme à ses souffrances. Ce fut le 1er novembre 1775 qu'il expira.

Dieu de mon cœur, 'tes abús font mes lois;
Je n'irai point, en preceptes gaulois,
Changer les mœurs de tes chers infidèles,
Vieillir ton âge, attenter sur tes ailes;
Tout m'est sacré dans le dieu que je sers;
De tes captifs j'adoucirai les fers,
Mais sans prescrire une loi qui t'étonne.
Ta gloire, Amour, ton intérêt ordonne
Que la constance, éprouvant nos désirs,
Verse à longs traits la coupe des plaisirs.

Toi dont le cœur est né pour la tendresse
Conçois tout l'art du choix d'une maîtresse;
Il veut des soins ingénieux, constans.
Cherche, étudie et les lieux et les temps.
Compare, oppose, et vois d'un œil austère
L'âge, les goûts, l'âme, et le caractère.
A tes regards mille objets sont offerts;
Choisis. Mais, dieux! se choisit-on des fers?
A-t-on le temps de chercher et d'élire?
Raisonne-t-on ? l'amour est un délire.
L'oiseau qu'en l'air un chasseur a blessé
A-t-il pu voir le trait qu'on a lancé?

Les traits d'Amour sont encor plus rapides;
Son bras caché frappe ses coups perfides;
Il rit d'un cœur vainement étonné,
Le matin libre, et le soir enchaîné.
Le ravisseur qui mit Pergame en poudre
De cet Amour sentit le coup de foudre :
Didon brûla d'aussi rapides feux.
Ceux dont le ciel maîtrise ainsi les vœux
N'ont, pour aimer, aucune étude à faire;
Mais, par mes lois, je leur enseigne à plaire.
Vous que l'Amour brûle plus lentement,
Apprenez l'art de choisir en aimant.

Tel que Zéphyre, au moment qu'il s'éveille,
Marque les fleurs que doit sucer l'abeille,
Moi, je parcours les jardins de Cypris,
Et des beautés je marque ainsi le prix.

En remontant aux sources du bel âge
Vois l'innocence, adore son langage,
Les pleurs naïfs, le sourire enfantin,
L'air ingénu, le regard incertain.
Quand les beautés, crédules et craintives,
Tiennent encor leurs caresses captives;
Quant la nature, épiant tous ses sens,
Baisse les yeux sur ses trésors naissans,
Rougit de plaire en cherchant à séduire,
Et veut ensemble ignorer et s'instruire :
Voilà quinze ans. L'aube aimable du jour,
C'est une belle, enfant comme l'Amour,

Qui n'a d'attraits que sa fraîcheur nouvelle,
Et sa pudeur, des grâces la plus belle.
L'âge qui suit, développant ses traits,
Offre à l'Amour de plus piquans attraits.
Au doux éclat qu'a produit cette aurore
Succède un jour plus radieux encore;
Et tous les fruits qu'un amant peut cueillir
Ont achevé de naître et d'embellir.
L'essor est pris, l'âme a senti ses ailes;
Tous ses besoins sont des fêtes nouvelles;
Le cœur instruit démêle ses désirs;
C'est à vingt ans qu'on a tous les plaisirs.

1 De trente hivers le temps marque les traces;
La beauté perd ce qu'on ajoute aux grâces;
On n'est plus jeune, on est belle pourtant;
On met plus d'art aux piéges que l'on tend :
C'est le tissu des intrigues secrètes,
L'art des atours, l'arsenal des toilettes :
Le soin de plaire, et la soif de jouir,
Redouble encor, loin de s'évanouir.
Par l'âge accrus, les sens ont plus d'empire :
C'était l'amour, c'est alors son délire;
Ardent, avide, impétueux, hardi,
C'est un soleil brûlant en son midi.

Moins jeune encor la beauté nous engage.
L'art du maintien, les grâces du langage,
Les dons acquis, les charmes empruntés,
Donnent un lustre au couchant des beautés.
L'amour, fidèle à leurs flammes constantes,
Se glisse encor sous les rides naissantes,
Et, pour régner jusqu'aux derniers instans,
Sème de fleurs les ruines du temps..
La jeune rose, en se pressant d'éclore,
Fait au matin le charme de l'aurore;
Clytie, au soir, dans son riche appareil,
Fait l'ornement du coucher du soleil.
Tout plaît un jour, tout âge a ses délices :
Ces dons divers sont faits pour nos caprices;
Par eux l'Amour, variant ses attraits,
Forme un carquois d'inépuisables traits.
Il est des yeux dont la langueur touchante
Pénètre un cœur, l'amollit et l'enchante :
D'autres plus vifs l'enflamment à leur tour;
Ce sont les traits, les foudres de l'Amour.
L'une a du port l'élégante noblesse,
L'autre une taille où languit la mollesse;
Plus d'embonpoint embellit celle-ci,
Là sont les lis, les roses sont ici.
Chaque beauté fait un lot à chacune :
Laure était blonde, et Gorinne était brune,

Quand l'œil a vu, quand ce trait est lancé,

« PrécédentContinuer »