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ODE

POUR MONSEIGNEUR LE DUC DE BELGRADE, PAIR ET GRAND ÉCUYER DE FRANCE.

Amour à qui je dois les chansons immortelles
Qui par toute la terre ont volé sur tes ailes,
Et qui seul m'as enflé le courage et la voix,
N'es-tu pas bien enfant, alors que tu m'invites
D'oublier les rigueurs pour chanter les mérites
D'une ingrate beauté qui méprise tes loix?

Permets qu'employant mieux les accords de ma lyre,
Je chante mon Roger, l'honneur de cet Empire,
Et qui dessous le tien si long-temps a vécu ;
Puisque de sa valeur tu fus tousjours le maître,
Et disant ses vertus ne fais-je pas connoître
La gloire du vainqueur par celle du vaincu ?

Quand trois lustres passez le mirent hors d'enfance,
Et que parmi la joye et la magnificence
Les belles admiroient ses aimables appas,
Combien en oyoit-on soupirer leur martyre?

Si tu voulois, Amour, tu sçaurois bien qu'en dire.
Toy qui ne l'as jamais abandonné d'un pas.

A peine le coton ombrageoit son visage,
Que déjà, sous Henry, ce généreux courage
Fit voir par les effets qu'il étoit fils de Mars;
Toy-même dès ce temps l'aimas comme ton frère,
Et quittas sans regrets le giron de ta mère,
Pour suivre sa fortune au milieu des hazards.

Tu fus tousjours depuis son démon tutélaire,
Tu fis avecque luy ta demeure ordinaire,
Quelquefois dans son cœur, quelquefois dans ses yeux:
De ses plus beaux desseins tu fus tousjours complice,
Et préférois l'honneur de luy rendre service
A celuy de régir les hommes et les dieux.

Pour éclairer ses pas avecque ton flambeau?
Et quand toute la cour admiroit ses merveilles,
Pour voir en tous endroits ses grâces nompareilles,
Combien as-tu de fois arraché ton bandeau ?

Mais nos prospéritez sont de courte durée,
Il n'est point ici-bas de fortune asseurée,
Elle changea bientost nos plaisirs en douleurs ;
Quand durant une paix en délices féconde,
La Seine, par la mort du plus grand roy du monde,
Vit rouler dans son lict moins de flots que de pleurs.

En vain lors les esprits envieux de sa gloire Dégorgèrent le fiel de leur malice noire Pour lui ravir l'honneur dont il est revestu ; L'équité de ses mœurs qui lui servoit d'égide Fit qu'après ces travaux, à la fin cet Alcide Força mesme Junon d'admirer sa vertu.

Tel qu'un chesne puissant dont l'orgueilleuse teste,
Malgré tous les efforts que luy fait la tempeste,
Fait admirer nature en son accroissement;
Et son tronc, vénérable aux campagnes voisines,
Attache dans l'enfer ses secondes racines,

Et de ses larges bras touche le firmament:

Tel parut ce guerrier, quand leurs folles pensées
Taschèrent de ternir ses actions passées.
Plus il fut traversé, plus il fut glorieux;

Sa barque triompha du courroux de Neptune,
Et les flots qu'émouvoient les vents de la fortune,
Au lieu de l'engloutir l'élevèrent aux cieux.

Ses lauriers respectez des tempestes civiles,
Dans les champs où la Saône épand ses flots tranquilles,
Protégèrent Thémis en nos derniers malheurs ;
Aux vents séditieux ils défendolent l'entrée,
Et n'en souffroient aucun en toute la contrée,
Que celuy seulement qui fait naistre les fleurs.

Quand ses jeunes attraits triomphoient des plus belles, Déjà se rallumoient nos rages domestiques, Combien as-tu de fois fendu l'air de tes ailes

HONORAT DE BUEIL, marquis de RACAN, naquit à la Roche-Racan, en Touraine, en 1589, et y mourut en 1670. A l'âge de seize ans il fut placé sous les ordres du duc de Belgrade, en qualité de page de la chambre du roi. Ce fut dans la maison de ce seigneur que Racan rencontra pour la première fois Malherbe, qui devint son maître et son ami. Racan fit quelques campagnes à la suite desquelles il revint à Paris. Alors il consulta Malherbe sur le parti qu'il lui convenait de prendre, et l'état qu'il de

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Déjà Mars apprestoit les spectacles tragiques

vait décidément embrasser: Malherbe, pour toute réponse; lui récita le Meunier, son fils et l'ane, fable du Pogge, et Racan se décida pour le mariage. Il consacra, depuis ce moment, ses loisirs au culte des muses, et mérita par ses Bergeries et quelques stances pleines de naturel et de simplicité une place distinguée parmi les poètes de son temps.

Racan fut un des premiers membres de l'Académie française.

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