Images de page
PDF
ePub

Il inspirait Virgile, Homère et Démosthènes, Il éclatait dans Rome, il tonnait dans Athènes.

Il connaît l'art divin d'instruire et de charmer;
Le vrai, toujours sublime, est prompt à l'enflammer.
Il ose être lui seul artisan de sa gloire;
On ne le vit jamais dérober la victoire,

Ni d'une alle étrangère empruntant les essors,
D'un succès mécanique arranger les ressorts.

La gloire se refuse au servile délire,
Aux sons adulateurs d'une profane lyre :
Mais un libre génie au silence des bois,
Seul, de la Renommée éveille les cent voix.

C'est là qu'à ses regards brillent sans imposture
Les traits, ces premiers traits qu'a semés la nature,
Son amant y saisit des pinceaux enchanteurs,
Et soumet la pensée au charme des couleurs.

S'il porte à la beauté d'harmonieux hommages,
Sur les tiges des fleurs il cueille ses images;
S'il peint l'éclat des dieux et l'immortel séjour,
Il trempe ses pinceaux dans les flammes du jour;
S'il veut peindre le sage au front calme et sublime,
D'un cèdre vénérable il contemple la cîme;
S'il égare un baiser, s'il enflamme un soupir,
11 attache à ses vers les ailes du zéphyr;
S'il peint l'amour heureux, ses tendres rêveries
Dépouillent les gazons et l'émail des prairies:
S'il aime à soupirer d'amoureuses douleurs,
Tourterelle plaintive, il dérobe tes pleurs.

Un lac tranquille et pur, une onde à peine errante,
Lui peint le calme oisif d'une âme indifférente.
S'il tente les volcans, il mêle dans ses vers
Et le bruit de la foudre et le feu des éclairs.
S'il peint Mars irritant de féroces courages,
Il monte ses accords sur le ton des orages;
Ou dans les sombres bois il emprunte l'horreur
D'une affreuse harmonie aux torrens en fureur.

Tantôt ces noirs vallons où grondent les ravines, Tantôt ces doux Tempés, ces retraites divines, Bords peuplés de zéphyrs, de nymphes et d'amours, Dérobent le génie au tourbillon des cours.

Amant de la nature, et varié comme elle,
Il sait peindre sans fard les traits de l'immortelle.
Il est de ces auteurs dont le vague pinceau
Voudrait de la nature embellir le tableau:
Même dans ses horreurs la nature est sublime.

Ces forêts, dont l'hiver a secoué la cime,

L'aurore qui s'éveille au milicu des frissons,
Et ses pleurs en cristal suspendus aux buissons.
Ces gazons attristés, que les frimas blanchissent,
Ces torrens vagabonds, ces rochers qu'ils franchisseat
Ces eaux que l'aquilon roule en voile ondoyant,
La feuille qui dans l'air voltige en tournoyant,
Plairaient mieux que Vénus, et les Grâces et Flore;
Dans les vers de Bernis toujours prêtes d'éclore;
Toujours de la nature il farde les portraits,
Et même en la peignant il n'a point vu ses traits.

La nature en gémit; l'art, ce tyran des villes. Prête de vains succès à des muses stériles.

L'esprit, évaporé dans les cercles bruyans,
Ne suit qu'un fól usage et des goûts ondoyans;
Mais, éprise des bois et du calme accueillie,
Lumineuse et profonde, active et recueillie,
L'étude rêve, au sein des antres écartés :
L'immortelle nature y veille à ses côtés.
Le génie à ses yeux s'enflamme et se déploie,
Puise dans ses travaux une sublime joie,
Aux profanes jaloux dérobe ses plaisirs,
Pour rendre à l'univers compte de ses loisirs.

La gloire se nourrit du silence et de l'ombre.
Sans de profonds loisirs, et des veilles sans nombre,
Képler, Bayle, Descarte, et Corneille et Milton,
N'eussent jamais loin d'eux fait éclater leur nom.
Sans éveiller l'envie inquiète, alarmée,
Long-temps ils méditaient leur vaste renommée;
Mais ils laissaient à peine échapper leurs travaux,
Qu'un éclat imprévu foudroya leurs rivaux.

Avant que Jupiter éclate sur nos têtes,
Un nuage long-temps médite les tempêtes,
D'un bitume orageux nourrit son vaste corps,
De la foudre en silence amasse les trésors;
Riche d'onde et de flamme, il vole, éclate, tonne,
Et parcourt en grondant le globe qu'il étoune.

Ah! qui n'a point l'amour de l'ombre et des forêts, Vil profane, du Pinde ignore les secrets.

Bords sacrés du Permesse, ô grottes, ô bocages,
Quel dieu m'arrêtera sous vos divins ombrages!
Nymphes du Mincius, rendez à mes transports
Les traces de Virgile empreintes sur vos bords.
Puissé-je, ô Tivoli, rêver dans tes bois sombres,
Y consulter encor tes poétiques ombres,
Et peut-être évoquer les mânes radieux
De l'amant de Glycère, et du chantre des dieu
Oh! quel charme d'errer aux antres de Riphée!

D'y recueillir encor dans la grotte d'Orphée, ~
Son âme harmonieuse, et les nobles débris
D'un luth qui mit en pleurs les rochers attendris!

La solitude inspire, et l'ombrage recèle
Des poétiques feux la sublime étincelle.
Les antiques forêts, leur vaste liberté,

Prête aux enfans du Pinde une heureuse fierté.
L'enthousiasme épars dans leurs routes perdues,
Saisit de tous ses feux nos âmes éperdues.

LE BRUN.

Se rejette, effrayé du casque de son père;
Andromaque se trouble à ces naïves peurs;
Elle jette un sourire, hélas ! mêlé de pleurs.
O plaintive Andromaque! ô touchantes alarmes !
Quel barbare oserait vous refuser des larmes!

Si de la jeune Hélène il colore les traits,
S'il peint de Calypso la grotte et les attraits,
De grâces et de fleurs il sème leur peinture.
Quand sa main, de Vénus a tissu la ceinture,

Les bois, les prés, les eaux, l'azur des cieux ouverts, Sa main entrelaça les baisers, les langueurs, Sont l'âme du génie et la source des vers.

Hésiode, assoupi dans les vallons d'Ascrée,
Sentit mieux des neuf sœurs l'influence sacrée.
Pindare s'égarant sous les bois de Cadmus,
De l'Ismène cent fois ravit les flots émus.
Théocrite fuyait les murs de Syracuse
Pour éveiller sa lyre aux sources d'Aréthuse.
Virgile préféra les bords de ses marais
Aux fêtes de Capoue, au luxe des palais.
Cicéron méditait dans les bois de Tuscule;
Les bois chers à Délie inspirèrent Tibulle.
Des tumultes de Rome Horace épouvanté,
Redemandait toujours ce Tibur si vanté,
Ses festins innocens, ses mauves salutaires,
Et des vallons sabins les antres solitaires.
C'est de là qu'insultant au luxe des Romains,
Il peignait le bonheur des champêtres humains.

Ah! s'il n'eût point rêvé dans les forêts d'Algide,
Aurait-il vu Pallas secouant son égide,
De leurs monts orgueilleux les géans accablés,
Et le Styx s'agitant sous des roseaux brûlés?
Sur les glaces de l'Ebre eût-il vu les bacchantes
Parer d'affreux serpens leurs têtes menaçantes,
Ou l'âme de Caton échappant à César,
Lorsqu'il traînait le monde et les dieux à son char?

O muse! ô docte ivresse! 6 fureur libre et sainte!
C'est toi qui des cités fuyais l'ombre et l'enceinte,
Quand, pour donner aux Grecs d'harmonieuses lois,
Homère osa chanter les querelles des rois.
Tu livrais la nature à son vol sans limite,
Que l'esprit n'ose atteindre, et qu'en vain l'art imite.
Quel feu! quels traits divins! quels sublimes pinceaux!
Quels dessins variés d'innombrables tableaux!
L'univers se peignait dans cette âme profonde,
De naïves beautés source à jamais féconde.

Par lui, Minerve coule aux lèvres de Nestor; L'Amour pleure aux adieux de l'épouse d'Hector: Le jeune Astyanax sur le sein de sa mère

[blocks in formation]

Les jeux, le souris tendre et les molles rigueurs. Ses vers coulent, plus doux qu'une naïade errante, Promenant sur des fleurs son onde transparente.

Mais s'il fait éclater les trompettes de Mars,
J'entends le choc affreux des guerriers et des chars ;
Tout s'arme, tout combat, tout respire Bellone,
Le Xante dans ses vers gronde, écume, bouillonne,
Roule, avec les débris, les casques et les morts,
Ce formidable Achille insultant à ses bords.
Voyez le fier Ajax couvert d'ombre et de poudre,
Défiant Jupiter, et le jour, et la foudre :
Voyez ce dieu tonnant sur les astres assis,
Et le front immortel courbant ses noirs sourci!s
Qui balancent les cieux et la terre ébranlée.

Ses vers étincelans sont une flamme ailée
Qui dérobe à l'oubli ses rayons éclatans,
Et s'envole au delà des siècles inconstans.
Bords sacrés du Mélès, il vous dut ces images,
Et ce feu créateur qui ravit nos hommages.
L'Homère qui chanta les bocages d'Éden,
Ce Milton si fameux, Waller, Pope, Dryden,
N'eussent point de leurs vers illustré l'harmonie,
Si Palès n'eût jamais caressé leur génie.

O Vaucluse! ton onde est rivale des mers;
Pétrarque, de ta source a vu couler ses vers.
Il dut moins son génie aux doux charmes de Laure,
Qu'à des champs parfumés des haleines de Flore.

Moi-même quelquefois au sein des bois altiers,
Je m'ouvris d'Hélicon les pénibles sentiers,
Ces bords, que n'ont jamais foulés des pas vulgaires,
Accueillaient mes regards noblement téméraires.
J'échappais aux mortels disparus à mes yeux,
Et je ne voyais plus que le Pinde et les cieux.
Daphné me couronnait de ses tiges fécondes.
Permesse autour de moi semblait rouler ses ondes
Mes sens étaient émus ; et mon cœur agité
Respirait l'ambroisie et l'immortalité.
Ma tête s'enflammait des rayons du génie ;

Erato, Calliope, Euterpe, Polynie,
M'entraînaient tour à tour dans leur sacré vallon;
A travers des lauriers j'y voyais Apollon
Assis au pied d'un antre éclairé de sa gloire,
S'appuyant d'une main sur sa lyre d'ivoire.
Ses nymphes l'entouraient; leur groupe ingénieux
Frappait l'herbe, en dansant, de pas harmonieux :
De sylvains et d'amours elles étaient suivies.
Quels sons venaient frapper mes oreilles ravies!
Les feuilles se taisaient; zéphyr n'osait voler;
Et même à ses roseaux l'onde n'osait parler.

Là, j'entendais encore une voix plus charmante ;
La plus douce harmonie est la voix d'une amante.
Que de fois unissant ma lyre à ses accords,
Du nom d'Adélaïde ai-je ravi ces bords?
Écho le répétait, à l'envi de ma lyre,

De côteaux en côteaux, de zéphyre en zéphyre.

Ombres qui voltigez autour des arbrisseaux,
O grottes! ô forêts! ô fraîcheur des ruisseaux !
Riantes voluptés, délices des campagnes,
Des muses,
des amans vous êtes les compagnes.

A l'aspect des hameaux tous les cœurs excités
S'envolent des palais, s'échappent des cités.

Là n'est point ce vil grand, dont la frêle manle
Veut éteindre à jamais les flammes du génie,
Et prétend qu'un repos obscur et clandestin
Ordonne de la gloire et dicte son destin.

Du seul bruit des grandeurs son oreille assourdie
Rejette les concerts d'une muse applaudie.
Il traite d'insensé le langage des dieux;
L'immortalité même est un crime à ses yeux.

Dieux! ne le vois-je pas, dans sa fureur atroce,
Et des brigands du Nord reste impur et féroce,
Fier de ne rien connaître et de tout mépriser,
Arracher une lyre, et prompt à la briser.....

Ah! barbare, suspends tes coups et tes blasphèmes ?
Diomède insensé, tu blessés les dieux mêmes!
Tiens, et lis sur le front des talens indignés
La honte des mortels qui les ont dédaignés :
Vois-y la tienne écrite, et poursuis si tu l'oses.
Pourquoi, serpent jaloux, empoisonner ces roses,
Ces lauriers qu'aux vertus préparèrent nos mains?
Les talens sont des dieux nés parmi les humains.

Eh! qu'estimes-tu donc, âme stupide et fière,
Qui n'as rien d'élevé qu'une ignorance altière ?
Dis; seraient-ce des rois dans la pourpre obscurcis,
Aux pleurs des malheureux par mollesse endurcis ?

Tel nous voyons ce fleuve, au sein des murs qu'il lave, Seraient-ce des chasseurs turbulens et stupides

De fange profané, roulant une onde esclave,

Et s'indignant du joug offert de toutes parts,
Impatient, il fuit de serviles remparts,
Et, libre de ses fers, court épurer ses ondes
Au sein des bois altiers et des plaines fécondes.

Tel lui-même nous voit de ses rives épris,
Loin d'une ville esclave, épurer nos esprits.
Aux grottes de Palès, Minerve aime à descendre.
C'est là que de plus près un mortel peut l'entendre.

Là ne circulent pas ces tourbillons musqués
Dont nos cercles divins sont toujours offusqués;
Tous ces légers mortels, ces tètes inquiètes,
Pleines d'ennuis, d'orgueil, et d'ambre et d'ariettes,
Essaim tumultueux, insectes turbulens,
Dont l'aile ose effleurer le flambeau des talens:
Ni ces jeunes beautés, troupe folle et divine,
Qui, la navette en main, juge Pope et Racine;
Ni ces graves censeurs, importans sourcilleux,
Qui blessent chaque vers d'un regard pointilleux.

Là n'est point ce Crésus, dont la riche indolence
Daigne attacher Minerve au char de l'opulence,
Et dictant son éloge aux enfans d'Apollon,
D'un coup d'œil protecteur insulte l'Hélicon.

Qui partagent l'instinct de leurs meutes rapides?
Sont-ce des courtisans, animaux venimeux,
Et dans l'art de ramper indignement fameux ?
Sera-ce un politique, ambitieux ministre,
Immolant tout l'empire à sa grandeur sinistre?

Fatigué de repos, de mollesse vaincu,

Vis sans avoir pensé, meurs sans avoir vécu ;
On pourrait t'imiter; sans doute il est facile
De traîner loin des arts un enfance imbécile,
D'envelopper ses jours dans un lâche sommeil,
De s'endormir enfin sans espoir de réveil.
Mais si tu veux des arts me dérober la flamme;
M'éteindre leurs clartés, barbare, éteins mon âme.
Eh! que faire d'une âme, inutile fardeau,
Qu'alors de mille erreurs obscurcit le bandeau?
Sombre, aveugle, rampante, obscure et profanée,
De l'essence des dieux semble-t-elle émanée ?

C'est elle qui donna des lois aux nations,
L'homme voit, pense, agit et marche à ses rayons;
C'est Dédale échappé des murs du labyrinthe,
Et bravant de Minos les fers et la contrainte,
L'esprit ne connaît point de vulgaires liens,
La grandeur a ses droits, mais la gloire a les siens.

La gloire est immortelle, et la grandeur expire;
L'une règne à jamais où l'autre est sans empire.
Le grand homme expirant donne ses lois au sort,
Il meurt, pour enchaîner et l'envie et la mort.
Des siècles qu'il soumet sa grande ombre est suivie,
Au delà de ses jours il commence sa vie.

Dans ses nobles destins, le génie est pareil
A ce brillant oiseau, digne fils du soleil ;
Lui-même il se consume, et certain de renaître,
Du feu qui le dévore il prend un nouvel être.

Trente siècles roulant sur les frêles mortels,
Entraînant les états, les trônes, les autels,
Loin d'engloutir Homère en leur course profonde,
N'ont fait que l'élever sur les débris du monde.
Qu'enviait Alexandre au vainqueur des Troyens ?
Étaient-ce des exploits effacés par les siens?
Fut-ce l'éclat, le sang d'une immortelle mère?
Non, aux destins d'Achille il n'envia qu’Homère.
C'est le vœu du héros attesté par ses pleurs;
O regrets généreux! O sublimes douleurs!

Des vainqueurs précédaient Ulysse, Hector, Achille;
Ils n'eurent point d'Homère : éclat vain et stérile!
Leur gloire s'éteignit dans les flots du Léthé;
Et mourir inconnu, c'est n'avoir pas été.

Les peuples, les remparts, les rois, les tombeaux meurent,
Tout fuit, tout disparaît; et nos lyres demeurent;
Nos lyres, nos écrits, sublimes conquérans,
Des empires vaincus affrontent les tyrans.
L'Arabe vagabond foule à ses pieds Athènes
A-t-il pu conquérir Sophocle ou Démosthènes ?
La ville de Minerve échappe à ses débris,
Et plus superbe encor règne dans leurs écrits.

Rome! que t'a servi tout l'éclat de tes armes?
Mais le génie encor te défend par ses charmes.
Qu'un empire est heureux quand ses murs triomphans
Du génie et des arts nourrissent les enfans!
Qu'un mortel est divin quand sa grandeur suprême
Est d'immortaliser sa patrie et soi-même,
Et de leur gloire au loin semant le souvenir,
Aux bords qui l'ont vu naître enchaîner l'avenir !

Ce bonheur généreux, un barbare l'ignore ;
Il consent que l'oubli pour jamais le dévore.
Cet amour de la honte, et ce lâche attentat,
Sont au rang des forfaits que doit punir l'état.
La gloire est un fardeau qui pèse à sa faiblesse;
Briller, c'est l'obscurcir; et tout éclat le blesse.
Ainsi Caligula, Domitien, Néron,

Déchirèrent Virgile, Homère et Cicéron.

Eh! quels étaient leurs droits? leurs droits étaient le crime, Dont l'œil sombre déteste un éclat légitime.

Laisse ces cœurs affreux : ils sont nos ennemis.
Regarde les héros, tous furent nos amis.
Scipion, Périclès, César, Pompée, Octave,
Médicis et Léon, la fille de Gustave,

Et ce grand Frédéric qui, dans le sein de Mars,
Le tonnerre à la main, caresse encor les arts.

Peut-être un dieu jaloux nous ferme leur carrière ;
Mais reviens sur tes pas et regarde en arrière.
Eh quoi! ton âme sombre et tes yeux éblouis,
N'osent-ils contempler le siècle de Louis?
Ce règne étincelant de génie et de gloire
Attachait à nos lis les arts et la victoire.
Clio savait alors, d'un éternel burin,
Graver les noms fameux dans ses fastes d'airain;
Et dans sa coupe d'or, l'auguste poésie,
Aux sublimes vertus présentait l'ambroisie.
Louis, amant des arts, grand même en ses plaisirs,
Les reçut à sa cour, leur fit d'heureux loisirs.

Des talens adorés persécuteur injuste,
Vois briller à la fois, dans cette cour auguste,
Bossuet, Fénélon, Racine, Despréaux,
De l'altière ignorance invincibles fléaux.
Alors des courtisans Boileau fut l'Arisfarque ;
Racine à Marly même introduisait Plutarque;
Racine, dont la muse et les tendres douleurs
Ont des yeux de son roi fait couler tant de pleurs.
Rodogune y marchait rivale d'Athalie,
Molière y sut conduire et Tartufe et Thalie,
La Fontaine, sublime en ses naïvetés,
Laissa couler des vers par les Graces dictés.

Alors nos demi-dieux, Condé même et Turenne,
Descendaient de l'Olympe aux bords de l'Hippocrène,
Et Corneille et Louis, les savans, les guerriers,
Marchaient d'un pas égal, ceints des mêmes lauriers.
Quel spectacle de voir ces têtes immortelles
Se prêter leurs rayons, mêler leurs étincelles.
Et tous ces grands destins y commencer leurs cours,
Éclairer, embellir la plus noble des cours!
Les Muses devançant nos légions altières,
Ont de la France alors reculé les frontières;
Et leurs mains ont porté les conquêtes des arts
Où n'ont jamais atteint les conquêtes de Mars.

Louis sut qu'un héros n'est pas long-temps illustre,
Si du flambeau des arts il n'emprunte son lustre
Et son règne, fertile en esprits excellens,
Par de nobles bienfaits implora leurs talens.

Tous ces lauriers rivaux que ses mains cultivèrent,
Pour ombrager sa tête en foule s'élevèrent.
Des arts qui l'entouraient la sublime clarté

Fit rejaillir sur lui leur immortalité.
Oses-tu démentir le plus grand des monarques,
Et ce règne, vainqueur de l'envie et des Parques,
Où le Français, rival des Grecs et des Latins,
A de Rome et d'Athène assemblé les destins ?
Vois Lysippe et Myrron, Scopas, Vitruve, Appelle,
Renaissant à la fois, quand Louis les appelle.
Là, Mansard dessina ces portiques divins;
Ici Le Nôtre à Flore éleva ces jardins;
Là, Pomone attendait l'œil de La Quintinie;
Là, Pujet sur le marbre a soufflé son génie.
Lebrun peignait alors d'une immortelle main
Ces deux héros vainqueurs du Granique et du Rhin;
Lebrun, digne en effet de tracer leur image,
De la terre avec eux sut partager l'hommage.

Au nom que l'art d'Apelle a deux fois consacré,
Puisses-tu par ma lyre être encore illustré !
Puisse l'amour des arts qui brûle dans mon âme,
Se tracer vers l'Olympe une route de flamme!

Siècle des vrais talens par Louis caressés,
Beaux jours de nos aïeux, seriez-vous éclipsés ?
Ombre du grand Rousseau, pardonne à ta patrie
L'arrêt d'une Thémis que ta gloire a flétrie ;
Et que du moins un siècle ouvert par Richelieu,
Donne en fermant son cours Voltaire et Montesquieu,
Nobles et derniers fruits du plus brillant des âges!
Ainsi pour réparer ses antiques feuillages,
Un palmier que la terre a vu briller long-temps
Jette encor deux rameaux, honneur de ses vieux ans.

O France! en demi-dieux serais-tu moins féconde?
Souviens-toi d'éclairer, ou de venger le monde.
Tels furent tes destins : qu'ils sont loin de nos vœux !
D'ancêtres immortels trop indignes neveux,
Nous rejetons l'espoir d'une palme rivale.
Ah! couvrons de lauriers ce honteux intervalle.

Ce désir de la gloire est fait pour les grands cœurs;
Un repos dédaigneux, de superbes langueurs,
Des esprits énervés sont l'indigne partage.
Les veilles, les travaux, voilà notre héritage;
Ce présent fugitif dont tu parais jaloux,
Saisis-le si tu peux; l'avenir est à nous.

Que dis-je, l'avenir? si ta sombre furie
Éteignait ces mortels, flambeaux de la patrie,
Sais-tu dans quelle horreur, dans quelle obscurité
Ton siècle ténébreux serait précipité?

Vois ces jours effrayans, vois ces règnes funèbres,
Et ces forfaits, amans des aveugles ténèbres.
Tout ce chaos affreux de prestiges, d'erreurs,
Et d'un siècle ignorant les absurdes furcurs.

Veux-tu nous replonger dans la nuit de ces âges
Où l'erreur nous armait pour de saints brigandages;
Et courant par le meurtre honorer les autels,
Crut, en les égorgeant, convertir les mortels?

Veux-tu nous ramener ce jour trop lamentable,
De tant d'assassinats complice épouvantable,
Où le zèle en fureur, levant ses étendards,
Ordonna le carnage, aiguisa les poignards.
Qu'il périsse ce jour ! que les nuits les plus sombres,
Qu'un silence éternel l'accablent de leurs ombres!
Qu'il devienne incroyable à la postérité !
Que dis-je ? ah! s'il se peut, qu'il n'ait jamais été!
Hélas! deux rois tombés sous un fer parricide,
Attestent de ces temps l'ignorance homicide.
Apprends que les arts seuls écartent ces revers,
Et ces voiles sanglans dont nous fûmes couverts.

Ah! s'il est un barbare, un cœur dur et farouche,
Qu'irritent les neuf sœurs, et que nul art ne touche,
Ce tigre que nos chants n'apprivoisent jamais,
Porte en son cœur d'airain le germe des forfaits.

O vous! monts radieux, mes guides, mes flambeaux,
Je vous suis en rival ; j'embrasse vos tombeaux;
Je jure sur votre urne, et j'atteste vos mânes,
De ne jamais ramper sous des destins profanes.

Et vous qui, d'un regard sublime et caressant,
Daignâtes m'éclairer, me sourire en naissant,
Je m'abandonne à vous, beaux-arts, dieux que j'encense;
Des trésors fugitifs vous réparez l'absence,
Vous élevez nos cœurs, vous charmez nos ennuis,
Et les tourmens du jour et les veilles des nuits.
Vous n'offensez jamais les yeux de la sagesse ;
La liberté vous doit peut-être sa noblesse;
Vous prêtez à l'amour ses traits les plus heureux;
L'amour devient sublime en des cœurs généreux;
C'est lui qui le premier fit naître l'harmonie;
Ses regards ont prêté des flammes au génie.
Muses, suivez l'amour à travers nos forêts;
Il chérit comme vous ces ombrages secrets.
Une muse sublime et rejetant l'insulte,
Fuit du palais des grands l'écueil et le tumulte.

[merged small][ocr errors]
« PrécédentContinuer »