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Ces affections, Philotée, sont directement contraires à la deuotion, comme les affections au peché mortel le sont à la charité elles allanguissent les forces de l'esprit, empeschent les consolations diuines, ouurent la porte aux tentations et bien qu'elles ne tuent pas l'ame, elles la rendent extremement malade. Les mouches mourantes, dit le Sage, perdent et gastent la suauité de l'onguent. Il veut dire que les mouches ne s'arrestans gueres sur l'onguent, mais le mangeant en passant, ne gastent que ce qu'elles prennent; le reste demeurant en son entier; mais quand elles meurent emmy l'onguent; elles luy ostent son prix, et le mettent à desdain; et de mesme, les pechez veniels arriuans en vne ame deuote, et ne s'y arrestans pas long-temps, ne l'endommagent pas beaucoup, mais si ces mesmes pechez demeurent dans

l'ame pour l'affection qu'elle y met, ils luy font perdre sans doute la suauité de l'onguent, c'est à dire la saincte deuotion.

Les araignes ne tuent pas les abeilles, mais elles gastent et corrompent leur miel, et embarassent leurs rayons des toilles qu'elles y font, en sorte que les abeilles ne peuuent plus faire leur mesnage, et cela s'entend quand elles y font du seiour: Ainsi le peché veniel ne tuë pas nostre ame, mais il gaste pourtant la deuotion, et embarasse si fort de mauuaises habitudes et inclinations les puissances de l'ame, qu'elle ne peut plus exercer la promptitude de la charité, en laquelle gist la deuotion; mais cela s'entend quand le peché veniel seiourne en nostre conscience par l'affection que nous y mettons. Ce n'est rien, Philotée, de dire quelque petit mensonge, de se deregler vn peu en

paroles, en actions, en regards, en habits, en ioliuetez, en jeux, en danses, pourueu que tout aussi-tost que ces araignes spirituelles seront entrées en nostre conscience, nous les en rechassions et bannissions comme les mouches à miel font les araignes corporelles. Mais si nous leur permettons d'arrester dans nos cœurs, et non seulement cela, mais que nous nous affectionnions à les y retenir et multiplier, bien-tost nous verrons nostre miel perdu, et la ruche de nostre conscience empestrée et defaite. Mais ie dis encore vne fois, quelle apparence y a-il qu'vne ame genereuse se plaise à desplaire à son Dieu, s'affectionne à luy estre desagreable, et vueille vouloir ce qu'elle sçait luy estre ennuyeux ?

CHAPITRE XXIII.

QV'IL SE FAVT PVRGER DE L'AFFECTION AUX CHOSES

INVTILES ET DANGEREUSES.

ges jeux, les bals, les festins, les pompes, les comedies en leur substance ne sont nullement choses mauuaises, ains indifferentes, pouuant estre bien et mal exercées, tousiours neantmoins ces choses-là sont dangereuses; et de s'y affectionner, cela est encore plus dangereux. Ie dis doncques, Philotée, qu'encor qu'il soit loisible de jouer, danser, se parer, oüyr d'honnestes comedies, banqueter si est-ce que d'auoir de l'affection à cela, c'est chose contraire

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à la deuotion, et extremement nuisible et perilleuse. Ce n'est pas mal de le faire, mais oùy bien de s'y affectionner. C'est dommage de semer en la terre de nostre cœur des affections si vaines et fortes cela occupe le lieu des bonnes impressions, et empesche que le suc de nostre ame ne soit employé és bonnes inclinations.

Ainsi les anciens Nazariens s'abstenoient, non seulement de tout ce qui pouuoit enyurer, mais aussi des raisins et du verius, non point que le raisin et le verius enyurent, mais parce qu'il y auoit danger en mangeant du verius d'exciter le desir de manger des raisins, et en mangeant des raisins de prouoquer l'appetit à boire du moust et du vin. Or ie ne dis pas que nous ne puissions vser de ces choses dangereuses, mais ie dis bien pourtant que nous ne pouuons iamais y mettre de l'affection

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