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s'il t'arriue ce que l'homme de Dieu dit au Psalme: Mon œil est troublé de grand colere, recours à Dieu criant: Aye misericorde de moy, Seigneur, afin qu'il estende sa dextre pour reprimer ton courroux. Ie veux dire qu'il faut inuoquer le secours de Dieu quand nous nous voyons agitez de colere, à l'imitation des Apostres tourmentez du vent et de l'orage emmy les eaux : car il commandera à nos passions qu'elles cessent, et la tranquillité se fera grande; mais, tousiours ie vous aduertis que l'oraison qui se fait contre la colere presente et pressante doit estre prattiquée doucement, tranquillement, et non point violemment. Ce qu'il faut obseruer en tous les remedes qu'on vse contre ce mal.

Auec cela, soudain que vous vous apperceurez auoir fait quelque acte de colere, reparez la faute par vn acte de

douceur, exercé promptement à l'endroit de la mesme personne, contre laquelle vous vous serez irritée. Car ainsi que c'est vn souuerain remede contre le mensonge que de s'en desdire sur le champ, aussitost que l'on s'apperçoit de l'auoir dit, ainsi est-ce vn bon remede contre la colere de la reparer soudainement par vn acte contraire de douceur : car (comme l'on dit) les playes fraisches sont plus aysement remediables.

Au surplus, lors que vous estes en tranquillité, et sans aucun suiet de colere, faites grande prouision de douceur et debonnaireté, disant toutes vos paroles, et faisant toutes vos actions petites et grandes en la plus douce façon qu'il vous sera possible. Vous ressouuenant que l'Espouse, au Cantique des Cantiques, n'a pas seulement le miel en ses levres et au bout de sa langue,

mais elle l'a encor dessous la langue, c'est à dire dans la poictrine, et n'y a pas seulement du miel, mais encore du laict car aussi ne faut-il pas seulement auoir la parole douce à l'endroit du prochain, mais encor toute la poictrine, c'est à dire tout l'interieur de nostre ame. Et ne faut pas seulement auoir la douceur du miel, qui est aromatique et odorant, c'est à dire la suauité de la conuersation ciuile auec les estrangers : mais aussi la douceur du laict entre les domestiques et proches voisins : en quoy manquent grandement ceux qui en ruë semblent des Anges et en la maison des diables.

CHAPITRE IX.

DE LA DOVCEVR ENVERS NOVS MESMES.

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'VNE des bonnes prattiques, que nous sçaurions faire de la douceur, c'est celle de laquelle le suiet est en nousmesmes, ne despitant iamais contre nous-mesmes, ny contre nos imperfections. Car encor que la raison veut que quand nous faisons des fautes, nous en soyons deplaisans et marris; si faut-il neantmoins que nous nous empeschions d'en auoir vne desplaisance aigre et chagrine, depiteuse et colere. En quoy font vne grande faute plusieurs qui s'estans mis en colere, se courrou

cent de s'estre courroucez, entrent en chagrin de s'estre chagrinez et ont despit de s'estre despitez. Car par ce moyen ils tiennent leur cœur confit et destrempé en la colere : et si bien il semble que la seconde colere ruine la premiere, si est-ce neantmoins qu'elle sert d'ouuerture et de passage pour vne nouuelle colere à la premiere occasion qui s'en presentera: outre que ces coleres, despits et aigreurs que l'on a contre soy-mesme tendent à l'orgueil et n'ont origine que de l'amour propre, qui se trouble et s'inquiete de nous voir imparfaicts. Il faut doncques auoir vn desplaisir de nos fautes qui soit paisible, rassis et ferme. Car comme vn Iuge chastie bien mieux les meschans, faisant ses sentences par raison et en esprit de tranquillité, que non pas quand il les fait par impetuosité et passion : d'autant que iugeant auec passion, il

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