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tir. Mais nous exagérons. Il y a des théories litté raires, universelles et incontestables. Si nous recevons jamais du Kamtschatka ou des îles Orcades cette Poétique qu'attendait Voltaire, il y a à parier que nous nous entendrons avec son auteur sur les points suivants et sur quelques autres : les épigrammes doivent être courtes la musique reli

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dénoûment d'une celui d'une co

médie ne doit pas faire trembler. Tout cela est sûr, et il est sûr aussi que les miniatures doivent être de petite dimension.

C'est ainsi que les adversaires de l'école dogmatique justifient ou croient justifier leur aversion pour les dogmes littéraires. Quant à leur propre doctrine à eux, la voici Laissons-nous aller, disent-ils avec Molière, laissons-nous aller de bonne foi aux choses qui nous prennent par les entrailles, et ne cherchons point de raisonnements pour nous empêcher d'avoir du plaisir. Saisissons dans leur fleur ces premiers sentiments délicats et fugitifs qui naissent en nous spontanément avant toute réflexion la critique littéraire n'est que l'analyse des sentiments littéraires. Fions-nous à toutes les

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impressions du beau et du laid, du sublime, du comique, du tragique, etc. sur notre esprit et sur notre âme, en priant notre bon ange de nous garder des théories et des définitions, qui ôtent au sens littéraire sa candeur naïve, et de la logique, qui tue la liberté. J'ai dit que ceux qui doutent en littérature sont moins nombreux que ceux qui affirment. Si nous voulons donner un nom à cette deuxième et petite famille de critiques moins occupés de ce qu'ils croient que de ce qu'ils ne croient pas, nous l'appellerons sans difficulté l'école critique proprement dite.

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L'école critique n'a pas le dernier mot. Une école bien connue reprend et termine son œuvre qu'elle déclare inachevée. Vous êtes, dit-elle à sa devancière, fort habile à détruire. Grâce à vous, l'école dogmatique est morte et bien morte. N'en parlons plus. Mais vous ne vous entendez pas fonder. Votre conclusion est insignifiante, vague, puérile, pis que cela, contradictoire. Comment! vous montrez aux faiseurs de théories qu'au fond de tous leurs dogmes il y a un sentiment, pas autre chose, un sentiment étroit, exclusif, passionné, et puis vous donnez à la critique ce sen

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timent pour base! De quelle façon pourrez-vous éviter par-là dans vos jugements littéraires (car vous jugez aussi) l'étroitesse, l'exclusisme et la passion? La véritable largeur n'est point dans la sensibilité littéraire; elle est dans l'intelligence, et le plus bel emploi qu'un philosophe puisse faire de son intelligence, c'est d'expliquer avec calme par une seule cause naturelle ou par une série logique de causes naturelles, tout ce qui étonne, irrite, scandalise, désole, chagrine, impatiente les esprits vulgaires et bornés. Tout fait a sa cause, et toute littérature, toute œuvre d'art est un fait dont il suffit de chercher, dont il faut sans passion chercher la cause dans les mœurs, les idées et les goûts de la société qui l'a produite, dans l'esprit du siècle qui l'a inspirée, dans le génie de la nation qui lui a donné son caractère général, dans le tempérament, les habitudes et la vie de l'auteur original qui lui a imprimé son cachet particulier. Ainsi parle cette troisième école qui, ai-je dit, est bien connue. Tout le monde lui a déjà donné son vrai nom et l'appelle l'école historique.

Mettre en présence ces trois écoles, mettre aux prises des représentants de chacune d'elles, n'ar

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mer qu'à la légère les philosophes qui descendront dans l'arène et les confiner dans le champ clos de la littérature, entr'ouvrir cependant de grands abîmes dans de petits problèmes, éveiller la curiosité du lecteur sur les questions de critique générale, et lui inspirer, avec le goût de leur examen, le désir de les résoudre par lui-même, pour lui

même tel est l'objet de ce livre.

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Nos trois écoles sont les grandes divisions de la critique littéraire. Mais ces divisions comportent d'autres subdivisions dans le détail desquelles je n'ai pas le dessein d'entrer. Pour citer seulement ici deux noms bien originaux, M. Taine, sorti de l'école historique, prétend réduire toutes les facultés d'un artiste à une seule faculté maîtresse, toutes les facultés maîtresses de tous les artistes d'un même peuple à une grande faculté générale qui sera, par exemple, le génie oratoire pour Rome, enfin les divers génies des peuples issus d'une souche commune à l'unité de la race, et ainsi, d'abstraction en abstraction, il raréfie la critique littéraire. Alexandre Vinet croit ressaisir dans les idées de la morale et même de la religion les principes absolus que l'école dogmatique

sent lui échapper. Entre ses mains la critique littéraire devient une sorte d'apologie du christianisme. Ces différents systèmes sont fort curieux ; mais ils ne sont pas compris dans le plan de notre étude.

Non-seulement la critique littéraire comporte d'autres divisions que celles que j'ai indiquées, mais on ne trouverait point de critique assez rigoureux, disons plutôt assez pauvre, assez incomplet, assez mutilé, pour appartenir exclusivement à l'une ou à l'autre de nos trois grandes écoles. Dans quelle catégorie les incorrigibles amateurs de classifications voudront-ils ranger des critiques comme M. Saint-Marc Girardin, M. Villemain, M. Guizot? On m'a demandé où je mettais M. Sainte-Beuve; j'ai répondu que je n'en savais vraiment rien, et qu'il me suffisait de savoir que par son indépendance vis-à-vis de tout système, par la finesse de son goût et de sa psychologie, M. Sainte-Beuve était tout simplement le premier critique de notre temps. En Allemagne, un homme tel que Hegel unit et concilie avec une profondeur dogmatique incomparable, la plus grande largeur historique et la sensibilité d'un goût aussi délicat, aussi vif

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