Images de page
PDF
ePub
[blocks in formation]

Regnard et le Sage.

[ocr errors]

Swift et Voltaire. Piron et Legrand. - Caractère général du tragique.- II. Aristophane et la poésie. — III. La comédie nouvelle et la prose. -Plaute et Térence. IV. Molière. Ses farces. comédies de caractère. L'Avare-de Plaute et l'Avare de Molière. Le Misanthrope.-V. Éloge de William Schlegel. Conclusion.

Tartuffe.
Cocagne.

Ses

Le

- Le Roi de

[ocr errors][merged small]

Je lis dans le Banquet de Platon: « Lorsque Aristodême s'éveilla vers l'aurore au chant du coq, il vit

1 Madame de Staël (de l'Allemagne, chap. xxx1) parle avec enthousiasme d'une leçon de William Schlegel qu'elle a entendue à Vienne. Il n'est donc pas invraisemblable de supposer que son disciple s'adresse aussi aux dames. La profondeur schlegeliemue n'a rien qui ne soit accessible aux lectrices les plus aimables.

en ouvrant les yeux que les autres convives dormaient ou s'en étaient allés. Agathon, Aristophane et Socrate étaient seuls éveillés, et buvaient tour à tour, de gauche à droite, dans une large coupe. En même temps Socrate discourait avec eux. Aristodême ne pouvait se rappeler cet entretien dont il n'avait pas entendu le commencement, à cause du sommeil qui l'accablait encore; mais il me dit en gros que Socrate força ses deux interlocuteurs à reconnaître qu'il appartient au même homme de savoir traiter la comédie et la tragédie, et que le vrai poëte tragique, qui l'est avec art, est en même temps poëte comique 1. » Le Banquet se termine par ce piquant paradoxe de Socrate. Quel peut en être le sens? Le philosophe grec a-t-il aperçu entre la comédie et la tragédie je ne sais quelle profonde et secrète identité? Assurément non, et si c'était là sa pensée, je la laisserais à comprendre aux critiques français, qui s'extasient mal à propos à tous les endroits tragiques de leurs poëtes comiques, et apprécient peu la pure comédie. Il a simplement voulu dire que la connaissance des contraires est une, ou, pour employer les termes mêmes dont il se sert ailleurs et les comparaisons qui lui sont familières, qu'on ne peut connaître les choses

1 Traduction de M. Cousin.-W. Schlegel rappelle ce passage au début de sa leçon sur l'ancienne comédie, la sixième du Cours de littérature dramatique, et il part de là pour établir que la comédie est le contraire de la tragédie.

opposées que l'une par l'autre, et qu'en conséquence, il est impossible d'approfondir la nature de la santé sans savoir ce que c'est que la maladie, du contentement sans savoir ce que c'est que la tristesse, du sérieux sans savoir ce que c'est que la gaieté; de même il est impossible de pénétrer un peu profondément dans l'essence de la tragédie, sans découvrir du même coup l'idée de la comédie, qui est son contraire. C'est dans ce sens seulement que Socrate a pu dire qu'« un vrai poëte tragique est en même temps poëte comique, » et, si cette proposition reste contestable, puisque après tout la connaissance et l'art, savoir et pouvoir, sont deux choses très-différentes, elle indique du moins à la critique un procédé infaillible.

La comédie est le contraire de la tragédie. C'est là une vérité évidente, et je ne la démontrerai point. Ne nous amusons pas à dissiper des nuages dans un ciel serein; c'est du temps perdu, ou plutôt fort mal employé. Car, pour dissiper des nuages où il n'y en a pas, il faut bien qu'on les y rassemble d'abord, et c'est ainsi que la manie de démontrer ce qui est clair a souvent couvert la science d'une obscurité gratuite. L'évidence des axiomes se manifeste elle-même au bon sens clairvoyant. Si on ne la voit pas ou si on la nie, aucun raisonnement ne saurait ouvrir les yeux aux aveugles, ni fermer la bouche aux sophistes.

Mais quelques poëtes, et même le plus grand nombre,

ont altéré la comédie en y mêlant un élément tragique ? Je demande ce qu'on en prétend conclure. Leurs erreurs peuvent intéresser l'historien littéraire; mais comment pourraient-elles ébranler l'inébranlable vérité de la théorie, et de quelle autorité m'enpêcheraientelles, moi, critique philosophe, de considérer la comédie non dans des tragédies manquées, mais dans la pureté de sa véritable essence? D'ailleurs, que m'importe la vaine multitude, si je puis lui opposer l'élite, si j'ai pour moi Aristophane, Shakspeare, et aussi (je le dis bien haut) un poëte obscur et méprisé dans sa nation, parce qu'une raison pesante et froide ne recommande pas son théâtre au goût de la France, et que l'imagination et la gaieté en font seules tous les frais, Legrand, l'auteur du Roi de Cocagne, chefd'œuvre méconnu que la critique allemande aura la gloire de rendre à l'immortalité? Ainsi soutenu par la minorité des poëtes parfaits, par Platon, par l'évidence même, je vais développer l'idée totale de la comédie dans son opposition absoluc avec la tragédie. La connaissance du pur idéal me servira sans doute à changer certaines hiérarchies que le public léger, que la critique ignorante et routinière ont consacrées parmi les poëtes, et tantôt à élever ce qui est abaissé, tantôt à abaisser ce qui est élevé.

1 Nous verrons plus bas ce que c'est que Legrand et le Roi de Co cagne.

:

De tous les genres de poésie, la tragédie est le plus sérieux de tous les genres de poésie la comédie est donc le plus gai. Vraiment il faudrait être né ennemi de la clarté et du bel ordre pour ne pas suivre en esthétique la ligne droite des conséquences logiques, quand on voit à quel point cette science en est simplifiée. Le genre dramatique comprenant le tragique et le comique, le tragique doit être tout ce que n'est pas le comique, et le comique doit être tout ce que le tragique n'est pas, à peine d'éliminer l'a priori de la ́science, c'est-à-dire de réduire la critique littéraire à n'être plus qu'une branche de l'histoire, ou, ce qui est moins encore, qu'une arène ouverte à l'interminable lutte de tous ces goûts individuels dont la sagesse populaire a dit qu'il ne faut point disputer. Le sérieux est l'essence de la tragédie: donc l'essence de la comédie, c'est la gaieté'. Opposition lumineuse, syllogisme fécond, qui en faisant, pour ainsi dire, une route royale à la critique, ne la dispense pas, dans sa marche, d'une scrupuleuse circonspection.

1 Voilà la pierre de l'angle. Nous nous contenterons de renvoyer le lecteur aux pages 68, 72, 73, 296, 298, 299, 304, 307, 323, 352, 568 du tome Ier du Cours de littérature dramatique, traduit de l'allemand par la plume anonyme de madame Necker de Saussure.

« PrécédentContinuer »