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détruit par la main du Chevalier, sur les ruines de cet élégant pavillon qu'il a élevé ensuite comme une tente provisoire, en attendant une construction plus. sérieuse? Je le crois, et voici ce qui me donne cette confiance.

La méthode d'une science est le fruit lent et naturel du travail des siècles. Elle ne sort pas tout d'un coup de la tête d'un homme de génie. Elle est appliquée confusément dans les œuvres avant d'être mise en lumière dans une exposition rationnelle; en sorte que la pratique en est déjà maîtresse, quand la théorie, venant s'en emparer, lui donne la conscience claire et la vraie possession d'elle-même. L'esprit organisateur qui l'enseigne le premier, la constate plus qu'il ne la crée; il ne la tire point de son propre fonds; il la dégage des œuvres et de l'esprit de son époque. Or, la méthode que je vais exposer est, depuis longtemps déjà, suivie par ceux qui la méconnaissent et qui la violent, professée par ceux qui la contredisent en théorie et en fait.

Citerai-je Voltaire, exhortant les Français à s'élever au-dessus des usages, des préjugés et des faiblesses de leur nation, à être de tous les temps et de tous les pays 1? déclarant qu'il ne sait à qui donner la préférence des Français ou des Anglais, mais déclarant heureux celui qui sait sentir leurs différents mérites 2?

1 XVIII Lettre sur les Anglais. 2 XXIIe Lettre sur les Anglais.

2

donnant en particulier ce conseil remarquable : « Si vous voulez connaître la comédie anglaise, il n'y a d'autre moyen pour cela que d'aller à Londres, d'y rester trois ans, d'apprendre bien l'anglais et de voir la comédie tous les jours; la bonne comédie est la peinture parlante des ridicules d'une nation; et, si vous ne connaissez pas la nation à fond, vous ne pouvez guères juger de la peinture » 1? En Allemagne M. de Schlegel ouvrait ainsi son Cours de littérature dramatique : « Il n'y a point dans les arts de véritable juge sans la flexibilité qui nous met en état de dépouiller nos préjugés personnels et nos aveugles habitudes, pour nous placer au centre d'un autre système d'idées, et nous identifier avec les hommes de tous les pays et de tous les siècles, au point de nous faire voir et sentir comme eux. Il n'y a point de monopole pour la poésie en faveur de certaines époques et de certaines contrées. Ce sera toujours une vaine prétention que celle d'établir le despotisme en fait de goût, et aucune

1 XIXe Lettre sur les Anglais.

2 M. Lysidas aurait pu citer encore en France la Bruyère disant dans son Discours sur Théophraste: « Que si quelques-uns se refroidissent pour cet ouvrage moral par les choses qu'ils y voient, qui sont du temps auquel il a été écrit, et qui ne sont point selon leurs mœurs, que peuvent-ils faire de plus utile et de plus agréable pour eux que de se défaire de cette prévention pour leurs coutumes et leurs manières, qui, sans autre discussion, non seulement les leur fait trouver les meilleures de toutes, mais leur fait presque décider que tout ce qui n'y est pas conforme est méprisable, et qui les prive, dang la lecture des livres des anciens, du plaisir et de l'instruction qu'ils en doivent attendre? »

nation ne pourra jamais imposer à toutes les autres les règles qu'elle a peut-être arbitrairement fixées 1. » M. Richter a trouvé une fort belle métaphore pour rendre la même idée. « Les auteurs nationaux, a-t-il dit, produisent des fresques qu'il est impossible de transporter dans d'autres pays, si ce n'est avec le mur lui-même.» Hegel mérite une mention à part. Ce grand esprit félicitant le dix-neuvième siècle d'avoir su comprendre toute la richesse de l'art et de l'esprit humain dans tous ses développements, et louant en particulier la patience allemande si capable de s'identifier, à force de pénétration et d'étude, avec la manière de sentir et de penser des siècles et des peuples les plus éloignés, ce grand et large esprit n'a rien dit qu'il ne pût légitimement s'appliquer à lui-même. Je me permettrai de citer enfin le Chevalier écrivant dans son Étude : Les caractères spéciaux de chaque grand poëte et de chaque grand théâtre sont la seule chose intéressante dans les travaux de la critique.

1 Première leçon.

Poétique, § 89.

5 Cours d'Esthétique, tome iv, p. 160.

4 Tome 1, p. 234.

REPONSE DE LYSIDAS AU CHEVALIER

(SUITE)

CHAPITRE II

DOCTRINE DE L'ÉCOLE HISTORIQUE

Ce n'est pas ma coutume de rien blâmer.
La Critique de l'École des Femmes, scène vu.

Quelques exemples.

Madame, sans m'enfler de gloire,
Du détail de notre victoire
Je puis parler très-savamment.
Figurez-vous donc que Télèbe,
Madame, est de ce côté;
C'est une ville, en vérité,
Aussi grande quasi que Thèbe.
La rivière est comme là.
Ici nos gens se campèrent;

Et l'espace que voilà,

Nos ennemis l'occupèrent.

Sur un haut, vers cet endroit,

Était leur infanterie ;

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Après avoir aux dieux adressé les prières,
Tous les ordres donnés, on donne lė signal :
Les ennemis, pensant nous tailler des croupières,
Firent trois pelotons de leurs gens à cheval;
Mais leur chaleur par nous fut bientôt réprimée,
Et vous allez voir comme quoi.

Voilà notre avant-garde à bien faire animée;
Là, les archers de Créon, notre roi;

Et voici le corps d'armée,

Qui d'abord... Attendez, le corps d'armée a peur;
J'entends quelque bruit, ce me semble 1.

Voilà comment, dans l'Amphitryon de Molière, Sosie raconte une bataille. Voici comment, à Rome, il l'avait racontée dans l'Amphitryon de Plaute :

L'airain sonne à la fois tout s'émeut; le sol tremble.

:

De chaque armée aux cieux la clameur monte ensemble,
Et la voix des deux chefs invoque Jupiter.

On s'aborde, on se tait. Le fer heurte le fer;
Dans la main du guerrier l'arme tue ou se brise;
Ferme au poste, et taisant sa douleur qu'il maitrise,
Le blessé ne fuit pas, il lutte; et quand la mort,
A son rang, par devant le frappe, il lutte encor.
Des combattants pressés l'haleine âpre, enflammée,
N'est qu'un nuage épais de sang et de fumée
Où la Mort s'enveloppe et pousse l'ennemi
Pied à pied. Dans nos cœurs la victoire a frémi;
Elle est à nous! Vaincu, l'ennemi se débande...
Mon maître Amphitryon l'a vu fuir : il commande

1 Amphitryon, acte I, scène 1.

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