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Mais sa haine sur vous, autrefois attachée,
Ou s'est évanouie, ou s'est bien relâchée.
Et d'ailleurs quels périls vous peut faire courir
Une femme mourante, et qui cherche à mourir?
Phèdre, atteinte d'un mal qu'elle s'obstine à taire,
Lasse enfin d'elle-même, et du jour qui l'éclaire,
Peut-elle contre vous former quelques desseins ?

HIPPOLYTE.

Sa vaine inimitié n'est pas ce que je crains.
Hippolyte, en partant, fuit une autre ennemie.
Je fuis, je l'avoûrai, cette jeune Aricie,
Reste d'un sang fatal conjuré contre nous.
THÉRAMÈNE.

Quoi! vous-même, Seigneur, la persécutez-vous?
Jamais l'aimable sœur des cruels Pallantides
Trempa-t-elle au complot de ses frères perfides?
Et devez-vous haïr ses innocens appas?

HIPPOLYTE.

Si je la haïssais, je ne la fuirais pas.

THÉRAMÈNE.

Seigneur, m'est-il permis d'expliquer votre fuite? Pourriez-vous n'être plus ce superbe Hippolyte, Implacable ennemi des amoureuses lois

Et d'un joug que Thésée a subi tant de fois ?
Vénus, par votre orgueil si long-temps méprisée,
Voudrait-elle à la fin justifier Thésée?

Et, vous mettant au rang du reste des mortels,
Vous a-t-elle forcé d'encenser ses autels?

Aimeriez-vous, Seigneur?

HIPPOLYTE.

Ami, qu'oses-tu dire?

Toi qui connais mon cœur depuis que je respire,
Des sentimens d'un cœur si fier, si dédaigneux,
Peux-tu me demander le désaveu honteux?
C'est peu qu'avec son lait une mère amazone
M'ait fait sucer encor cet orgueil qui t'étonne.
Dans un âge plus mûr moi-même parvenu,
Je me suis applaudi, quand je me suis connu.
Attaché près de moi par un zèle sincère,
Tu me contais alors l'histoire de mon père.
Tu sais combien mon âme, attentive à ta voix,
S'échauffait au récit de ses nobles exploits;
Quand tu me dépeignais ce héros intrépide,
Consolant les mortels de l'absence d'Alcide,
Les monstres étouffés, et les brigands punis,
Procuste, Cercyon, et Scyrron, et Sinnis,
Et les os dispersés du géant d'Épidaure,
Et la Crète fumant du sang de Minotaure.
Mais, quand tu récitais des faits moins glorieux,
Sa foi partout offerte, et reçue en cent lieux;
Hélène à ses parens dans Sparte dérobée;
Salamine témoin des pleurs de Péribée;

Tant d'autres dont les noms lui sont même échappés;
Trop crédules esprits que sa flamme a trompés!
Ariane aux rochers contant ses injustices;
Phèdre enlevée enfin sous de meilleurs auspices:
Tu sais comme, à regret écoutant ce discours,
Je te pressais souvent d'en arrêter le cours.
Heureux, si j'avais pu ravir à la mémoire
Cette indigne moitié d'une si belle histoire.
Et moi-même, à mon tour, je me verrais lié?
Et les dieux jusque-là m'auraient humilié ?

Dans mes lâches soupirs d'autant plus méprisable,
Qu'un long amas d'honneurs rend Thésée excusable,
Qu'aucuns monstres par moi domptés jusqu'aujourd'hui
Ne m'ont acquis le droit de faillir comme lui.
Quand même ma fierté pourrait s'être adoucie,
Aurais-je pour vainqueur dû choisir Aricie?
Ne souviendrait-il plus à mes sens égarés
De l'obstacle éternel qui nous a séparés?
Mon père la réprouve; et, par des lois sévères,
Il défend de donner des neveux à ses frères.
D'une tige coupable il craint un rejeton,
Il veut avec leur sœur ensevelir leur nom;
Et que jusqu'au tombeau, soumise à sa tutelle,
Jamais les feux d'hymen ne s'allument pour elle.
Dois-je épouser ses droits contre un père irrité?
Donnerai-je l'exemple à la témérité?

Et dans un fol amour ma jeunesse embarquée...
THÉRAMÈNE.

Ah, Seigneur! si votre heure est une fois marquée,
Le Ciel de nos raisons ne sait point s'informer.
Thésée ouvre vos yeux en voulant les fermer;
Et sa haine, irritant une flamme rebelle,
Prête à son ennemie une grâce nouvelle.
Enfin, d'un chaste amour pourquoi vous effrayer?
S'il a quelque douceur, n'osez-vous l'essayer?
En croirez-vous toujours un farouche scrupule?
Craint-on de s'égarer sur les traces d'Hercule?
Quels courages Vénus n'a-t-elle pas domptés?
Vous-même où seriez-vous, vous qui la combattez,
Si toujours Antiope, à ses lois opposée,

D'une pudique ardeur n'eût brûlé pour Thésée?
Racine.

4.

Mais que sert d'affecter un superbe discours?
Avouez-le, tout change; et, depuis quelques jours,
On vous voit moins souvent, orgueilleux et sauvage,
Tantôt faire voler un char sur le rivage,

Tantôt, savant dans l'art par Neptune inventé,
Rendre docile au frein un coursier indompté.
Les forêts de nos cris moins souvent retentissent.
Chargés d'un feu secret vos yeux s'appesantissent.
Il n'en faut point douter, vous aimez, vous brûlez,
Vous périssez d'un mal que vous dissimulez.
La charmante Aricie a-t-elle su vous plaire?

HIPPOLYTE.

Théramène, je pars, et vais chercher mon père.
THÉRAMÈNE.

Ne verrez-vous point Phèdre avant que de partir,
Seigneur ?

HIPPOLYTE.

C'est mon dessein; tu peux l'en avertir. Voyons-la, puisqu'ainsi mon devoir me l'ordonne. Mais quel nouveau malheur trouble sa chère OEnone?

SCÈNE II.

HIPPOLYTE, OENONE, THÉRAMÈNE.

OENONE.

Hélas, Seigneur! quel trouble au mien peut être égal? La reine touche presque à son terme fatal.

En vain à l'observer jour et nuit je m'attache, Elle meurt dans mes bras d'un mal qu'elle me cache. Un désordre éternel règne dans mon esprit.

Son chagrin inquiet l'arrache de son lit.

Elle veut voir le jour, et sa douleur profonde
M'ordonne toutefois d'écarter tout le monde...
Elle vient.

HIPPOLYTE.

Il suffit; je la laisse en ces lieux,

Et ne lui montre point un visage odieux.

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N'allons point plus avant. Demeurons, chère ŒEnone.
Je ne me soutiens plus. Ma force m'abandonne.
Mes yeux sont éblouis du jour que je revoi;
Et mes genoux tremblans se dérobent sous moi.
Hélas!

(Elle s'assied.)

OENONE.

Dieux tout-puissans, que nos pleurs vous apaisent?

PHÈDRE.

Que ces vains ornemens, que ces voiles me pèsent! Quelle importune main, en formant tous ces nœuds, A pris soin sur mon front d'assembler mes cheveux? Tout m'afflige et me nuit, et conspire à me nuire.

OENONE.

Comme on voit tous ses vœux l'un l'autre se détruire!
Vous-même, condamnant vos injustes desseins,
Tantôt à vous parer vous excitiez nos mains,
Vous-même, rappelant votre force première,

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