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l'amende à la faute. » Ainsi la loi gradue cette peine, elle l'élève ou l'abaisse suivant le degré moral de l'infraction, mais non suivant la position sociale du délinquant; elle ne fait aucune acception de personnes; c'est l'application rigoureuse du principe de l'égalité devant la loi, mais ce principe conduit directement à l'inégalité dans la distribution du châtiment, puis que le riche se joue de la même amende qui va consommer la ruine du pauvre.

On a cherché à pallier ce vice en élargissant les limites dans lesquelles l'amende était circonscrite, en agrandissant les pouvoirs du juge, en effaçant, pour ainsi dire, le minimum de cette peine. Mais ce remède n'a point été entièrement efficace d'abord parce que le maximum des amendes est toujours illusoire pour les plus riches, ensuite parce que la loi n'a point fait de la fortune du délinquant une circonstance aggravante ou atténuante de cette peine. D'ail leurs, la faculté presque illimitée d'atténuation que l'art. 463 du Code pénal a créée, ne s'applique qu'aux amendes prononcées par ce Code, et cependant c'est surtout dans les législations spéciales que cette peine, plus fréquemment employée, devient rigoureuse par le taux élevé auquel on l'a souvent fixée.

Néanmoins, le système du Code incomplet seulement, nous paraît fondé sur une idée saine de pratique. Toute la théorie de la matière se réduit à poser en principe que l'amende doit être proportionnée à la fortune des délinquans. Mais comment arriver à établir cette proportion? Filangieri [1] et Bentham [2] ont proposé de la fixer en déterminant non la quotité de la somme, mais la portion de la fortune du prévenu qui lui serait enlevée par la peine : ainsi tel délit serait puni de la privation du cinquième, du dixième, du vingtième des biens du coupable. Mais ce principe, d'où semble découler une rigoureuse égalité, peut être défectueux dans l'applicacation. Car si vous enlevez le dixième de sa fortune au possesseur d'un million, cette peine ne lui sera point aussi onéreuse qu'à celui dont mille ou dix mille francs composent tout l'avoir. Nous avons parlé plus haut du danger des investigations nécesaires pour constater les revenus ou les biens des délinquans.

Il nous paraît donc que la distribution des amendes, proportionnellement à la position sociale des prévenus, ne peut être opérée que par

[1] Liv. 3, p. 2, et M. Pastoret, 2a part., chap. 8, et 3e part., chap. 10, § 3.

[2] Théorie des peines, pag. 340.

le juge. La loi n'a point de règles assez précises, de distinctions assez multipliées pour tous les cas, pour toutes les circonstances; elle doit nécessairement se confier à la sagesse des magistrats pour faire la part des temps, des conditions, des ressources pécuniaires. Son principe doit être de leur laisser une grande latitude dans l'application de l'amende, en les avertissant toutefois qu'ils doivent tenir compte, non seulement de la gravité de l'infraction, mais aussi des circonstances individuelles où se trouvent les délinquans. C'est en partageant cette idée que M. Charles Lucas a proposé de n'établir qu'un maximum pour les amendes, en donnant aux juges la faculté de les abaisser indéfiniment [3].

Ainsi, dans ce système, la loi déléguerait au juge le soin d'appliquer le principe de l'égale répartition des amendes, mais elle le guiderait dans cette difficile opération en fixant les élémens de son calcul: ces élémens sont d'une double nature et se puisent soit dans le degré de gravité du délit, soit dans la position sociale du délinquant. Notre Code pénal aurait complètement suivi cette voie s'il avait permis au juge de faire entrer ce dernier élement en ligne de compte dans la computation de l'amende. Ce n'eût été, au surplus, qu'appliquer une ancienne maxime rappelée par Tiraqueau : « mitius est agendum cum pauperibus quam cùm divitibus, cum agitur de pœnâ pecuniariâ [4]. »

Mais s'il suffit, en général, de fixer le maximum des amendes, cette fixation présente quelques difficultés. A quelles limites doit-elle s'arrêter? « Ce maximum, a dit M. Charles Lucas, doit être tel que l'application n'en soit pas illusoire pour les citoyens les plus riches. » Et il est certain, en effet, que l'exacte application du principe de l'égalité cesserait d'avoir lieu, si les fortunes élevées pouvaient se jouer de cette limite. Mais, d'une autre part, on ne doit pas perdre de vue qu'en élargissant le cercle des amendes, on accroît en proportion la mesure de puissance dont le juge est investi.

M. Levingston a posé en principe, dans l'art. 90 du code de la Louisiane, que l'amende ne peut dans aucun cas excéder la quatrième partie de la fortune du condamné : c'est là le maximum de cette peine. Le législateur du Brésil a été moins loin : l'amende, dans son code, n'atteint que les revenus du délinquant. Cette

[3] Du système pénal, pag. 304.

[4] De pœnis temperandis aut remittendis, 137,

dernière règle est peut-être plus conforme au principe fondamental de cette matière. L'amende, en effet, rencontre des limites dans sa propre nature; si elle atteint le capital, ce n'est plus une amende, mais une confiscation partielle. Poser la borne entre l'amende et la confiscation, est, on l'avoue, une tâche difficile. « Il est impossible, a dit M. Rossi [1], de.l'exprimer par un chiffre. Elle dépend d'abord de la richesse nationale et de la distribution de cette richesse. Elle dépend ensuite de l'état individuel de l'accusé sous le rapport de la fortune. » Ce publiciste pense en conséquence que le législateur doit se contenter d'une limite discrétionnaire, établie par l'évaluation de la moyenne des fortunes. Il suit de là que le maximum des amendes serait essentiellement variable suivant les progrès de la richesse générale de la nation.

Les réflexions qui précèdent, au surplus, ne doivent point s'appliquer aux faibles amendes que la loi inflige aux simples contraventions. A l'égard de ces infractions, l'amende est moins une peine qu'un avertissement: son but est d'éveiller l'attention des citoyens sur la nécessité de se conformer avec exactitude aux règles de police. L'amende peut donc rester légère, même en atteignant les citoyens les plus riches; il suffit qu'elle les ait avertis de l'infraction qu'ils ont commise; sa mission est remplie.

Mais l'amende peut tomber sur des délinquans insolvables: glissera-t-elle sur eux sans les effleurer? L'usage de convertir alors la peine pécuniaire en une peine corporelle paraît remonter jusqu'à la loi romaine [2]. Cependant Farinacius, après avoir rappelé la maxime: quod non habens in bonis, luat in corpus, conteste au juge le pouvoir de commuer arbitrairement l'amende en emprisonnement [3] ; et Tiraqueau pense que cette maxime ne s'appliquait pas aux amendes [4]. Mais dans notre ancien droit, les cours souveraines avaient ce pouvoir: une ordonnance de Henri II, du mois de mars 1549, portait que « si, après le temps de six mois, les prisonniers ne peuvent payer l'amende

[1] Traité du droit pénal.

[2] Loi 1, 3 generaliter ff. de pœnis ; et L. fin. ff. de in jus vocando.

[3] De del. et pæn., quæst. 18, no 57.
[4] De pæn. temp. aut remit, pag. 137.
[5] Decrusy et Isambert, tom. XIII,
pag. 162.

[6] Papon, liv. 10, tit 4, no 2 et 8; Rebuffe, sur l'édit de Henri II; Jousse, tom II, pag. 653. [7] Arr. cass., 3 nov. 1826.

pour cause de délit, les cours procèderont à la commutation de la peine pécuniaire en peine corporelle [5]. » Un grand nombre d'arrêts avaient confirmé cette règle [6]; mais elle ne s'étendait pas aux amendes légères, et les juges inférieurs n'avaient pas le droit de l'appliquer. Cette disposition s'est maintenue dans quelques législations étrangères : l'art. 89 du code prussien autorise la commutation de l'amende en emprisonnement: une amende de cinq écus équivaut à huit jours de détention. Le projet du code pénal de la Louisiane consacre la même faculté: son art. 90 pose la base d'un jour d'emprisonnement pour deux dollars. Mais notre Droit nouveau a répudié cette conversion; l'amende est prononcée même contre les insolvables [7]. Seulement le mode d'exécution de cette peine, par la voie de la contrainte par corps, opère alors de fait une sorte de commutation; après un laps de détention, le condamné recouvre une liberté définitive [8]. Nous examinerons, dans le chapitre suivant, le caractère et les effets de ce moyen d'exécution.

Après avoir rappelé les principes théoriques que le Code a suivis, nous passons à l'interprétation de ses textes, trop peu explicites en cette matière.

La première règle que nous y puisons, celle qui domine la matière, est que l'amende est une véritable peine. Les art. 9, 11 et 464 du Code consacrent formellement et successivement cette règle; elle est féconde en conséquences.

elle

Il en résulte, d'abord, que l'amende ne peut atteindre que les prévenus déclarés coupables des délits; car toute peine est essentiellement personnelle. Ainsi la responsabilité civile, telle qu'elle est établie par l'art. 1384 du code civil, ne comprend que les dommages-intérêts, ne s'étend pas aux amendes. Cette évidente déduction du caractère pénal de l'amende a été fréquemment consacrée par la jurisprudence [9]. Il n'est pas inutile de citer quelques-unes de ses applications : c'est ainsi qu'elle a déclaré que la responsabilité civile ne devait point comprendre les amendes, en matière de délits ruraux [10],

[8] Loi du 5 oct. 1793, art. 53; Cod. pén. ; loi du 17 avr. 1832, art. 42; 213, Cod. forest.

[9] Arr. cass., 12 pluv. an 10; 14 janv. 1819; 9 juin 1832. (Journ. crim., 1832, pag. 250); Dalloz, 1, 460

[10] Arr. cass., 25 fév. 1820; 8 août et 4 sept. 1823; 21 avr. et 15 déc. 1827; Liége, 20 fév. 1834; J. de Belg., 1834, pag. 319; Dalloz, t. 21, p. 320, n° 21; Sirey, 20, 350.

de loteries tenues sans autorisation [1], d'infractions aux réglemens sur la direction des voitures [2], de contraventions commises par les préposés des messageries [3].

Toutefois cette règle a reçu une dérogation dans quelques matières spéciales. Mais cette exception n'existant qu'en vertu de la loi qui l'a formulée, doit être strictement resserrée dans ses termes. Il est donc nécessaire de par courir les exemples qu'en offre la législation. Nous en trouvons un premier dans les lois de douanes. L'art. 20 du titre 13 de la loi du 6-22 août 1791 est ainsi conçu: « Les propriétaires des marchandises seront responsables civilement du fait de leurs facteurs, agens, serviteurs et domestiques, en ce qui concerne les droits, confiscations, amendes et dépens. » Ainsi les propriétaires des objets introduits en contrebande sont tenus du paiement des amendes encourues par leurs préposés ; la peine les frappe en même temps que les prévenus; elle cesse d'être personnelle; c'est une exception évidente au droit commun. Mais on doit remarquer, d'abord, qu'il ne s'agit point ici de cette responsabilité civile qui prend sa source dans une dépendance nécessaire d'une part, et de l'autre, dans une surveillance obligée, et qui dès lors s'applique à tous les pères, maitres et commettans : les propriétaires des marchandises y sont seuls assujétis. C'est que cette condamnation dérive moins d'une véritable responsabilité, que d'une présomption légale que la fraude a eu lieu par leurs ordres ou de leur consentement: c'est une sorte de complicité que la loi suppose et punit indirectement [*].

Nous ne partageons donc point l'opinion émise par la Cour de cassation qu'en cette matière l'amende cesse d'être une peine, et qu'il faut la considérer simplement comme une réparation civile du dommage causé à l'État par la fraude [4]. L'amende n'est point une réparation civile puisque si les propriétaires des marchandises en sont responsables, cette responsabilité, aux termes de la loi fiscale elle-même, n'atteint ni les pères et mères, ni les maîtres et commettans. Elle n'a point ce caractère, puisque l'action en réparation civile

[1] Arr. cass., 30 nov. 1821. [2] Arr. cass., 18 oct. 1827.

survit au décès même du délinquant, aux termes de l'art. 2 du code d'instruction criminelle; or pourrait-on continuer une poursuite correctionnelle contre les héritiers du prévenu décédé avant le terme de cette poursuite? La Cour de cassation, elle-même, a répondu négativement à cette question en statuant sur un délit de douanes : [**]« Attendu qu'en matière de contravention aux lois fiscales, comme dans toutes les autres matières, les amendes ont un caractère pénal; qu'elles sont personnelles, que l'action s'en éteint donc par le décès du contrevenant, lorsqu'il a lieu avant que la condamnation ait été prononcée ; que si l'administration a le droit de poursuivre cette peine, c'est qu'elle en a reçu l'attribution de la loi ; que cette attribution est fondée sur ce que les amendes font partie des intérêts fiscaux qui sont confiés à sa surveillance; mais que son action, en cette partie, n'en est pas moins soumise aux règles qui concernent les actions publiques [5]. »

La contradiction de cet arrêt avec ceux qui ont été cités précédemment est évidente, puisque d'une part, la Cour de cassation imprime à l'amende le caractère d'une simple réparation civile, et d'une autre, celui d'une peine. Cette double solution atteste assez que la loi a été méconnue. A nos yeux l'amende, en matière fiscale, ne cesse jamais d'être une peine; seulement, et par une dérogation formelle au principe des peines, elle n'est point strictement personnelle : elle atteint outre le prévenu déclaré coupable, les personnes que la loi présume ses complices: tel est le double caractère de cette amende. L'État trouve la réparation du préjudice que la fraude lui a causé dans le paiement des droits et la confiscation des marchandises et des objets de transport: l'amende a une mission pénale; elle flétrit la désobéissance aux lois; elle punit la fraude.

La législation des contributions indirectes a consacré la même exception : l'article 35 de la loi du 1er germinal an 13 est une reproduction fidele de la loi du 6 août 1791. Les mêmes hésitations se font aussi remarquer dans la jurisprudence qui en a fait l'application. Ainsi, un arrêt de la Cour de cassation déclare que l'amende, en cette matière, est une peine soumise

[4] Arr. cass., 6 juin 1811, 17 déc. 1831, et 11 oct. 1834. (Sirey, 1834, 1, 708, et voy. l'arrêt de

[3] Arr. cass., 18 nov. 1825; J. de Br., 1826,2, Bruxelles, qui vient d'être cité.) 415; J. du 19e s., 1826, 1, 107.

[*] La responsabilité civile des maîtres en fait de contraventions commises par leurs domestiques en matière d'octroi, s'étend jusqu'à l'amende. Br., 22 nov. 1835.; J. de Belg., 1835, p. 431.

[**] Même décision de la cour de Bruxelles, en date du 27 fév. 1823; J. de Br., 1824, 2, 449.

[5] Arr. cass., 28 mess. an 8. (Sirey, 1811, 1, 309.) 9 déc. 1813. (Dalloz, t. 1, p. 456.)

à toutes les règles générales relatives aux peines [1]; un second arrêt confirme cette décision, et en tire la déduction que les jugemens qui prononcent cette amende sont exécutoires par la voie de la contrainte par corps, encore bien qu'ils ne l'aient pas prescrite [2]; enfin, un troisième, renversant cette jurisprudence, pose en principe que l'amende ne doit être considérée que comme une réparation civile du dommage causé [3]. Or, comment admettre que, dans la même matière, l'amende puisse tantôt prendre le caractère d'une peine pour justifier l'emploi de la contrainte par corps, tantôt d'une réparation, pour motiver la responsabilité civile? Il faut donc appliquer à cette matière comme à celle des douanes la doctrine que nous avons énoncée. Et, au surplus, nous ferons remarquer, en terminant sur ce point, que l'arrêt du 11 octobre 1834 a fait peser la responsabilité de l'amende, non pas sur le propriétaire des marchandises, comme l'art. 35 de la loi du 1er germinal an 13 autorise à le faire, mais sur le père d'un enfant mineur : c'est une nouvelle déviation des règles légales qu'il importait de signaler.

Telles sont les seules dérogations que la loi ait faites à la règle générale qui régit les amendes. L'ordonnance de 1669 (tit. 19, art. 13), déclarait les pères et maîtres civilement responsables des condamnations rendues, en matière forestière, et la jurisprudence avait entendu cet article en ce sens que la responsabilité s'étendait même aux amendes, lorsqu'il s'agissait de délits commis dans les bois de l'État [*]. L'article 206 du code forestier a réformé cette interprétation, en déclarant que cette responsabilité ne s'étendrait qu'aux restitutions, dommages-intérêts et frais. «L'amende, disait le rapporteur, M. Favard de Langlade, est une véritable peine; elle ne saurait donc atteindre celui qui ne s'est pas rendu coupable; elle ne peut frapper que le délinquant ; c'est lui qu'il faut atteindre directement l'État a la voie de la contrainte par corps pour le contraindre au paiement de l'amende, et ce genre de punition est bien plus utile à la société que l'effet d'une responsabilité civile. Si du reste les pères, mères,

[1] Arr. cass., 9 déc. 1813; Dalsoz, t. 1, p. 456. [2] Arr. cass., 14fév. 1832. (Sircy, 1832, 1, 82; Journ. du droit crim., 1834, pag. 314).

maîtres, etc., sont complices des délits commis par leurs subordonnés, il est un moyen bien simple de leur faire supporter l'amende; il ne s'agit que de les traduirc en justice pour cause de complicité [4]. » Le même principe domine le code de la pêche fluviale du 15 avril 1829 (art. 74).

De la règle qui attribue à l'amende un caractère pénal, il découle encore, ainsi qu'on l'a vu, que si le condamné est décédé avant que le jugement ait acquis la force de la chose jugée, l'amende est éteinte par ce décès [5]. C'est l'application de l'art. 2 du code d'instruction criminelle portant que l'action publique pour l'application de la peine s'éteint par la mort du prévenu. Mais si le jugement, au contraire, est devenu inattaquable avant le décès, la question de savoir s'il doit être exécuté, si le paiement de l'amende peut être poursuivi sur ses héritiers, soulève de graves difficultés.

Car l'amende étant une peine, il est de l'essence des peines de ne point passer aux héri– tiers. Elle diffère de la condamnation civile en ce que celle-ci est la réparation d'un dommage causé, tandis que l'amende est la réparation d'un devoir violé : les héritiers sont responsables des dommages faits par leur auteur; ils ne le sont pas de la violation qu'il a commise de ses devoirs moraux. Et puis, pourquoi distinguerait-on entre les peines corporelles et les peines pécuniaires? Pourquoi lorsque les premières tombent avec le décès du condamné, les autres resteraient-elles debout pour frapper ses représentans? Ne sont-elles pas soumises au même principe? Cette distinction n'est-elle pas effacée par le 2o paragraphe de l'art. 2 du code d'instruction criminelle, qui ne laisse subsister contre les représentans que l'action civile en réparation du dommage?

Mais ces motifs, quoique spécieux, ne suffisent point. Car, aux termes de ce même art. 2, l'action pour l'application de la peine s'éteint par le décès du prévenu; mais si la condamnation est devenue définitive avant ce décès, ce n'est plus une simple action qui demeure, c'est un droit acquis. Si ce droit ne peut s'exercer, par la nature même des choses, à l'égard des

[4] Code forestier expliqué, par Chauveau Adolphe, sur l'art. 206.

[5] Jousse, tom. I, pag. 72; arr. cass., 28 mess. [3] Arr. cass. 11 oct. 1834. (Sirey, 1834, 1.708; an 8 et 9 déc. 1813. (Dalloz, t. 1, p. 456 ; Sir. 1814, Journ, du droit crim., 1834, pag. 314).

1, 94.) Bourguignon, Manuel d'instruct. crim., sur

[*] Voyez J. de Belg., 1835, p. 382, et Dalloz, l'art. 2; J. de Br., 1824, 2, 449.

t. 16, p. 432.

:

365 doit s'appliquer aux amendes prononcées par le Code pénal: c'est la consécration formelle de notre opinion. Mais la restriction posée par l'arrêt est-elle fondée?

Le principe qui veut que les peines ne se cumulent pas, hors le cas de récidive, est un principe général de droit criminel, qui domine toutes les branches de la législation, parce qu'il se fonde sur une raison d'équité qui se reproduit à l'égard de tous les délinquans : c'est qu'il est injuste et à la fois inutile de faire peser plusieurs peines sur un prévenu, pour des infractions commises avant qu'il n'ait reçu le solennel avertissement d'une première condamnation. Or, ce motif s'élève aussi haut dans les matières spéciales que dans les autres matières. La loi ne doit pas imputer au délinquant les lenteurs de la justice, qui lui ont permis de commettre une nouvelle contravention qu'il n'eut pas commise peut être si la répression eût été plus prompte. Au reste, dans l'espèce de l'arrêt cité plus haut, il s'agissait de l'application de la loi du 15 ventôse an 13, relative à l'indemnité à payer aux maîtres de poste, et la Cour de cas

peines corporelles, il en doit être autrement pour les peines pécuniaires, parce que la condamnation à l'amende est devenue une dette au profit de l'Etat, du moment où le jugement qui l'a prononcée est devenu irréfragable. Or, les biens du débiteur étant, aux termes de l'art. 2093 du code civil, le gage commun de ses créanciers, ces biens ont été affectés à cette dette, et c'est avec cette charge qu'ils sont passés aux héritiers. Au surplus, cette solution est puisée dans l'esprit même du Code pénal. En effet, on lit dans les procès-verbaux du Conseil d'Etat, que cette question fut soulevée dans les discussions qui préparèrent le code d'instruction criminelle « M. de Cessac demande si l'héritier est affranchi du paiement de l'amende et des autres condamnations pécuniaires. MM. Cambacérès et Treilhard répondirent que l'art. 2 n'éteint que l'action publique. M. Merlin distingua entre le cas où l'amende est prononcée et celui où elle ne l'est pas : « Dans le premier cas, dit-il, la condamnation doit avoir ses effets; dans le deuxième, la mort du prévenu le faisant réputer innocent, empêche qu'aucune peine, même pécuniaire, puisse lui être appliquée. » M. Cam-sation a surtout motivé sa décision sur ce que bacères dit que c'étaient là les vrais principes: « L'explication de M. Merlin, ajouta-t-il, étant consignée dans le procès-verbal, lèvera les doutes et fixera le sens de l'article. Il sera bien entendu que le jugement qui prononce l'amende, recevra son exécution, nonobstant la mort du condamné [1]. » [*]

"

Nous déduirons encore de notre règle un troisième corollaire; c'est que les amendes, étant de véritables peines, ne peuvent indéfiniment se cumuler entre elles. C'est l'application de l'art. 365 du Code d'instruction criminelle, qui porte que « en cas de conviction de plusieurs crimes ou délits, la peine la plus forte sera seule prononcée. » Or, cette règle est générale, elle s'applique à toutes les peines. Comment pourrait-on justifier vis-à-vis des amendes une exception que la loi n'a nulle part autorisée? La Cour de cassation n'a point fait cette exception; elle a sculement déclaré « que l'art. 365 n'est point applicable aux amendes et peines pécuniaires portées par des lois relatives aux matières qui n'ont pas été réglées par le Code pénal [2]. » Et de cette décision, il résulte, d'abord, implicitement que ce même art.

[1] Procès-verbaux du conseil d'Etat, séance du 31 mai 1834; Locré, tom. 15, édit. Tarlier.

[*] Mais voy. en sens contraire, Berriat, 1re part., tit. 5, §1., édit. de la Soc. Typogr.

l'esprit de cette loi serait de cumuler les amendes d'après le nombre des contraventions. On peut donc induire de cet arrêt lui-même que, dans les matières spéciales, le principe de l'art. 365 doit être appliqué aux amendes, à moins qu'il ne soit exclu par les dispositions de ces lois exceptionnelles.

Il est nécessaire d'ajouter que la prohibition du cumul des peines ne s'étend pas au cumul de l'amende avec l'emprisonnement, toutes les fois que l'amende est considérée par la loi comme peine accessoire de la peine corporelle [3] ; mais il devrait sans doute en être autrement si l'amende avait été appliquée à l'un des délits comme peine principale: la peine d'emprisonnement, comme la plus forte, devrait seule être subie.

Une seconde règle est que l'amende doit être individuelle, c'est-à-dire, infligée à chacun des auteurs du même fait. Il est évident, en effet, que dans la perpétration d'un fait puni par la loi, il y a autant de contraventions qu'il y a de contrevenans; l'infraction n'est pas seulement dans le fait matériel, mais dans la violation de la défense de la loi. Et, d'ailleurs, si

[2] Arr. cass.. 11 oct. 1827. (Sirey, 1828, 1, 65.) [3] Arr. cass., 13-déc. 1832. (Sirey, 1833, 1, 811; Journ. du droit crim., 1833, pag. 323. )

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