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Louisiane a chargé de la noble mission de lui rédiger un Code pénal, s'est abstenu de professer aucune théorie dans son travail; il a même ambitionné de se faire applaudir de tous les systèmes. «Si le contrat social, dit-il, a jamais existé, son but a dû être la conservation des droits naturels de ses membres, et dès lors les effets de cette fiction sont les mêmes que ceux de la théorie qui prend une abstraite justice comme base du droit de punir, car cette justice, bien entendue, est celle qui assure à chaque membre de la cité l'exercice de ses droits. Et s'il se trouve que l'utilité, dernière source à laquelle on fasse remonter le droit de punir, soit si intimement unie à la justice qu'elle en est inséparable dans la pratique du droit, il s'ensuivra que tout système fondé sur l'un de ces principes doit être soutenu par les au

tres [1]. »

Il résulterait de cette observation, et le même criminaliste n'hésite pas à le dire, que les querelles des théories auraient plutôt porté sur les termes que sur le fond des choses. Il nous semble que c'est aller un peu loin. Il est très vrai que les diverses théories peuvent, avec des déviations plus ou moins avouées, se fondre dans un même résultat. Mais quelle en est la raison? C'est que le législateur, tout en inscrivant dans ses lois le principe de l'utilité ou de la défense sociale, aura plus ou moins admis le concours accessoire d'un principe moral; nous verrons plus loin un exemple de cette coïncidence dans le Code pénal.

Il faut, au surplus, le dire hautement; car toutes les théories du droit pénal se résument là: il ne peut exister un bon système pénal que sous un gouvernement libre. Les théories, quelque fortes que fussent leurs lois, seraient impuissantes sous le despotisme. Il y a une liaison intime entre les progrès des institutions politiques et ceux des lois criminelles ; elles croissent, elles se perfectionnent ensemble; celles-ci sont la conséquence presque immédiate des autres. C'est donc au pouvoir social qui émane d'institutions libres, à apprécier, soit sous un point de vue théorique, soit abstraction faite de tout système, les actes qui menacent l'existence de la société : bornée aux faits qui offrent ce péril et qui sont empreints d'une criminalité intrinsè

que ou relative, la justice pénale aura rempli sa mission.

Notre dessein n'est pas d'insister sur ces idées; il a suffi de les indiquer. Ce que nous voulons constater comme résultat de cette discussion, c'est que l'examen de toute législation pénale serait incomplet si l'on oubliait de remonter au principe qui lui a servi de base; c'est qu'il est certain que ce principe n'est pas sans influence sur le législateur qui l'a pris pour point d'appui de ses prescriptions. Le commentateur doit done puiser dans cette recherche, la première règle de ses interprétations.

Nous arrivons au Code pénal.

Préparé quelques années après la publication des traités de Bentham [2], qui firent une si profonde sensation parmi les publicistes, ce Code dut naturellement s'empreindre des principes de cet auteur. On le trouve plusieurs fois Sa théorie revit tout entière dans ces lignes de cité dans les rapports officiels du conseil d'Etat. M. Target:

« Il est certain que la peine n'est pas une vengeance: cette triste jouissance des ames basses et cruelles n'entre pour rien dans la raison des lois. C'est la nécessité de la peine qui la rend légitime. Qu'un coupable souffre, ce n'est pas le dernier but de la loi; mais que les crimes soient prévenus, voilà ce qui est d'une haute importance. Après le plus détestable forfait, s'il pouvait être sûr qu'aucun crime ne fût désormais à craindre, la punition du dernier des coupables serait une barbarie sans fruit, et l'on ose dire qu'elle passerait le pouvoir de la loi. La gravité des crimes se mesure donc, non pas tant sur la perversité qu'ils annoncent que sur les dangers qu'ils entrainent [3]. »

C'est donc à l'école des utilitaires qu'appartiennent les rédacteurs du Code pénal de 1810. Ils mesurent la peine sur le danger et non sur la moralité des actes qu'ils incriminent. Ils font, en thèse générale, abstraction de cette loi morale que revèle la conscience et qui distingue parmi les actions humaines celles qui sont licites, celles qui sont défendues. La nécessité de la peine, c'est la règle des incriminations du Code pénal.

[1] Introductory report to the Code of crimes n'a été publiée qu'en 1811 par le même publiciste; and punishments; pag. 114.

[2] Les Traités de législation civile et pénale de Bentham, ont été publiés en 1802 par M. Dumont; la Théorie des peines et des récompenses

enfin, le Traité des preuves judiciaires n'a paru qu'en 1823. Voyez les préfaces de M. Dumont.

[3] Observations de M. Target sur le Code pénal. Locré, t. 15, édit. Tarlier.

Cependant d'un principe rigoureux on peut ne pas tirer toutes les conséquences extrêmes. Les rédacteurs du Code, en se rangeant sous la bannière de l'école utilitaire, n'ont point prétendu suivre par une logique sévère le principe de l'intérêt dans toutes les applications: à côté de ce principe, on voit même surgir parfois une pensée de moralité.

« L'on n'a pas oublié, disait M. Berlier, que des lois qui statuent sur tout ce que les hommes ont de plus cher, la vie et l'honneur, ne doivent effrayer que les pervers, but qui serait manqué si elles imprimaient trop légèrement le caractère de crime à des actes qui ne sont pas essentiellement criminels. L'on a soigneusement cherché à établir de justes proportions entre les peines et les délits [1]. »

Ces paroles révèlent en quelque sorte un principe moral dans la pensée du législateur. Il est vrai que ce principe fléchit et s'efface toutes les fois que les besoins réels ou prétendus de la société sont mis en avant; le législateur est préoccupé des périls de l'ordre social; il ne s'attache que secondairement à peser la valeur intrinsèque des actes qu'il frappe de ses peines. Mais l'application même secondaire de ce principe de justice doit être mise en lumière; on croirait vainement connaître l'esprit de la loi si on en faisait abstraction; nous aurons plus d'une occasion de remarquer des incriminations qui reposent sur une saine appréciation du juste et de l'injuste.

En général, le Code pénal de 1810 nous paraît avoir été jugé avec trop de sévérité. L'excessive élévation de ses pénalités a surtout frappé les regards, et l'on en a déduit une réprobation générale. Il faut distinguer: l'échelle pénale aujourd'hui refaite quoique d'une manière incomplète, était en effet empreinte d'une barbare exagération, et les réclamations qui se sont élevées à ce sujet étaient l'expression de la conscience publique qui cherchait vainement une juste proportion entre les châtimens et les délits. Mais le système des incriminations, quelque défectueux qu'il soit, ne méritait peut-être point les mêmes reproches, et les peines trouvent généralement (à quelques exceptions près) une base légitime dans le caractère immoral des actes qui sont compris dans la catégorie des délits. Le projet du Code était conçu dans un esprit plus doux, plus

[1] Exposé des motifs du tit. 1 du liv. 3 du Code pénal. Locré, t. 15, édit. Tarlier.

modéré. On suit facilement dans les discussions du conseil d'État les déviations que ce principe de modération a éprouvées. Chaque crime, chaque délit, successivement analysé dans ses élémens et ses effets, excitait ce sentiment d'indignation et de crainte qui conduit à l'exagération des peines. C'est dans ce sens qu'on a pu dire avec justesse que les rédacteurs du Code « se sont bien moins occupés de combiner une répression suffisante pour la sûreté publique, que de compenser l'horreur du crime par l'horreur du châtiment [2]. »

La réforme de cette législation était devenue un besoin public. La marche progressive des idées libérales, l'adoucissement des mœurs, les discussions philosophiques, avaient amené les esprits à réclamer énergiquement des améliorations dans le système pénal. Cette idée était descendue dans les mœurs; l'application journalière de la doctrine de l'omnipotence en était l'expression. Le jury protestait contre l'exagération des peines et s'était attribué le pouvoir de les proportionner aux délits.

Le législateur n'a pu méconnaître ce grave symptôme d'un besoin social, car la législation doit s'appuyer sur les mœurs publiques, et les peines doivent être proportionnées non seulement aux crimes, mais encore aux mœurs et à la civilisation. Ainsi les peines ne doivent pas être les mêmes chez un peuple barbare et chez un peuple policé, parce que là, la crainte est le seul frein des actions, et qu'ici, les lumières, la morale et la religion en sont les utiles auxiliaires. En général, c'est par la législation criminelle d'une nation qu'on peut juger du degré de civilisation auquel elle est parvenue et de la tendance morale de son gouvernement. « Il serait aisé de prouver, dit Montesquieu [3], que dans tous ou presque tous les Etats de l'Europe, peines ont diminué ou augmenté à mesure qu'on s'est plus approché ou plus éloigné de la liberté. »> Enfin, la civilisation progressive de la société, en adoucissant les mœurs, en amollissant les hommes, les rend plus sensibles aux souffrances de la peine; les peines peuvent dès lors diminuer à mesure des progrès de l'intelligence et de l'industrie; la punition reste la même.

les

La loi du 28 avril 1832 a eu pour but de répondre à ce vœu général. C'est la troisième révolution que notre législation voit s'accomplir dans son sein depuis quarante ans ; car nous ne

[2] M. Ch. Remusat, Globe du 10 sept. 1825. [3] Esprit des lois, liv. 12.

donnerons pas le nom de réforme aux modifications timides que la loi du 25 juin 1824 n'avait introduites qu'avec une espèce de regret. Nous avons à fixer le caractère et l'esprit de cette révision, et les limites dans lesquelles elle s'est exercée.

Dirigé par une pensée d'humanité, le législalateur de 1832 n'a semblé frappé que de l'exagé-, ration de l'échelle pénale; il a borné sa mission à rétablir plus de proportion entre les peines et les délits [*]. Au lieu de remonter au principe, il s'est contenté d'en corriger les applications; au lieu de dominer le système de la loi qu'il voulait réviser, il l'a suivi dans ses diverses conséquences négligeant à peu près le système des incriminations, il lui a suffi de modérer les peines. Cette tâche était peut-être la seule qu'il fût possible d'accomplir à cette époque d'inquiétudes politiques. On doit en recueillir le travail avec reconnaissance; c'est un pas dans une voie progressive, dans une carrière nouvelle. Mais on se tromperait sans doute si on voulait y voir un Code nouveau, substitué à l'ancien, le règne d'un autre système, la consécration d'une pensée nouvelle et complète.

Les paroles de l'exposé des motifs, ces paroles qui font partie de la loi elle-même, en révèlent l'esprit et la tendance.

« Sans doute, disait cet exposé, pour préparer et mettre à fin un si important travail, le courage n'aurait manqué ni au gouvernement ni aux chambres; néanmoins on ne saurait se dissimuler qu'en s'imposant la tâche de réviser les 484 articles du Code pénal et des lois accessoires, beaucoup plus nombreuses encore, on risquerait de retarder plus qu'on ne doit des améliorations dont la plupart présentent un caractère d'urgence incontestable. On a préféré pourvoir au plus pressé. C'est aux préparations de la science, aux méditations journalières du gouvernement et de la magistrature qu'il faut demander une refonte générale de législation. Il est beaucoup de besoins auxquels on peut satisfaire dès aujourd'hui et que le bon sens public a suffisamment mûris pour que l'humanité en tire profit immédiatement. Nous ne nous sommes pas livrés, je le répète, à une révision générale de nos lois pénales, mais nous avons reconnu qu'il était urgent d'effacer de nos Codes des cruautés inutiles. L'humanité les repoussait et un besoin impérieux de protection

[*] Là se sont aussi bornées jusqu'ici les modifications du législateur belge. Nous aurons occasion de les citer plus tard.

pour les intérêts légitimes de la société ne les rendait pas indispensables. Toutefois l'expérience nous a fourni ses utiles renseignemens pour nous défendre contre un entraînement dangereux, et nous avons procédé avec une prudence qui ne compromet pas le présent, et qui nous permettra d'attendre, sur plusieurs points, les leçons de l'avenir. »>

Il nous est impossible de ne pas rappeler également les termes dont s'est servi le rapporteur de la commission de la chambre des Députés : «Votre commission a jugé utile de déterminer d'abord le véritable caractère de la révision qui vous est proposée : Elle est et doit être incomplète. Ce sera notre réponse à ceux qui auraient souhaité une refonte dans nos lois pénales : ce travail ne serait pas seulement immense, il serait provisoire. Qu'importe que le législateur refasse avec plus ou moins d'art le système de l'incrimination, quand la pénalité dont il dispose est vicieuse et appelle des changemens prochains, mais peu connus encore et peu éprouvés? Ce sera aussi notre réponse à ceux qui auraient souhaité une réforme plus large et plus profonde. Donnons aux châ– timens inférieurs plus d'efficacité et d'énergie avant de renoncer aux peines supérieures. Élevons autour de l'ordre social un rempart nouveau et durable, avant de renverser la vieille barrière qui l'a protégé si long-temps. »>

Il était important de constater par les paroles mêmes du législateur, le caractère incomplet de la réforme qu'il opérait. Il en résulte jusqu'à l'évidence qu'il a limité lui-même sa mission à la correction, à l'atténuation des peines; il n'a pas voulu toucher aux principes. Les principes et les motifs de l'ancien Code pénal se réfléchissent donc encore sur le nouveau, bien que tempérés dans leur logique application et leur rigueur primitive. Vainement, en effet, on chercherait dans les discours des divers orateurs qui ont expliqué la loi le principe d'un système nouveau [1] ce que ces auteurs demandent à la peine, ce n'est pas la réparation morale du délit, c'est d'être préventive, c'est l'intimidation; la terreur est presque le seul objet de la punition. Ils puisent toujours le droit de punir dans un principe matériel, dans l'utilité sociale; de même que dans le système de M. Target, c'est la seule nécessité de la peine qui la rend légitime.

[1] Voyez Code pénal progressif.

Cependant, on doit le reconnaître en même temps, cette nécessité de la peine n'est plus celle que le despotisme avait pu juger convenable au soutien de son pouvoir; et de là la différence dans l'évaluation des peines et la distinction introduite dans quelques incriminations. Celleci part du même principe; mais les mœurs et la liberté en ont restreint une arbitraire application, mais elles l'appliquent en général aux véritables besoins de la société. Cette différence entre les deux législations se manifeste surtout dans l'incrimination du complot et de l'attentat.

Mais ce qui sépare le nouveau Code du premier, ce qui trace entre eux une large distance, c'est la pensée d'humanité qui a dicté ses modifications si cette pensée n'a point changé le principe du Code, si elle s'est bornée à en corriger les applications, elle a imprimé, on ne peut le nier, à ses dispositions un esprit nouveau et que l'interprétation ne saurait négliger; c'est une tendance vers une application paternelle. Ce sentiment d'humanité n'est point descendu de la théorie; il est arrivé de plein saut dans les détails pratiques; on ne s'est point occupé s'il était en harmonie avec les principes; les principes sont restés debout parce que peutêtre ils se trouvaient là: il a paru suffire de leur enlever leurs conséquences les plus acerbes.

Il faut nous résumer : le Code pénal a été rédigé sous l'empire du système utilitaire, et de là, l'exagération de ses peines. La révision qu'il a subie n'a eu ni pour but ni pour effet de lui imprimer un nouveau principe, de le placer sous la règle d'un autre système pénal; mais la conséquence implicite de cette révision a été l'accession secondaire d'un principe moral qui se manifeste par l'atténuation des peines, par une plus juste proportion entre les délits et les châtimens. C'est donc encore dans le principe utilitaire qu'il faut chercher la source des incriminations du Code; mais il faut en tempérer les rigoureuses déductions en les conciliant avec la pensée de moralité qui plane, timide encore, sur ses dispositions. Enfin un sentiment d'humanité y a déposé un germe nouveau. Le principe subsiste, mais presque nominal, et dépouillé de la plus grande partie de son ́autorité : la certitude, mais la douceur des

châtimens, voilà le véritable esprit de la loi nouvelle; c'est la règle qui doit servir à l'interpréter [1].

Nous sommes en présence de l'art. 1er du Cede pénal, et les réflexions qui précèdent vont déjà nous aider à en saisir le véritable sens. On a adressé de graves reproches à la définition qu'il renferme; quelques publicistes y ont vu l'expression de tout un système insultant pour l'intelligence et la conscience de l'homme. Il faut en rappeler le texte.

« Art. 1. L'infraction que les lois punissent de peines de police est une contravention. L'infraction que les lois punissent de peines correctionnelles est un délit ; l'infraction que les lois punissent d'une peine afflictive ou infamante est un crime. »

Un publiciste a écrit à ce sujet : « La division des actes punissables en crimes, délits et contraventions, division tirée du fait matériel et arbitraire de la peine, révèle à elle seule, ce nous semble, l'esprit du Code et du législateur. C'est dire au public: ne vous embarrassez pas d'examiner la nature intrinsèque des actions humaines, regardez le pouvoir fait-il couper la tête à un homme, concluez-en que cet homme est un grand scélérat. Il y a là un tel mépris de l'espèce humaine, une telle prétention en tout, même en morale, qu'on pourrait, sans trop hasarder, juger de l'esprit du Code entier par la lecture de l'art. 1er [2]. »

:

Il nous est impossible de ne pas trouver quelque exagération dans ces réflexions. Il n'est pas besoin d'une étude bien approfondie du Code pénal pour se convaincre que la division dont il s'agit est d'ordre plutôt que de principe [3]. En effet, les définitions qu'il pose, il ne tarde pas à les mettre lui-même bientôt de côté. C'est ainsi que nous pourrions citer un grand nombre de faits, tels que les associations non autorisées, les infractions aux règles sur les inhumations, les maisons de jeu qui n'ont évidemment que le caractère des contraventions, quoiqu'ils soient classés parmi les délits. Assurément le législa→ teur n'a point prétendu imprimer à ces infractions le caractère moral du délit, rien ne peut même faire supposer qu'il en ait eu la pensée ; ce qu'il a voulu, c'est poser, ainsi qu'on l'a déjà dit, une règle d'ordre, un principe générateur de la compétence. Écoutez M. Treilhard :

[1] Voyez le rapport de M. Dumont, Code pénal des-sceaux, à la tribune de la Chambre des Pairs, progressif, pag. 15.

[2] M. Rossi, Traité du droit pénal.

dans la séance du 9 avril 1834, lors de la discussion de la loi sur les associations. Voyez le Jour

[3] C'est aussi l'opinion exprimée par M. le garde- nal du Droit criminel, no de mai. 1834, pag. 143.

«Le premier de ces articles définit les expressions de crime, délit, contravention, trop souvent confondues et employées indifféremment. Désormais le mot crime désignera les attentats contre la société qui doivent occuper les cours criminelles. Le mot délit sera affecté aux désordres moins graves qui sont du ressort de la police correctionnelle; enfin le mot contravention s'appliquera aux fautes contre la simple police [1]. »

La définition de l'art. 1er a donc eu pour seul but d'indiquer la compétence d'après la nature de la peine à laquelle l'accusation peut donner lieu; c'est là le seul principe qu'il ait voulu poser, c'est une méthode, une règle d'application; ce n'est point une théorie.

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Si l'on jette un coup d'œil sur la législation générale, cette explication revêtira le caractère de la certitude. En effet, les contraventions en matière de presse, de librairie, d'impôts indirects, d'eaux et forêts, sont exclusivement attribuées à la juridiction correctionnelle; et cependant le législateur a-t-il voulu élever ces contraventions au rang des délits? Loin de là, il les proclame lui-même des contraventions matérielles. C'est parce que le fait d'une association illicite ne constitue qu'une simple contravention que la loi du 10 avril 1834 en a déféré le jugement aux tribunaux correctionnels. Par le mot délit, dans l'art. 1er du Code pénal, le législateur n'a donc point entendu un délit exclusivement moral, mais un fait passible d'une peine que les tribunaux correctionnels seuls peuvent prononcer.

Il ne faut donc pas légèrement flétrir une lé gislation sur la foi de quelques-uns de ses termes; et en adoptant même l'idée hypothétique que nous avons rappelée, faudrait-il en tirer les conséquences qu'on en a déduites? Sans doute le législateur ne doit pas puiser le caractère du fait dans la mesure arbitraire et matérielle de la peine; mais ne peut-il pas commencer par mesurer cette peine sur la valeur intrinsèque des actions? Ne lui sera-t-il pas permis alors de la prendre pour base de ses divisions? Et comment, dans ce cas, pourriezvous juger, à l'ouverture du Code et sur cette simple division, de l'esprit du Code entier ?

Cependant la division des actions tracées par l'article 1er, n'est pas à l'abri de toute critique.

[1] Exposé des motifs. Locré, t. 15, édit. Tarlier. [2] Code pénal général d'Autriche, traduit par M. Victor Foucher. art. 2 et suiv.

[3] By the first division, all offences are either

:

Parmi les actions punissables, il n'existe qu'une seule division qui soit vraie, parce qu'elle est puisée dans leur nature. En effet, les unes prennent leur criminalité dans la moralité du fait, dans l'intention de l'agent on les appelle crimes ou délits. Les autres ne sont que des infractions matérielles à des prohibitions ou à des prescriptions de la loi; elles existent par le seul fait de la perpétration ou de l'omission, et indépendamment de l'intention de l'agent. Ce sont les contraventions. Voilà la division la plus naturelle des actions punissables; elle est à l'abri de l'arbitraire et du caprice des législateurs; car les législateurs ne sauraient modifier le caractère des faits.

On la retrouve à peu près dans plusieurs Codes étrangers. Nous citerons le Code pénal d'Autriche, qui ne divise les offenses qu'en deux classes : les délits et les graves infractions de police [2]. Nous citerons encore le projet du Code pénal de la Louisiane de M. Livingston, qui a adopté une division à peu près semblable; il sépare les offenses en deux catégories, les crimes et les infractions [3].

Le droit romain avait divisé les crimes en capitaux et non capitaux [4]. De là, les divisions proposées par les anciens criminalistes, en atroces et légers, simples et qualifiés, directs et indirects [5]. De là la division du Code pénal en crimes et délits. Le premier inconvénient de cette classification, c'est d'être évidemment arbitraire. Car qui posera la borne où cesse le délit, où commence le crime? Quelle est la circonstance qui ôtera subitement ou restituera à un fait le caractère de crime? Les faits qualifiés crimes ou délits étant de la même nature, reposant également sur une infraction morale, il ne s'agit que du plus au moins, que d'un degré dans le péril de l'action ou son immoralité. Nous eussions préféré la dénomination de délits graves ou légers; au moins le genre est le même; la spécification seule les distingue.

S'il fallait une preuve du caractère identique qui lie ensemble les crimes et les délits, nous la trouverions dans ce fait, que le législateur n'a pu les classer dans deux livres distincts, comme il l'a fait à l'égard des contraventions. Le Code pénal de 1791 avait tenté cette divi

crimes or misdemeanors, art. 76. Code of crimes and punishments.

[4] § 2, instit. de publ. jud., liv. 2, ff. eod. tit. [5] Mu art de Vouglans, tit. 1er, par. 12.

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