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même qui, dans le système du Code, a la faculté d'appliquer l'exposition ou d'en dispenser. Ensuite on ne voit pas par quels motifs les magistrats seraient plus exposés en cette matière que dans toute autre aux sollicitations ou à la vengeance des familles. Si les faussaires appartiennent quelquefois à la classe éclairée, c'était peut-être un motif de plus de ne pas rendre l'exposition incommutable; car la peine cesse d'être égale dès que les agents n'y sont pas également sensibles; elle pèse plus durement sur l'homme qui tenait un rang élevé dans la société que sur celui dans lequel l'éducation n'a pas développé la même sensibilité. C'est au juge à rétablir l'égalité du châtiment en le distribuant avec une inégale mesure.

En résumé, le crime de faux n'a point, dans tous les cas, toute la gravité qu'on lui suppose: commis en écriture privée, son intensité s'affaiblit aux yeux de la loi, et son péril est moins grand; sa perpétration n'exclut jamais, par une sorte d'effet nécessaire, l'amendement de son auteur. Il y a donc une contradiction véritable à attacher par un lien indissoluble à la peine temporaire de ce crime une peine accessoire dont la flétrissure est indélébile et les effets perpétuels. Que les agents les plus dangereux en soient atteints, on peut le concevoir; mais il est difficile de ne pas accuser la loi quand on n'aperçoit aucun degré entre la peine infamante de l'exposition et l'emprisonnement correctionnel; en sorte que les juges, en face des nuances multipliées que revêt le crime, n'ont souvent que le choix entre une peine trop faible ou une peine trop rigoureuse.

Le faux en écriture privée ne peut être puni qu'autant qu'il est commis de l'une des manières exprimées en l'article 147. Ainsi, de même que le faux en écritures publiques et de commerce, il est nécessaire qu'il se soit manifesté, soit par contrefaçon d'écritures, soit par fabrication de conventions, de dispositions ou décharges, soit enfin par altération de clauses ou de faits dans des actes destinés à les constater.Ces différents modes de perpétration ontdéjà faitl'objet de notre examen. Nous nous bornerons donc à discuter quelques cas d'application qui appartiennent spécialement au faux en écriture privée. La Cour de cassation a rangé parmi les faux commis par contrefaçon d'écritures le fait d'avoir fabriqué un billet de médecin ayant pour objet d'obtenir de l'arsenic chez un pharmacien [1], et nous avons nous-mêmes cité pré

cédemment cette espèce comme un exemple des nuancesdiverses que l'intention de nuire,élément du faux, peut réfléchir. Mais cette décision ne doit pas cependant être admise sans quelques limites. Dans les deux espèces où la Cour de cassation a été appelée à juger cette question, le crime de faux se trouvait intimement lié au crime d'empoisonnement; l'agent se trouvait sous la double inculpation de tentative d'empoisonnement et de faux : l'achat de l'arsenic n'était qu'un acte préparatoire de l'empoisonnement. Or, dans ce cas, la fraude commise pour se procurer l'instrument du crime participe nécessairement de ce crime: il serait impossible de scinder, dans l'esprit des juges, l'intention de commettre le faux et l'intention de commettre l'empoisonnement: ces deux volontés se confondent dans une volonté commune, parce que les deux actes concourent au même but. Il y a donc intention deire dans le sens légal.

Mais si nous isolons le faux de tout crime con-nexe, si nous supposons que l'arsenic était destiné à un usage utile, cette altération constituera-t-elle encore un crime? Nullement ; car l'altération de la vérité ne peut être incriminée qu'autant qu'elle est accompagnée de l'intention de nuire et de la possibilité d'une lésion. Or, ni l'une ni l'autre de ces deux circonstances ne se présentent alors. A la vérité, l'altération a pour but d'enfreindre une prohibition de la loi : les articles 34 et 35 de la loi du 21 germinal an XI établissent certaines formalités pour le débit des substances vénéneuses; l'agent, en éludant ces formalités, annihile une garantie introduite dans un intérêt général. Mais accomplir une altération d'écriture pour arriver à commettre une simple contravention, ce n'est pas agir avec cette intention frauduleuse que la loi exige pour l'existence du crime. Il faudrait de plus que cette altération fût dirigée contre des tiers. C'est ainsi que les notaires ou les huissiers qui constatent faussement des formes qu'ils n'ont pas accomplies, ne sont coupables de faux que lorsqu'ils ont agi, non pas seulement dans la pensée de contrevenir à la loi, mais dans l'intention frauduleuse de léser des droits ou des intérêts. Enfin, même en faisant résulter une intention coupable du seul fait de la contravention, le faux manquerait de son troisième élément : aucun préjudice n'en pourrait naître, et dès lors aucune peine ne pourrait s'y appliquer. Ce n'est qu'avec cette distinction que les arrêts que nous avons cités doivent être entendus.

M. Carnot pense que le faux en écriture pri

[1] Arr. cass. 5 mars 1819 et 26 juill. 1832; vée n'admet point de fabrication'de conventions Dalloz, t. 15, p. 456; S. 1833, 1, 318.

par supposition de personnes, que ce mode

de perpétration ne peut s'appliquer qu'aux faux en écritures publiques; et il en donne pour raison que la partie qui a contracté avec une personne porteur d'un faux nom doit s'imputer de n'avoir pas pris les renseignements nécessaires pour s'assurer de l'identité de cette personne [1]. Il nous paratt difficile d'adopter cette distinction. Si l'art. 147 punit le faux par supposition de personnes lorsqu'il est commis en écriture publique, il est impossible qu'il ne le punisse pas même en écriture privée, puisque ses dispositions sont également applicables à ces deux écritures. La supposition de personnes n'est qu'un mode de fabrication de conventions, et cette fabrication constitue le crime de faux dans l'une et l'autre hypothèse. Celui qui contracte, qui vend ou qui achète sous le nom d'un tiers pris dans l'acte même, commet évidemment le même crime que s'il s'était présenté sous ce même nom devant un officier public: la différence des deux faits n'est que dans la nature de l'écriture. On objecte que la partie, en négli geant de vérifier l'identité, est en quelque sorte cause elle-même du faux ; mais lorsque ce faux est commis en écriture publique, la même négligence peut être imputée, soit àl'officier public, soit à la partie elle-même,et cette eirconstance n'efface pas le caractère criminel du fait.

Il y a encore fabrication de conventions en écriture privée, quand l'agent substitue une transaction au compromis que la partie croit signer, un acte de vente au mandat qu'elle croit donner [2]. Quelques jurisconsultes avaient cru pouvoir assimiler cette espèce à l'abus d'un blane seing dans l'un et l'autre cas, la partie signe de confiance; seulement ici l'abus précède la signature, tandis que dans le cas de l'article 407 il la suit. Mais cette différence est importante; car le faux qui suit la remise du blanc seing n'est qu'un abus de mandat, le mandant l'a pu prévoir, et il a lui-même fait naître le crime en plaçant l'agent dans la position de le commettre. Dans la première hypothèse, au contraire, le crime est l'effet d'une fraude et non d'un abus de confiance; le signataire ne s'est point confié à l'agent; il n'a pu prévoir la substitution de l'acte, sa signature a été sur prise. Cette distinction justifie la qualification différente de ces deux actions.

Nous avons, au surplus, précédemment tracé

[1] Comment. du C. P. sur l'art. 150, no 1. [2] Arr. cass. 26 août 1824; 13 fév. 1835; Dalloz, t. 15, p. 456.

[3] Suprà, chap. 22, § 1.

la ligne qui sépare l'abus de blanc seing du faux en écritures [3]. Mais un point grave nous reste à traiter; c'est de savoir si le porteur du blanc seing qui se rend complice de l'abus commis sur ce blanc seing par un tiers, doit être puni comme faussaire ou comme mandataire infidèle. La Cour de cassation a jugé que ce faux constitue la complicité du crime de faux [4]; cette opinion se fonde sur ce que l'abus commis par un tiers est réputé crime de faux par la loi, et qu'aux termes de l'article 59 les complices des crimes sont punis de la même peine que les auteurs. Mais cette règle reçoit exception lorsque la peine des auteurs est aggravée par suite d'une circonstance qui leur est personnelle; ainsi, les complices du faux commis par un fonctionnaire public ne sont punis, d'après la jurisprudence même de la Cour de cassation [5], que comme coupables de faux en écritures publiques. Dans l'espèce, la cause de l'aggravation est personnelle au tiers qui commet le faux ; étranger au signataire qui n'avait déposé nulle confiance en lui, il se rend coupable de la fabrication d'une convention. Mais la position du porteur du blanc seing n'a point changé ; en lui confiant sa signature, le mandant l'a en quelque sorte provoqué au crime; son excuse est dans cette circonstance. Qu'importe qu'il ait écrit lui-même la convention supposée, ou l'ait fait écrire? Le concours d'un tiers n'altère en aucune façon la valeur morale de son action, et ce qui n'était qu'un abus de mandat s'il l'eût écrit lui-même, ne peut devenir crime de faux parce qu'il l'a fait écrire par autrui. Nul doute que ce tiers ne se rende coupable d'un faux: le texte de l'article 407 est formel; mais dès que cet article a formulé une peine spéciale en faveur du mandataire, cette peine doit rester la même, qu'il ait ou non des complices. Cette division de la pénalité est une nouvelle exception au principe général de l'article 59.

Si la fabrication de conventions a été faite par des parents au préjudice de leurs parents, et dans le but d'opérer une soustraction frauduleuse, la disposition de l'article 380 du Code de procédure, qui prononce dans ce cas l'exemption de toute peine, peut-elle être invoquée? Il semble que les mêmes motifs étant applicables aux deux espèces, la même décision doit être adoptée. Cependant la négative a été consacrée par la Cour de cassation, qui s'est

[4] Arr. cass. 4 fév, 1819; Dalloz, t. 15, p. 455; S. 1819, 1, 320.

[5] Voy. suprà, ch. 23, § 1er.

fondée d'abord sur ce que « le crime de faux est placé dans le Code pénal au chapitre des crimes et délits contre la paix publique; tandis que l'art. 380, relatif aux soustractions commises par des parents au préjudice des parents qu'il désigne, est placé au chapitre des crimes et délits contre les particuliers, et que les dispositions exceptionnelles de cet article ne peuvent s'étendre au-delà des cas qu'il a prévus [1]. » Ce premier motif nous semble peu concluant. La division artificielle du Code ne peut être un obstacle à l'application des règles générales qui le dominent; et, dans l'espèce, cette application rentre d'ailleurs dans les termes mêmes du Code, puisqu'il s'agit d'une classe de crimes commis contre des particuliers. Un deuxième motif de l'arrêt consiste à dire que : « le crime de faux existe indépendamment de l'objet que son auteur a eu en vue.» Doctrine qui aurait pour effet d'inculper l'altération matérielle indépendamment de l'intention qui l'a fait naître et du préjudice qu'elle a causé.

Notre opinion se fonde, d'ailleurs, sur d'autres raisons. Le faux n'est, en général, qu'une circonstance aggravante du vol. Or, comment admettre que la loi ait voulu voiler le vol commis à l'aide d'effraction et même de violences entre parents, et qu'elle ait laissé libre cours à la justice quand ce même vol a été commis à l'aide de faux? Pourquoi, dans ce dernier cas, craindrait-on moins d'alimenter les querelles et les haines entre parents, de diviser et de déshonorer les familles? La raison de la loi ne couvre-t-elle pas les deux hypothèses? Qui pour rait préciser la différence qui les sépare? Mais ce n'est pas seulement cette crainte qui a dicté l'article 380. Le vol commis entre époux, entre ascendants et descendants, est privé de l'un des éléments constitutifs du crime. Chacun des membres de la famille possède, en quelque sorte, un droit de copropriété sur les biens: la soustraction commise entre les parents que désigne l'article 380 n'a donc pas le caractère criminel; celui qui commet la soustraction n'est pas réputé la commettre au préjudice d'autrui. Cette considération s'applique évidemment au crime de faux ; commis entre mari et femme, entre ascendants, et descendants, l'une des circonstances qui le caractérisent manque à son existence il ne produit point le préjudice exigé par la loi; car il ne lèse point les tiers, puisqu'on ne peut ranger dans la classe des tiers

:

[1] Arr. cass 17 déc. 1829; 15 oct. 1818; Dalloz, t. 15, p, 430; S. 1819, 1, 157.

[2] Arr. cass. 8 sept. 1826.

les parents désignés par l'article 380.

Le faux en écriture privée se commet par addition ou altération de clauses, de déclaration ou de faits, lorsqu'il porte sur des circonstances substantielles de l'acte altéré. Les faux certificats, émanés de médecins ou de chirurgiens, et d'où il peut résulter une lésion envers des tiers, rentrent dans cette classe: ainsi le faux certificat de chirurgien attestant l'entrée d'un enfant dans un hospice, pourrait être considéré comme un faux en écriture privée [2]. La circonstance qui détermine le caractère du certificat est le préjudice qu'il produit à l'égard des tiers: ainsi, dans l'espèce qui vient d'être citée, si le certificat a été fabriqué pour parvenir à la suppression d'état d'un enfant, le faux est caractérisé, puisqu'il est de nature à porter préjudice à des tiers.

Il est donc essentiel que le jury s'explique sur la lésion que les certificats ont pu produire. A la vérité, la Cour de cassation n'a pas constamment maintenu cette règle; elle a même jugé que la déclaration de culpabilité entraînait implicitement la déclaration d'un préjudice [3]. Mais cette doctrine n'est pas exacte : la déclaration que l'accusé est. coupable de faux peut suffire pour constater qu'il a agi avec intention de nuire, mais elle ne saurait rien préjuger sur le préjudice que l'acte altéré peut porter à des tiers, car il est possible que l'acte fabriqué, même dans une intention de fraude, ne soit pas par sa nature susceptible de produire un préjudice. La Cour de cassation, au surplus, s'est elle-même écartée de la théorie que nous combattons; car, dans une espèce où l'accusé avait été déclaré coupable de faux, elle a annulé la condamnation, en se fondant sur ce que : « le jury qui a déclaré que le faux avait été commis en écriture privée, n'a point déclaré, en fait, que le faux certificat lésait des tiers: circonstance de fait qu'il était exclusivement appelé à constater » [4].

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Telles sont les principales questions qui se rattachaient spécialement au faux commis en écriture privée. Les autres difficultés que cette matière a fait naître, et les règles qui doivent servir à les décider, ont été exposées dans nos chapitres 22 et 23. En nous occupant des faux en écritures commerciales et privées, nous nous sommes continuellement reportés vers ces premiers chapitres où les principes généraux du faux ont été consignés : il sera donc nécessaire,

[3] Arr. cass. 8 juill. 1830. [4] Arr. cass. 8 sep. 1826.

pour toutes les questions relatives à ces deux classes de faux, et qui ne se trouveraient pas dans les chapitres 24 et 25, de se référer à ceux

qui les précèdent ; car nous avons dù éviter de fastidieuses répétitions, et cependant suivre avec fidélité le plan de notre Code.

CHAPITRE XXVI.

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CONSÉ

CARAC

DE L'USAGE DES ACTES FAUX. CRIME DISTINCT ET INDÉPENDANT DU CRIME DE FAUX.
QUENCES DE CETTE DISTINCTION. DIVISION DES ACCUSATIONS DE FAUX. RENONCIATION A
L'USAGE DE LA PIÈCE FAUSSE. EFFETS DE SA LACÉRATION OU DE SA DISPARUTION.
TÈRES CONSTITUTIFS DU CRIME D'USAGE. IL FAUT QUE L'ALTÉRATION CONSTITUE UN FAUX
PUNISSABLE; QUE L'AGENT S'EN SOIT SERVI AVEC CONNAISSANCE DE SA FAUSSETÉ.
PEINES APPLICABLES A L'USAGE DU FAUX. CES PEINES DOIVENT ELLES ÉGALER CELLES
DU FAUX LUI-MÊME?
PRINCIPES DU CODE PÉNAL. PEINES ACCESSOIRES De l'amende
LES PEINES DE L'USAGE NE PEUVENT EXCÉDER LES PEINES
APPLICATION DE CETTE RÈGLE. CONCLUSION.

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ET DE L'EXPOSITION PUblique.
APPLICABLES A LA FABRICATION.
(COMMENTAIRE des art. 148,151, 163, 164 ET 165 DU C. PÉN.)

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La fabrication d'une pièce fausse ne constitue, si on la considère en elle-même, qu'un acte préparatoire du crime de faux : ce crime ne se consomme que par l'émission de la pièce, par l'usage qui en est fait. Car le but du faux est le vol, l'escroquerie dont il n'est que l'instrument, et ce vol ne peut s'accomplir que lorsque la pièce est émise et acceptée pour vraie. Mais la facilité avec laquelle ce crime, préparé par l'altération, peut se consommer par l'émission, a déterminé le législateur, en cela d'accord avec les législateurs des différents peuples, à séparer ces deux éléments du même crime, à les incriminer isolément, à former enfin deux crimes distincts de la fabrication d'une pièce fausse et de l'usage de cette pièce.

Cette distinction qui forme, ainsi que nous l'avons déjà remarqué, une exception au droit commun, se trouve consacrée par les articles 148 et 151 du Code pénal. L'article 148, qui s'applique aux faux en écritures publiques et de commerce, porte: « Dans tous les cas exprimés au présent paragraphe, celui qui aura fait usage des actes faux sera puni des travaux forcés à temps. » L'article 151; qui se réfère au faux en écriture privée, que la loi ne punit que de la reclusion, ajoute: «Sera puni de la même peine celui qui aura fait usage de la pièce fausse. >>

Il résulte de ces deux textes que l'usage d'une pièce fausse est un crime principal, entièrement indépendant de la fabrication même de la pièce.

Ces deux crimes sont complets, abstraction faite l'un de l'autre : la fabrication, alors même que l'acte fabriqué n'a pas servi; l'usage, alors même qu'il est étranger à la fabrication. Aucun lien de complicité ne peut même unir ces deux actes, dans le système de la loi, car l'un est parfait quand l'autre commence, la fabrication est consommée avant qu'il puisse être fait usage de la pièce fausse.

De cette distinction découlent plusieurs conséquences. La première est que l'accusation de fabrication et d'usage d'une pièce fausse peut, sans nulle contradiction, être scindée par le jury, qui peut déclarer l'accusé coupable seulement de l'un ou de l'autre de ces deux faits [1]. Et, en effet, l'intention criminelle peut se rencontrer dans la fabrication d'une pièce fausse, sans que postérieurement il ait été fait usage de cette pièce, si par exemple, des circonstances involontaires ont été un obstacle à cet usage.

Une deuxième conséquence est que l'agent qui a produit une pièce fausse, dans le cours d'une instruction ou d'une procédure,ne peut se mettre à l'abri des poursuites et de la peine, en déclarant, conformément à l'art. 458 du Code d'instruction criminelle, qu'il renonce à se servir de cette pièce. Car ainsi que l'a reconnu la Cour de cassation, «< le fait qu'il a commis soit comme auteur du faux,

[1] Arr. cass. 7 juin 1821; 25 avr. 1825 (Bull. p. 637); 5 sep 1833; Dalloz, t. 15, p. 467.

soit par l'usage qu'il a déjà fait de la pièce fansse, ne peut être couvert par des faits postérieurs de repentir[1]. Ce repentir est une circonstance atténuante mais non destructive du crime. Que si, en déclarant ne pas vouloir se servir de la pièce fausse, il désintéresse la partie civile, il ne peut enchaîner la partie publique dont l'action est indépendante des intérêts privés. Il faut ajouter que l'article 458 du Code d'instruction criminelle, qui prescrit de faire une sommation de déclarer si celui qui produit une pièce fausse entend en faire usage, ne s'applique qu'au faux incident civil, et ne s'étend point au ministère public qui poursuit d'office un faux principal [2].

Il suit encore du même principe que la poursuite du faux n'est point subordonnée à la production de la pièce falsifiée, et que sa lacération, même avant l'usage, ne met pas obstacle à la poursuite à moins qu'elle ne manifeste un désistement volontaire [3]. Si la pièce a disparu avant que l'agent ait pu s'en servir, le crime de fabrication n'en est pas moins entier; s'il ne l'a lacérée que parce que sa fausseté a été découverte, au crime de la fabrication se réunit la tentative de l'usage. Dans ces deux hypothèses, à la vérité, les preuves du crime sont plus difficiles à rassembler; mais cette difficulté n'altère nullement le caractère du crime lui-même, et il suffit que la fabrication de la pièce dans une intention frauduleuse soit attestée pour justifier l'accusation.

Cette première distinction établie, il faut rechercher quels sont les caractères constitutifs du crime d'usage d'une pièce fausse. La loi exige une double condition pour que cet usage puisse être incriminé: il faut que la pièce dont il a été fait usage renferme elle même les éléments d'une altération criminelle; il faut, en second lieu, que l'usage ait eu lieu sciemment, c'est-à dire avec connaissance de la fausseté de la pièce.

La première règle est évidente: si la pièce falsifiée ne renferme pas les éléments d'un faux punissable, si sa fabrication n'est pas un crime, à plus forte raison l'usage qui en aurait été fait ne serait passible d'aucune peine; car c'est l'usage d'un acte faux que la loi incrimine, et par ces mots on ne peut entendre qu'un acte en

[1] Arr. cass. 28 oct. 1813; Dalloz, t. 15, p. 465; S. 1814, 1, 10.

[2] Arr. cass. 20 juin 1817. Dalloz, t. 22, P. 472.

taché d'une altération punissable. Telle est aussi l'interprétation que la Cour de cassation a consacrée en déclarant : « que le fait prévu par l'article 147 du Code pénal suppose l'altération d'un acte qui pouvait être la base d'une action ou d'un droit, et que le crime d'usage d'une pièce fausse suppose les mêmes éléments d'action ou de droit dans la pièce dont il a été fait usage [4]. » Dans l'espèce fort remarquable où cette décision est intervenue, l'altération avait eu lieu dans la copie d'un acte public, copie dépouillée de tout caractère d'authenticité, et qui ne pouvait être le principe d'aucun droit, puisque l'action qui résultait de l'acte auquel elle se référait, ne pouvait être exercée que d'après la minute ou l'expédition de cet acte. De là la conséquence que l'usage d'une telle pièce, même altérée, ne pouvait constituer le fait prévu par les articles 148 et 151, ni donner lieu à l'application d'aucune disposition pénale [5].

Il faut encore décider, par suite du même principe, que l'usage de la pièce fausse ne peut être puni de la peine des travaux forcés à temps, conformément à l'article 148 qu'autant qu'il est établi en fait que l'acte renferme les caractères d'un faux en écriture publique ou de commerce. S'il n'offre pas les divers éléments de ces écritures, s'il ne peut être classé que parmi les écritures privées, l'usage change lui-même de nature, et l'article 151 devient seul applicable [6].

La deuxième condition de la criminalité de l'usage est qu'il ait eu lieu avec connaissance de cause. L'article 163 pose cette règle fondamentale en ces termes : « L'application des peines portées contre ceux qui ont fait usage de billets et écrits faux, contrefaits, fabriqués ou falsifiés, cessera toutes les fois que le faux n'aura pas été connu de la personne qui aura fait usage de la chose fausse. » Ainsi, point de crime si l'agent qui a fait usage d'une pièce fausse n'en a connu la fausseté, si par conséquent cette circonstance constitutive n'a pas été formellement déclarée par le jury.

Nous appuierons encore ces principes élémentaires sur la jurisprudence de la Cour de cassation. Dans une espèce où l'acte d'accusation présentait collectivement la double prévention

[4] Arr. cass. 2 sep. 1813; Dalloz, t. 27, p. 108; S. 1817,1,320.

[5] Arr. cass. 21 fév. 1824.

[6] Arr. cass. 23 mars, 6 avr.. 4 oct., 7 déc. 1827.

[3] Arr. cass. 10 fév. 1835 et 28 juin 1835; S. 1827, 1, 478; 1828, 1, 37 et 186. S. 1835, 1, 301.

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