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n'existe de faux punissable que celui qui, à cette même dénuée de toute intention et de toute posaltération, réunit l'intention de nuire et la possibilité de nuire, doit, dès qu'elle est commise sibilité d'un préjudice quelconque; or, à cette sur un passe-port, constituer un délit : cette règle fondamentale il n'est fait aucune excep- induction, qu'elle dérive ou non de l'arrêt, tion. A la vérité, il ne s'agit ici ni de l'inten- serait visiblement erronnée. En principe, il n'y tion de nuire ni du préjudice, qui sont les a point de délit sans la réunion d'une intention éléments nécessaires du crime de faux ; mais ces coupable au fait matériel qui n'est que l'un de conditions, quoique modifiées dans leurs effets, ses éléments. En fait, la chambre du conseil et n'en existent pas moins réellement. L'intention la chambre d'accusation avaient reconnu que si, de nuire, en matière de faux passe-port, c'est, dans l'espèce, il existait une altération, cette suivant les termes de l'article 156, l'intention altération avait été commise, non pour dérober de tromper la surveillance de l'autorité le prévenu aux recherches de la police, mais publique; le préjudice, c'est que la falsification pour voiler aux regards du public une immorale ait ou puisse avoir pour effet de détourner cette conduite et murer sa vie privée. Dès lors, surveillance. Tels sont les deux caractères qui l'élément indispensable du délit, l'intention de peuvent seuls empreindre cette infraction de nuire disparaissait, et l'altération, dépouillée sa criminalité; dès que l'altération a eu pour du seul caractère qui pût l'incriminer, échapbut et a pu avoir pour effet de dérober le pré- pait à toute répression. venu à une surveillance légale, le délit existe indépendamment de toute autre intention criminelle; mais il est évident qu'en dépouillant le faux de ces deux éléments, il cesserait à la fois d'être coupable et nuisible; il ne pourrait donc constituer un délit moral.

Ce principe nous paraît avoir été méconnu par la Cour de cassation, dans une espèce dont il importe de rappeler les faits. Le desservant d'une paroisse voyageait dans la compagnie d'une femme avec laquelle il vivait en concubinage. Pour cacher sa qualité de prêtre, il altéra le passe-port qui lui avait été délivré, en substituant à la qualité de desservant celle d'habitant. Traduit en raison de ce fait devant la juridiction correctionnelle, le tribunal de Montauban et la Cour royale de Toulouse déclarèrent successivement qu'il n'y avait pas lieu à suivre : « attendu qu'en altérant son passe-port le prévenu n'avait cédé qu'à un sentiment de honte légitime, et que rien ne prouvait que par cette altération il se fût proposé de nuire à quelque intérêt privé ou à l'intérêt public. » Mais, sur le pourvoi du ministère public, la Cour de cassation annula cet arrêt : « attendu que l'arrêt reconnaît en fait qu'il y avait eu falsification ou altération d'un passe-port; que le fait constituait le délit prévu par l'article 153, et suffisait pour motiver la mise en prévention [1]. » De ces motifs on pourrait induire que toute altération matérielle,

[1] Arr. cass. 11 oct. 1834 (Journal du droit crim. 1834, p. 260).

:

Une deuxième règle consiste à séparer les faits de falsification et les faits d'usage [2]. En cette matière, de même qu'en matière de faux criminel, le faux existe par la seule altération du passe-port dans une intention coupable, indépendamment de l'usage. Ces deux délits sont complets, abstraction faite l'un de l'autre : la fabrication, alors même que l'acte fabriqué n'a pas servi; l'usage, alors même qu'il est étranger à la fabrication. Nous ne reproduirons pas ici les motifs de cette disjonction des deux membres d'un même fait l'article 153 ne fait que consacrer une règle qui s'étend à toutes les dispositions relatives au faux. Il y a délit par la fabrication ou falsification du passe-port, encore bien que l'acte fabriqué ou falsifié ne soit pas revêtu de toutes les formes des passe-ports; mais il est nécessaire qu'il soit pourvu des formes essentielles sans lesquelles il ne pourrait produire aucun effet. Ainsi, s'il ne portait pas la signature du fonctionnaire compétent pour le délivrer, si les noms du porteur étaient omis, si la date était en blanc, le défaut de ces diverses formalités devrait enlever à l'altération sa criminalité, parce qu'il ôterait au passe-port sa valeur légale; ce ne serait plus qu'une pièce insignifiante dont la falsification n'aurait aucun péril.

L'usage d'un passe-port consiste dans son application à l'objet auquel il est destiné, et, par exemple, dans son exhibition, lorsqu'elle est

lieu à appliquer aucune peine, car le code pénal n'a pas prévu ce cas, et il est de principe que les [2] Si le passeport dont il a été fait usage dispositions pénales doivent être restreintes pluest véritable, mais s'il a été délivré à un au- tôt qu'étendues. Dalloz, t. 15, p. 458. tre individu que celui qui en a fait usage, il n'y a

légalement requise. Le seul port d'un faux passeport ne peut donc être considéré comme l'usage de cette pièce; et par conséquent, le porteur qui n'a pris part ni à sa fabrication ni à sa falsification, et qui ne l'exhibe pas lorsqu'il en est requis, ne peut être mis en prévention à raison de sa seule possession, puisque l'article 153 ne punit que celui qui fera usage de ce passe-port [1]. Cette distinction de la loi a été sagement posée, car de ce qu'un individu se trouve muni d'un passe- port altéré, il ne s'ensuit pas nécessairement qu'il en ait fait usage sa pensée a pu changer; il peut avoir renoncé à s'en servir. A la vérité il pourra être inculpé à raison de la fabrication ou de l'altération même; mais, s'il prouve qu'il n'en est pas l'auteur, il ne pourra être poursuivi à raison de l'usage, puisque, quoique cette pièce fût en sa possession, il ne s'en est pas servi. La loi ne punit que l'altération et l'usage, elle ne punit pas la simple possession du passe-port. Quelques criminalistes ont vu une exception à cette règle dans l'art. 281 du Code, qui dispose que « Les peines établies par le présent Code contre les individus porteurs de faux certificats, faux passe-ports ou fausses feuilles de route, seront toujours, dans leur espèce, portées au maximum, quand elles seront appliquées à des vagabonds ou mendiants. » Il semble d'abord, en effet, résulter de ce texte que le seul port de faux passe-port suffit pour constituer un délit, à l'égard au moins des mendiants et des vagabonds; et l'état de suspicion qui frappe cette classe d'individus favoriserait cette interprétation, en fondant la présomption qu'ils ont l'intention de se servir de l'acte faux dont ils sont porteurs. Cependant nous ne partageons pas cet avis. L'art. 281 se réfère entièrement aux dispositions établies par le présent Code contre les individus porteurs de faux passe-ports. Il faut dire, par conséquent, ou que ces dispositions, c'est-à-dire les art. 153 et 154, s'appliquent même au seul port de faux passe-ports, ou que l'article 281 n'a entendu que formuler un renvoi aux dispositions de ces deux articles, sans en modifier le sens ni les termes. Or, il est impossible de faire rétroagir l'article 281 sur ces premiers articles, puisque leur sens clair et précis est d'ailleurs conforme aux règles générales du

[1] Dalloz, t. 15, p. 458.

[2] Celui qui prend un nom supposé dans un passe-port à lui délivré par un consul belge, en pays étranger, est passible des peines com

fanx. Aussi ne l'a-t-on pas essayé, et l'on s'est borné à apercevoir dans cet article une exception à ces règles, ce qui est directement contraire à sa lettre puis que, loin d'établir une dérogation, il ne fait qu'appliquer des dispositions déjà établies. Les mots porteurs de faux certificats, faux passe-ports ne sont donc qu'une expression inexacte, qui dans l'intention de la loi ne s'applique pas au seul port de ces certificats et de ces passe-ports, mais bien seulement à leur usage.

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L'article 154 s'occupe des suppositions de noms sur les passe-ports et les registres des aubergistes, et ne fait que reproduire, avec quelques modifications, les articles 2 et 3 de la loi du 17 ventôse an iv. Son premier paragraphe porte: « Quiconque prendra dans un passeport un nom supposé, ou aura concouru comme témoin à faire délivrer le passe-port sous le nom supposé, sera puni d'un emprisonnement de trois mois à un an. » [2]

Il faut remarquer d'abord que l'article ne prévoit que le seul cas où le nom a été supposé; donc, si la supposition portait seulement sur les prénoms, elle échapperait à son application. Cette distinction est fondée sur ce que la fausseté des prénoms n'est point un obstacle aux recherches de la police, et n'offre point dès lors les mêmes inconvénients que l'altération du nom lui-même.

La même solution s'applique aux fausses qualités. Un des membres du Conseil d'état avait demandé, lors de la discussion du Code pénal, que l'article fût appliqué à ceux qui, sans déguiser leur véritable nom, prennent de fausses qualités. M. Berlier répondit : « que cette proposition, fort simple au premier aspect, était fort délicate et très-difficile à accueillir. Celui qui prend un nom autre que le sien commet évidemment un délit; mais en est-il rigoureusement ainsi d'un homme qui se qualifiera propriétaire sans l'être, marchand en gros quand il ne sera que petit marchand, peintre quand il ne sera que barbouilleur ? En voulant tout dire, il faut craindre d'aller trop loin, et une qualification mensongère n'est pas sur la ligne du faux. » A ces motifs il fut répliqué: « que du moins on ne peut pas excuser celui qui prend faussement la qualité de fonctionnaire public, de membre de la Légion

minées par les lois belges contre ce délit. Le consul belge en pays étranger doit être considéré comme une autorité belge. Br., 6 sept. 1836; J. de B., 1836, p. 563.

d'Honneur, ou le titre de duc, de comte ou de baron.» Mais M. Berlier répondit encore: << qu'il ne faut pas confondre des espèces distinctes pour argumenter de l'une à l'autre : l'u surpation des titres ou fonctions trouvera sa répression particulière dans le Code; mais il s'agit ici de simples qualités ou professions mensongèrement. indiquées dans un passe port [1]. »

Ces observations, adoptées par le conseil d'état, fixent avec précision le sens de la loi l'art. 154 doit être strictement restreint dans ses termes. L'usurpation d'une fausse qualité dans un passe-port ne constitue donc aucun délit, à moins toutefois qu'elle n'ait servi d'instrument pour commettre une escroquerie; mais alors c'est comme élément d'un nouveau délit que cette usurpation est inculpée, et non point comme délit principal. Il en est de même de l'usurpation des titres; cette usurpation que punissait l'ancien article 259 du Code pénal, et que la loi française du 28 avril 1832 a effacée du nombre des délits, ne pourrait plus être incriminée que dans le seul cas où, à l'aide du titre faux, une escroquerie aurait été tentée ou commise.

Ces règles ont été consacrées dans une espèce assez remarquable. Un individu, en prenant un passe-port sous son nom, avait attribué la qualité de son épouse à une femme qui l'accompagnait et dont le passe-port désignait d'ailleurs les noms. Cette fausse énonciation a donné lieu à une action correctionnelle : le ministère public a soutenu qu'il y avait emploi d'un faux nom à l'égard de la femme; mais la Cour de Bordeaux a repoussé ce système : « Attendu que le prévenu a désigné la dame Vatel sous son nom véritable, en déclarant qu'elle était née Alexandrine Dodé, ce qui était conforme à la vérité; que s'il ajouta qu'Alexandrine Dodé était son épouse, c'était là une énonciation inexacte sans doute, mais nullement l'emploi d'un faux nom, tel que l'a entendu l'article 154 dont il ne faut pas forcer le sens; qu'assurément la qualification d'épouse n'appartenait pas à Alexandrine Dodé, mais qu'autre chose est une qualification erronée, autre chose un nom supposé, et qu'en matière criminelle, où tout est de droit étroit, il n'est pas permis de prononcer par analogie; qu'au surplus, le prévenu ne voulait ni ne pouvait nuire à personne en énonçant une qualification inexacte [2]. »

[1] Procès-verbaux du Conseil d'état, séance du

5 nov. 1808.

Nous trouvons dans le même arrêt une deuxième décision non moins importante. Aux termes de l'article 154, les témoins qui ont concouru à faire délivrer le passe-port sous le nom supposé sont compris dans la même peine : ce sont, en effet, les complices du même fait ; ils en ont facilité la perpétration. Mais l'individu qui a réclamé la délivrance du passe-port pour lui et pour une seconde personne désignée sous un faux nom, doit-il être rangé dans la classe de ces témoins? L'arrêt décide encore cette question négativement: « Attendu que ce n'est pas comme témoin que le prévenu a concouru à faire délivrer à la dame Vatel le passe-port dont il s'agit; qu'il était demandeur en délivrance de cet acte et assisté lui-même de témoins; que, sous ce nouveau point de vue, il y a impossibilité d'appliquer l'article 154. »

Il est à remarquer que la pénalité que prononce le premier paragraphe de l'art. 154 est beaucoup moins grave que celle portée par l'article précédent : la raison de cette différence est dans la nuance de criminalité qui sépare les deux faits; l'altération matérielle d'un acte a été, avec raison, considérée comme un fait plus coupable que l'usurpation verbale d'un nom étranger devant un officier public. Au surplus, il faut répéter que, dans ce dernier cas comme dans l'autre, l'un des éléments du délit est l'intention de nuire, c'est-à-dire de se dérober à une surveillance légale. Quant à la possibilité du préjudice, elle résulte nécessairement de l'usurpation du nom supposé, puisqu'il est visible que cette supposition peut avoir pour effet d'égarer les investigations de l'autorité.

Le deuxième paragraphe de l'article 154 porte : « Les logeurs et aubergistes qui sciemment inscriront sur leurs registres, sous des noms faux ou supposés, les personnes logées chez eux, seront punis d'un emprisonnement de six jours au moins et d'un mois au plus. »

Le Code pénal fait peser sur les hôteliers et aubergistes une responsabilité distincte dans trois cas différents. L'article 475, no 2, les punit d'une simple amende lorsqu'ils négligent d'inscrire sur leurs registres les noms des personnes qui ont passé une nuit dans leurs maisons; cette peine s'applique à la négligence, à l'omission d'une forme prescrite : c'est une simple contravention. L'article 73 les déclare responsables des suites civiles des crimes ou des délits qui auraient été commis par une per

[2] Arr. Bordeaux, 10 déc. 1834 (Journal de droit crim. 1825, p. 43).

sonne logée dans leurs auberges, et dont l'inscription n'aurait pas été faite sur leurs regis ires dans ce cas ils subissent la responsabilité de la faute qu'il ont commise; cette faute a porté préjudice aux tiers lésés par le crime ou le délit; une stricte justice en exige la réparation. Enfin l'article 154 prévoit et punit, non plus la simple omission de l'inscription, mais l'inscription faite sciemment sous des noms faux ou supposés il ne s'agit plus d'une simple négligence, comme dans le cas de l'article 475, ni des suites de cette négligence, comme dans l'hypothèse prévue par l'article 73, mais d'un délit moral, puisque la loi suppose la complicité de l'hôtelier avec la personne qu'il loge. Il est nécessaire que le jugement constate qu'il a agi sciemment.

délits; l'autre a été érigé au rang des crimes, à raison de la qualité de son auteur.

Toutefois il faut remarquer que le deuxième paragraphe de l'article 155 ne punit que la seule supposition du nom; celle des qualités et des autres énonciations ne rentre pas dans les termes de cette disposition. Le premier paragraphe du même article, au contraire, s'applique à l'omission de l'attestation, soit en ce qui concerne les noms, soit même à l'égard des qualités. Il suit de cette différence dans les deux textes que l'officier public qui délivrerait le passeport avec des qualités qu'il saurait supposées, ne pourrait être inculpé qu'à raison de la négligence qu'il aurait mise à se faire attester ces qualités. L'importance secondaire de cette énonciation est sans doute le motif de cette différence. Mais il est difficile cependant de ne pas apercevoir quelque contradiction à punir dans la personne du fonctionnaire l'omission de l'attestation des qualités, tandis que les articles 153 et 154 n'ont puni ni dans le requérant, ni dans les témoins, la fausse déclaration de ces qualités et même leur fausse attestation.

Cette considération justifie peut-être l'opinion exprimée par M. Haus [1], que la peine de six jours à un mois est trop faible, comparée au fait qu'elle doit punir. En effet, l'hôtelier qui, pour soustraire une personne à la surveillance de l'autorité, l'inscrit sur ses registres sous un faux nom, commet une double infraction: il viole les devoirs imposés à sa profession et se rend complice de la supposition de nom. Or, comme cette fraude peut avoir dans certains cas Du Faux commis dans les Feuilles de des résultats assez graves, on aurait pu, sans blesser l'exacte proportion qui doit unir le délit et la peine, élever à trois mois le maximum de celle-ci.

L'article 155, également emprunté à la loi du 17 ventôse an Iv, est ainsi conçu : « Les officiers publics qui délivreront un passe-port à une personne qu'ils ne connaîtront pas personnellement, sans avoir fait attester ses noms et qualités par deux citoyens à eux connus, seront punis d'un emprisonnement d'un mois à six mois. Si l'officier public, instruit de la supposition du nom, a néanmoins délivré le passe-port sous le nom supposé, il sera puni du bannissement. »

Les deux faits prévus par cet article ont un caractère fort distinct : le premier n'est qu'une simple négligence, quoiqu'elle ne soit pas exempte de blâme; le deuxième constitue une véritable prévarication du fonctionnaire qui abuse du pouvoir qui lui a été confié, pour certifier un fait qu'il sait n'être pas vrai. Cette différence dans la nature de ces deux actes a motivé la qualification diverse qu'ils ont reçue; le premier, qui n'est à proprement parler qu'une simple contravention, a été placé parmi les

[1] T. 2, p. 87.

§ II.

route.

Les feuilles de route servent de passe-ports aux militaires et aux employés à la suite des armées. L'altération de ces actes peut avoir un double but, et par conséquent doit revêtir deux caractères différents : si elle n'a pour objet que de tromper la surveillance de l'autorité publique, ses effets sont identiquement les mêmes que ceux de l'altération d'un passe-port, et dès lors le délit conserve le même caractère; mais, si la falsification de la feuille de route a eu pour objet de soustraire au trésor public les frais de route qui sont alloués aux militaires, alors le faux n'est qu'un moyen de commettre un vol, et cette circonstance nouvelle entraîne une qualification plus grave. C'est suivant l'expression de M. Berlier, un délit complexe, et qui se compose du faux qui est le moyen, et de l'escroquerie qui est le but.

Cette distinction n'existait point dans la législation antérieure à notre Code. Les faux commis dans les feuilles de route se trouvaient compris dans la classe générale des faux que punissait l'art. 41 du titre 2 de la deuxième section du Code de 1791. Seulement, si le but de la falsification avait été de percevoir des frais de route, le crime devenait justiciable de la Cour spéciale de Paris, aux termes des articles

1 et 2 de la loi du 2 floréal an x qui attribuait à cette Cour la connaissance de tous les crimes de faux commis sur des pièces de comp. tabilité intéressant le trésor public [1].

L'article 156 du Code est ainsi conçu ; « Quiconque fabriquera une fausse feuille de route, ou falsifiera une feuille de route originairement véritable, ou fera usage d'une feuille de route fabriquée ou falsifiée, sera puni, savoir d'un emprisonnement d'une année au moins et de cinq ans au plus, si la fausse feuille de route n'a eu pour objet que de tromper la surveillance de l'autorité publique; du bannissement, si le trésor royal a payé au porteur de la fausse feuille des frais de route qui ne lui étaient pas dus ou qui excédaient ceux auxquels il pouvait avoir droit, le tout néanmoins audessous de cent francs; et de la reclusion, si les sommes indûment reçues par le porteur de la feuille s'élèvent à cent francs et au-delà. » Reprenons une à une les différentes dispositions de cet article. En premier lieu, il doit suffire de remarquer que son premier paragraphe n'est que la reproduction fidèle de l'article 153 relatif aux faux passe-ports: delà il suit qu'il faut appliquer aux feuilles de route, soit la distinction que nous avons établie entre les faits d'altération et d'usage, soit les règles relatives aux éléments constitutifs de cette altération et de cet usage, que nous avons développées dans le premier paragraphe de ce chapitre. Reproduire ici ces règles et leurs conséquences ne serait qu'une fastidieuse répétition. La deuxième disposition de l'article 156 applique à l'altération de la feuille de route et à l'usage de cette feuille altérée la peine déjà appliquée aux mêmes délits commis sur les passe-ports: c'est en effet le même délit, tant que l'altération de la feuille de route a pour objet unique de tromper la surveillance de l'autorité. Il faut done, dans cette hypothèse comme dans la première, réunir une triple condition pour que cette peine puisse être prononcée, à savoir une altération matérielle de la feuille, l'intention de tromper la surveillance, enfin la possibilité d'atteindre ce but à l'aide de l'altération. Cette troisième condition, commune à tous les faux, a pour effet d'élaguer de l'incrimination les altérations qui ne portent que sur des énonciations secondaires, et qui, dès lors, ne peuvent avoir pour résultat de tromper l'autorité.

[1] Arr. cass. 1er mai 1807; 21 avr. 1808; Dalloz, t. 15, p. 460; S. 1809, 105.

La troisième disposition élève le faux au rang des crimes: dans l'hypothèse qu'elle prévoit, il n'a plus, en effet, pour seul objet de tromper une surveillance légale, mais de consommer un vol, en employant la feuille fausse à percevoir des frais de route. Toutefois une exception aux règles constitutives du faux punissable se fait remarquer ici : en principe général, il suffit que le préjudice qu'il a pour but de produire soit possible; aux termes de l'article 156, il faut qu'il soit réel, et qu'il y ait eu perception ou tentative légale de perception de sommes qui n'étaient pas dues. Cette condition, qui révèle une indulgence plus grande du législateur pour cette classe de faux, résulte formellement des textes de l'article; et la Cour de cassation l'a reconnu, en déclarant: «< que pour cette espèce particulière de faux, il est encore indispensable d'après l'art. 156, pour qu'il devienne passible d'une peine afflictive ou infamante et qu'il prenne ainsi le caractère de crime, que par la feuille de route falsifiée il ait été apporté préjudice au trésor public, en obtenant de lui, au moyen de ladite feuille, des frais de route qui n'étaient pas dus, ou qui excèdent ceux qui peuvent être dus; ou que, du moins, et par une conséquence de l'article 2 du Code de procédure, il y ait eu, à cet effet, une tentative accompagnée des circonstances fixées dans cet article [2]. »

La dernière disposition de l'art. 156 a pour objet de graduer la peine d'après la quotité du préjudice causé si ce préjudice est inférieur à cent francs, cette peine est le bannissement; c'est la reclusion, s'il s'élève à cette somme ou s'il l'excède. Nous trouverons encore dans quelques dispositions du Code des applications de cette règle qui fait de la quotité du dommage l'un des éléments de la peine; et nous examinerons, en développant la théorie du vol, les motifs qui se sont opposés à ce que le législateur en fit l'une des règles générales du Code pénal.

Il est inutile, du reste, de faire observer que le préjudice ne peut se composer que des sommes indûment payées par l'Etat. Si done le porteur de la fausse feuille avait réellement droit, par sa qualité, aux frais de route qu'il s'est fait payer par ce moyen, il n'y aurait plus de préjudice causé, et le fait rentrerait dans la catégorie des simples délits prévus par le deuxième paragraphe de l'article. S'il s'est borné

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