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ne peut changer. Le faux commis dans un certificat constituera donc un crime, toutes les fois que l'acte sera d'une autre nature que les certificats prévus par les art. 159, 160 et 161, et qu'il portera préjudice non pas seulement au trésor, mais encore aux intérêts généraux de l'Etat. Telle est la règle fondamentale et cons

lésée? Faut-il induire de cette restriction qu'il n'y a de faux, aux yeux de la loi, que celui qui produit une lésion matérielle? Nous avons déjà précédemment combattu cette interprétation que l'article 164 semblait également offrir [1]: le texte de la loi s'explique par cette raison qu'elle a dû prévoir les cas les plus fréquents, et que ces cas sont ceux qui produisent un pré-tamment appliquée de la matière : elle sépare judice matériel. Mais le texte ne nous semble pas suffisant pour exclure de ses pénalités les faux certificats qui causent un préjudice évident à l'Etat, encore bien que ce préjudice ne soit pas exclusivement pécuniaire. Cette interprétation n'a d'ailleurs jamais éprouvé nulle contestation.

Ainsi la Cour de cassation a sans cesse décidé que les faux certificats, fabriqués sous le nom d'un fonctionnaire, constituent le crime de faux, lorsque ce fonctionnaire agit en les délivrant dans l'exercice de ses fonctions, lorsqu'il accomplit un mandat de la loi. Tels sont les certificats de bonne conduite délivrés par un conseil d'administration d'un corps et exigés comme condition d'admission dans un autre corps [2]; tels sont les certificats de bonnes vie et mœurs que les maires sont appelés à délivrer aux individus qui se présentent comme remplaçants militaires [3]; tels sont enfin les certificats par lesquels les mêmes fonctionnaires attestent la position personnelle des conscrits, comme, par exemple, s'ils sont fils uniques de veuve [4] etc. Dans ces diverses espèces, il n'y a point, à proprement parler, de préjudice éprouvé par le trésor public; il n'y a point non plus, si ce n'est au cas de remplacement, de lésion pour les tiers, et cependant il est impossible de méconnaitre dans les faux dont ces actes sont l'objet les caractères d'un faux criminel. En effet, en général, l'intention de nuire est un élément du crime, non-seulement quand elle porte atteinte à des intérêts privés, mais encore quand elle porte atteinte à des intérêts publics. Ce principe que nous avons établi, quand il s'agissait de poser les caractères généraux du faux punissable, doit-il recevoir une dérogation à l'égard du faux commis dans les certificats? Mais il est impossible d'admettre que la forme de l'acte puisse avoir quelque influence sur la gravité du crime; si l'altération, si l'intention de nuire, si le préjudice sont les mêmes, la nature du fait

[1] Voy. suprà, p. 93.

[2] Arr. de cass. 15 déc. 1838 (Journal du droit er. 1837. cah. de fév.).

avec netteté les deux classes de certificats que nous avons essayé de distinguer.

Il nous reste à mentionner quelques circonstances accidentelles qui pourraient jeter de l'incertitude sur la nature du fait punissable. Ainsi, lorsqu'à la fabrication du certificat l'agent a ajouté l'apposition d'un faux timbre de l'autorité, cette deuxième altération doit-elle être considérée comme un délit distinct, ou du moins doit-elle modifier le caractère du premier délit? La Cour de cassation a décidé : « que la circonstance du faux timbre n'étant qu'un ac cessoire des faux certificats, avec le but unique d'inspirer plus de confiance, ne changeait pas la nature desdits certificats [5]. » Ainsi cette circonstance est indifférente pour l'appréciation du fait qui entache le certificat, et il faut en faire une complète abstraction pour arriver à la qualification légale du fait.

Il est également indifférent que l'altération soit commise sur l'original ou sur la traduction d'un certificat; car la traduction n'enlève au certificat ni son caractère ni ses effets. C'est ce qui a été reconnu par la Cour de cassation, dans un arrêt de rejet portant: « que les faux certificats qui servent de base à l'accusation, et par suite à la condamnation, tendant à établir une exemption de service militaire, portent la signature d'un maire, et constituent ainsi le crime de faux en écriture authentique; que peu importe que ces certificats ne soient que des traductions, puisqu'ils ne perdent pas par là leur caractère authentique [6]. »

Enfin les irrégularités dont un certificat serait entaché n'empêcheraient pas la punition de l'altération dont il aurait été l'objet, si ces irrégularités n'emportent pas la nullité de l'acte et n'empêchent pas son effet; car, de ce qu'un acte est atteint d'un vice de forme, il ne s'ensuit pas qu'il ne puisse servir, au moins jusqu'à ce que ce vice soit connu, et quelquefois même après la connaissance de ce vice. L'élément du

[4] Arr. cass. 24 janv. 1811; S. 1811, 1, 89. [5] Arr. cass. 25 janv. 1828; S. 1828, 1, 306. [6] Arr. cass. 25 janvier 1828; Sirey, 1828, 1,

[3] Arr, cass. 4 et 27 juin 1835 (Journal du droit 306. crim. 1835, p. 179 et 300).

[7] Arr. cass. 25 janv. 1828; S. 1828, 1, 306.

crime est la possibilité du préjudice; si l'acte, même irrégulier, a produit ce préjudice, on n'est pas fondé à arguer de cette irrégularité pour nier l'existence du crime [1]. Cette règle a été confirmée dans une espèce où un jeune soldat avait produit un certificat constatant faussement qu'il se trouvait dans un cas d'exemption, mais non revêtu des signatures exigées par l'art. 16 de la loi du 21 mars 1832: ce certificat, bien qu'irrégulier, avait été admis par le conseil de révision, et l'exemption avait été prononcée. Dès lors la Cour de cassation a été fondée à déclarer : « que si l'art. 16 de la loi du 21 mars 1832, sur le recrutement, dispose que les cas d'exemption doivent être jugés sur la production de documents authentiques, ou, à défaut de documents, sur les certificats signés de trois pères de famille, cet article ne fait qu'indiquer par là la nature des pièces qu'auront à produire les individus qui font valoir une cause d'exemption devant les conseils de révision; mais n'oblige pas ces conseils à rechercher des documents authentiques qui ne sont pas produits devant eux, lorsque celui qui réclame l'exemption fournit au contraire, comme pièce supplétive de ces documents, le certificat prescrit par l'art. 16 de la loi du recrutement; qu'il serait inexact de soutenir que le certificat dont il s'agit ne pouvait causer aucun préjudice à des tiers, puisqu'il est constant que l'exemption obtenue à l'aide de ce certificat a donné lieu à l'appel au service militaire du jeune soldat de la même classe de recrutement [2]. »

Mais la solution serait-elle la même, si le certificat, bien que falsifié, constatait un fait vrai et sincère? Prenons pour exemple la fabrication d'un faux certificat destiné à établir la libération du service militaire de son auteur : cette fabrication constituera-t-elle le crime de faux, s'il est constaté qu'en effet cet agent a été libéré de ce service? La négative est la conséquence des règles que nous avons posées en développant les éléments du crime de faux. L'altération des actes, bien que presque toujours entachée d'immoralité, n'est pas toujours un fait punissable; la loi ne sévit qu'à l'égard des faux qui peuvent porter préjudice à I'Etat ou aux particuliers. De là ces trois éléments de crime : une altération de la vérité, une intention de nuire, un préjudice possible; or, si dans l'espèce nous voyons une altération

[1] Voy. nos observations, suprà p. 99 et suiv. [2] Arr. cass. 4 juin 1835 (Journ, du droit crim, 1835, p. 300).

matérielle, cette altération est isolée des deux caractères qui pourraient l'incriminer: comment supposer en effet l'intention de nuire lorsque l'agent n'a fait que constater un fait vrai? où sera le préjudice de l'Etat, quand il sera établi que l'agent qui a usurpé le nom d'un officier public pour établir sa libération est en effet libéré? Une usurpation du nom n'est pas une usurpation du droit; le faux est dans la forme, il n'est pas dans le fond; la falsification est constante, mais elle est purement matérielle, puisque son but n'est pas de nuire, puisque son effet n'est pas de léser un intérêt public ou privé. S'il en était autrement, il faudrait assimiler le faux qui n'a pour but que de suppléer un acte, mais qui n'altère aucun fait, à celui qui suppose à la fois l'acte et le fait; l'altération dépouillée de tout effet nuisible, à celle qui naît d'une pensée de fraude et dont l'effet est la tromperie ou la spoliation. C'est d'après ces mêmes règles que, dans des espèces analogues, nous n'avons pas hésité à décider que la supposition d'une preuve n'est pas constitutive du crime de faux, lorsque cette preuve a pour objet des faits exacts [3]; et que la supposition même d'un acte faux ne peut être incriminée quand elle n'a d'autre objet que d'obtenir le paiement d'une dette légitime [4]. Mais ajoutons de suite que si l'altération de l'acte, bien que s'appliquant à un fait vrai, a pu causer un préjudice; que si, par conséquent, elle révèle une pensée frauduleuse, le faux reprend aussitôt sa criminalité et rentre dans les termes de la loi pénale: nous ne pouvons que poser les conditions légales du crime; mais l'existence de ces conditions dépend de l'appréciation du fait, et son caractère et ses effets peuvent incessamment les modifier.

La question devient plus complexe et plus délicate encore lorsqu'elle s'applique à des certificats de moralité, car un fait moral ne se présente jamais avec l'évidence d'une vérité absolue. Supposons, par exemple, qu'il s'agisse d'un certificat de bonne conduite: l'appréciation de la moralité de l'agent peut être fort diverse suivant les différents points de vue où l'on se placera, et suivant que le certificat se proposera de constater une probité absolue ou relative, une vie pure, ou seulement exemple de faits punissables. Comment donc constater que le fait attesté est vrai, que la conduite de l'agent

[3] Voy. suprè p. 99. [4] Voy. suprà p. 97 à 102.

a été bonne? Suffira-t-il que le fonctionnaire qui eût été compétent pour certifier ce fait vienne déclarer quelle eût été son appréciation? Non, car ce serait l'ériger en juge souverain du crime; son témoignage ne peut être qu'un élément de la conviction des jurés. Si des débats jaillit l'exactitude évidente de ce fait, si, par suite, l'intention de nuire et la possibilité du préjudice s'évanouissent, le crime n'aura plus de base légale; si, au contraire, quelques nuages planent sur l'exactitude du fait, si à ces doutes se joignent une pensée de fraude, un but préjudiciable, le faux peut être justement puni, puisqu'il réunit les éléments de sa criminalité [1].

Nous terminons cette matière par une observation générale qui s'applique à tout ce chapitre c'est que les art. 163, 164 et 165, intitulés par le Code dispositions communes aux différentes sections du faux, ne s'appliquent pas cependant également aux diverses espèces de faux qui sont traitées dans ce chapitre. D'abord, l'art. 165 ne peut évidemment s'appliquer qu'aux seuls cas prévus par les articles 156 et 158, c'est-à-dire au faussaire qui à l'aide de la fausse feuille de route a reçu plus de

100 fr., et à l'officier public qui a reçu une pareille somme pour délivrer une fausse feuille de route, puisque ces deux articles sont les seuls qui prononcent les deux peines auxquelles l'art. 165 a attaché accessoirement l'exposition publique. L'art. 164, qui prononce une amende contre les coupables, doit également être restreint aux cas où le faux est qualifié crime par la loi; car cette amende, aux termes de cet article, doit être calculée sur le bénéfice illégitime que le faux était destiné à procurer aux auteurs du crime, à leurs complices ou à ceux qui ont fait usage de la pièce fausse. Mais l'article 163 renferme, au contraire, une règle générale qui s'étend à tous les faux commis par l'usage de la chose fausse : c'est que cet usage n'est punissable qu'autant que la personne qui en est inculpée a connu le faux dont la pièce était entachée. Ce principe, qui ne fait que consacrer l'un des éléments indispensables de la criminalité, embrasse nécessairement toutes les pièces falsifiées, soit que les pièces soient des obligations, des passe-ports ou des certificats, soit que la falsification d'après ses effets et ses périls soit qualifiée crime ou délit par la loi pénale.

CHAPITRE XXVIII.

DES CRIMES ET DÉLITS DES PONCTIONNAIRES PUBLICS DANS L'Exercice de lEURS FONCTIONS.

des

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De l'objet de ce chapitre et de sa classification. De la forfaiture. Objet des articles 166, 167, et 168. — Éléments du crime de forfaiture. — Il faut qu'il y ait crime. — Conséquences de ce principe. - Il faut que ce crime soit le fait d'un fonctionnaire. — Distinction des fonctionnaires, agents du gouvernement, des officiers publics. — Il faut que le crime soit commis dans les fonctions. Différentes espèces de forfaiture. - Division du chapitre. - Ier. Des soustractions commises par les dépositaires publics. - Ce crime constitue l'ancien crime de péculat. — Aperçu historique de la législation sur cette matière. Circonstances caractéristiques du crime.— Qualité de l'agent. — Détournement ou soustraction de deniers. - Caractères de ce détournement. Distinction des deniers publics ou privés. — Si le déficit est contesté, il faut que l'agent soit déclaré reliquataire. — Autorité compétente pour faire cette déclaration. · Dépôt de deniers privés. — Violation du contrat. · Dans quels cas cette violation peut étre prouvée devant les tribunaux criminels. —De la destruction ou suppression des titres. — Différences entre les articles 169 et 173. — Il s'agit, dans ce dernier article, d'actes utiles supprimés frauduleusement. - Examen des pénalités attachées à ces différents faits. Peines progressives. -§ II. Des concussions commises par les fonctionnaires publics.- Aperçu des différentes phases de la législation sur cette matière. - Caractères distincts des crimes de corruption et de concussion,

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[1] Voy. une espèce pleine d'intérêt où cette M. Cuzon, a présenté de judicieux développements. question s'est produite, et dans laquelle l'avocat, (Journ. génér, des Tribunaux du 2 nov. 1836.)

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Définition du crime de concussion. - Il faut qu'il y ait abus d'une autorité publique. -Consequences et application de ce principe. — Distinction des fonctionnaires et des préposés. -Responsabilité du fonctionnaire supérieur. Ce qu'il faut entendre par les commis ou préposés. Espèces diverses proposées comme exemples. Il faut que la perception soit illegitime. - Explication de cette règle et conséquences qui en résultent. Il faut que l'agent ait la connaissance de l'illégalité de la perception; mais il n'est pas nécessaire que la recette ait tourné à son profit. — Causes de justification. — Ordres des supérieurs. - Peines. Amende proportionnelle. — § III. Des délits des fonctionnaires qui s'ingèrent dans des affaires ou commerces incompatibles avec leur qualité. - Caractères de ces prohibitions.— Éléments constitutifs des delits. Qualité de l'agent. - Intérêt dans les actes ou entreprises. - Personnes interposées ne sont pas complices. — Surveillance de l'affaire conférée au fonctionnaire intéressé. — Le notaire n'est pas considéré comme ayant la surveillance des actes qu'il reçoit. — Commerce des grains et des boissons fait par les commandants militaires et les préfets. Caractères et éléments principaux de ce délit. — § IV. De la corruption des fonctionnaires publics. — Definition de ce crime. Examen des lois romaines et des lois étrangères. — Législation française. — Principes généraux de la matière. Crime du fonctionnaire corrompu.—Éléments constitutifs.— Qualité inhérente de l'agent.—Questions diverses relatives aux huissiers, aux médecins, aux secrétaires de mairies. Fait matériel des offres agréées ou des présents reçus. — Conséquences de cette condition essentielle du crime.— Il faut que la corruption ait pour objet un acte de la fonction. Développement de cette règle.-Hésitations de la jurisprudence - Espèces diverses où elle a reçu son application. — Il n'importe pas que l'acte soit juste ou injuste. — Distinction pour le cas où le fonctionnaire n'a pas exécuté l'acte qu'il s'était engagé à accomplir. — Nécessité de constater chaque élément du crime.—Examen des pénalités. — Circonstances aggravantes : — 1o quand la corruption a pour objet un fait criminel emportant une peine plus forte; — 2o quand elle a pour objet un jugement rendu en matière criminelle.— Caractères et limites de cette double incrimination.— Crime du corrupteur.- Distinction suivant que la tentative a été ou non suivie d'effet.— Il n'existe point de complicité légale entre le corrupteur et le fonctionnaire Conséquences de cette règle. Caractères constitutifs de la provocation à la corruption. — Pénalités. Décisions des juges et des administrateurs par haine ou par faveur. · Caractères généraux de ce crime spécial. — Il faut que la haine ou la faveur se soit trahie par des signes extérieurs. Règles d'interprétation. — § V. Des abus d'autorité.— Distinctions générales. — Énumération.—De la violation du domicilc.—Principes des diverses législations sur cette matière. — Règles de notre législation. — Dans quels cas il est permis à un fonctionnaire de s'introduire dans le domicile d'un citoyen. — Formalités prescrites pour cette introduction. ya délit lorsque l'agent s'écarte de ces cas ou enfreint ces formes.-Caractères particuliers de ce délit.-Le consentement tacite du citoyen couvre-t-il le delit? — Dans quels cas l'ordre du supérieur protège l'acte de l'agent — Violations de domicile commises par les particuliers.— Du déni de justice.—Caractères et éléments de ce délit.— Des violences exercées sans motif légitime Conditions essentielles de cette incrimination. ·Des motifs légitimes justificatifs de l'agent. — La provocation n'est pas une cause justificative du meurtre ou des blessures commis par le fonctionnaire.- De la violation du secret des lettres. — La loi ne punit que les violations commises par les fonctionnaires. —L'autorité judiciaire peut néanmoins saisir et ouvrir les lettres émanées des prévenus ou qui leur sont adressées. — Des réquisitions illégales de la force publique. Conditions essentielles des crimes. · Peines progressives. —§ VI. De quelques délits relatifs à la tenue des actes de l'état civil. ·Ces infractions n'ont que le caractère d'une contravention matérielle. - Éléments de chacune de ces infractions.- Caractère de l'officier de l'état civil. — Cas de collusion. — § VII. De l'exercice de l'autorité publique illégalement anticipé ou prolongé. Ces deux faits ne constituent que de simples contraventions. Cas d'application. § VIII. Des peines applicables aux fonctionnaires qui ont participé aux crimes qu'ils étaient chargés de surveiller. Gradation de ces peines. Conditions de leur application. (Commentaire des articles 166 à 198 du Code pénal.)

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crimes et délits contre la paix publique. L'exposé des motifs a cru devoir justifier cette division. « Parmi les crimes et délits qui compromettent le plus la paix publique, a dit M. Berlier, il était impossible de ne pas accorder un rang principal à ceux que commettent les fonctionnaires publics dans l'exercice de leurs fonctions: l'ordre est manifestement troublé quand ceux que la loi a préposés pour le maintenir sont les premiers à l'enfreindre. » Il nous paraît également que les délits que les fonctionnaires commettent en abusant de l'autorité qui leur est déléguée, peuvent être classés dans cette catégorie : la qualité de fonctionnaire, la nature du fait qui n'est que l'abus de ses fonctions, enfin le caractère du préjudice qu'il produit, impriment au délit des effets particuliers, et justifient une classification distincte; mais on serait fondé à reprocher au législateur d'avoir été infidèle à la classification qu'il a tracée ce chapitre, qui devrait renfermer tous les délits commis par les fonctionnaires dans leurs fonctions, ne contient que quelques-uns de ces délits; et l'on trouve dispersés dans d'autres chapitres, confondus dans d'autres catégories, des faits d'une nature identique, et que la division des matières plaçait naturellement ici [1].

Les trois premiers articles de cette section sont employés à définir la forfaiture [2]. « Tout crime, porte l'article 166, commis par un fonctionnaire public dans l'exercice de ses fonc tions, est une forfaiture. » L'art. 168 ajoute surabondamment : « Les simples délits ne constituent pas les fonctionnaires en forfaiture. >> Énfin l'art. 167 dispose que «< toute forfaiture pour laquelle la loi ne prononce pas de peines plus graves, est punie de la dégradation civique. »

Il est difficile d'expliquer la présence dans le Code de ces trois articles, dont la rédaction est contraire à l'économie générale de la loi pénale, et dont les dispositions sont si complétement inutiles, que leur suppression n'altérerait aucune de ses incriminations, aucune de ses pénalités.

En effet, que servait de maintenir dans la loi cette qualification de forfaiture pour exprimer les crimes commis par les fonctionnaires dans leurs fonctions, puisque chacun de ces crimes a été l'objet d'une incrimination spéciale? Que

[1] Voy. les art. 114, 115, 116, 119, 121, 122, 123, 124, 125, 126, 127, 129, 130, 131, 145, 146, 155, 158, 234, 254, 432 du Code pénal,

servait d'établir par l'art. 167 que la dégradation civique est la peine de la forfaiture, puisque le Code pénal, chaque fois qu'il a incriminé un cas de forfaiture, a pris soin d'y attacher une peine? Dira-t-on que cette disposition générale a été posée par forme d'abréviation, et afin que le législateur pût incriminer ensuite, en la qualifiant de forfaiture, telle action illicite qu'un fonctionnaire commettrait dans ses fonctions? Mais telle n'a pas été sa pensée, puisque les articles où le Code incrimine des cas de forfaiture prononcent formellement et de nouveau la peine de la dégradation civique [3]. Objectera-t-on que l'art. 167 a eu pour objet d'expliquer les art. 483 et suivants du Code d'instruction criminelle, qui règlent la compétence en matière de poursuites contre des crimes emportant la peine de forfaiture? Mais, dans le système du Code, tout crime emporte la dégradation civique, soit comme peine principale, soit comme peine accessoire; l'art. 167 n'est donc nullement nécessaire pour l'intelligence de ces articles.

Il faut chercher la source des articles 166, 167 et 168 dans la législation en vigueur au moment de sa rédaction. L'art. 641 du Code des délits et des peines portait : « Il y a forfaiture de la part des juges lorsque, dans les cas déterminés et précisés par la loi seulement, ils commettent quelque délit ou crime dans l'exercice de leurs fonctions. » Le législateur voulut modifier cette disposition sous un double rapport: elle était restreinte aux juges, il voulut l'étendre à tous les fonctionnaires publics; elle embrassait sous le nom de forfaiture les crimes et les délits, il voulut que les crimes seuls pussent modifier cette qualification. De là les dispositions, aujourd'hui complétement inutiles, des art. 166 et 168.

L'art. 167 a la même origine. L'art. 642 du Code du 3 brumaire an IV portait : « La peine de la forfaiture consiste dans la déclaration du tribunal, que celui qui en est convaincu est incapable de remplir aucune fonction ou emploi public, et d'exercer aucun droit de citoyen pendant 20 ans. » C'était à peu près les déchéances que le Code pénal a depuis renfermées dans la dégradation civique. L'art. 643 ajou→ tait : « Cette peine est indépendante de celles qui sont établies par les lois pénales : elle se prononce cumulativement avec celles portées

[2] Foris factura, action en dehors des règles, [3] Voy. les art. 121, 126, 127 et 183.

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