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la preuve écrite ou un commencement de preuve par écrit du dépôt ; et, si cette preuve ne peut être administrée, il en résulte une fin de nonrecevoir que le juge criminel doit se borner à reconnaître, en déclarant soit la partie civile, soit le ministère public, non recevable quant à présent dans sa plainte.

L'art. 173 prévoit une deuxième espèce de soustraction qui ajoute à l'incrimination de l'art. 169 une incrimination supplétive; il déclare coupable du même crime: « tout juge, administrateur, fonctionnaire ou officier public qui aura détruit, supprimé, soustrait on détourné les actes et titres dont il était dépositaire en cette qualité, ou qui lui auront été remis ou communiqués à raison de ses fonctions; tous agents préposés ou commis soit du gouvernement, soit des dépositaires publics, qui se seront rendus coupables des mêmes soustractions. »

Ces deux articles different en plusieurs points: l'art. 169 s'applique spécialement aux comptables publics, l'art. 173 aux fonctionnaires et aux officiers publics; le premier ne s'attache qu'au détournement de deniers, et, s'il mentionne la soustraction de pièces, titres, actes, effels mobiliers, c'est qu'il suppose à ces pièces et effets une valeur monétaire, puisque la peine est graduée d'après cette valeur même; le deuxième ne parle, au contraire, que de la soustraction des actes et titres qui, quelle que soit leur importance, n'ont point une valeur déterminée et précise; aussi la loi n'a point pris cette valeur en considération dans la gradation de la peine. Enfin, l'art. 169 ne s'occupe que du détournement et de la soustraction des pièces et actes, l'art. 173 prévoit de plus leur soustraction ou leur suppression. De là, plusieurs règles particulières à l'art. 173,

D'abord, en parlant d'actes et de titres, il est évident que la loi a entendu parler d'actes utiles dont la soustraction ou la perte pût nuire à des tiers: ainsi, par exemple, s'il s'agissait de la copie d'un titre ou d'un acte dont l'original existât, le détournement de cette copie ne pourrait constituer un crime qu'autant qu'on s'en serait servi pour produire un préjudice; car la perte seule ne pourrait léser aucun droit.

En deuxième lieu, il est nécessaire que l'action judiciaire, dans cette hypothèse comme dans la première, constate l'intention coupable de l'agent; si la perte de la pièce est le fruit d'une simple négligence, si le magistrat auquel une procédure a été communiquée n'est coupable que de n'avoir pas assez veillé à sa

conservation, il n'y aurait ni crime ni délit. Il convient même de remarquer à ce sujet que l'art. 254, qui punit d'une peine correctionnelle les dépositaires publics qui par leur négligence ont donné lieu à la soustraction d'un acte, ne s'applique qu'aux gardiens, archivistes, greffiers et autres officiers qui sont spécialement chargés de veiller à la garde d'un dépôt public; mais cette responsabilité n'a point été étendue aux autres fonctionnaires auxquels des actes ou des titres sont momentanément confiés à raison de leurs fonctions; ils doivent sans doute veiller avec le même soin à leur conservation, mais ce devoir est moins impérieux, parce que cette surveillance n'est pas l'objet principal de leurs fonctions.

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Il faut enfin que le fonctionnaire ou l'officier public ait reçu le dépôt des actes et titres en sa qualité et à raison de ses fonctions : cc n'est que dans ce cas, en effet, qu'il commet le double délit d'abus de confiance et d'abus de ses fonctions, qui élève le fait au rang des crimes. Mais il n'est pas nécessaire, ainsi que l'exigeait le Code de 1791, que la communication ou la remise ait eu lieu en vertu d'une confiance nécessaire la loi n'a point formulé cette condition. Aussi il a été jugé que la remise faite de confiance par un greffier à un avoué d'un procès-verbal d'ordre, rentrait dans les termes de l'art. 173, et par conséquent que la destruction de deux contredits compris dans ce procès-verbal constituait le crime qu'il punit [1]. Dans cette espèce, toutefois, la loi n'ordonnait point cette remise, mais elle avait été motivée à raison des fonctions de l'avoué, et par suite de la confiance qu'elles inspiraient.

L'art. 173 s'applique, non-seulement aux juges, aux administrateurs, aux fonctionnaires, mais encore aux officiers publics; nous avons indiqué précédemment la différence qui sépare ces expressions. La jurisprudence a jugé que les officiers ministériels, et particulièrement les avoués, devaient être compris dans la classe des officiers publics : « attendu qu'ils sont officiers établis près les tribunaux et nommés par le roi pour représenter en justice les parties de qui ils sont chargés d'instruire et faire juger les procès; qu'ils sont assermentés ; que les particuliers qui ont des procès civils, soit en demandant, soit en défendant, sont forcés de recourir à leur ministère, et que dès lors ils

[1] Arr. cass. 10 mai 1823 (cité par Bourguignon, Jur, des Cod. crim., t. 3, p. 176).

sont officiers publics par cela même qu'ils sont officiers ministériels [1]. »

L'art 169 n'inculpe que le commis à une perception.L'art 173 étend encore plus loin son incrimination; il y comprend les agents, préposés ou commis soit du gouvernement, soit des dépositaires publics. Cette différence n'est qu'une conséquence du but divers que ces deux articles se sont proposés : là il ne s'agissait que des comptables et de leurs préposés, ici de tous les agents secondaires qui sont placés sous les ordres des fonctionnaires publics, et qui, dépositaires de la même confiance, doivent supporter la même responsabilité. La Cour de cassation a rangé dans cette catégorie le fac teur de la poste aux lettres qui soustrait les effets renfermés dans une lettre qu'il est chargé de distribuer. [2].

Enfin l'art. 173 prévoit, non-seulement la soustraction et le détournement des actes et ti tres, mais encore leur suppression et leur des truction. Or, dans ce dernier cas, la preuve testimoniale est sans aucun doute admissible, et dès lors aucune question préjudicielle ne vient se placer au devant de l'action. En effet, ce qu'il s'agit de prouver ici, ce n'est point l'existence d'une convention, mais bien celle d'un fait matériel, le fait de la destruction ou de la suppres sion de l'acte de cette convention. A la vérité, la preuve de cette destruction suppose la préexistence de l'acte. Mais la preuve testimoniale pourrait être étendue même à ce fait préjudiciel; car on ne pourrait opposer à la partie lésée la disposition de l'article 1341 du Code civil, puis qu'elle s'était conformée au vœu de cet article, et qu'il n'a pas été en son pouvoir de prendre la preuve littérale du fait qui a détruit la preuve de la convention [3].

Nous passons maintenant à l'examen des pénalités que la loi a attachées à ces différents faits.

L'article 169 porte la peine des travaux forcés à temps, « si les choses détournées ou soustraites sont d'une valeur au-dessus de trois mille francs. » L'article 170 imprime la même importance à d'autres circonstances: «La peine des travaux forcés à temps aura lieu également, quelle que soit la valeur des deniers ou des effets détournés ou soustraits, si cette valeur égale ou excède soit le tiers de la recette ou du dépôt,

[1] Voy. p. 89, le même arrêt (10 mai 1823). [2] Arr. 23 avril 1813; S. 1817, 321. [3] Voy. dans ce sens Merlin, Questions de droit, vo suppression de titres, § 1er; Toullier, t. 9,

s'il s'agit de deniers ou effets une fois reçus ou déposés, soit le cautionnement, s'il s'agit d'une recette ou d'un dépôt attaché à une place sujette à cautionnement, soit enfin le tiers du produit commun de la recette pendant un mois, s'il s'agit d'une recette composée de rentrées successives et non sujette à cautionnement. » Si la chose détournée n'atteint par sa valeur ces diverses limites, le détournement perd son caractère de crime, et n'est plus qu'un simple délit correctionnel; c'est ce qui résulte de l'article 171, ainsi conçu : « Si les valeurs détournées ou soustraites sont au-dessous de trois mille franes, et en outre inférieures aux mesures exprimées en l'article précédent, la peine sera un emprisonnement de deux ans au moins et de cinq ans au plus, et le condamné sera de plus déclaré à jamais incapable d'exercer aucune fonction publique. » Enfin l'article 172 complète ce système de pénalité; il porte : « Dans les cas exprimés aux trois articles précédents, il sera toujours prononcé contre le condamné une amende dont le maximum sera le quart des restitutions et indemnités, et le minimum le douzième. >>

Cette peine progressive a pris sa source dans la déclaration du 5 mai 1690 portant: « Tous commis aux recette générales et particulières, caissiers et autres ayant maniement des deniers de nos fermes, lesquels seront convaincus de les avoir emportés, seront punis de mort, lorsque le divertissement sera de 3,000 livres et audessus, et de telle autre peine afflictive que nos juges arbitreront, lorsqu'il sera au-dessous de trois mille livres. >> On voit que si la loi nouvelle n'a pas conservé les mêmes châtiments, elle a du moins emprunté à cet édit, et le système progressif de la peine, et la limite qui sépare les deux termes de cette peine.

Le projet du Code, où cette théorie se trouvait exposée, donna lieu à de nombreuses objections. La peine, disait-on, ne devait pas dépendre de la valeur de la chose soustraite : ce n'est pas cette valeur, mais l'action du vol en ellemême qui doit lui servir de base Le même fait peut-il, parce que le préjudice s'élève à un franc de plus ou de moins, changer de nature et devenir, suivant le chiffre définitif du reliquat, soit un délit, soit un crime? Dans les vols qui n'in

p. 257; arr. cass. 4 oct. 1816, 21 oct. 1824 et 15 mai 1834; Dalloz, t. 21, p. 231, t. 27, p. 4; S. 1834, 1,573.

téressent point l'Etat, le plus ou moins de valeur des objets soustraits rend-il le délit plus ou moins grave? Pourquoi cette exception pour les vols faits à la généralité des citoyens [1]? A ces objections, reproduites dans le Conseil d'état par Cambacérès, M. Berlier répondit : « que dans la stricte rigueur des principes, l'argent que l'on tient ou reçoit pour autrui est un dépôt sacré, et auquel on ne peut toucher sans devenir coupable; mais cette culpabilité ne peut-elle même se graduer de manière que le dépositaire imprudent qui n'aura détourné qu'une très-faible partie du dépôt, et souvent pour subvenir aux besoins de sa famille et avec espoir de remplacement, soit puni moins gravement que celui qui emporte fraudulensement toute sa recette? La législation pénale irait au-delà de son but, si elle ne prenait pas en considération jusqu'à un certain degré la fragilité humaine, et si elle punissait également des délits inégaux. Enfin, il y a une raison politique qui seule devrait faire admettre la modification proposée. En effet, si la soustraction légère et partielle est punie aussi rigoureusement que la soustraction totale, le coupable n'aura pas d'intérêt à s'arrêter, il soustraira tout, et le seul résultat de l'assimilation parfaite sera d'enlever à la fortune publique et particulière une partie de ses garanties [2]. »

En thèse générale, la gravité du préjudice est un des éléments de la gravité de la peine; cette règle est gravée dans la conscience humaine, qui ne placera jamais sur la même ligne Fagent qui n'a soustrait qu'un objet minime, et celui qui s'est emparé de valeurs considérables; non seulement la lésion, non-seulement l'alarme de la société ne sont pas les mêmes, mais la criminalité elle-même semble refléter des degrés divers suivant les résultats mêmes de l'action, soit parce que l'agent n'a pas mis la même puissance de volonté dans l'exécution du crime, soit parce que l'exiguité du dommage ne révèle qu'une immoralité incertaine et peu dangereuse pour l'ordre social. A la vérité, quand il s'est agi des vols commis au préjudice des particuliers, la loi pénale, soitdifficulté de poser une limite rationnelle, soit crainte d'introduire un système nouveau de répression, est restée muette sur cette circonstance modificative de la criminalité, et l'a reléguée au nombre des circonstances atténuantes: nous nous occuperons de ce point dans

le chapitre que nous avons consacré à la théorie générale du vol mais, dans notre espèce, il est impossible de révoquer en doute la justesse de l'application du principe; une différence qui saisit aussitôt la conscience, sépare l'agent qui, dans l'espoir même déçu plus tard de le réparer, fait un léger emprunt à la caisse dont il est le dépositaire, et celui qui s'enfuit avec toutes les sommes qui lui ont été confiées; une différence moins grave, mais également certaine, se fait encore remarquer entre le fonctionnaire qui n'a détourné qu'une faible somme et celui dont les détournements successifs et habilement calculés ont creusé un vaste déficit. Telles sont les distinctions qui se trouvent formulées par les deux degrés de la peine. On a objecté qu'il est illusoire de faire dépendre d'un franc de plus ou de moins dans le préjudice, l'évaluation morale du fait. Mais cette objection s'appliquerait à toutes les limites, et cependant il est nécessaire de poser des lignes de démarcation entre les différentes nuances de la criminalité; c'est ainsi qu'en matière d'âge, un jour de plus ou de moins change la nature du fait et la quotité de la peine. Ce qu'on doit exiger de la loi, c'est que la limite soit prise dans la nature des choses, qu'elle soit l'expression d'une différence morale entre les deux catégories de faits qu'elle sépare; et, sous ce rapport, nulle objection ne s'est élevée contre les limites posées par les articles 169 et 170.

Mais, sous un autre rapport, il nous semble qu'une critique est permise lorsque le même fait subit deux qualifications différentes, et que cette distinction est uniquement puisée dans la quotité du dommage causé, il est naturel que le terme supérieur du délit soit puni du degré immédiatement supérieur de la peine. Or, dans l'espèce des art. 169 et 170, les deux termes du même fait sont séparés par un double degré dans la pénalité si le dommage n'atteint pas 3,000 fr., la peine n'est qu'un simple emprisonnement; s'il est supérieur à cette somme, s'élève tout d'un coup jusqu'aux travaux forcés, au lieu de s'arrêter à la reclusion: cette brusque transition d'une faible peine à une peine très-grave semble blesser la juste proportion qui doit marquer les divers dégrés de la culpabilité. Sans doute, si certaines soustractions sont suffisamment réprimées par un emprisonnemen!, il en est d'autres assez graves pour motiver la peine

elle

[2] Procès-verbaux du Conseil-d'état, séance du

[1] Observations sur le projet du Code criminel par les tribunaux criminels du Doubs, de la Haute- 5 août 1809. Garonne et du Var.

des travaux forcés; mais entre ces deux classes de faits, il eût été possible de définir et de placer une classe intermédiaire à laquelle la peine de la reclusion eût été justement appliquée on eût alors, soit d'après la seule quotité du préjudice, soit d'après les circonstances de la soustraction, marqué trois termes dans la criminalité, et à ces trois degrés se seraient appliquées, avec une plus juste proportion, les peines de l'emprisonnement, de la reclusion et des travaux forcés.

L'art. 170 prononce également la peine des travaux forcés, quelle que soït la valeur des deniers ou effets détournés ou soustraits, si cette valeur égale ou excéde le cautionnement, lorsqu'il s'agit ou d'une recette ou d'un dépôt attaché à une place sujette à un cautionnement. Est-il juste de comprendre dans la même peine ces deux faits essentiellement distincts? Si la somme détournée n'excède pas le cautionnement, la sévérité n'est-elle pas excessive, puisque la garantie de ce cautionnement efface toute espèce de préjudice? Le vol ne commence, à proprement parler, qu'à l'égard des deniers qui excéderaient le montant du cautionnement, si ce cautionnement est d'ailleurs la propriété de l'agent. La dissipation dans ce cas ne devrait donc donner lieu qu'à une peine correctionnelle, et ce n'est qu'au détournement de deniers excédant cette garantie, que la peine des travaux for cés devrait être réservée.

L'art. 170 prononce encore la même peine lorsque le détournement excède le tiers du produit commun de la recette pendant un mois, s'il s'agit d'une recette composée de rentrées successives et non sujettes à cautionnement. Cette disposition semble une anomalie étrange au milieu des dispositions qui l'environnent à un terme fixe et certain elle substitue une mesure incertaine et capricieuse; aussi futelle adoptée malgré l'avis de M. Berlier qui objectait « que le terme d'un mois lui semblait court, et que le tiers des petites recettes, dans un si bref espace de temps, n'offrirait le plus ordinairement qu'une somme très-exiguë dont la soustraction faite avec espoir de remplacement serait trop punie par les travaux forcés [1]. »

Si les valeurs détournées sont au-dessous de trois mille franes, ou inférieures à ces diverses mesures, le fait n'est plus qu'un simple délit, et l'art. 171 ne prononce qu'un emprisonnement de deux à cinq ans; mais cet article ajoute

[1] Procès-verbaux du Conseil-d'état, séance du 5 avr. 1809.

que le condamné sera de plus déclaré à jamais incapable d'exercer aucune fonction publique. Cette exclusion perpétuelle que nous retrouverons plus loin attachée à l'art. 175, et qui ne figure point dans l'échelle pénale du Code, fut adoptée lors de la discussion du Code pénal, sur la demande d'un membre du Conseil d'état, et malgré les observations de M. Berlier. Celuici faisait remarquer : « que cette disposition n'a pas besoin d'être exprimée pour celui qui aurait été condamné aux travaux forcés; et qu'à l'égard de celui qui n'aurait été condamné qu'à une peine correctionnelle pour une soustraction légère, il est assez vraisemblable qu'on ne l'emploiera point: mais une incapacité ab– solue et principale ne pourrait-elle pas, en quelques circonstances, paraître une trop forte aggravation de la peine? Un dépositaire qui dispose d'une petite partie de son dépôt commet une infidélité punissable, lors même qu'il aurait eu l'espoir de le remplacer, et la loi fait bien de ne point admettre une telle excuse; mais la peine ne doit point excéder les vraies limites que lui assigne la gravité du délit : s'il y a quelque chose à ajouter ce serait plutôt une disposition facultative qu'une disposition absolue [2]. »>

Ces observations ne furent point accueillies, et de la disposition adoptée il est résulté cette conséquence bizarre, que le même fait, lorsqu'il n'a que le caractère d'un délit correctionnel, produit une incapacité plus grave que lorsque la loi l'élève au rang des crimes. En effet, l'agent qui est condamné en vertu des art. 169 et 170 aux travaux forcés à temps, et par suite à la dégradation civique, peut, après sa peine subię, se faire relever par la réhabilitation de toutes les incapacités qui pesaient sur lui, et par conséquent reprendre son aptitude aux fonctions publiques. Mais si le même agent n'a encouru qu'une peine correctionnelle, si le fait qu'il a commis, moins grave en lui-même, n'a que le caractère d'un simple délit, l'incapacité d'exercer une fonction publique pèsera à jamais sur lui; car la réhabilitation, aux termes de l'art. 619 du Code d'instruction criminelle, n'est ouverte qu'aux condamnés à une peine afflictive et infamante. Ce résultat démontre que cette peine de l'exclusion perpétuelle, qui ne figure point dans l'échelle pénale du Code, est une anomalie dans la loi. II est en effet de l'essence des peines correction

[2] Procès-verbaux du Conseil-d'état, séance du 4 août 1809.

nelles de n'entraîner que des incapacités temporaires; temporaires elles-mêmes et n'imprimant aucune tache infamante, il est inconséquent de faire survivre à leur durée un seul de leurs effets, et d'attacher la perpétuité à l'accessoire d'une peine qui n'est elle-même ni infamante ni perpétuelle.

§ II.

Des Concussions commises par les
fonctionnaires publics.

Le crime de concussion se confondait, soit dans la législation romaine, soit dans notre ancien droit, avec celui de corruption. Il consistait, en général, sous ces deux législations, dans l'abus que les magistrats faisaient de leur autorité, soit pour mettre à contribution les provinces dont l'administration leur était confiée, soit pour exiger des sommes d'argent de ceux à qui la justice était due gratuitement. Les jurisconsultes romains connaissaient ce crime sous le nom de crimen repetundarum, parce qu'il donnait lieu à une action que les provinces ou les parties lésées exerçaient pour répéter et se faire restituer les sommes. indûment exigées. Ce fut là la seule peine qui fut imposée aux concussionnaires par la loi Calpurnia repetundarum: plus tard, la loi Junia porta, outre la restitution, la peine de l'exil; mais c'est une question qui a été longuement agitée par les docteurs, que de savoir si la loi postérieure Julia repetundarum (portée par Jules-César) a maintenu ou abrogé cette peine de l'exil. Il faut peut-être distinguer deux classes de pénalités les unes s'appliquaient aux exactions des gouverneurs et magistrats des provinces; la peine était du quadruple des sommes indûment perçues [1]; cependant, si la concussion avait frappé sur les habitants des campagnes, la peine pouvait s'élever jusqu'à

[1] L. 1, C. ad leg. Jul, repetund. : « Ut unius pœnæ metus posset esse multorum ducem, qui malè egit ad provinciam quam excedaverit... in quadruplum exolvet invitus. »

[2] L. 1, C. ne rustic, ad ult, oblig. evoc.: « Ablatis omnibus facultatibus, perpetuo subjugentur exilio. »

[3] L. 7, § 3, Dig, ad leg. Jul. repet. : « Hodiè ex lege repetundarum extra ordinem puniuntur, et plerumque vel exilio punientur vel etiam duriùs, prout admiserint. »

[4] « Si simulatio præsidis jussu, concussio intervenit, ablatum, ejusmodi terrore, restitui

la confiscation et l'exil [2]. Les autres étaient réservées aux juges prévaricateurs qui recevaient des sommes d'argent ou des présents pour rendre bonne ou mauvaise justice [3]

La loi romaine comprenait indifféremment dans la même classe de délits des cas de concussion et de corruption; c'est ainsi qu'elle prévoit le crime d'un officier public qui, pour imposer une perception illicite, suppose un faux ordre du préfet de la province [4], et l'action du magistrat qui, soit pour décerner des honneurs ou des places [5], soit pour vendre la justice, porter ou anéantir une accusation, susciter ou supprimer un témoignage [6], soit enfin pour procurer des dispenses de charges publiques [7], aurait reçu des présents ou des sommes d'argent. Il est visible, toutefois, que le premier cas constitue seul le crime de concussion, et que les autres espèces rentrent dans la classe des faits de corruption.

Ces deux crimes diffèrent, en effet, par une circonstance essentielle : la concussion exige la somme qu'elle perçoit; la corruption se borne au contraire à l'agréer quand elle lui est offerte; dans le premier cas, le fonctionnaire abuse de son pouvoir ou altère la vérité, et se sert du mensonge pour assurer une perception illicite ; dans le second cas, il se lie par une sorte de convention avec le corrupteur, et vend à prix d'argent un acte de ses fonctions. Cette différence, qui n'est point arbitraire et qui sort du fond des choses, n'avait point échappé aux anciens jurisconsultes: Corruptio, dit Farinacius, quandò à sponte pecuniam dante judex injustitiam facit; concussio, quandò pecuniam non à sponte dante recepit sed extorquet [8].

Cependant, dans notre ancien droit, ces deux faits se confondaient encore. En général, le crime de concussion pouvait être commis par les gouverneurs et intendants des provinces,

præses provinciæ jubet et delictum coercet, » L. 1, Dig. de concussione.

[5] « Lege Juliá repetundarum censetur qui, cùm aliquam potestatem haberet, pecuniam ob judicandum decernendumve acceperit, vel quò magis aut minùs quid ex officio suo faceret, » L. 3 et 4, Dig. ad leg. Jul. repet.

[6] « Qui ob accusandum vel non accusandum, denuntiandum vel non denuntiandum testimonium pécuniam acceperit. » L. 2, Dig. de con

cussione.

[7] L. 5, t. 2. Dig. ad leg. Jul. rep. [8] Quæst. 111, no 39.

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