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qui donnaient à prix d'argent des exemptions pour la milice ou les corvées; par les capitaines et membres des compagnies des gens de guerre, qui exigaient des deniers pour exempter les communes ou les maisons du logement militaire; par les seigneurs qui surchargeaient leurs sujets de nouveaux impôts; enfin par les officiers de justice qui abusaient de leurs fonctions au détriment des parties. Mais les prévarications des gouverneurs, des gens de guerre et des seigneurs étaient connues sous le nom d'exactions; celles des greffiers, huissiers et notaires, sous le nom de malversations. En sorte que le crime de concussion ne s'étendait proprement qu'aux prévarications des juges et des gens du roi [1]. Or, la plupart des faits que les anciennes ordonnances rangent dans cette classe sont plutôt des faits de corruption que de concussion [2] : ce n'est donc pas ici le lieu de les rappeler. Du reste, la peine était arbitraire et dépendait des eirconstances du fait et de la qualité des personnes [3] : les coupables encouraient tantôt la simple interdiction de leurs fonctions, tantôt la peine du blâme, tantôt celle du bannissement; les gouverneurs, les baillis et sénéchaux étaient frappés de la confiscation de corps et de biens; les seigneurs étaient déclarés ignobles et roturiers; enfin les gens de guerre étaient punis de mort [4]. Le Code pénal de 1791 incrimina, sans le dé finir, le crime de concussion: «Tout fonction naire ou officier public, toute personne commise à la perception des droits et contributions publiques, qui sera convaincu d'avoir commis, par lui ou ses préposés, le crime de concussion, sera puni de la peine de six années de fers, sans préjudice de la restitution des sommes reçues illégitimement [5]. » Ce crime était, de plus, soumis à des formes particulières d'instruction [6], et porté devant des jurés spéciaux [7].

Notre Code a défini, au contraire, la concussion, en posant avec clarté les éléments de ce crime; l'art. 174 est ainsi conçu : « Tous fonctionnaires, tous officiers publics, leurs commis ou préposés, tous percepteurs des droits, taxes, contributions, deniers, revenus publics ou com munaux, et leurs commis ou préposés, qui se seront rendus coupables du crime de concus

[1] Muyart de Vouglans, p. 262.

[2] Ord. de Moulins, art. 19 et 20; ord. de Blois, art. 114; ord. de 1667, tit. 21, art. 15.

[3] Art. 166 de l'ord, de 1629.

[4] Ord. de Blois, art. 280, 282, 305.

sion, en ordonnant de percevoir, ou en exigeant, ou en recevant ce qu'ils savaient n'être pas dû ou excéder ce qui était dû pour droits, taxes, contributions, deniers ou revenus, ou pour salaires ou traitements, seront punis, savoir: les fonctionnaires ou les officiers publics, de la peine de la reclusion, et leurs commis ou préposés, d'un emprisonnement de deux ans aut moins et de cinq ans au plus. »

Des termes de cet article il résulte que la concussion, dans notre droit actuel, est toute perception illicite faite sciemment par des agents revêtus de l'autorité publique et agissant au nom de cette autorité. Trois conditions sont donc nécessaires pour l'application de la peine : l'abus de la puissance publique, l'illégitimité de la perception, la connaissance de cette illégitimité de la part de l'agent

Si l'agent n'est ni fonctionnaire ou officier public, ni leur commis ou préposé, la perception illicite peut constituer sans doute un autre délit, mais elle cesse de constituer une concussion. En effet, c'est l'excès de pouvoir, l'abus de la puissance, qui forme la base essentielle de ce crime [8]; il ne peat donc être commis que par ceux qui exercent cette puissance : « Ce crime existe, a dit l'orateur du gouvernement, toutes les fois qu'un fonctionnaire exige ou reçoit ce qu'il sait ne lui être pas dû, ou excéder ce qui lui est dû; et l'on conçoit aisément que, s'il importe de poser des barrières contre la cupidité, c'est surtout quand elle se trouve unie au pouvoir cette circonstance tient à l'essence du crime. Lege Julià repetundarum, dit la loi romaine, censetur qui cùm aliquam potestatem haberet pecuniam acceperit [9]; et la même loi ajoute cette définition: Lex Julia repetundarum pertinet ad eas pecunias quas quis in magistratu, potestate, curatione (publicâ),legatione, vel quas alio officio. munere, ministeriove publico cepit [10].

Cette règle a été reconnue par la jurisprudence dans plusieurs espèces qu'il importe de rappeler. Dans la première, le directeur d'un établissement de prêts sur gages, autorisé par l'autorité municipale, avait été condamné pour concussion: la Cour de cassation a annulé cette

[7] C. 3 brumaire an iv, art. 517.

[8] « Concussio à concutere, hoc est intimorare, quandò quis in officio constitutus aliquid à subditis extorquet metu,vi, minis vel persuasionibus, secretè vel expresse illatis. Farinacius.

[5] C P. 25 sept. -6 oct. 1791, 2o part., tit. I, quæst. 111, no 13. sect. 5, art. 14.

[6] L. 18-29 sept. 1702, tit. 12, art. 1 et 5.

[9] L. 3, Dig. ad leg. Jul, repet. [10] L. 1, Dig. eod. tit.

condamnation : <«< attendu que l'accusé n'était, à l'époque du fait qui lui est imputé, ni fonction naire, ni officier public, ni commis à la perception d'aucuns deniers ni contributions publiques; que seulement il avait un établissement de prêts sur gages, autorisé, à la vérité, par l'ordonnance du maire, mais qu'il n'en tenait pas moins cet établissement en son propre nom et exclusivement pour son compte particulier [1].» Dans la deuxième espèce, l'accusation de concussion avait été dirigée contre le fermier des droits d'étalage dans les halles d'une commune. La Cour de cassation annula également la procédure : « attendu que l'art. 174 est placé sous la rubrique des concussions commises par fonctionnaires publics; que l'orateur du gouvernement, dans son exposé au Corps législatif, n'en a fait non plus l'application qu'aux fonctionnaires publics, et qu'il en a justifié les dispositions pénales par la nécessité d'opposer des barrières à la cupidité quand elle est unie au pouvoir; que l'accusé n'a rien perçu comme fonctionnaire ou officier public; qu'il n'était investi d'aucun caractère public; qu'il n'a perçu qu'à titre de fermier les droits de halles qui appartenaient à la commune; que ce titre n'était qu'un titre privé; qu'il n'était ni le commis ni le préposé d'aucun fonctionnaire ou officier public; qu'en sa qualité de fermier, il ne percevait point pour autrui; qu'il percevait pour son propre compte et à ses risques et périls; que s'il faisait la perception en vertu d'un bail passé entre lui et 1 adjoint de la commune, la qualité de la partie avec laquelle il avait contracté ne changeait rien à la sienne qui était déterminée par le bail, à celle de fermier exclusive de celle de commis ou préposé; que d'ailleurs, s'agissant dans cet acte d'un revenu communal, l'adjoint municipal n'y avait eu que la qualité privée de mandataire et de gérant de la commune, et non le caractère public de fonctionnaire ou d'agent du gouvernement; que si l'accusé a ou exigé ou reçu ce qu'il savait n'être pas dû ou excéder

[1] Arr. cass. 4 juin 1812; Dalloz, t. 16, p. 323; S. 1813, 1, 50.

[2] Arr. cass, 2 janv. 1817; Dalloz, t. 3, p. 118; S. 1817, 1, 192.

[3] Arr. cass. 4 janv. 1836 (Journ. du droit crim. 1838, p. 177).

[4] Arr. Donai, 17 juin 1836 (Journ. du droit crim. 1836, p. 336).

[3] Arr. cass. 16 sept. 1820; Dalloz, t. 16, p. 328; S. 1821, 1, 41.

L'art. 174 s'applique à tous fonctionnaires bien qu'ils ne soient chargés d'aucune perception.

ce qui lui était dû d'après son bail, il ne s'est pas rendu coupable de concussion, qu'il n'a com mis qu'une simple exaction contre laquelle il peut être réclamé [2]. »

Enfin, dans une troisième espèce, il a été reconnu encore que la perception illicite faite par un gendarme ne peut constituer un fait de concussion, « parce que le gendarme ne peut être rangé dans la classe des fonctionnaires, officiers publics, leurs commis ou préposés ou percepteurs de taxes [3]. » Cette dernière décision, plus délicate que les deux premières, est également conforme au texte de la loi: un gendarme est un agent de la force publique; mais la loi n'exige pas seulement que l'agent soit revêtu d'une portion de l'autorité publique, elle veut qu'il soit, de plus, fonctionnaire ou officier public, ou commis ou préposé de l'un de ces officiers; l'incrimination ne comprend qu'une classe des agents de l'autorité.

Cela posé, cette classe se divise en deux catégories principales: les fonctionnaires ou officiers publics, et les commis ou préposés de ces officiers et fonctionnaires. Il est inutile de faire remarquer qu'il n'existe de crime qu'en ce qui concerne les premiers, et que c'est improprement que la même qualification a été étendue par l'article 174 aux faits de concussion des commis et préposés, puisque ces faits ne sont punis que d'une peine correctionnelle.

Nous avons expliqué, dans le premier paragraphe de ce chapitre, quelle sont les conditions caractéristiques de la qualité de fonctionnaire ou d'officier public. La jurisprudence a reconnu cette qualité à l'égard de faits de concussion, dans la personne d'un maire [4], d'un garde champêtre agissant dans ses fonctions d'officier de police judiciaire [5], d'un garde forestier [6], d'un simple préposé des douanes [7], enfin d'un concierge de prison [8].

On est peut-être fondé à se demander si l'article 174 doit s'appliquer aux notaires, aux avoués, aux huissiers, aux commissaires-pri

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seurs, qui ont reçu des taxes supérieures aux allocations des tarifs [1]. A la première vue, toute distinction semble contraire aux termes de cet article; car il comprend tous les officiers publics, il punit toutes les perceptions de taxes, droits et salaires qui excèdent ce qui était dû ; aussi la Cour de cassation n'a-t-elle point cru qu'on pût y établir une exception d'après l'hypothèse que nous proposons [2]. Cependant, si l'on se pénètre de l'esprit de cette disposition, on voit qu'elle a eu principalement en vue les fonctionnaires ou officiers qui sont chargés, à raison de leur qualité, d'une recette publique. La loi devait, dans ce cas, une garantie plus puissante au contribuable contre les exactions du receveur, parce qu'il n'a la plupart du temps aucun moyen de contrôle, et qu'il doit se fier à l'officier que la confiance du gouvernement investit. A l'égard des officiers ministériels, cette raison n'a plus la même force: la partie a le choix de celui qu'elle veut employer; elle a la libre vérification des taxes qui lui sont demandées, et, en cas de contestation, elle peut faire régler les mémoires par le juge. On peut même apercevoir dans l'action de ces différents agents une nuance assez tranchée. Tout est précis, tout est rigoureux, dans les rapports du percepteur avec les redevables: toute perception qui excède les droits fixés par la loi est un vol d'autant plus dangereux qu'il est plus difficile de l'atteindre. Cette inflexibilité n'existe point dans les relations des officiers ministériels avec leurs clients si les taxes sont fixées par les tarifs, rien ne s'oppose à ce que les parties n'excèdent volontairement ces fixations, à raison des soins donnés à leurs affaires. Ensuite, le fonctionnaire se sert de son autorité pour consommer la concussion; l'officier ministériel n'exerce aucune autorité, il peut employer la supercherie, il n'abuse pas d'un pouvoir qu'il n'a pas.

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Maintenant, on doit rapprocher de ces considérations différents actes de la législation qui semblent venir à l'appui. Ainsi les articles 66 et 151 du décret du 16 février 1807 prévoient les exactions des huissiers et des avoués; les déclarent-ils coupables de concussion? Nullement; ces officiers, porte le décret, ne pourront exiger de plus forts droits que ceux énoncés au présent tarif, à peine de restitution, dommages-intérêts, et d'interdiction s'il y a

[1] Pour qu'il y ait lieu à l'application de l'article 174 à un greffier de juge de paix, il faut qu'il y ait preuve et malversation évidente. Les art. 4 de la loi du 21 prairial an 7, et 13, du décret du

lieu. Les art. 64 et 86 du décret du 18 juin 1811 appliquent, en matière criminelle, la même règle aux greffiers et aux huissiers ; si ces officiers exigent d'autres ou de plus forts droits que ceux qui leur sont attribués par ce décret, ils sont destitués de leurs emplois, et condamnés à une amende qui peut s'élever de 500 à 6,000 fr. A la vérité, ces articles ajoutent : sans préjudice toutefois, suivant la gravité des cas, de l'application de la disposition de l'art. 174 du Code pénal. Mais cette restriction elle-même semble justifier notre distinction: si la perception illicite ne s'est appliquée qu'à des taxes et salaires, la peine spéciale doit seule être infligée; mais si elle s'est appliquée à d'autres recettes dont les greffiers et même les huissiers sont chargés dans certains cas, ce n'est plus une simple faute disciplinaire, c'est un crime de concussion, et l'art. 174 le comprend dans ses termes. L'article 625 du Code de procédure civile paraît encore se concilier avec cette interprétation; ce n'est en effet qu'à l'égard du prix des adjudications, dont la loi déclare les commissaires-priseurs et les huissiers responsables, que cet article dispose que ces officiers ne pourront recevoir des adjudicataires aucune somme au-dessus de l'enchère, à peine de concussion.

La conséquence de ces différentes dispositions paraît donc être celle-ci toutes les fois que l'officier exige un salaire supérieur à celui qui lui est alloué par le tarif, cette infraction n'est considérée par la loi que comme une contravention disciplinaire, et la peine doit être empruntée à la loi spéciale. Mais, lorsqu'au contraire ces officiers ont été chargés par la loi d'une perception ou d'une recette quelconque, tels que les commissaires-priseurs et huissiers dans les cas d'adjudications, les greffiers en ce qui concerne les droits qu'ils perçoivent pour l'Etat, la perception illicite dont ils se rendent coupables a les caractères du crime de concussion. Si cette distinction n'était pas adop tée, si tout salaire en dehors des tarifs constituait ce crime, il résulterait d'abord que la peine ne serait point en proportion avec la gravité du fait, et il faudrait ensuite admettre que le même fait considéré avec le même caractère de criminalité pourrait être puni deux fois comme contravention et comme crime, ce qui

16 fév. 1807, sont encore en vigueur. Liége, cass. 28 nov. 1827; J. du 19 s., 1828, 3o, p. 167. [1] Arr. cass. 15 mars 1821; Dalloz. t. 16, p. 325.

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serait une violation flagrante de la règle de la mis est sensible : si celui-ci abuse de l'autorité chose jugée.

L'article 174 paraît, à la première vue, former une troisième catégorie des percepteurs des droits, taxes, contributions, deniers, revenus publics ou communaux : il semblerait que ces percepteurs, placés à côté des fonctionnaires ou officiers publics, pourraient être accusés de concussion, encore bien qu'ils n'eussent pas cette dernière qualité. Cette opinion serait erronée: si l'article 174, dans sa disposition énonciative, comprend tous percepteurs de droits ou revenus publics ou communaux, ee n'est qu'en supposant qu'ils peuvent avoir la qualité de fonctionnaires ou d'officiers publics; en effet, il ne les rappelle point dans la nomenclature de ses dispositions pénales; ces percepteurs ne peuvent donc être compris dans cette disposition générale qu'en la qualité de fonctionnaires ou d'officiers publics, et conséquemment cet article ne leur est applicable que d'après le cas seulement où ils peuvent être réputés avoir cette qualité. C'est en adoptant cette interprétation que la Cour de cassation a jugé que le fermier des droits d'une halle communale n'était pas passible des dispositions de l'article 174.

La deuxième catégorie des agents auxquels s'applique cet article sont les commis et préposés des fonctionnaires et officiers publics: ces préposés ont agi en vertu de l'autorité que ces fonctionnaires leur ont conférée, c'est donc la même action avec les mêmes caractères de criminalité; seulement la peine est moins grave, parce que la responsabilité n'est que secondaire. « Je n'ai pas besoin, disait l'orateur du gouvernement, de justifier cette différence dans la peine, quoiqu'il s'agisse du même délit : investi d'un plus haut caractère, celui qui doit aux autres citoyens l'exemple d'une conduite pure et sans tache est bien plus repréhensible quand il tombe en faute; il doit donc être puni davantage. »

Les Codes de Naples et de Prusse ont supprimé cette distinction: une peine uniforme frappe les officiers publics et les commis ou préposés [1]. En principe, le droit pénal doit se garder des généralités : omettre de tenir compte de la nuance qui sépare deux criminalités est une injustice, car c'est punir d'une peine égale deux délits inégaux. Or, dans notre espèce, la diffé rence qui sépare le fonctionnaire et son com

[1] Voy. lois pénales de Naples, art. 196 et 197; Code prussien, art. 337, 413, 421, 422, 425. [2] L. 1, C. ad leg. Jul repetund.

tra

qu'il exerce, cette autorité ne lui est point personnelle, il ne l'exerce que par délégation, c'est plutôt un abus de confiance qu'un abus d'autorité. L'officier public, au contraire, hit le dépôt qu'il tient de l'État; il abuse de la puissance qui a été remise entre ses mains; il viole, outre le devoir moral que lui traçait sa conscience, celui que lui imposaient ses fonctions. En outre, le danger du crime n'est pas le même : les pouvoirs limités d'un commis ne lui permettent ni les mêmes actes ni les mêmes exactions. C'est donc avec raison que la loi a mesuré deux degrés de pénalité.

Mais, si ce fonctionnaire avait connu les exactions de son commis, il serait réputé les avoir autorisées, et devrait dès lors être con · sidéré comme complice. La loi romaine le déclarait, dans tous les cas, responsable de ces actes [2], et les effets de cette responsabilité s'étendaient, suivant un ancien auteur, jusqu'à la peine elle-même : « Sed dato quod non concludenter ipsum prætorem fecisse probatur, concludenter probatur factum fecisse per comites, socios ac famulos qui circa eum erant. Et ex hoc pariter tenebatur ad pœnam sicut ipse fecisset; quia prœses, præfectus, vel prætor, non solùm ténetur de his quæ fecit, sed etiam de his quæ patrata sunt per personas interpositas, comites, socios, famulos vel cognatos [3]. »

Il faut entendre par commis ou préposés les individus qui n'ont pas personnellement de caractère public, et qui n'agissent pas dans les actes de leurs fonctions en leur propre nom et dans leur intérêt. La ligne qui sépare le fonctionnaire et le simple préposé paru quelquefois indécise. La Cour de Colmar avait rangé la concussion commise par un préposé des douanes dans la deuxième catégorie de l'article 174, La Cour de cassation a annulé cette décision en se fondant sur ce que : « un préposé des douanes n'est ni le commis ni le préposé d'aucun fonctionnaire ou officier public; qu'il exerce une autorité personnelle au nom de la loi, par le droit qu'elle lui donne de concourir à la rédaction des procès-verbaux qui doivent être crus jusqu'à inscription de faux; qu'il est un agent du gouvernement, et qu'en cette qualité il ne peut être poursuivi, pour faits relatifs à ses fonctions, qu'en vertu de son autorisation ou de celle des agens supérieurs auxquels il a

[3] Estantz, dans son Traité criminel, édit, de Lyon, 1738, controv. 61, no 34.

délégué le pouvoir de l'accorder; qu'exerçant ainsi ses attributions comme agent du gouvernement, étant investi, dans cet exercice, d'une portion de l'autorité publique, un préposé des douanes est donc nécessairement un fonctionnaire ou officier public. (1).

La même question s'est élevée à l'égard des concierges des prisons, et la même solution lui a été donnée : «< attendu que les fonctions que remplissent les geôliers et concierges des maisons d'arrêt et de toutes autres de détention sont personnelles, qu'ils les remplissent en leur propre nom, sous leur responsabilité légale, et qu'ils ne sont ni les mandataires ni les commis on préposés d'aucun fonctionnaire, même de ceux qui ont sur leur conduite, dans la place qui leur est confiée, un droit plus spécial de surveillance [2]. » Ces exemples suffisent pour faire saisir le double caractère des deux classes d'agents dont l'art. 174 a prévu les malversa→ tions.

La deuxième condition requise pour l'existence de la concussion est l'illégitimité de la perception : c'est là le fait matériel qui forme la base même du crime. Une perception, quelque vexatoire qu'elle soit, si elle se fonde sur le droit, ne peut être l'objet d'une action répres sive. La perception est illégitime lorsqu'elle n'est pas régulièrement autorisée par la loi ou les règlements, lorsque, légale en elle-même, elle a pour objet une somme que la partie a déjà payée ou qu'elle ne devait pas, enfin lorsqu'elle excède les droits, taxes ou salaires que l'officier public devait recevoir : quo magis quid ex officio suo faceret.

S'il s'agit de la perception d'une contribution publique, elle est illégale si elle n'est pas formellement établie par la loi. Il suffit de rappeler sur ce point l'article 94 de la loi du 15 mai 1818, reproduit depuis dans les diverses lois de finances: « Toutes contributions directes ou indirectes, autres que celles autorisées ou maintenues par la présente loi, à quelque titre et sous quelque dénomination qu'elles se perçoivent, sont formellement interdites, à peine contre les autorités qui les ordonneraient, contre les employés qui confectionneraient les rôles et ceux qui en feraient le recouvrement, d'être poursuivis comme concussionnaires, sans préjudice de l'action en répétition, pendant trois années, contre tous receveurs, percepteurs ou individus

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qui auraient fait la perception, et sans que pour exercer cette action devant les tribunaux il soit besoin d'une autorisation préalable. » S'il s'agit d'une taxe, d'un salaire, d'une rétribution quelconque, il est nécessaire, pour qu'ils soient réputés légitimes, qu'ils prennent leur source, sinon dans une loi, au moins dans un règlement pris par l'administration en exécution de la loi, et dans le cercle de ses attributions. Nous avons examiné précédemment la question de savoir si les avoués et les huissiers qui exigent d'autres taxes que celles qui leur sont allouées par les tarifs peuvent rentrer dans les termes de l'article 174.

Le caractère distinctif de la concussion était, dans la loi romaine, d'exiger les sommes indûment reçues : les violences, les menaces, l'usage et l'abus de l'autorité en un mot, étaient considérés comme des circonstances pour ainsi dire constitutives du crime « Committiturconcussio, dit Farinacius, quandò quis in officio constitutus aliquid à subditis per metum extorquet (3). » Dans notre droit actuel, la même incrimination atteint et le fonctionnaire qui exige une somme qui n'est pas due, et celui qui, sans l'avoir exigée, s'est borné à la recevoir; la seule illégalité de la perception peut motiver l'action pénale, alors même que cette perception est isolée de toutes circonstances aggravantes.

Cette interprétation, puisée dans le texte de l'article 174, donna lieu, lors de la rédaction du Code, à la commission du Corps législatif, de faire observer « qu'il conviendrait, pour caractériser pleinement le crime en cette circonstance, de réunir les deux faits, savoir celui d'exiger et celui de recevoir. Exiger sans recevoir, c'est manifester l'intention sans compléter le crime; recevoir après avoir exigé, c'est manifester l'intention et consommer. Celui qui exige ce qui n'est pas dû peut être refusé ou se tromper : la condition serait entièrement juste si l'on mettait ces mots en exigeant et recevant. » Le changement proposé en cet article consistait donc à remplacer ou par et, Le Conseil d'état répondit : « que la conjonctive absoudrait celui qui aurait reçu sans avoir exigé, et que ce délit, beaucoup plus commun que l'autre, est tout aussi digne de répression. » L'amendement fut en conséquance rejeté [4]. La loi prussienne a appliqué au crime de con

[3] Quæst. 111, no 43.

[4] Procès-verbaux du Conseil d'état, séance du 9 janv. 1810.

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