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à leurs fonctions n'a point, en général, les mêmes périls; cependant il est évident que cette omission peut, en certains cas, favoriser une partie des abus que la loi a voulu réprimer. L'intérêt pris dans un acte ou entreprise est le deuxième élément du délit. La désignation faite par la loi d'actes, adjudications, entreprises ou régies, n'est qu'indicative de la nature des actes prohibés; il ne faudrait pas étendre la prohibition à d'autres actes que ceux qui se' trouvent énoncés, s'ils n'avaient pas précisément le même caractère.

L'article n'a point déterminé les faits caractéristiques de l'interposition de personnes il est évident que l'art. 911 du Code civil, qui ne répute personnes interposées que les pères et mères, les enfants et les époux, n'est point applicable ici; toute autre personne peut faire naître la même présomption. L'interposition se prouve par les faits et les circonstances de la cause, et non par des présomptions légales qui n'ont en matière criminelle aucune influence.

La personne interposée pourrait-elle être considérée comme complice? M. Carnot n'hésite pas à l'affirmer. «En s'interposant, dit-il, pour favoriser l'exécution d'un délit, en prêtant aide et assistance à l'individu qui s'en rend coupable, on en devient nécessairement le complice [1]. » Cette opinion ne nous paraît pas fondée: tout le délit du fonctionnaire est dans l'abus de ses fonctions; le même fait commis par toute autre personne, est une action parfaitement licite; c'est donc un délit personnel, et qui, de même que tous les délits qui supposent dans leur auteur une qualité spéciale, par exemple les délits purement militaires, n'admet pas de complices. L'art. 175 n'a point fixé la quotité de l'intérêt que le fonctionnaire doit avoir pris ou reçu; de là il suit que la plus faible part d'intérêt peut servir de base à la poursuite; cette circonstance reste parmi les éléments de la moralité du délit et de la gradation de la peine.

Le dernier paragraphe de l'article n'existait point dans le projet du Code. M. Treilhard proposa au sein du Conseil d'état de l'étendre à ceux qui sont chargés d'ordonnancer un paiement ou de faire une liquidation. M. Berlier adhéra à cet amendement, en se fondant sur ce que le principe qui fait la base de la disposition

[1] Comm, du C. P.,art. 175 no 4.

[2] Procès-verbaux du Conseil d'etat, séance du 29 oct. 1808.

régissait les cas proposés comme ceux exprimés dans l'article, et que la similitude était par faite [2]. Toutefois, la rédaction de ce paragraphe présente quelques légères différences qui ne doivent pas être perdues de vue ; c'est ainsi qu'elle ne comprend que les fonctionnaires et les agents du gouvernement, et qu'elle omet par conséquent les officiers publics mentionnés dans le premier paragraphe.

Le troisième élément dų délit résulte de cette circonstance que le fonctionnaire est chargé de l'administration, de la surveillance, de la gestion de l'affaire dans laquelle il a pris intérêt ; c'est dans cette fonction de surveillance que le délit puise son immoralité, parce qu'elle imprime au fait de l'agent le caractère d'un devoir trahi, d'un abus de confiance. La jurisprudence a successivement jugé que cette condition substantielle se rencontrait dans le fait d'un maire qui s'attribue un profit dans des travaux communaux, en les faisant exécuter par des personnes interposées [3]; dans l'acte d'un appréciateur du mont-de-piété, qui apprécie luimême au-dessus ou au-dessous de leur valeur, dans le but d'en tirer un profit personnel, des objets remis en nantissement par des personnes interposées [4]. Dans ces deux espèces, en effet, il est visible que le maire ou l'appréciateur avaient la surveillance des travaux ou des estimations dans lesquels ils s'étaient intéressés.

Mais l'application de cette règle n'a pas paru exemple de difficultés à l'égard du notaire qui prend un intérêt dans les affaires dont il reçoit les actes. La jurisprudence a fait une distinction lorsque le notaire agit en vertu de la délégation du tribunal, par exemple dans une adjudication volontaire, la Cour de cassation lui attribue une surveillance sur l'opération dont il est chargé, et l'intérêt qu'il prend dans cette opération le rend passible des peines de l'article 175; mais quand, au contraire, il ne fait qué rédiger par écrit les conventions des parties, que constater les actes qui se passent devant lui, il est évident qu'il n'exerce sur ces actes aucune influence, et dès lors la part d intérêt qu'il y prendrait ne saurait constituer un délit [5].

Cette distinction, établie par deux arrêts successifs, est-elle fondée? Nous hésitons à le

[4] Arr. cass. du 4 fév. 1832.

[5] Arr. cass. 28 déc. 1816; S. 1817, I, 122, et 18 avr. 1817; S. 1817, 1, 25; Dalloz, t. 20,

[3] Arr. Douai 17 juin 1836 (Journal du droit p. 269 et 270. erim. 1826, p. 337).

croire. En matière pénale, les règles sont inflexibles; il faut les prendre dans leur rigidité, dans leur sens précis, et avec la valeur que la loi a voulu leur imprimer. Quelle est, dans l'incrimination de l'art. 175, la circonstance essentielle du crime? C'est que l'officier public ait eu l'administration ou la surveillance de l'affaire dans laquelle il s'est intéressé; c'est cette circonstance qui, ainsi que nous l'avons dit, fait toute la criminalité de l'agent; c'est parce qu'il est investi d'une autorité sur l'affaire, c'est parce qu'elle dépend en quelque manière de lui, qu'il devient coupable en la prenant à son compte. Il faut donc que cette circonstance élémentaire luise, en quelque sorte, d'évidence; car elle est la base, la seule base du délit. Or, est-il vrai que le notaire, quand un tribunal le charge de procéder à un inventaire ou à une vente, ait l'administration ou la surveillance de cette opération? Mais quelles sont donc ses fonctions? ne se bornent-elles pas à constater que l'opération s'est passée devant lui avec telles ou telles formes? Il rédige l'acte, il constate, il rapporte les faits, mais il n'exerce aucune autorité sur les contractants, aucune surveillance sur les opérations. Disons-le: ce que l'art. 175 a voulu protéger,c'est l'intérêt public contre les fraudes des agents de l'État; la surveillance dont il a parlé, c'est la surveillance administrative, cette surveillance qui est armée d'assez d'autorité pour pouvoir s'interposer avec avantage dans les transactions qui intéressent l'État. C'est là surtout la pensée qui a animé le législateur et que révèle le texte de l'art. 175. Appliquer cet article aux notaires, même dans les cas de délégation, c'est le détourner de son sens véritable, c'est donner au mot surveillance une extension qui n'est pas même dans l'esprit de la loi, c'est enfin reconnaître, pour établir une peine, un fait inexact, l'autorité des notaires sur les actes qu'ils constatent.

Mais il résulte des arrêts que nous avons cités, qu'il est indispensable que cette circonstance que l'agent a eu l'administration ou la surveillance de l'affaire soit formellement énoncée dans le jugement. L'omission de cette énonciation ôterait à la peine sa base légale. Peu importe, du reste, que l'agent ait exercé cette surveillance collectivement avec d'autres personnes: il suffit, aux termes de la loi, qu'il l'ait eue en tout ou partie au temps de l'acte, c'est-à-dire, qu'il ait été mis à même par ses fonctions de favoriser l'entreprise ou l'affaire dans laquelle il avait pris intérêt.

Nous avons dit que la loi pénale avait ajouté de nouvelles interdictions à celles que les lois

spéciales ont édictées. Cet article est ainsi conçu: » Tout commandant des divisions militaires, des départements ou des places et villes, tout préfet ou sous-préfet qui aura, dans l'étendue des lieux où il a droit d'exercer son antorité, fait ouvertement, ou par des actes simulés, ou par interposition de personnes, le commerce de grains, grenailles, farines, substances farineuses, vins ou boissons, autres que ceux provenant de ses propriétés, sera puni d'une amende de cinq cents francs au moins, de dix mille francs au plus, et de la confiscation des denrées appartenant à ce commerce. »>

Cet article a pour but de défendre aux principaux administrateurs un commerce spécial et dont ils pourraient abuser au préjudice des populations, celui des matières comestibles. Mais, de même que dans l'article précédent, il faut distinguer ici l'infraction à cette défense et le délit, la contravention et l'abus de pouvoir.

Le législateur n'a pas voulu punir la seule infraction; sans doute il peut retirer les fonetions à l'administrateur qui contrevient à la prohibition; car l'interdiction d'un tel commerce peut être juste et convenable, même envers les administrateurs qui n'auraient pas la criminelle pensée d'en abuser; non-seulement il ne faut pas que l'abus existe, il ne faut pas que les citoyens puissent le craindre. Mais, en érigeant la contravention en délit, la loi a dû réserver le caractère moral sans lequel il n'y a point de délit.

Cette distinction fondamentale, méconnue dans la rédaction primitive de l'art. 176, donna lieu à une discussion animée dans le sein du Conseil d'état. M. Cambacérès dit qu'il concevait bien qu'un préfet pût se rendre coupable de monopole, que c'est là ce qu'il fallait empêcher et punir; mais qu'on ne doit pas lui défendre de faire simplement le commerce, qu'un acte qui n'est pas un délit en soi ne doit exposer à aucune peine, et que le Code pénal ne doit pas pu nir de simples inconvenances. M. Berlier répondit à ces objections: « L'article, dit-il, ne tend pas à frapper un crime dans toute l'acception de ce mot, mais à punir d'une amende un fait nuisible et dangereux à la société. Or, cette question est facile à résoudre; car ce qui peut n'être qu'une spéculation pour un particulier, est bien voisin du monopole quand c'est un homme pourvu de l'autorité qui s'en mêle. Dira-t-on que le gouvernement y obviera en destituant un tel fonctionnaire? Mais, en supposant la destitution, elle ne fera qu'empêcher le mal de se prolonger et ne punira point le mal fait. »

M. Cambacérès répliqua que si le commerce doit être interdit aux préfets et aux sous préfets, il faut que la défense soit faite par un réglement et nou par le Code pénal; que faire le commerce n'est point un délit; qu'il n'y a de coupable que le monopole pratiqué pour faire renchérir les denrées, et que c'était le monopole seul que la loi devait atteindre. D'après ces observations qui furent adoptées par le Conseil, l'article fut renvoyé à la section chargée de la rédaction du projet, pour en restreindre les termes au monopole,

C'est aussi dans ce sens que l'orateur du Corps législatif explique cette disposition: «Le commerce, dit-il, que feraient les fonctionnaires qui ont droit d'exercer leur autorité dans une partie de l'empire, deviendrait bientôt un monopole; s'il portait sur quelques-uns des objets d'une nécessité absolue, ils pourraient alors, par leur'autorité, renchérir ou enlever au peuple sa subsistance nécessaire et tout ce que réclament impérieusement les premiers besoins de la vie. La loi prononce contre eux, dans ce cas, de justes mais de fortes amendes et la confiscation des denrées appartenant à ce com

merce. >>

Ces explications, en révélant le but de l'article 176, permettent d'en saisir l'esprit et la portée. Il ne prohibe pas tout commerce, mais seulement celui des grains et des boissons; il ne punit même pas tout acte de ce genre de commerce, mais seulement ceux qui ont pour effet, pour but d'établir un monopole de ces denrées, par l'abus de l'autorité attachée à la fonction. Enfin, ce monopole lui-même n'est un délit que relativement aux fonctionnaires désignés dans cet article, et seulement dans l'étendue des lieux où ils exercent leur autorité, parce que les fonc tionnaires ont seuls assez de pouvoir pour établir un accaparement redoutable à l'aide de leur autorité, et que ce monopole lui-même devient licite pour eux dans tous les lieux où cette autorité n'existe pas.

Tels sont les principaux caractères du délit prévu par l'art. 176; il nous suffira de les indiquer. Cet article, quoique utile sans doute en lui-même, est du nombre de ceux qui sommeil lent dans le Code, et dont nulle application encore n'a éprouvé les dispositions et sondé les difficultés.

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du fonctionnaire qui trafique de son autorité pour faire ou pour ne pas faire un acte de ses fonctions. Cet abus des fonctions est l'une des plus graves prévarications que puisse commettre un officier public: en livrant à prix d'argent l'exercice de l'autorité qui lui est confiée, il ne trahit pas seulement les devoirs spéciaux de son emploi, il trahit la société qui s'était fiée à sa probité, et la justice qui n'admet pas d'autre cause impulsive d'un acte que la justice ellemême. Ce crime semble s'empreindre d'une gravité plus haute encore, lorsque c'est un juge qui trafique de ses jugements, lorsque c'est un magistrat qui vend ses opinions, sa religion et sa conscience. Non flagitiosum tantùm, a dit Cicéron, sed omnium etiam turpissimum maximèque nefarium mihi videtur ob rem judicandam pecuniam accipere, prætio habere addictam fidem et religionem [1].

L'orateur du Corps législatif flétrissait en termes non moins énergiques cette odieuse prévarication. « Le crime de corruption dans un juge est, sans contredit, le plus vil dont il puisse se rendre coupable; c'est aussi l'un des plus dangereux que la société doive réprimer. On peut, jusqu'à un certaint point, se défendre des atteintes de l'assassin et du voleur: on ne le peut pas de celles d'un juge qui vous frappe avec le glaive des lois et vous égorge de son cabinet. Chargé de la distribution de la justice, de cette loi du ciel et des rois, il doit la rendre avec le plus grand désintéressement et sans acception de personnes. Il exerce un ministère auguste, une sorte de sacerdoce; il remplit les plus nobles fonctions que la société puisse confier, et elle attend de lui son repos. Mais, s'il méconnait les obligations dont la première est l'impartialité; s'il descend du rang éminent où l'a placé le choix du prince, pour se rendre l'infâme complice de l'injustice qu'il doit proscrire; s'il ouvre son cœur à la corruption et ses mains à la vénalité, il devient le dernier des hommes, et la société doit s'empresser de le repousser de son sein. »>

C'est sans doute sous l'empire de cette généreuse indignation que les anciens législateurs s'étaient laissé entraîner à punir avec une sévérité extrême les juges prévaricateurs: l'histoire a recueilli quelques-uns des supplices qui leur furent infligés; la mort déployait une rigueur nouvelle pour un crime si grave [2]. La loi des

[1] Act. 1 in Verrem, no 1.

[2] Valère Maxime, lib. 6, ch. 3, Hérodote, in La loi pénale entend par corruption le crime polymniá, cap. 194, rapportent que Cambyse fit

XII Tables, empruntant cette peine à la Grèce, l'appliquait uniformément à tous les cas de corruption: Si judex aut arbiter jure datus ob rem judicandam pecuniam acceperit, capite luito.

Cependant cette sévérité ne fut qu'un frein impuissant contre la corruption qui envahissait la république romaine; le temps vint où un citoyen riche, quel que fût son crime, n'avait point de juges à craindre: Pecuniosum hominem, quamvis sit nocens, neminem posse damnari. Ces mœurs durent réagir sur les lois et en modifier les dispositions. La loi Julia repetundarum porta pour toute peine une amende égale au quadruple des sommes reçues. Postérieurement le juge eut la faculté de réunir à cette peine pécuniaire une peine corporelle plus en proportion avec la gravité du crime. Hodiè ex lege repetundarum extra ordinem puniatur, et plerumquè vel exilio vel étiam duriùs, prout admiserint [1]. La peine s'élevait jusqu'à la déportation, et même jusqu'à la mort, si la corruption avait eu pour effet de sacrifier la vie d'un homme innocent. Enfin, dans le dernier état de la législation romaine, novo jure, suivant l'expression du Code, une distinction avait été faite entre les causes civiles et les causes criminelles en matière civile, la peine de la corruption n'était qu'une amende double ou triple de la valeur des choses promises ou reçues et la perte de l'emploi ; en matière crimi-nelle, la peine était la confiscation des biens et l'exil. Sed qui accepit vel promissionem suscepit, si causa pecuniaria sit: dati triplum promissi duplum exigatur dignitate seu cingulo amisso; si verò criminalis causa fuerit, confiscatis omnibus bonis in

exilium militatur [2].

Cette distinction avait été adoptée dans notre ancien droit [3] : les peines étaient plus ou moins fortes, suivant que l'acte de corruption avait été commisen matière civile ou criminelle. Mais cette règle, constante dans la jurisprudence des parlements, ne résultait que vaguement des ordonnances, qui se bornaient à prononcer les peines de la concussion contre les juges pré

écorcher vif un juge coupable de corruption, et employa sa peau à recouvrir son siége de juge, et que Darius fit attacher à une croix un autre juge coupable du même crime.

[1] L. 7, § 3, D. ad leg. Jul. repetundarum. [2] L. 1, § 2, C. de pœná judicis qui malè judiavit vel ejus judicem corrumpere curavit.

varicateurs [4], et à recommander aux juges de proportionner les peines à la qualité du délit et aux circonstances [5]. Les peines ordinaires étaient l'interdiction à temps, la privation d'office, la restitution du quadruple et les doms'élevaient jusqu'au blâme et au banissement; mages-intérêts; dans les cas graves, ces peines elles pouvaient devenir capitales à l'égard du juge qui avait reçu de l'argent pour prononcer une condamnation à mort [6].

L'Assemblée constituante édicta des peines sévères contre les officiers dont la corruption avait dirigé les actes. Tout fonctionnaire, tout citoyen placé sur la liste des jurés, convaincu d'avoir moyennant argent, présents ou promesses, trafiqué de son opinion ou de l'exercice du pouvoir qui lui était confié, était puni de la dégradation civique; or on sait que cette peine n'était pas alors une pure abstraction, et qu'elle s'exécutait en place publique où le coupable était à haute voix proclamé infâme et attaché pendant deux heures à un carcan. Tout juré, après le serment prêté, tout juge criminel, tout officier de police en matière criminelle, convaincu du même crime, était puni de vingt ans de gêne, c'est-à-dire de reclusion solitaire. Enfin les membres de la législature étaient, dans le même cas, punis de mort [7]. Le Code du 3 brumaire an Iv ne changea rien à ces pénalités ; à la vérité, son art 644 déclara coupable de forfaiture: «< tout juge civil ou criminel, tout juge de paix qui, moyennant argent, présent ou promesse a trafiqué de son opinion ou de l'exercice du pouvoir qui lui est confié. » Mais la peine de la forfaiture, qui consistait dans l'incapacité de remplir aucune fonction, était indépendante, dans le système du Code, de celles établies par les lois pénales; elle se prononçait cumulativement. Au reste, cette législation intermédiaire était défectueuse sous un double rapport : l'inflexible uniformité de la peine de la dégradation civique s'appliquait à des actes dont la moralité pouvait essentiellement différer; et si la loi prononçait une autre peine, c'est dans la qualité du coupable et non dans la gravité du crime et de ses résultats qu'elle en cherchait le principe.

[3] Muyart de Vouglans, p. 165.

[4] Ord. de Blois et de Moulins, art. 19 et 20, et art. 154; ordonn. 1667, tit. 21, art. 15. [5] Jousse, t. 3, p. 779.

[6) Muyart de Vouglans, p. 167.

[7] Art. 7. 8, 9 et 10, sect. 5, tit. 1, 2o part. L. du 25 sept.-26 oct. 1791.

Pour apprécier le caractère de la corruption, il faut en dévoiler les éléments. Quelque odieuse que soit la prévarication du fonctionnaire ou du juge, cette prévarication ne constitue, dans la plupart des cas, qu'un simple abus de confiance commis au préjudice de l'État. De même que le mandataire privé qui trahit les ordres de ses commettants et dilapide les deniers déposés entre ses mains, le fonctionnaire, mandataire du pouvoir social, abuse de sa mission et trahit le dépot de l'autorité confiée à sa foi. Ce fait ne devrait donc être considéré que comme un simple délit si la qualité du coupable et les résultats de l'action ne venaient ajouter à sa gravité: la qualité du coupable, car la prévarication d'un magistrat, d'un fonctionnaire, lèse plus profondément la société que celle d'un mandataire privé; les résultats de l'action, car la corruption s'aggrave quand elle est commise pour arriver à un autre crime et que celui-ci s'exécute. Tel est donc le caractère de ce crime: c'est un abus de confiance qui puise sa qualification criminelle, soit dans la qualité de l'agent, soit dans les résultats de l'acte lui-même.

Cette appréciation semble confirmée par le choix et la gradation des peines que les diverses législations ont imposées à la corruption des fonctionnaires. Les statuts anglais, les lois pénales des états de New-York et de Géorgie, prononcent pour tous les cas de corruption (bribery) une triple peine : l'incapacité de rem plir un office public, l'amende et l'emprisonnement. Cette dernière peine peut s'étendre depuis un jusqu'à dix ans [1]. Le Code de la Louisiane limite à deux années la durée de l'emprisonnement, et même, dans les cas les moins graves, se borne à punir l'officier d'une suspension momentanée de ses fonctions (2). La loi brésilienne, dont les peines portent l'empreinte d'une extrême mansuétude, n'ajoute à l'amende et à la perte de l'emploi qu'un emprisonnement de 3 à 9 mois (art. 130 ). Les légisiations européennes, quoiqu'en général les plus rigoureuses, n'ont pas excédé la mesure des lois américaines le Code d'Autriche prescrit la prison dure d'un an à cinq ans, avec la faculté de l'étendre jusqu'à dix ans, selon le degré de criminalité et l'importance du préjudice qui en est résulté. Une reclusion qui s'étend de 3 à 6 ans est la peine établie par le Code prussien (art. 361); enfin, les lois pénales

[1] Revised statutes of New-York, tit. 4, art. 2, § 10; Penal Code of the state of Georgia, se div., sec. 10; Stephen's Summary, p. 75.

de Naples prononcent, soit l'interdiction des fonctions, soit la relégation, suivant la gravité des résultats de la corruption. En outre, dans quelques-unes de ces législations, ainsi que nous aurons lieu de le faire remarquer plus loin, la pénalité s'élève lorsque l'acte a eu pour effet une condamnation criminelle injuste. Ainsi done, si l'on tient compte des différences qui séparent ces diverses dispositions, on ne pourra méconnaître qu'une double pensée leur est commune et les anime: d'une part, la minimité de leurs peines assigne en général aux faits de corruption le caractère que nous leur avons reconnu ; d'un autre côté, c'est à raison seulement des résultats qu'ils peuvent avoir, que ces faits, soit qu'ils prennent ou non une autre qualification, sont frappés d'une péna– lité plus grave.

Le législateur de 1810, quoique les dispositions du Code relatives à cette matière renferment plus d'une imperfection, n'a point, en général, dévié de ces principes, On lit dans l'exposé de motifs : « Les crimes de corruption ont des nuances que la loi doit sagement distinguer, et punir, suivant leur gravité, d'une peine plus ou moins forte aussi celle que nous vous présentons atteint-elle les divers coupables, suivant que leur prévarication annonce plus ou moins de perversité, ou cause de plus grands dommages... Le fonctionnaire public qui retire de ses fonctions un lucre illicite devient criminel par ce seul fait; mais ce crime peut s'aggraver beaucoup quand il est commis pour arriver à un autre, et que celui-ci a été suivi d'exécution; c'est surtout dans les jugements criminels que cette aggravation peut se faire remarquer. » Nous allons examiner, en discutant les textes du Code, si les distinctions que mentionnent ces termes sont suffisamment tranchées et si les nuances qui séparent les différentes espèces du crime ont été fidèlement observées.

Remarquons, en premier lieu, pour l'ordre de cette discussion, que le crime de corruption renferme deux faits distincts, le crime du corrupteur et celui du fonctionnaire qui se laisse corrompre : nous traiterons successivement de ces deux faces de la matière. Le crime du fonctionnaire, considéré par la loi pénale comme auteur principal, réclame d'abord notre examen.

[2] Code of crimes and punishments, art. 126 et suiv,138 et suiv.

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