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L'art. 177 est ainsi conçu : « Tout fonctionnaire public de l'ordre administratif ou judiciaire, tout agent ou préposé d'une administration publique, qui aura agréé des offres ou promesses ou reçu des dons ou présents pour faire un acte de sa fonction ou de son emploi, même juste, mais non sujet à salaire, sera puni de la dégradation civique, et condamné à une amende double de la valeur des promesses agréées ou des choses reçues, sans que ladite amende puisse être inférieure à 200 fr. La présente disposition est applicable à tout fonctionnaire, agent ou préposé de la qualité ci-dessus exprimée, qui, par offres ou promesses agréées, dons ou présents reçus, se sera abstenu de faire un acte qui entrait dans l'ordre de ses devoirs. >>

Cette première disposition est générale; elle s'applique à tous les fonctionnaires de l'ordre administratif ou judiciaire, et par conséquent aux juges; elle semble done, au premier abord, faire double emploi avec les art. 181 et 182. Mais il suffira de remarquer que ces derniers articles ne prévoient qu'un cas particulier de corruption, et qu'à l'égard de tous les autres cas, les juges restent soumis aux règles de l'art. 177.

Cet article établit avec beaucoup de netteté les trois élémens constitutifs du crime, les trois conditions dont le concours peut seul justifier l'application de ses pénalités ces éléments sont que le coupable ait la qualité de fonction naire public de l'ordre administratif ou judiciaire, d'agent ou préposé d'une administration publique; qu'il ait agréé des offres ou promesses ou reçu des dons ou présents; enfin que ces dons ou promesses aient eu pour objet de faire un acte de sa fonction ou de son emploi, même juste, mais non sujet à salaire, ou de s'abstenir de faire un acte qui entrait dans l'ordre de ses devoirs. Développons successivement ces trois conditions.

La qualité de fonctionnaire ou d'agent d'une administration publique est la première base du crime; en effet, la corruption est un crime spécial qui ne peut être commis que par des agents revêtus de cette qualité; lex Julia repetundarum pertinet ad eas pecunias quas quis in magistratu, potestate, vel quo alio officio cepit. Si cette condition n'était pas établie, le fait pourrait encore avoir le caractère d'un abus de confiance ou d'une

[1] Arr. cass. 16 janv. 1812 (Bull. no 8), 12 nov. 1812: Dalloz, t. 16, p. 327.

[2] Arr. cass. 16 sept. 1820; Dalioz, t. 16,

escroquerie, mais il cesserait d'être qualifié de corruption. Le premier point à constater dans toute accusation de cette nature est donc la qualité du coupable.

La loi comprend dans son incrimination tous les fonctionnaires publics de l'ordre administratif ou judiciaire, tous les agents ou préposés des administrations publiques. Nous avons déjà eu occasion de définir les agents qui appartiennent à ces deux classes: nous nous bornerons ici à rendre compte des difficultés qui se sont élevées dans cette matière même, au sujet de la qualité de quelques-uns de ces agents.

La jurisprudence a reconnu que la qualité de fonctionnaire public appartenait, dans le sens de l'art. 177, non-seulement aux gardes forestiers [1], mais aux gardes champêtres des communes [2], et même aux gardes champêtres des particuliers [3]. Le serment que prêtent ces gardes, le pouvoir dont ils sont investis, en leur qualité d'officiers de la police judiciaire, de dresser des procès-verbaux et de constater des délits et des contraventions, les classe dans cette catégorie. Mais la question s'est élevée de savoir si l'irrégularité de serment dépouille l'un de ces gardes de sa qualité, et, par exemple, si la prestation de ce serment devant le maire, tandis qu'elle doit être reçue devant le juge de paix, enlève à l'acte de corruption qu'il commet sa qualification criminelle, de même qu'elle ôte aux procès-verbaux qu'il dresse leur force probante. La Cour de cassation a jugé négativement cette question, en se fondant en droit sur ce que : «si la prestation du serment est l'un des actes substantiels qui confèrent le caractère d'officier public, le mode de prestation n'a pas cette qualité, et qu'il n'est pas prescrit à peine de nullité [4]. » Mais il était établi en fait, dans l'espèce, que l'agent était depuis longtemps garde champêtre, qu'il en avait exercé les fonctions sans obstacle et sans réclamation, et qu'il s'était soumis à toutes les obligations que ces fonctions impo→ sent: ces circonstances ont dû nécessairement exercer quelque inflence sur la question de droit.

Des doutes plus graves s'étaient élevés au sujet de la qualité des médecins délégués par les préfets pour la visite des jeunes gens appelés devant les conseils de révision en vertu de la loi de recrutement. La Cour de cassation avait décidé, contrairement à la jurisprudence des Cours royales, que l'art. 177 pouvait être ap

p. 320; S. 1821. 1, 41.

[3] Arr. cass. 19 août 1826. [4] Arr. cass. 11 juin 1813.

pliqué à ces hommes de l'art : «< attendu que le conseil de révision, pendant la durée de son existence, et jusqu'à ce que les opérations pour lesquelles il est formé soient terminées, a tous les caractères comme l'autorité d'une administration publique ; que dès lors les médecins ou chirurgiens appelés près du conseil en sont les agents et préposés pour tout ce qui concerne leur art, et que par suite celui ou ceux d'entre eux qui agréent les offres ou reçoivent des dons ou présents pour faire un acte de leur fonction doivent être poursuivis et punis, en cas de conviction, des peines portées en l'art. 177 [1]. » Mais cette interprétation, évidemment extensive, n'a pas été confirmée par le législateur: l'art. 45 de la loi du 21 mars 1832 sur le recrute ment ne punit dans l'acte de médecin qu'un simple abus de confiance et non un crime de corruption. Cet article, en effet, est ainsi conçu: « Les médecins, chirurgiens ou officiers de santé qui, appelés au conseil de révision à l'effet de donner leur avis, auront reçu des dons ou agréé des promesses pour être favorables aux jeunes gens qu'ils doivent examiner, seront punis d'un emprisonnement de deux mois à deux ans. Cette peine leur sera appliquée, soit qu'au moment des dons ou promesses ils aient déjà été désignés pour assister au conseil, soit que les dons ou promesses aient été agréés dans la prévoyance des fonctions qu'ils auraient à y remplir. » La loi ne considère plus ces médecins comme agents d'une administration; elle les punit de la peine de l'abus de confiance, abstraction faite des fonctions temporai res qu'ils exercent.

Dans une dernière espèce, la Cour d'assises de l'Ain avait déclaré absous un secrétaire de mairie déclaré coupable d'avoir reçu des dons pour délivrance de passe-ports, par le motif que cet agent n'était ni fonctionnaire public,ni agent ou préposé d'une administration publique. Cet arrêt a été cassé par la Cour de cassation; les motifs d'annulation sont : » que les mairies, par la nature de leur institution, par les objets dont elles s'occupent, par leurs rapports avec l'administration générale du royaume, sont nécessairement des administrations publiques; que leurs secrétaires sont leurs agents et préposés; qu'en effet, le traitement de ces employés est à la charge des communes, et fait, chaque année,

[1] Arr. cass. 15 fév. 1828; 26 décembre 1829; S. 1828, 1, 271; 1830, 1, 53.

partie de leurs budgets, conformément à la loi du 11 frimaire an vII; que le costume de ces préposés est réglé par le décret du 8 messidor an VIII; que des attributions spéciales leur sont données, soit par suite des lois des 1er et 13 brumaire an VII, soit par des décisions du ministre de l'intérieur, en sorte qu'ils ne sont point les secrétaires particuliers des maires, mais les agents de l'administration municipale qui les salarie, et que leur existence est reconnue par la loi; que l'art. 177 ayant étendu ses dispositions non-seulement aux fonctionnaires publics, mais encore aux agents ou préposés de toutes les administrations publiques, il en résulte que les secrétaires des maires y sont compris [2]. » Cette décision nous paraît parfaitement conforme à l'esprit de la loi [3].

Le deuxime élément du crime de corruption consiste dans le fait d'agréer des offres ou promesses, ou de recevoir des dons ou présents: c'est cet acte qui constitue la matérialité du crime. La plupart des législations ont placé sur la même ligne les promesses et les dons; la loi romaine avait posé le principe de cette assimilation: Qui accepit vel premissionem suscepit [4]. Et en effet, il importe peu que le fonctionnaire se soit laissé entraîner hors de son devoir par des présents ou des espérances auxquelles il a ajouté foi; son crime est le même : Judex corruptus, dit Farinacius, non solùm ex traditione pecuniæ, sed etiam ex solâ promissione et illius acceptatione. Mais les offres ou promesses sont plus difficiles à constater que l'acceptation d'un présent ou d'une somme d'argent; la tâche de l'accusation devient donc plus pénible: elle doit non-seulement établir l'existence de ces offres, mais encore leur puissance présumée sur l'agent, et l'acceptation de celui-ci.

Il faut que la corruption ait été opérée par des présents ou des promesses: si le fonctionnaire n'a cédé qu'à des sollicitations ou des prières, l'acte peut encore constituer un crime, mais ce ne serait plus le crime prévu par l'article 177. Il est nécessaire ensuite que le fonctionnaire ait reçu ou agréé directement les dons ou les promesses. Ainsi, le crime existe-t-il si ces propositions ou ces présents ont été portés à des personnes interposées, à ses commis, à ses subordonnés, à des membres de sa famille? Cette

[3] Voy. toutefois un avis du Conseil d'état du 2 juill. 1807, rapporté infrà dans le vie § de ce

[2] Arr. cass. 17 juill. 1828; S. 1828, 1, 369; chapitre. 6 sept. 1811; Dalloz, t. 16, p. 327.

[4] L. 1, § 2, C. de pœná judicis.

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question ne soulevait aucun doute dans le droit romain le crime était le même soit qu'il fût commis per se sive per interpositam personam [1]; et la raison en était que le mode de l'acceptation nè change rien à la nature du fait nil refert si ipse pecuniam acceperit an alii dari jusserit, vel acceptum suo nomine ratum habuerit [2]. La sagesse de cette décision est évidente: le mode d'agréer ou de recevoir les dons ou les promesses est une circonstance extrinsèque au crime; le crime consiste dans l'adhésion donnée à la proposition, dans la convention consentie par le fonctionnaire. Qu'importe qu'il n'ait pas vu le corrupteur, qu'il n'ait pas reçu lui-même ses dons, que la convention n'ait pas été passée avec lui, s'il a connu et autorisé ses visites, si les dons remis à ses subordonnés ont été la cause impulsive de l'acte, s'il a ratifié le contrat illicite [3]? Le texte de l'article ne s'oppose nullement à cette interprétation: il ne s'attache qu'au fait de l'adhésion à la proposition corruptrice; il ne se préoccupe point des moyens directs ou indirects employés pour manifester les offres ou leur acceptation. Toutefois, il est nécessaire que l'autorisation du fonctionnaire et sa ratification soient clairement établies: la dépendance de l'agent, sa qualité de domestique, d'épouse ou d'enfant, ne suffiraient pas; il faudrait prouver l'adhésion aux offres et l'intention d'accomplir l'acte qui en est l'objet, en un mot, l'interposition de personnes.

Le troisième élément du crime de corruption git dans la nature de l'acte qui est le but des of fres et des dons : la loi exige que ces dons et ces promesses aient été reçus ou agréés par le fonctionnaire, soit pour faire un acte de sa fonction ou de son emploi, même juste, mais non sujet à salaire, soit pour s'abstenir de faire un acte qui entrait dans l'ordre de

ses devoirs.

La première question est celle-ci : que faut-il entendre par un acte de la fonction ou de l'emploi ? La définition se trouve renfermée dans ces termes eux-mêmes : c'est un acte commis dans l'exercice des fonctions, un acte qui fait partie des attributions légales du fonctionnaire, en un mot, un acte de sa compétence, ex officio suo, suivant l'expression de la loi romaine. En effet, un acte commis en dehors de ses fonctions, un acte étranger à ses attributions et

[1] L. 2, C. ad leg. Jul, repetund. [2] L. 2, Dig. de calumniat,

qu'il n'aurait pas eu le droit de commettre en vertu de son titre, peut bien être considéré encore comme un acte du fonctionnaire, mais n'est pas un acte de la fonction, et c'est l'acte de la fonction seul que la loi a voulu protéger contre un trafic illicite; car son incrimination s'est arrêtée à cet égard, et on en comprend facilement le motif : la prévarication du fonctionnaire n'apporte à l'Etat un véritable danger que lorsqu'elle est commise dans l'exercice des fonctions et à l'occasion d'un acte de ses fonctions; car l'Etat n'est strictement intéressé qu'au fidèle accomplissement des devoirs de chacun de ses agents. Ainsi, lorsque la prévarication est commise en dehors des limites du pouvoir de l'agent, lorsqu'elle a pour objet un acte qui n'est pas dans sa compétence, cette prévarication pent sans doute leser des tiers, mais elle ne menace l'Etat d'aucun péril, puisqu'elle ne peut prêter à la fraude aucune force légale. Elle doit donc être punie, non plus comme un délit spécial du fonctionnaire, mais comme un délit commun, si elle constitue en elle-même un délit de cette nature : ce n'est plus un fait de concussion ou de corruption, c'est un vol ou une escroquerie.

La corrélation qui réunit l'un à l'autre les deux parties de l'art. 177 ne peut que fortifier cette interprétation. En effet, s'il s'agit, dans la première, du fonctionnaire qui fait un acte de sa fonction, et dans la deuxième, de celui qui s'abstient d'un acte qui entre dans l'ordre de ses devoirs, évidemment ces termes différents sont l'expression d'une même pensée : ce que la loi a prévu dans ces deux hypothèses, c'est le trafic des actes de la fonction, soit que le fonctionnaire accepte des dons pour faire un de ces actes ou pour s'en abstenir; car il n'a le devoir d'accomplir que les actes qui appartiennent à ses attributions. Il ne s'agit donc que de la transgression de ses devoirs spéciaux, de ses devoirs de fonctionnaire. La perpétration ou l'abstention d'un acte qu'il n'avait pas le droit de faire en sa qualité, qui par conséquent n'entrait pas dans l'ordre de ses devoirs, n'appartient point à la même catégorie de faits : ce peut être un autre délit, ce n'est plus le même.

La jurisprudence a longtemps hésité à consacrer cette doctrine. Dans une première espèce, il était établi qu'un garde champêtre avait menacé d'arrêter un individu sous le prétexte qu'il n'avait pas de passe-port régulier,

[3] Farinacius, quæst. 111, nos 141 et 176.

et ne s'était abstenu d'exécuter cette menace qu'en recevant une somme d'argent. La Cour de cassation vit dans ce fait le crime prévu par le deuxième paragraphe de l'article 177: «Attendu que cette deuxième disposition étant corrélative à la première, qui punit également la corruption, soit qu'elle ait pour objet l'exercice d'un acte juste ou injuste de l'emploi du fonc tionnaire, il s'ensuit que cette disposition doit s'appliquer non-seulement au cas où l'acte dont un fonctionnaire s'est abstenu, moyennant argent, entrait dans l'ordre de ses devoirs, mais aussi au cas où le fonctionnaire croyait, ou simulait, ou prétendait faussement qu'il était de son devoir de faire l'acte dont il s'est ainsi abstenu; qu'en effet, dans ce cas comme dans l'autre, le fonctionnaire abuse de son caractère et ne peut conséquemment être assimilé à un simple particulier qui, par des manoeuvres, aurait commis une escroquerie [1]. »

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Cet arrêt confond deux choses distinctes, l'acte injuste et l'excès de pouvoir. Peu importe, dans le système de l'article, que l'acte qui a fait le sujet de la corruption soit juste ou injuste; mais il importe que cet acte soit l'un des actes de la fonction or, lorsque le fonctionnaire excède son pouvoir, qu'il procède sans droit à une arrestation ou menace d'une illégale exécution, il n'agit plus dans le cercle de ses fonctions, dans les limites de sa compétence; il abuse d'un pouvoir usurpé, mais non de son pouvoir véritable; en un mot, s'il attache un prix à cet acte, il trafique d'un acte qu'il n'a pas le droit de faire, d'un acte étranger à sa fonction, et non d'un acte de cette fonction elle-même. Les éléments du crime de corruption; tels que l'article 177 les a définis, ne se trouvent donc pas réunis dans ce fait.

La même espèce s'est représentée, et la Cour de cassation a reformé sa première jurisprudence. Un garde champêtre particulier, ayant surpris un chasseur en délit hors de son territoire, lui déclara procès-verbal, et, moyennant une somme d'argent s'abstint de le rédiger. Traduit à raison de ce fait devant les assises, et déclaré coupable par le jury, il fut absous par la Cour, par le motif que ce fait n'était qualifié ni crime ni délit par la loi. Sur le pourvoi du ministère public, la Cour de cassation, se conformant à l'arrêt que nous venons de rapporter, cassa l'arrêt d'absolution: « Attendu que quoi qu'un procès-verbal dressé par l'accusé, à rai

[1] Arr. cass. 1er oct. 1813; Dalloz, t. 16, p. 327; S. 1814, 1, 15.

son du délit de chasse eût été sans autorité en justice à cause du défaut de pouvoir de son auteur, il ne s'ensuit pas qu'il ait pu être considéré comme innocent du fait de corruption, puisqu'il a prétendu et dit avoir le droit de le rédiger ; qu'il entrait dans l'ordre de ses fonctions de dresser de tels procès-verbaux [2].»On retrouve dans ces motifs la même confusion que dans le premier arrêt; en effet, il ne peut entrer dans l'ordre des fonctions d'un préposé de dresser des procèsverbaux qui n'ont nulle foi en justice, à raison de son incompétence même. Aussi la deuxième Cour d'assises, devant laquelle le garde champêtre fut renvoyé, se rangea à l'avis de la première: seulement elle aperçut dans la manœuvre frauduleuse du garde les caractères d'un délit d'escroquerie, et elle lui en appliqua la peine. Sur un nouveau pourvoidu ministère public, la question fut portée devant les chambres réunies de la Cour. «Quel est, dit le procureur général, le crime que punit l'article 177 ? C'est la prévarication du fonctionnaire public, mais la prévarication dans l'exercice de ses fonctions. Il est impossible qu'un homme soit coupable de n'avoir pas fait un acte, quand il n'avait pas le droit de le faire; l'article dit expressément qu'il faut que l'acte existe dans l'exercice de ses devoirs. Mais, dans l'espèce, dira-t-on, l'accusé croyait avoir le droit de rédiger procèsverbal, et s'avouait coupable de ne l'avoir pas rédigé. Nous répondrons que quand même il serait vrai que le garde se regardât comme investi du droit de verbaliser, sa croyance seule ne pouvait pas constituer le crime. Dans tout crime ou tout délit, il faut l'intention et le fait ici l'intention aurait existé, mais le fait existait-il ? L'article 177 dit expressément que celui-là est coupable du crime qui s'est abstenu de faire un acte qui entrait dans l'ordre de ses devoirs. L'ordre de ses devoirs, c'est l'exercice de ses fonctions. L'accusé n'avait ni devoirs à remplir ni fonction à exercer là où ledit crime a été commis. Sa croyance ni celle d'un d'un délinquant ne pouvaient pas former un précepte légal : le précepte ne peut être que dans la loi, et la loi veut qu'indépendamment de la croyance, de l'intention, de la volonté, il y ait un fait qui porte les caractères qu'elle a déterminés. » La doctrine de ce réquisitoire fut entièrement adoptée par la Cour de cassation, qui rejeta le pourvoi par les motifs : « qu'il résultait de la déclaration du jury que l'acensé

[2] Arr. cass. 19 août 1826.

avait sciemment abusé de sa qualité pour exiger une somme d'argent, en promettant de s'abstenir de rédiger un procès-verbal qu'il n'avait pas le droit de dresser et qui n'entrait pas, par conséquent, dans l'ordre de ses devoirs; et qu'en appliquant au fait ainsi qualifié l'article 405 du Code pénal, la Cour d'assises n'avait point violé l'article 177 [1]. »

Ainsi se trouve consacrée la règle que nous avons posée et qui n'est que l'application textuelle de la loi pénale, à savoir, que le crime de corruption n'existe que dans le cas où le fonctionnaire a trafiqué d'un acte légalement attribué à sa fonction. Il résulte en même temps de cet arrêt qu'il n'y aurait pas crime dans le cas même où le fonctionnaire aurait fait ou se serait abstenu de faire un acte qu'il croyait appartenir à ses attributions, si son opinion à cet égard n'était pas fondée : tel serait le fait d'un garde champêtre qui se serait abstenu, à prix d'argent, de constater un acte qu'il croyait constituer une contravention, et qui en réalité n'avait pas ce caractère. Car, suivant les termes du réquisitoire que nous avons rapporté, sa croyance et même celle du délinquant ne pouvaient pas former un précepte légal: le précepte ne peut être que dans la loi, et la loi veut qu'indépendamment de la croyance, de la volonté, il y ait un fait qui porte les caractères qu'elle a déterminés. Ainsi, le garde champêtre n'a de pouvoir que pour constater les faits qualifiés délits ou contraventions par la loi; dès lors donc qu'un fait n'a pas cette qualification, sa compétence expire, et l'acte par lequel il voudrait le constater n'est plus un acte de ses fonctions. La Cour de cassation avait rendu precédemment dans cette même espèce 'un arrêt directement contraire [2].

On ne doit pas se dissimuler que l'application de ces règles éprouvera dans quelques espèces de graves difficultés. Nous citerons une espèce fort délicate et qui s'est récemment présentée. Un agent de l'admininistration des télégraphes avait, à prix d'argent, consenti à transmettre par la voie télégraphique une dépêche commerciale. Y avait-il dans ce fait crime de corruption? En d'autres termes, avait-il fait trafic d'un acte de sa fonction? Nous avons pensé qu'il fallait faire une distinction: si, au moment où le télégraphe était inoccupé, il s'est borné à s'en servir pour transmettre une nouvelle étran

[1] Arr. cass. 31 mars 1827; S. 1827, 1, 397. [2] Arr. cass. 16 sept. 1820; Dalloz, t. 16, p. 326; S. 1821, 1, 41.

gère à ses fonctions, cet acte, bien que contraire à ses devoirs, ne doit point être considéré comme un acte de sa fonction, car il agit en dehors de cette fonction. Mais si, au contraire, ila glissé cette dépêche au milieu d'une dépêche officielle et de manière à en retarder la transmission, son action rentre évidemment dans les termes de la loi, puisqu'il s'est alors abstenu, à prix d'argent, de faire un acte que ses devoirs lui commandaient de faire sur-le-champ. Il faudrait appliquer les mêmes distinctions, en les modifiant toutefois suivant les circonstances, au courrier de la malle-poste qui transporte, à prix d'argent, des paquets qu'il n'a pas le droit de transporter.

Nous citerons encore un arrêt de la Cour de Limoges qui a fait une application de notre règle dans une espèce assez difficile. Un gendarme s'était fait remettre une somme d'argent de plusieurs individus, en les menaçant de les arrêter, sous le prétexte que leurs passe-ports étaient irréguliers. Poursuivi pour corruption, cet agent n'a été condamné que pour escroquerie : « Attendu que le gendarme, quoique pouvant être dans quelques cas considéré comme un agent d'une administration publique,n'avait point agi, dans l'espèce particulière, dans l'ordre régulier de ses fonctions puisqu'au lieu de conduire, comme il le devait, à son supérieur ou au procureur du roi, les individus qu'il prétendait arrê– ter, il s'est contenté de leur dire qu'il allait les conduire en prison, ce qu'il n'avait pas le droit de faire, et d'exiger d'eux, pour ne le point faire une somme d'argent; que ce fait ne constitue véritablement qu'une escroquerie, puisque le prévenu, n'agissant point dans l'ordre légal de ses fonctions et usant de manoeuvres frauduleuses, a persuadé à ces individus qu'il avait le pouvoir de les conduire en prison; et qu'il pouvait les affranchir de cette rigueur moyennant l'argent qu'il a exigé d'eux et reçu [3]. »

Les caractères du crime se retrouvent, au contraire, toutes les fois que l'acte dont le fonc tionnaire a tiré un lucre illicite est un acte de sa juridiction, de son autorité légale, de sa compétence. Nous en citerons quelques exemples. Tel serait le crime d'un garde forestier qui aurait reçu plusieurs cordes de bois pour s'abstenir de constater un délit de coupe d'arbres commis dans l'étendue du territoire confié à sa surveillance [4]. Telle serait encore l'action du membre

[3] Arr. Limoges, 4 janv. 1836; S. 1837, 1, p. 131. [4] Arr. cass. 16 janv. et 12 nov. 1812; Dalloz, t. 16, p. 327.

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