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générales de la complicité ne sauraient être invoquées dans cette hypothèse particulière. Telle est la doctrine que la Cour de cassation a consacrée dans une espèce dont il importe de rappeler sommairement les circonstances.

Plusieurs agents des douanes avaient été préposés pour surveiller l'enlèvement d'une grande quantité de sel; ces employés furent corrompus, et plusieurs voitures de sel furent détournées pendant le trajet de l'entrepôt au port. Les corrupteurs ayant été mis en prévention, la chambre d'accusation de la Cour royale de Caen les renvoya de la plainte, attendu que la corruption n'avait pas eu pour objet d'obtenir, soit une opinion favorable, soit des actes du ministère des préposés, mais de les porter à s'abstenir de faire un acte qui entrait dans l'ordre de leurs devoirs, d'où la conséquence que l'article 179 ne pouvait recevoir d'application. Cet arrêt fut déféré à la Cour de cassation dans l'intérêt de la loi. Le procureur général s'exprima en ces termes : « L'article 177, qui détermine les peines contre les agents qui se laissent corrompre ayant prévu tant le cas où la corruption aurait pour objet de faire commettre à un fonctionnaire un acte entrant dans la ligne de ses fonctions, que celui où il s'agirait de le porterà s'abstenir d'un pareil acte; et, d'un autre côté, le législateur n'ayant pas compris dans cet article les corrupteurs, dont il n'est question que ́dans l'article 179 et pour une espèce différente, on est porté à croire que son intention n'a pas été de punir le corrupteur dans le premier cas. La Cour examinera d'ailleurs si, en vertu de la disposition générale portée en l'article 60 contre les complices des crimes et délits, il n'y avait pas lieu de mettre les corrupteurs en accusation, même dans le cas de l'article 177. » La question ainsi posée la Cour de cassation improuva l'arrêt qui lui était dénoncé, mais seulement par les motifs : « que dans l'espèce les préposés des douanes n'étaient pas prévenus seulement d'avoir été corrompus pour s'abstenir d'un acte qui entrait dans l'ordre de leurs devoirs, mais bien encore pour constater fausse ment que les sels sortis de l'entrepôt avaient été embarqués, et par conséquent pour faire des actes de leurs fonctions contraires à la vérité; que dès lors la corruption employée à leur égard était atteinte par l'art. 179 [1]. »

Cet arrêt décide implicitement deux points importants: le premier, que les règles générales de la complicité, établies par les articles 59

[1] Arr. cass. 31 janv. 1822; Dalloz, t. 16, p. 329.

et 60, ne s'appliquent pas au corrupteur, dont l'action est indépendante de celle du fonctionnaire corrompu; le deuxième, qui n'est qu'un corrollaire de cette première règle, que si la corruption a eu pour objet de porter le fonctionnaire à s'abstenir d'un acte de sa fonction, le corrupteur ne peut être atteint, parce que l'article qui incrimine spécialement celui-ci ne fait pas mention de ce cas particulier. Cette double décision vient donc à l'appui de notre doctrine.

La Cour de cassation a paru, dans un autre arrêt, dévier de ces principes, en décidant que le corrupteur doit être puni, lors même que l'acte qu'il sollicite est un acte juste en luimême, quoique l'art. 179 n'ait point fait à cet égard la distinction que l'art. 177 a, an contraire formellement exprimée. Mais il est à remarquer que la Cour de cassation n'a nullement puisé les motifs de cette décision dans un prétendu lien de complicité qui unirait le corrupteur et l'agent corrompu, mais bien dans le texte et l'esprit général de l'article 179. Voici, en effet les motifs déterminants de cet arrêt: « Attendu que les termes de l'article 179 ne permettent pas de supposer que le législateur ait voulu subordonner les peines qu'il prononce contre les corrupteurs à la preuve que la corruption aurait été exercée ou tentée pour obtenir des actes illégitimes: cet article, en effet, après avoir énuméré certains actes des fonctionnaires, termine par étendre ses dispositions à tous les actes de ces fonctionnaires : sans y ajouter que ces actes devront être injustes; que de plus cet article, en plaçant sur la même ligne la violence et là corruption, a énergiquement indiqué la réprobation dont il frappe les actes obtenus ou provoqués à l'aide de l'un ou de l'autre de ces moyens; que si ce même article, en parlant des procès-verbaux, certificats, états ou estimations, ajoute ces mots : contraires à la vérité, ils ne modifient que l'incise à laquelle ils se rapportent, et ne constituent qu'une exception qui doit être limitée à ce genre d'actes et qui ne saurait être étendue à la corruption qui aurait pour objet d'obtenir une opinion favorable, ou des places, des emplois, des adjudications ou des entreprises... [2]. » Du texte même de cet arrêt, il est donc permis d'induire encore que, d'après la jurisprudence même, le corrupteur et l'agent ne sont pas considérés comme complices, puisque cette complicité, si elle eût pu être alléguée, eût suffi,

[2] Arr. cass. 24 mars 1827; S. 1827, 1, 481.

dans cette espèce, pour justifier complétement la culpabilité du corrupteur, dans le cas d'un acte juste sollicité par lui, comme au cas d'un acte injuste et contraire aux devoirs du fonctionnaire.

Mais, cela posé, la décision de l'arrêt soulè vera quelques doutes de notre part. Un premier point à remarquer, c'est que l'art. 177 énonce formellement dans ses dispositions l'acte même juste commis par corruption, tandis que l'article 179 n'a point reproduit ces termes et cette explication Serait-ce done que la loi n'aurait pas eu la même pensée dans les deux cas? Cette induction prend quelque force si l'on considère que le fonctionnaire commet une infraction à ses devoirs en recevant de l'argent pour accomplir un acte même juste de ses fonctions, mais qu'il n'en est point ainsi du provocateur dont la criminalité se puise dans l'immoralité, dans l'injustice du fait, objet de la provocation. En effet, les offres ou les présents, isolés de toute proposition, ne constituent assurément ni crime ni délit ; c'est donc la proposition elle même qui fait la base du crime: mais comment cette proposition deviendra-t-elle criminelle, si elle n'a pour objet qu'un acte juste et légitime? Celui qui la fait, étranger à l'administration, n'est point tenu par les liens des mêmes devoirs que le fonctionnaire, il ne commet un délit que lorsqu'il enfreint un devoir commun; il n'enfreint ce devoir que lorsqu'il cherche à corrompre, c'est-à-dire à obtenir à prix d'argent un acte injuste.

Maintenant les textes de l'article repoussent-ils, comme l'a pensé la Cour de cassation, une telle interprétation? Il est nécessaire de les parcourir. On est étonné d'abord de trouver la contrainte et les menaces rangées par cet article parmi les moyens de corruption: ces moyens n'ont de commun que le but vers lequel ils tendent; car leur caractère, leurs conditions ne sont pas les mêmes; ils doivent évidemment former des délits distincts. Mais les moyens de contrainte ne supposent-ils donc pas nécessairement pour but un acte illégitime? Comment prévoir des voies de fait ou des menaces pour obtenir d'un fonctionnaire un acte juste et légal? Comment supposer un préposé contre lequel on soit obligé de recourir à des moyens de force pour qu'il accomplisse un acte légitime de sa fonction? L'article énumère ensuite les actes qui peuvent être le but de la corruption; et ces actes, la loi l'écrit formellement ici, ce sont des procès-verbaux, états, certificats ou estimations contraires à la vérité. Ainsi, d'après ce texte positif, celui qui ne sollicite

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rait, même avec des offres où des présents, qu'un procès-verbal exact, un état fidèle, certificat vrai, celui-là ne serait passible d'aucune peine; toute la pensée du législateur ne se révèle-t-elle pas dans ces termes? Ce n'est que la demande d'un acte contraire à la vérité, illégitime, qui constitue le crime. On objecte que ces expressions ne sont pas reproduites à la suite des autres actes énumérés dans l'article; mais on n'aperçoit pas que ces actes portent en eux-mêmes un caractère évident d'injustice. Il s'agit, en effet, d'obtenir une opinion favorable, des places, des emplois, des adjudications. Mais proposer de payer une opinion favorable, c'est acheter un vote, une solution sur une question douteuse, puisque la loi suppose que la décision peut être défavorable; c'est donc faire disparaître les doutes à prix d'argent; c'est solliciter une injustice. Marchander des places et des emplois, c'est encore chercher à obtenir un acte injuste, puisqu'on s'efforce d'affermir par l'or et les promesses des droits qui, s'ils étaient légitimes, ne devraient s'appuyer que sur eux-mêmes. Et ici nous pouvons invoquer l'autorité du législateur luimême : la commission du Corps législatif avait proposé de retrancher de l'article ces mots places et emplois; et les motifs de ce retranchement étaient « que les démarches ou tentatives pour obtenir une place ou un emploi sont bien moins criminelles que celles qui ont pour objet de provoquer des actes contraires à la vérité, des injustices et des actes propres à couvrir des infidélités de gestion ou des délits [1]. » Ainsi la commission du Corps législatif ne faisait aucun doute que les actes provoqués par la corruption, et que l'art. 179 énumère, ne fussent des injustices ou des actes propres à couvrir des infidélités ou des délits. Le rejet de son amendement n'a nullement altéré ce sens de l'article; car ce rejet fut uniquement fondé sur ce que « la corruption mise en œuvre pour obtenir les places et les emplois constitue un genre de crime que l'article ne punit point avec trop de sévérité. » On allégue enfin les derniers mots de l'article: tout autre acte du ministère du fonctionnaire, et l'on infère de la généralité de cette expression qu'elle comprend les actes légitimes et illégitimes. Mais il est visible'que ces termes doivent réfléchir l'esprit général de l'article, qu'ils doivent être entendus comme s'il y avait

[1] Procès-verbaux du Conseil d'état, séance du 9 janv. 1810.

tout autre acte de la même nature; car, dès que la loi élève au rang des délits la provocation à un acte, le sens naturel de cette loi est qu'il s'agit d'un acte illicite : cela est si vrai qu'il a fallu, pour que l'agent pût être coupable de la perpétration d'un acte même juste, une disposition formelle de l'art. 177; cette disposition n'a pas été reproduite dans l'art. 179, elle ne peut être suppléée.

Les observations qui précèdent établissent les caractères constitutifs du crime de provocation à la corruption: il faut que l'agent se soit servi de voies de fait ou de menaces, de promesses ou de présents; que ces divers moyens de contrainte ou de séduction aient été employés vis-à-vis d'un fonctionnaire de l'ordre administratif ou judiciaire, ou d'un préposé d'une administration publique; enfin que leur but ait été d'obtenir un acte illégitime du ministère du fonctionnaire ou du préposé. Chacune de ces trois circonstances doit être néces sairement constatée par la déclaration du jury, et l'omission de l'une d'elles ôterait au crime sa base légale [1].

Si la tentative de contrainte ou de corruption n'a été suivie d'ancun effet, c'est-à-dire si elle n'a pas été consommée, ce fait ne constitue qu'un simple délit. « La loi, dit l'exposé des motifs, punit le corrupteur de la même peine que celui qui a été corrompu; elle est moindre si la corruption n'a pas été consommée; mais la simple tentative est ellemême un véritable délit; elle est au moins une injure faite à la justice, et la loi la punit de l'amende et de l'emprisonnement. » Cette distinction a été puisée dans l'ancienne jurisprudence; Farinacius dit en effet : Tentans corrumpere judicem, si judex corruptionem non acceptavit, adhuc videtur aliquá pœná puniendus [2]; mais Menochius veut que cette tentative se soit manifestée par un acte d'exécution, tel que l'offre d'une somme d'argent Quod ista tentatio debet esse ad aliquem actum proximum perducta, ut quia per tentantem non steterit quin corrumperet, veluti si pecuniam obtulit et judex recusavit [3]. En Prusse les offres corruptrices ne sont punies que d'une amende du quadruple de leur valeur (art. 368).

Du reste la tentative du crime se forme des mêmes éléments que le crime lui-même. Il faut

[1] Arr. cass. 9 mars 1819; S. 1819, 1, 198. [2] Quæst. 111, no 103

que la corruption ou la contrainte s'opère par les mêmes moyens, c'est-à-dire par voies de fait ou menaces, par promesses ou présents; qu'elle s'exerce sur les mêmes personnes, c'est-à-dire sur les fonctionnaires et les préposés; qu'elle ait le même but, un acte illégitime du ministère du fonctionnaire. L'action conserve le même caractère; la peine n'est atténuée qu'à raison de l'atténuation du péril.

L'article 180 ajoute aux peines qui frappent le corrupteur la confiscation spéciale du prix de la corruption: « Il ne sera jamais fait au corrupteur restitution des choses par lui livrées, ni de leur valeur; elles seront confisquées au profit des hospices des lieux où la corruption aura été commise. » L'exposé des motifs justifie en peu de mots cette disposition: « Jamais le prix honteux de la corruption ne deviendra l'objet d'une restitution; la confiscation en sera prononcée au profit des hospices, et ce qui était destiné à alimenter le crime tournera quelquefois du moins au soulagement de l'humanité. » La confiscation ne porte que sur les choses qui ont été livrées; ainsi les choses promises, même par écrit, ne pourraient en être l'objet. Mais, si elles avaient été déposées, la confiscation pourrait s'y appliquer, car le corrupteur s'en serait dessaisi.

Le Code pénal a placé, à côté des dispositions. répressives de la corruption, une disposition. qui a sans doute quelque analogie avec ce crime, mais qui constitue néanmoins un crime tout-àfait distinct. L'article 183 est ainsi conçu : «Tout juge ou administrateur qui se sera décidé par faveur pour une partie, ou par inimitié contre elle, sera coupable de forfaiture et puni de la dégradation civique. »

Ce n'est plus le dol, ce n'est plus la fraude ou la corruption qui forment la base du crime; c'est la passion, lorsqu'elle puise ses arrêts dans un sentiment personnel. Que le juge cède à la pitié, qu'il se laisse émouvoir par l'indignation ou la colère, la loi, tout en le blåmant, ne se hasardera point à le punir; elle répétera seulement cette antique maxime Noli fieri judex nisi valeas virtute irrumpere iniquitates [4]. Mais si la passion s'inspire d'un sentiment qui prend sa source en dehors de la cause, si le juge obéit à la partialité ou la haine, s'il prononce sans juger, la sollicitude de la loi s'éveille, elle saisit le juge sur son siége

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et l'en fait descendre en le déclarant indigne. Cette disposition a sa source dans les lois anciennes d'où découlent la plupart des sages dispositions de nos lois, c'était là ce qu'on appelait juger per sordes aut dolo malo, c'està-dire ex prece seu gratiâ, vel ex odio seu inimicitiâ. Les anciens jurisconsultes ont longtemps disserté sur ce délit et sur les peines qu'il entraînait [1]. Ces peines se bornaient, en général, au paiement de la valeur de l'objet en litige: Judex litem suam facere intelligetur cùm dolo malo in fraudem legis sententiam dixerit. Dolo malo autem videtur hoc facere, si evidens arguatur ejus vel gratia, vel inimicitia, vėl etiam sordes : ut veram æstimationem litis præstare cogatur [2]. Le juge était de plus, ainsi que le fait remarquer Cujas dans la glose, noté d'infamie, ac prætereà judex notatur infamiâ [3].

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Le crime du juge est flagrant: il trahit sa conscience, il substitue les passions de l'homme à l'impassibilité du magistrat, il exploite ses fonctions au profit de ses haines; il spolie, il ruine, il déshonore, il tue, en voilant ses violences et ses égarements du masque de la justice. La peine de la dégradation civique n'est point trop élevée pour un tel crime. Mais ce crime, où en prendre les preuves? comment le constater? La justice humaine ne saisit que les circonstances extérieures quel regard assez profond sondera la conscience de l'administrateur ou du juge, quand la corruption ne laisse plus de vestige de sa présence, quand c'est dans un mouvement de l'âme que l'on va chercher le délit? Cette objection parut si forte à la commission du Corps législatif, qu'elle n'hésita pas à proposer la suppression de l'article entier « La loi, porte son rapport, ne doit punir que les actions; elle doit les caractériser. La faveur ou l'amitié sont des sentiments; la loi ne peut les saisir et les frapper que lorsqu'ils sont manifestés par des actes. Pour décider si un juge a été mù par haine ou par amitié, il faut descendre dans sa conscience, interprêter ses intentions rien de plus arbitraire qu'une telle interprétation. Les accusés ou condamnés supposeront toujours la partialité; l'article serait un appel bien dangereux contre les juges. Le moyen certain de se garantir de l'effet des sen

timents dont il s'agit, existe dans la récusation que l'on peut employer lorsqu'on croit avoir à craindre. La loi 15 de Judiciis, qui traite du même genre de crimes, n'en reconnaît qu'autant que le dol, la fraude ou la corruption accompagnent les sentiments de haine ou d'amitié [4]. Mais; comme les cas de dol et autres sont prévus en détail dans le projet, il ne reste dans l'article 183, pour toutes bases caractéristiques du crime, que des sentiments qui ne peuvent se saisir quand ils sont isolés et ne sont pas manifestés par le dol, la fraude ou la corruption.>> Cet avis de la commission fut partagé par plusieurs membres du Conseil d'état. Ils craignaient que la disposition ne devint un prétexte pour perdre des juges intègres. Rien ne serait plus facile que de prétendre qu'un magistrat a été mû par haine, lorsqu'il n'aurait fait qu'obéir à sa conscience, d'appuyer cette accusation d'indices équivoques sans doute, mais auxquels le crédit, l'adresse, l'animosité parviendraient à donner de la consistance. M. Berlier répondit que ces craintes étaient chimériques; que cette disposition depuis longtemps existait, qu'elle peut contenir des juges passionnés, et n'avait donné lieu à aucune poursuite contre les juges intègres; que les garanties qui entourent les jugements rassurent contre tout abus qui pourrait être fait de cette accusation, et qu'inscrite dans la loi, la disposition était pour les fonetionnaires un frein salutaire. M. Régnier ajouta, en ce qui concerne l'administration des preuves, que la faveur on la haine se manifestaient par des faits extérieurs qui caractériseraient la prévarication du juge (5).

De cette discussion, qui révèle l'esprit et la portée de l'art. 183, résulte donc cette régle pratique qu'il faut que la faveur ou l'inimitié se soit trahie par des faits extérieurs, pour qu'elle puisse former l'élément du crime. Mais quels sentiments constitueront l'inimitié ou la faveur? Les haines politiques, les passions de partis pourraient-elles être invoquées contre le juge ou l'administrateur? L'affirmative ne semble laisser aucun doute dès qu'il sera reconnu que la solution, prise sous cette influence, est empreinte d'injustice: car l'injustice doit nécessairement être au fond de la décison. Le juge, inculpé du crime prévu par l'article 183. pour

[1] Farinacius, quæst. 111, no 361 et seq.; Ju- loi 15, Dig. judiciis, que nous avons rapporté plus

lius Glarus, quæst. 68, no 21.

[2] L. 15, Dig. de judiciis,

[3] Glos. notes sur cette loi.

haut, que la haine ou la faveur est assimilée au dol, et non pas qu'elle doit être accompagnée du dol. [5] Procès-verbaux du Conseil d'état, séances

[4] C'est une erreur; il résulte du texte de la des 29 oct. 1808 et 9 janv. 1810.

rait borner sa défense à soutenir la justice de son jugement puisque cette justice exclut l'influence de la haine ou de l'amitié.

L'article ne s'applique qu'aux juges et aux administrateurs: ce dernier mot exclut les préposés et même les fonctionnaires publics qui n'exercent aucune portion du pouvoir exécutif; il comprend particulièrement les préfets, les sous-prefets, les directeurs des administrations publiques, les maires. L'expression de juges exclut également d'abord les jurés, qui sont dénommés à côté des juges dans les articles précédents, ensuite tous les officiers de l'ordre judiciaire qui n'ont pas la qualité de juges. On a demandé si cet article pouvait être appliqué aux arbitres qui se trouvent juges des contestations qui leur sont soumises. Nous ne le pensons pas, d'abord parce que l'article 183 déclare le juge contre lequel le délit sera prouvé, coupable de forfaiture, et qu'aux termes de l'article 166 les fonctionnaires publics peuvent seuls être en forfaiture; ensuite, parce que l'ordre social n'a pas le même intérêt à réprimer les écarts du juge institué par l'État, et du juge incidemment choisi par les parties. Sans doute les arbitres forcés, établis par la loi elle-même en matière commerciale, agissent avec un caractère public qu'ils tiennent de cette délégation [1]; mais ce caractère, qu'ils ne conservent que pendant la durée de l'arbitrage, ne leur confère point la qualité de fonctionnaire public, et les délits commis dans ces fonctions ne les constituent point en forfaiture.

Il faut remarquer encore qu'il est nécessaire, pour l'existence du crime, qu'il y ait eu décision de la part du juge ou de l'adninistrateur; il ne suffirait pas d'actes préparatoires et d'instruction. Enfin l'article 183 est isolé de ceux qui le précèdent, et dès lors les distinctions qu'ils ont posées ne s'y appliquent pas. Ainsi, quel que soit le résultat de cette décision, que ce résultat soit, s'il s'agit d'un jugement, telle ou telle peine, le juge n'est passible que de la dégradation civique; ce n'est plus, dans ce cas spécial, sur les effets de l'acte, mais sur ses causes que se base la criminalité de l'agent.

Nous terminerons ce paragraphe en rappelant les règles d'interprétation que nos anciens jurisconsultes appliquaient à cette matière, antique sagesse qui peut nous guider encore et que nous ne répudions pas. S'agit-il du crime de corruption ?le juge a-t-il reçu des présents? la présomption est contre lui : In dubio pecunia

[1] Arr. cass. 29 avr. 1837.

semper præsumitur data in malum. Præsumitur dolus in judice quando constat à quo pecuniam recepit. S'agit-il d'un jugement attribué à la seule passion du juge? la présomption est en sa faveur: In dubio judex non dolo sed per imperitiam malè judicasse præsimitur. Mais cette présomption change s'il existe une inimitié capitale entre le juge et la partie : Præsumitur dolus in judice ex eo quod esset capitalis inimicus illius contra quem injustam protulit sententiam. La même règle s'applique encore quand le juge a hautement manifesté à l'avance son opinion sur le procès: Si præsumitur ex illius verbis si dixisset se velle sententiam ferre odio vel amicitiâ. Ce sont là, en effet, des circonstances extérieures qui justifieraient l'accusation si les autres éléments du crime s'y trouvaient réunis.

SV. Des abus d'autorité.

Les abus d'autorité se divisent en deux classes, suivant qu'ils sont commis contre les particuliers et contre la chose publique.

Les fonctionnaires abusent de leur autorité contre les particuliers, lorsqu'ils s'introduisent illégalement dans leurs domiciles, lorsqu'ils refusent de leur rendre justice, lorsqu'ils usent de violences envers les personnes sans motifs légitimes, enfin, lorsqu'ils portent atteinte au se cret des correspondances.

Ils abusent de leur autorité contre la chose publique, quand ils requièrent ou ordonnent l'emploi de la force publique pour empêcher l'exécution d'une loi ou la perception d'une contribution légale, ou l'effet d'un ordre émané d'une autorité légitime.

Ces divers délits sont empreints d'une criminalité différente, prennent des caractères, se composent d'éléments distincts que nous devons successivement examiner.

Le premier de ces délits est la violation du domicile.

Le principe qui déclare inviolable le domicile des citoyens remonte aux législations les plus anciennes. Cicéron le proclamait comme une règle commune: Quid est sanctius, quid omni religione munitius quàm uniuscujusque civium domus? Hoc perfugium est itu sanctum omnibus, ut indè abripi neminem fas sit [2]. La loi romaine, en effet, punissait l'introduction par violence dans le domicile d'un

[2] Cicero, pro domo, c. 41.

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