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pour l'exécution d'un arrêt ou jugementt emportant condamnation à une peine corporelle, soit enfin pour l'exécution d'un mandat du juge, ou pour l'instruction d'un procès criminel; nous avons précisé les limites du droit de visite dans chacun de ces actes, et les formes qui sont les garanties du citoyen et qui peuvent seules en légitimer l'exercice. Le corollaire de cet examen est l'établissement d'une règle générale: toutes les fois que les officiers de justice ou de police, les commandants ou agents de la force publique s'écartent de ces limites ou de ces formes, ils agissent, suivant les termes mêmes de l'art. 184, hors les cas prévus par la loi et sans les formalités qu'elle a prescrites, et dès lors ils commettent le délit de violation de domicile. Telle est la base indispensable de cette incrimination, et nous avons dû nécessairement nous arrêter à l'établir. Maintenant nous devons examiner les conditions exigées par la loi, pour que l'introduction même illicite prenne le caractère moral du délit.

L'art. 184 du Code de 1810 a été modifié sous plusieurs rapports par la loi française du 28 avril 1832. Le texte primitif étendait la disposition pénale à tout juge, tout procureur général ou du roi, tout substitut, tout administrateur ou tout autre officier de justice ou de police; cette nomenclature a été rec tifiée et étendue: l'art. 184 s'applique actuelle ment à tout fonctionnaire de l'ordre administratif ou judiciaire, tout officier de justice ou de police, tout commandant ou agent de la force publique. Ces deux énumérations ne different que sur un seul point les agents de la force publique, qui n'étaient pas tous compris dans la première rédaction, le sont dans la seconde, « On avait oublié, a dit l'auteur de cette addition, que les gendarmes ne sont pas des officiers de police judiciaire, que cependant ils en remplissent quelquefois les fonctions, et que, lorsqu'ils mettent à exécution soit un mandat d'arrestation, soit un arrêt portant l'emprisonnement, ils peuvent commettre le délit de violation de domicile. »>

Une deuxième innovation consiste dans l'addition des mots agissant en sa qualité : il en résulte que la violation de domicile commise par le fonctionnaire peut avoir un double caractère lorsqu'il agit en vertu de ses fonctions, lorsqu'il invoque son autorité, son délit rentre dans les termes de la première partie de l'art. 184; lorsqu'il agit, au contraire, en dehors de ses fonctions, et qu'il n'emploie pas son autorité pour commettre le délit, l'action est assimilée à celle d'un simple particulier, et

le fait ne revêt un caractère criminel qu'autant qu'il réunit les conditions prescrites par le deuxième paragraphe du même article.

Une troisième addition, beaucoup plus importante, a été de n'incriminer l'introduction dans le domicile d'un citoyen qu'autant qu'elle a eu lieu contre le gré de celui-ci. Il faut bien se fixer sur le sens de ces termes. La loi n'a point voulu punir la seule omission des formes, même la violation du droit; l'adhésion du citoyen lésé par la visite en couvre les vices, en écarte la criminalité : ce que la loi a voulu atteindre, c'est la mesure vexatoire, c'est l'acte arbitraire, c'est l'abus de pouvoir. Il faut donc que la visite faite chez un citoyen, hors des cas prévus par la loi, ait eu lieu contre le gré de celui-ci, c'est-à-dire contre sa volonté. Il n'est pas nécessaire qu'il y ait autorisation de sa part, car un député avait proposé de mettre dans l'article au lieu de ces mots contre le gré de celui-ci, ceux-ci : sans l'autorisation de celui-ci, et cet amendement fut rejeté [1]. Il n'est pas nécessaire, d'un autre côté, que des violences aient été exercées, car la loi ne s'est point servi de cette expression qu'elle a employée, au contraire, dans le deuxième paragraphe du même article: il faut qu'il y ait consentement formel ou tacite ; il suffirait donc de prouver, non-seulement que l'habitant ne s'est pas opposé à la mesure, mais qu'il n'y a pas adhéré, qu'il ne l'a pas subie volontairement, pour que le fait dût être considéré comme punissable.

Cette disposition a pris sa source dans la jurisprudence de la Cour de cassation, dont nous avons cité plus haut les arrêts, et qui pose en principe que la présence du juge de paix ou du maire, dans certaines visites domiciliaires, a pour unique effet de donner au particulier le droit de s'opposer à l'introduction des officiers de police dans son domicile, hors la présence de ce fonctionnaire, et que cette introduction, si le particulier ne s'y est pas opposé, n'emporte aucune nullité des procès-verbaux ou des saisies. Mais il faut prendre garde que, dans l'espèce de ces arrêts, la question portait uniquement sur la validité des actes et nullement sur les caractères constitutifs du délit : l'irrégularité des formes n'emporte pas nécessairement la nullité des actes; mais la violation des garanties édifiées par la loi pour la protection des citoyens, ne peut être couverte par leur seul silence et leur défaut de réclamation: l'art. 184

[1] Code pénal progressif, p. 241.

n'exige pas qu'il y ait opposition et résistance à la visite; il demande seulement, comme élément de l'incrimination, qu'elle ait été faite contrele gré de la partie, et que par conséquent celle-ci ne l'ait pas consentie. C'est done du consentement que le prévenu doit faire preuve, et non pas du défaut d'opposition seulement.

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l'addition de ces mots : sans préjudice de l'application du 2o § de l'art. 114. Cette disposition, qui admet une cause de justification pour les préposés qui invoquent l'ordre d'un supérieur, fut attaquée dans le cours de la discussion de la loi du 28 avril 1832 : « Cette excuse, a-t-on dit, s'appliquerait difficilement dans le cas dont il s'agit; car un supérieur peut donner l'ordre de faire une visite domiciliaire; mais celui qui l'exécute peut, dans les détails de sa mission, violer la loi, et le supérieur ne peut être responsable de la violation. D'ailleurs, quand l'illégalité vient du fonctionnaire supérieur, il y a deux délits : le délit du fonctionnaire qui a donné l'ordre, et le délit de celui qui l'a exécuté. La faute du premier n'efface pas celle de l'autre il y a deux complices; car l'ordre ne suffit pas pour légitimer un délit. » On a répondu à ces objections : « Nous ne soutenons pas la doctrine de l'obéissance passive, mais nous soutenons celle de la responsabilité ministérielle. Nous ne disons pas que les fonctionnaires sont toujours à l'abri de toute responsabilité derrière des ordres supérieurs ; nous disons au contraire qu'ils ne doivent obéissance, qu'ils ne sont dégagés de la responsabilité que pour les objets qui sont du ressort hiérarchique. Mais s'ils justifient qu'ils ont agi par ordre des supérieurs auxquels ils devaient obéissance, la responsabilité retombe sur le fonctionnaire supérieur. Ce que nous voulons éviter, c'est d'empêcher que les inférieurs ne désobéissent aux supérieurs pour l'exécution d'ordres légaux. » Tels sont aussi les principes que nous avons posés et développés dans notre chapitre sur la contrainte, t. 2, p. 275 et suiv. Ainsi, l'agent qui s'introduit dans le domicile d'un citoyen, par l'ordre d'un supérieur, est excusable, si le supérieur et lui-même avaient mission légale pour ordonner et exécuter cette mesure. Ainsi, lorsque l'ordre n'est exécutoire qu'après certaines formalités, son exécution, sans que ces formes aient été accomplies, serait un fait imputable.

Tels sont les éléments du délit de violation de domicile : ce délit est du petit nombre de ceux, dont la peine a été aggravée par la loi du 28 avril 1832. Le Code de 1810 n'avait porté d'autres pé→ nalités qu'une amende de 16 à 200 fr. L'exposé des motifs justifiait en ces termes l'excessive indulgence de cette peine : « L'on a dans cette matière cherché plutôt une peine efficace qu'une peine sévère. L'espèce de délit qu'on examine ne tire point sa source de passions viles et basses, comme les concussions ou la corruption; un zèle faux ou mal entendu peut produire assez souvent des abus d'autorité, et il importe de les réprimer, mais avec modération, si l'on veut que ce soit avec succès. Une amende d'ailleurs a sa gravité relative aux personnes qui en sont l'objet; un fonctionnaire qui n'a point abdiqué tous les sentiments d'honneur sera plus qu'un autre sensible à cette peine et ne s'y exposera plus. » Ces observations attestent une singulière partialité du législateur de 1810 pour les abus de pouvoir des fonction naires publics. Il proclame le délit et le laisse à peu près impuni. Il prévoit la violation du droit le plus sacré, et il ne la punit que d'une peine illusoire! On invoque les égarements d'un zèle pur dans son principe; mais tous les attentats des fonctionnaires seraient-ils justifiés par les apparences de ce zèle aveugle? N'est-ce done que pour obéir à leurs supérieurs, n'est-ce donc pas aussi pour accomplir leurs devoirs envers les citoyens qu'ils doivent déployer du zèle? Et puis la violation du domicile peut s'aggraver par les circonstances qui l'accompagnent; elle peut s'opérer avec des menaces ou des violences; elle peut être animée par des influences étrangères, par une vengeance privée, par des haines politiques. Or, lorsque le délit s'élève à cette La loi du 28 avril 1832.a ajouté à l'art. 184 gravité, qu'est-ce qu'une amende pour le punir un deuxième paragraphe qui est ainsi conçu : et pour satisfaire la conscience publique? Le « Tout individu qui se sera introduit, à l'aide législateur a dépouillé cette molle et coupable de menaces ou de violences, dans le domicile indulgence: la peine s'est élevée à une année d'un citoyen, sera puni d'un emprisonnement d'emprisonnement et 500 fr. d'amende. Ainsi de six jours à trois mois et d'une amende de les droits des citoyens, mieux compris, ont été seize francs à deux cents francs. >> Cette dispoprotégés avec plus d'efficacité; les limites du sition comble une lacune évidente dans le Code: pouvoir des fonctionnaires ont été marquées car, si le délit de violation de domicile est le avec plus de précision, et les écarts de leur au- plus souvent le résultat d'un abus d'autorité, il torité appréciés avec impartialité. peut également être commis par des individas Une dernière modification a eu pour objet qui ne sont revêtus d'aucune fonction. Mais il est

visible que cette disposition n'est point à sa place; ce n'est que par la connexité de la matière qu'elle se trouve liée à l'art. 184 et placée sous la rubrique des abus de pouvoir : le mode adopté pour la révision du Code explique cette irrégularité sans la justifier.

L'auteur de ce paragraphe l'a motivé en ces termes; « Il existe une lacune dans le Code pénal de 1810 ses auteurs ont paru oublier qu'il était possible qu'un particulier violât le domicile d'un autre particulier, et cependant l'expérience nous apprend tous les jours le contraire; dans les grandes villes où la police s'exerce d'une manière sévère, ce délit a lieu fort rarement; mais il n'en est pas de même dans les campagnes où très-souvent les habitants isolés se trouvent exposés à la tyrannie ou à la brutalité des voyageurs. C'est un abus qu'il faut réprimer, c'est une lacune qu'il faut combler il faut que le citoyen le plus dénué de moyens de défense soit entouré de tous les moyens de sécurité; la loi et la justice doivent veiller continuellement à ses côtés [1].

Le délit prévu par les deux paragraphes de l'art. 184 est le même; cependant les deux dispositions diffèrent, d'abord par les conditions auxquelles est soumise l'incrimination ensuite par la durée de la peine. Il suffit pour qu'il y ait délit de la part du fonctionnaire, qu'il ait pénétré en sa qualité dans le domicile d'un citoyen, contre le gré de celui-ci et hors les cas prévus par la loi; il faut de plus, pour former le délit d'un simple particulier, qu'il y ait eu emploi de menaces ou de violences. Toutefois la peine est moins grave dans ce dernier cas : c'est que le fonctionnaire commet dans un seul fait un double délit ; non-seulement il viole le domicile, mais il abuse de sa fonction et de son autorité pour commettre cet acte arbitraire.

Nous terminerons nos observations sur ce sujet par une réflexion générale. Nous avons considéré la violation de domicile comme délit principal et sui generis; mais cette introduction violente dans la maison d'autrui pourrait avoir pour motif la perpétration d'un crime, par exemple, d'un vol, d'un rapt, d'un assassinat. Alors il faudrait la considérer, non plus comme un délit principal, mais comme un acte préparatoire, et comme un commencement d'exécution du crime que l'agent se proposait d'accomplir: ce serait la tentative de ce crime qui

[1] Code pénal progressif, p. 242.

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serait punissable, ce ne serait plus seulement le domicile violé.

Le deuxième cas d'abus d'autorité prévu par le Code est le déni de justice. L'article 183 est ainsi conçu : « Tout juge ou tribunal, tout administrateur ou autorité administrative qui, sous quelque prétexte que ce soit, même du.silence ou de l'obscurité de la loi, aura dénié de rendre justice qu'il doit aux parties après en avoir été requis, et qui aura persévéré dans son déni après avertissement ou injonction de ses supérieurs, pourra être poursuivi et sera puni d'une amende de 200 francs au moins et de 500 francs au plus, et de l'interdiction de l'exercice des fonctions publiques depuis cinq ans jusqu'à vingt. »

Cet article sert de sanction à l'art. 4 du Code civil qui porte : « Le juge qui refusera de juger sous prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice. » L'art. 506 du Code, de procédure civile a défini un autre cas du même délit : « Il y a déni de justice quand les juges refusent de répondre les requêtes ou refusent de juger les affaires en état ou en tour d'être jugées. » Mais ces exemples ne sont point limitatifs, car l'art. 185 inculpe le déni de justice sous quelque prétexte que ce soit. La jurisprudence a considéré comme constituant un déni de justice, le renvoi d'une cause à une époque indéterminée [2], l'omission de statuer sur un chef d'un procès [3], et le refus de prononcer sur le fond d'une affaire après renvoi de la Cour de cassation [4].

L'art. 185 étend aux fonctionnaires de l'ordre administratif les dispositions que la loi civile n'avait appliquées qu'aux juges : dès qu'ils sont investis du pouvoir de prononcer, dans certains cas, sur les intérêts des citoyens, les mêmes obligations doivent peser sur eux, le même lien de responsabilité doit les étreindre. Mais il faut qu'il y ait litige, ou du moins réclamation pendante devant l'administrateur, et que celui-ci soit compétent pour prendre une décision sur cet objet. Il ne peut y avoir déni de justice qu'autant qu'un intérêt privé attend. une décision et que cette décision soit vaine-ment réclamée.

En matière judiciaire, le déni de justice ne donne lieu, en général, qu'à la prise à partie, Pour que le refus de statuer prenne le carac

[3] Arr, cass. 11 juill. 1823 ; Dalloz, t. 22, p. 144;

[2] Arr. cass. 31 janv. 1811; S. 1817, 1, 324; S. 1823, 1, 421. 10 niv. an ; Dalloz, t. 9, p. 5,

[4] Arr. cass. 16 vend. an vii; Dalloz, t. 9, p. 2.

tère d'un délit, il faut qu'il se produise au milieu de certaines circonstances; il faut que le juge ou l'administrateur ait été requis de prononcer, et qu'il ait persisté à dénier justice après un avertissement de l'autorité supérieure. Cette double condition, qui rend peut-être inefficace la disposition pénale de l'art. 185, semble avoir été puisée dans l'ancienne législation : « Si l'accusation se poursuit devant une justice de seigneur, dit Jousse, et que le procureur fiscal et le juge en négligent la poursuite, le juge supérieur peut l'y contraindre [1]. » Cependant l'art. 4 du Code civil n'avait point fait dépendre la culpabilité du juge de la condition d'un avertissement préalable.

Au reste, il faut bien remarquer que le déni de justice consiste uniquement dans le refus de statuer la loi ne se préoccupe que des retards et des lenteurs de la décision. Le juge ne répond qu'à sa conscience de l'usage qu'il a fait de son pouvoir; mais il importe que la justice n'ait point d'entraves, que son cours ne soit point suspendu, que les affaires soient promptement expédiées. Rendre la justice dans le sens de la loi, c'est prononcer des jugements: Prætor jus reddere dicitur, etiam cùm iniquè decernit [2].

L'article, par ces mots pourra être poursuivi, semble rendre la poursuite facultative ces mots furent ajoutés, lors de la discussion de cet article au Conseil d'état, sur la proposition de Cambacérès, et pour le mettre en harmonie avec l'art. 4 du Code civil; ils n'indiquent que la nécessité d'examiner des faits que la plainte de la partie lésée aurait pu dénaturer, avant d'entamer la poursuite d'office.

Le projet du Code ne proposait pour pénalité qu'une interdiction de cinq à dix années; la commission du Corps legislatif proposa d'en élever le maximum : « Le cas prévu de cet article, porte son rapport, est une grande prévarication, surtout lorsque le fonctionnaire aura méprisé les avertissements de ses supérieurs. Le maximum d'une interdiction de dix ans ne seroit pas suffisant en certaines circonstances, et le minimum de cinq serait quelquefois trop considérable. La commission pense qu'il peut arriver que cette interdiction ne soit pas trop rigoureuse en s'étendant sur la vie entière du coupable, selon la nature et les circonstances du délit; en conséquence elle propose de substituer aux mots depuis cinq ans jusqu'à dix, ceux-ci : à temps ou à perpé

[1] Traité des mat. crim., t. 3, p. 68.

tuilé : ces expressions donneront une latitude désirable pour bien graduer la peine. » Le Conseil d'état considéra que l'interdiction ne peut être qu'une peine temporaire; mais que le délit étant très-grave et ne pouvant être excusé dans le juge qui persevère à dénier la justice, après en avoir été requis et avoir été averti par ses supérieurs, il convenait de porter le maximum à la peine de vingt ans. Cette disposition, qui fut adoptée, forme une sorte d'exception dans l'économie générale du Code, dans laquelle les interdictions temporaires de certains droits n'excèdent pas le maximum de dix ans.

Le troisième abus d'autorité, prévu par le Code, est le délit ou le crime de violences exercées, sans motif légitime et dans l'exercice des fonctions, sur les personnes. Rappelons d'abord le texte de l'article 186: « Lorsqu'un fonctionnaire ou un officier public, un administrateur, un agent ou un préposé du gou vernement ou de la police, un exécuteur des mandats de justice ou jugements, un commandant en chef ou en sous-ordre de la force pu. blique, aura, sans motif légitime, usé ou fait user de violences contres les personnes, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, il sera puni suivant la nature et la gravité de ces violences, et en élevant la peine suivant la règle posée par l'article 198 ciaprès. »>

Nous n'avons point à nous occuper ici de cette peine variable et de l'aggravation qu'elle peut recevoir c'est en expliquant l'art. 198, auquel renvoie l'art. 186, c'est en développant les incriminations relatives aux violences commises sur les personnes, que nous pourrons nous rendre compte des divers degrés qu'elle peut parcourir, notre examen doit se fixer uniquement dans ce moment sur les conditions de l'incrimination formulée par l'art. 186. Ces conditions sont au nombre de quatre il faut que l'agent ait la qualité de fonctionnaire ou de préposé du gouvernement, qu'il ait usé de violences envers les personnes, que ces violences aient été exercées pendant l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions. enfin qu'elles aient été exercées sans motif légitime.

De ces conditions les trois premières ne donnent lieu qu'à peu de difficultés. La loi a enveloppé dans son incrimination tous les agents du pouvoir exécutif; elle a même descendu jusqu'aux préposés les plus infimes, parce que

[2] L. 11, de just, et jure.

ce sont ceux-là surtout qui peuvent se rendre coupables d'actes de violences ou de mauvais traitements dans l'exercice de leurs fonctions. Elle a également atteint toutes les violences commises par ces agents, et ce mot comprend et les blessures et même l'homicide volontaire. Quelques doutes, nés de l'expression indéfinie dont la loi s'est servie, s'étaient manifestés à cet égard. Mais la preuve de la généralité de l'article se tire de son texte même, puisqu'il dispose que l'accusé, s'il a agi sans motif légitime, sera puni suivant la règle posée par l'art. 198; or, ce dernier article renferme des peines pour tous les délits et pour tous les crimes; on doit donc inférer que l'art. 186 enveloppe également dans sa disposition les violences de toute espèces, les plus légères et les plus graves, qu'elles soient qualifiées délits ou qu'elles soient qualifiées crimes. La Cour de cassation a confirmé cette interprétation en déclarant : « que de la disposition de cet article et de sa corrélation avec l'article 198, il résulte évidemment qu'elle s'étend à toutes violences, qu'elle qu'en soit la nature, et qu'elle qu'en soit et quel qu'en ait été le résultat [1]. » Du reste, ce qui à nos yeux vient surtout à l'appui de cette doctrine, c'est que toute distinction puisée dans le degré des violences n'eût pas été fondée dans le système de la loi, puisque les règles de responsabilité et de justification sont nécessairement les mêmes dans tous les cas; c'est que ces règles puisent leur force dans les motifs de l'action et non dans les circonstances extérieures. Mais il faut que l'acte ait été commis dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice des fonc tions, car ce n'est que la nécessité de cet exercice qui peut justifier les violences: hors de ses fonctions, l'agent n'est plus qu'un homme privé, les violences qu'il commet ne sont plus couvertes par la présomption qu'il accomplissait un devoir; les règles du droit commun lui deviennent applicables.

Il est nécessaire enfin, et c'est là la condition essentielle et principale de l'incrimination, que les violences aient été commises sans motif légitime. La loi établit par cette disposi tion un moyen général de justification en faveur des fonctionnaires qui se sont,livrés à des actes de violences en exerçant les fonctions: elle les couvre de la présomption générale qu'en se livrant à ces actes ils n'ont fait qu'exécuter un devoir; elle contraint l'accusation qui les inculpe à prouver qu'aucun motif légitime ne peut

[1] Arr. cass. 5 déc. 1822 (Bull. p. 514).

CHAUVEAU. T. II.

les justifier. Il est hors de doute, en effet, que l'agent qui n'a fait que mettre à exécution les actes que ses fonctions lui imposent ne peut être inculpé à raison de ces actes, non parce qu'il n'est pas responsable, mais parce que ces actes sont purs de toute criminalité. Ainsi l'agent qui opère une arrestation en vertu d'un mandat régulier, celui qui met à exécution un jugement de condamnation, celui qui s'oppose à la perpétration d'un délit, enfin celui qui disperse par la force un attroupement séditieux, ceux-là ne commettent ni crime ni délit, parce qu'ils agissent dans un but légitime et pour l'exécution de la loi. Nous supposons toutefois qu'ils se sont strictement renfermés dans le cercle de leurs devoirs; car si, même pour l'exécution d'un acte de leurs fonctions, ils ont exercé des violences inutiles, s'ils ont déployé la force des armes sans qu'elle fût nécessaire ou commandée par la loi, s'ils ont enfin excédé, en quelque manière que ce soit, les limites dans lesquelles ils devaient agir, ils sont responsables à raison de cet excès; la légitimité du motif ne couvre pas cette partie de l'acte; ils sont passibles d'une peine à raison du délit qu'elle peut for

mer.

:

Le motif légitime, dans le sens de la loi, c'est l'accomplissement d'un acte qui entre dans l'ordre des devoirs du fonctionnaire. Quelques incertitudes se sont élevées sur ce point des tribunaux ont confondu le motif légitime qui prend sa source dans les fonctions, et les causes d'excuses qui dérivent des circonstances concomitantes du fait. La Cour de cassation avait déclaré avec raison : «< qu'en matière d'homicide, coups et blessures, il faut distinguer avec la loi s'ils ont eu lieu d'individus à individus non revêtus de fonctions publiques, ou s'ils ont été commis par des agents ou préposés du gouvernement, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions; qu'au premier cas il est nécessaire, d'après l'art. 328 du Code pénal, pour que l'homicide, les coups et blessures ne constituent ni crime ni délit, qu'ils aient été commandés par la nécessité actuelle de la légitime défense de soi-même ou d'autrui ; et qu'au deuxième cas, d'après l'art. 186, les violences exercées envers les personnes par des agents ou préposés du gouvernement, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions, ne sont punissables qu'autant qu'elles ont été commises sans motif légitime. [2]. »

[2] Arr. cass. 9 juill. 1825.

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