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Mais de cette distinction quelques magistrats ont induit que la question de la légitimité du motif est la seule qui doive être posée au cas d'une accusation dirigée contre des fonctionnaires; que toutes les questions d'excuse sont comprises dans cette question, et que, par exemple, la provocation doit être considérée comme un motif légitime, et par conséquent comme une cause justificative du meurtre ou des blessures commis par le fonctionnaire [1]. Cette doctrine qui confond deux degrés du crime, qui fait sortir le même effet de deux causes distinctes, a été repoussée avec raison par la Cour de cassation [2]. Une barrière insurmontable sépare en effet le moyen justificatif et l'excuse, l'exception péremptoire tirée de la légitimité des motifs et l'atténuation résultant de la provocation. La légitimité du motif efface la culpabilité et fait disparaître jusqu'à la pensée du crime en fai sant des blessures, en commettant l'homicide, l'agent n'a fait que remplir un devoir, qu'obéir à des règles de discipline, aux ordres de ses chefs, à la nécessité de défendre ses fonctions attaquées: il suffit que ce fait justificatif soit établi, l'accusation tombe. L'effet de l'excuse est bien différent elle atténue le fait, elle en modifie le caractère, elle en altère la criminalité, mais elle ne l'efface point; son résultat peut être d'adoucir la peine, mais non de l'abolir; l'accusé reste coupable, mais il peut être excusé. Or, la provocation ne peut avoir d'autre caractère que celui d'une excuse, et telle est aussi la définition que lui donne l'art. 321 du Code; elle atténue la peine, elle n'en exempte pas le coupable. C'est que la violence peut excuser la violence, mais ne la justifie pas; c'est que les coups et les blessures mêmes ne peuvent justifier l'homicide, à moins que l'auteur de cet homicide ne se trouve dans le cas de légitime défense, et alors les coups et les blessures cesseraient d'être qualifiés provocation.

Or, la provocation change-t-elle de nature, produit-elle d'autres effets quand elle s'adresse à un fonctionnaire public? Tandis qu'elle ne fait qu'excuser les représailles du particulier, justifie-t-elle complétement celles du fonctionnaire? On chercherait vainement dans la loi un texte pour appuyer cette distinction. La provo

cation ne peut être pour un fonctionnaire, plus que pour un simple particulier, un motiflégitime de commettre un meurtre; car les règles des actions humaines sont les mêmes pour tous. On lit dans les discussions préparatoires du Code que M. de Ségur demanda, dans le sein du Conseil d'état, que les peines fussent plus sévères quand les violences auraient été exercées sur un fonctionnaire public. Mais cette proposition fut rejetée, attendu que faire une pareille distinction ce serait établir des priviléges, et que, dans notre régime politique, la peine doit être la même dans tous les cas où le délit est de même nature [3]. Mais ne serait-ce pas surtout armer les fonctionnaires d'un privilége exorbitant, que de leur reconnaître le droit de faire usage de leurs armes sur de simples provocations? Déjà investis à un plus haut degré que les particuliers du pouvoir de constater et de faire punir les provocations dont ils sont l'objet, faut-il déposer entre leurs mains le pouvoir illimité d'homicider les provocateurs? On allègue qu'ils ont besoin d'une protection spéciale, qu'en paralysant leurs armes on les expose et la société elle-même à des périls incessants: nous répondons que cette protection leur est accordée, forte et peut-être exagérée, puisque les plus légers délits de rébellion ou d'outrages, quand ils sont commis contre eux, sont frappés des peines les plus sévères. Mais n'y aurait-il pas d'ailleurs un plus grand péril à les déclarer irresponsables de leurs actions? Ne doivent-ils pas, plus encore que les autres citoyens, connaître la portée de leurs actes, et la modération n'est-elle pas pour eux surtout un devoir? La Cour de cassation a maintenu le droit commun à l'égard de tous, et son arrêt nous paraît consa― crer une saine interprétation des art. 186 et 321 du Code.

De ce qui précède on peut inférer, comme des corollaires : 1o que nul fonctionnaire, agent ou préposé, accusé de violences dans l'exercice de ses fonctions, n'est passible d'une peine, à moins qu'il ne soit déclaré qu'elles ont été commises sans motif légitime : cette circonstance est substantielle, et par conséquent nécessaire pour donner aux violences le caractère de criminalité [4]; 2o que la question d'excuse n'étant

[1] De l'irresponsabilité légale des fonctionnaires publics, par M. Calmètes, conseiller à la Cour de Montpellier. — Arr. cour d'ass. de l'Aude, 20 déc. 1834; S. 1835, 1, p. 429.

[2] Arr. cass. 30 janv. 1835; S. 1835, 1, p. 429.

[3] Procès-verbaux du Conseil d'état, séance da 8 août 1809.

[4] Arr. cass. 15 mars 1821 et 5 déc. 1822; Dall., t. 16, p. 325,

point comprise dans la question de la légitimité des motifs, il est nécessaire que cette question, quand elle est réclamée par l'accusé, soit posée subsidiairement; car le jury peut être amené à la résoudre, s'il écarte soit la légitimité du motif, soit la circonstance que le fait a été commis dans l'exercice des fonctions [1].

Le quatrième abus d'autorité qui peut être commis contre les particuliers est la violation du secret des lettres. Une lettre n'est pas essentiellement secrète, c'est la propriété du destinataire de la lettre. Or, cette propriété est inviolable comme toutes les propriétés, et son inviolabilité doit être d'autant plus protégée qu'elle est plus exposée à de faciles atteintes[2]. La législation a dès longtemps posé et sanctionné ce principe : les lois des 10-24 août 1790 et 10-20 juillet 1791 déclarent que « le secret des lettres est inviolable, et que sous aucun prétexte il ne peut y être porté atteinte, ni par les individus, ni par les corps administratifs.» La loi du 26-29 août 1790 impose aux préposés des postes le serment de garder et observer fidèlement la foi due au secret des lettres. Enfin l'art. 23 (2o part., tit. 1, sect. 3) du Code pénal du 25 septembre-6 octobre 1791, et l'art. 638 du Code du 3 brumaire an IV, portent, comme sanction de cette règle, la disposition suivante : « Quiconque sera convaincu d'avoir volontairement supprimé une lettre confiée à la poste, ou d'en avoir brisé le cachet et violé le secret sera puni de la peine de la dégradation civique. Si le crime est commis, soit en vertu d'un ordre émané du pouvoir exécutif, soit par un agent du service des postes, les membres du directoire exécutif ou les ministres qui auront donné l'ordre, quiconque l'aura exécuté, ou l'agent du service des postes qui sans ordre aura commis ledit crime, seront punis de la peine de deux ans de gêne. »

Ainsi cette disposition, trop sévère peut-être quant à la pénalité, établissait deux degrés dans le délit, suivant qu'il était l'œuvre d'un simple particulier ou d'un fonctionnaire public. Cette distinction et ces peines n'ont point été conservées par le Code de 1810: d'une part, l'art. 187 n'a puni la violation que lorsqu'elle est l'œuvre d'un fonctionnaire ou agent du gouvernement; d'un autre côté, la peine portée par ce Code n'é

tait qu'une amende de 16 francs jusqu'à 300 francs. La minimité de cette peine excita des réclamations dans le sein de la Chambre des Députés pendant le cours de la discussion de la loi du 28 avril 1832 : « Ces infidélités, a-t-on dit, ont des conséquences extrêmement graves; elles peuvent compromettre non-seulement les intérêts des familles, mais encore leur honneur. L'impuissance de l'administration à les prévenir paraît provenir de l'insuffisance de la législation. Vous penserez, sans doute, que pour les infidélités de ce genre, dont les conséquences peuvent être si graves, ce n'est pas trop que d'élever le taux de l'amende et d'y joindre une peine d'emprisonnement, surtout si l'on fait attention que ces délits sont souvent causés par un sentiment de cupidité [3]. » Voici le texte modifié de l'article 187: « Toute suppression, toute ouverture de lettres confiées à la poste, commise ou facilitée par un fonctionnaire ou un agent du gouvernement où de l'administration des postes,sera punie d'une amende de 16 francs, à 500 francs, et d'un emprisonnement de trois mois à cinq ans. Le coupable sera, de plus, interdit de toute fonction ou emploi public pendant cinq ans au moins et dix ans au plus. »

Cet article soulève deux questions. La première ne peut entraîner que peu de difficultés. Quelque explicites que semblent les termes de l'article, quelques tribunaux ont essayé de l'étendre jusqu'aux violations de lettres commises par de simples particuliers. Ils se sont fondés sur les expressions qui commencent cet article et qui semblent embrasser tous les cas, et sur la différence que sa rédaction présente, en ce qui concerne l'énonciation des fonctionnaires, avec la rédaction des articles qui le précèdent et qui le suivent. D'après cette interprétation, l'indication des fonctionnaires dans l'art. 187 n'aurait pas eu pour but de limiter l'application de cet article à certaines classes de personnes, mais d'exprimer que le délit existe, soit qu'il ait été commis par des fonctionnaires seuls ou par des particuliers avec le concours des fonctionnaires, et que la bonne foi de ceux-ci, lorsqu'ils auraient par leur négligence facilité le délit, ne saurait être une sauvegarde pour les tiers qui auraient agi avec une intention criminelle [4]. Cette interprétation, quelque spécieuse qu'on

[1] Arr. cass. 30 janv. 1835; Sirey, 1835, 1, du secret des lettres confiées à la poste. p. 429. [3] Code pénal progressif, p. 246.

[2] La constitution belge, art. 22, a déclaré le secret des lettres inviolable. La loi détermine quels sont les agens responsables de la violation

[4] Voy. jugements des tribunaux de Fontenay et de Bourbon-Vendée (Journ, du droit er. 1835, p. 85).

puisse la rendre, tombe devant les termes clairs et formels de l'art. 187. Cet article n'incrimine et ne punit que le fonctionnaire, que l'agent du gouvernement ou de l'administration des postes qui a commis ou facilité la violation, et en matière pénale, la loi doit être strictement resserrée dans ses termes. Le même fait, commis par tout autre individu, ne constitue donc aucun délit, et reste dans la classe des faits immoraux que la loi n'a pas voulu punir.

Mais de ces efforts mêmes de la jurisprudence pour étendre les expressions de cette disposition, on peut induire qu'elle présente une lacune grave. La violation du secret des lettres n'est pas seulement un abus d'autorité, c'est un délit moral qui doit rendre passibles d'une peine tous ceux qui le commettent, qu'ils soient ou non revêtus de fonctions: le Code de 1791, dont nous avons cité le texte, portait des peines pour l'un et l'autre cas; seulement celles prononcées contre le fonctionnaire étaient plus sévères. Il est peut-être à regretter que ces deux degrés d'incrimination, déjà introduits par la loi du 28 avril 1832 dans l'art. 184, relativement aux violations de domicile, n'aient pas été prononcés par l'art. 187 les deux hypothèses étaient identiques, et les mêmes motifs appuyaient la même distinction dans l'une et dans l'autre.

La deuxième difficulté est relative à l'application de l'art. 187. La disposition de cet article est-elle absolue? Est-elle limitée, au contraire, par les droits de l'action publique, lorsque l'exercice de cette action provoque des recherches et des investigations? Posons la question en termes plus précis: le juge d'instruction a-t-il le droit, nonobstant l'art. 187, d'exiger de l'administration des postes la remise des lettres qui lui ont été confiées, et de chercher dans ces lettres les indications utiles à la découverte des crimes dont il poursuit la répression? Nous ne faisons aucun doute à cet égard [1]: une règle générale de l'instruction criminelle attribue au juge d'instruction le pouvoir de faire, en quelques lieux que ce soit, les perquisitions et saisies de tous les papiers et effets qu'il juge utiles à la manifestation de la vérité (C. inst. cr., art. 35, 87, 88, 90, etc. ). Ce pouvoir extraordinaire est créé dans l'intérêt général de la société qui place la répression des crimes, condition de son existence, bien au-dessus

[1] La Cour de Paris par arrêt du 30 janvier 1836, a consacré l'opinion de M. Chauveau. en décidant que le juge d'instruction peut, sans

de l'inviolabilité des lettres. Comment donc motiver une exception à cette règle en faveur de lettres? comment la justifier? Une lettre ne peut-elle pas dévoiler un crime? Ne peut-elle pas constituer, comme en matière de faux, le corps même du délit ? Il serait bizarre de mettre les dépôts de lettres à l'abri des investigations judiciaires, quand le domicile des citoyens plus sacré sans doute, n'est pas à l'abri de ces recherches. On allègue le texte de l'art. 187; mais que punit cet article? la violation du secret des lettres cette violation est un acte arbitraire, un abus d'autorité, un délit. Mais la justice ne commet point un tel acte lorsque, dans un but légitime, elle procède à la saisie de celles qui sont présumées renfermer les indices nécessaires pour éclairer sa marche; ce n'est plus une violation, une frauduleuse ouverture de lettres, ce n'est donc point une exception aux dispositions de l'art. 187; c'est l'application d'un autre principe qui domine ces dispositions elles-mêmes et les renferme dans leurs véritables limites. Nous ajouterons toutefois que les magistrats ne doivent user qu'avec beaucoup de réserve, et seulement dans les cas les plus graves, du droit d'investigation que nous n'hésitons pas à leur reconnaître; peut-être même faudrait-il limiter ce droit à certaines lettres telles que celles qui seraient adressées aux prévenus ou qui en émanent; mais il est difficile de tracer ces distinc-tions, et la règle est générale.

Au surplus, le délit de suppression ou d'ouverture des lettres confiées à la poste n'existe qu'autant que cette ouverture ou cette suppression a lieu sciemment et avec une intention frauduleuse; car il s'agit d'un délit moral qui se compose du fait et de l'intention. La perte d'une lettre ou son ouverture accidentelle ne rentrerait donc point dans les termes de la loi. Sous un point de vue opposé, le délit disparaîtrait également si la suppression ou l'ouverture avait pour objet la perpétration d'un crime ou d'un délit, tel que la soustraction d'un effet inséré dans la lettre; le délit de violation se trouverait alors absorbé dans ce délit plus grave, dont il deviendrait l'une des circonstances constitutives.

Nous avons achevé de parcourir les différents abus de pouvoir qui ont pour effet de léser les droits des particuliers; mais l'abus d'autorité peut également étre dirigé contre la chose pu

forfaiture, saisir et ouvrir les lettres adressées à un individu contre lequel s'instruit une procédure criminelle; S. 1837, 2, 267.

blique. Nous avons déjà eu un exemple de ce dé lit en nous occupant des coalitions des fonction naires [1]; le Code pénal prévoit dans les articles 188 et suivants un nouvel exemple du même délit qu'il eut été plus méthodique de réunir au premier. Il s'agit ici des fonctionnaires publics qui requièrent ou ordonnent l'emploi de la force publique pour empêcher l'exécution d'une loi, ou la perception d'une contribution, ou l'effet d'un acte émané d'une autorité compétente. Le délit diffère de celui que prévoient les art. 123, 124 et 125, en ce qu'il s'agit dans ces articles des mesures contraires aux lois qui peuvent avoir été concertées entre les fonctionnaires publics, tandis que les art. 188 et suivants prévoient l'exécution et l'emploi de la force publique contre l'exécution des lois. « Cet abus d'autorité, porte l'exposé des motifs, est d'une nature fort différente de ceux que nous avons examinés d'abord c'est une esèce de révolte qui sera d'autant plus grave et susceptible de peines d'autant plus fortes, qu'elle aura eu plus de développements et d'effets. »>

La loi prévoit trois cas, établit trois degrés dans le crime: la réquisition illégale n'a eu aucun effet, et la peine est la reclusion; elle a été suivie d'effet, au contraire, la peine est le maximum de la reclusion; enfin elle a été suivie de crimes entraînant des peines plus fortes, et ces peines elles mêmes sont appliquées au fonction naire qui a donné l'ordre ou la réquisition. Le Code pénal de 1791 avait adopté d'autres distinctions. La peine était différente suivant que la réquisition avait eu pour objet, soit d'empêcher l'exécution d'une loi ou la perception d'une contribution, soit de mettre obstacle à l'exécution d'un jugement, d'un mandat de jus tice ou d'un ordre administratif: dans le premier cas, elle était de dix ans de gêne, dans le second, de six années de détention. La réquisition et l'emploi de la force publique étaient rangés sur la même ligne : seulement les attroupements séditieux, les meurtres, violences et pillages, nés à la suite de cette réquisition, étaient imputables à son auteur et le rendaient passible de peines infligées à ces crimes (tit. 1er, sect. 5, art. 1, 2 et 3). De ce système on ne doit regretter qu'une seule disposition, celle qui prend pour base de la gradation de la peine l'objet même auquel s'appliquait la réquisition.

L'art. 188 prévoit le premier degré du crime

« Tout fonctionnaire public, agent ou préposé du gouvernement, de quelque état et grade qu'il soit, qui aura requis ou ordonné, fait requérir ou ordonner l'action ou l'emploi de la force publique contre l'exécution d'une loi ou contre la perception d'une contribution légale, ou contre l'exécution soit d'une ordonnance ou mandat de justice, soit de tout autre ordre émané de l'autorité légitime, sera puni de la reclusion. >>

Ce premier article ne prévoit et ne punit donc qu'un seul fait, l'ordre ou la réquisition illégale; il ne considère point ses effets; il incrimine la réquisition en elle-même et alors même qu'elle n'a eu aucunes suites. La discussion qui eut lieu au Conseil d'état, lors de la rédaction de cet article, établit ce point qui résulte d'ailleurs avec évidence du texte des articles. Un membre pensa que la peine n'était pas assez forte : « Le fonctionnaire, dit-il, qui a requis la force pour empêcher la levée des gens de guerre ou des contributions, est coupable d'avoir agi contre l'État et fait un acte de souveraineté, son crime n'eût-il pas eu de suite. » Un autre membre appuya son opinion en se fondant sur ce que, dans ce cas, il y a révolte ouverte de la part du fonctionnaire, et qu'ainsi l'on ne doit pas faire dépendre son châtiment de la condition que d'autres crimes aient été la suite du premier. D'après ces observations, on distingua l'ordre isolé de l'exécution, et l'exécution elle-même de cet ordre, et des peines différentes furent édictées dans ces deux cas [2].

Il est nécessaire, pour l'application de cet article, que la réquisition soit émanée d'un fonctionnaire, préposé ou agent du gouverne ment; qu'elle soit prise dans les limites de sa compétence, car autrement elle ne pourrait avoir aucun effet, elle n'aurait aucun péril; enfin, qu'elle ait pour objet l'emploi de la force publique pour arrêter l'exécution d'une loi, pour empêcher la perception d'une contribution légalement établie, pour s'opposer à l'exécution, soit d'une ordonnance régulière de justice, soit d'un ordre légalement émané d'une autorité dans les limites de ses attributions. Chacune de ces circonstances est évidemment essentielle à l'existence du crime.

L'art. 189 prévoit le deuxième cas, celui où la réquisition n'est pas demeurée stérile; cet article porte: « Si cette réquisition ou cet or

[1] Suprà, p. 42 et suiv.

[2] Procès-verbaux du Conseil d'état, séance du 8 août 1809.

dre ont été suivis de leur effet, la peine sera le maximum de la reclusion. » La peine est celle de la déportation d'après le Code de 1810 encore en vigueur en Belgique.

Que doit-on entendre par ces mots : suivis de leur effet? Suffit-il pour qu'une réquisition ait eu son effet, que la force publique requise se soit réunie? faut-il que l'objet de la réqui sition, tel que l'inexécution de la loi ou du mandat, ait été accompli? M. Carnot pense que ce but doit être atteint, et que si cet empêchement n'a pas été produit, la réquisition doit être considérée comme ayant été sans effet [1]. Cette opinion ne paraît pas fondée : la loi n'exige pas que la réquisition ait eu tous ses effets, mais seulement qu'elle ait été suivie de son effet or, son effet immédiat est la réunion de la force dont elle requiert l'assistance; son effet plus éloigné est l'emploi de eette force à la résistance illégale qui est dans la pensée de l'agent. La loi n'a point distingué entre ces deux cas, parce que le péril social est le même : dès que la force publique est réunie pour accomplir un objet illégitime, la société est menacée; la peine doit s'aggraver. Si l'agent abandonne ensuite son projet avant son exécution, cet abandon pourra être apprécié comme une circonstance atténuante, mais il ne pourra effacer le crime résultant de la réquisition suivie d'une partie de ses effets.

La peine portée par le Code de 1810 était la déportation. La loi du 28 avril 1832 a substitué à cette peine le maximum de la reclusion. Les motifs de cette modification ont été que la peine de la déportation, telle que la loi nouvelle l'a définie, semblait une peine trop sévère; que le caractère politique du crime écartait celle des travaux forcés, et que toutefois l'article 188 ayant prononcé la reclusion, il y avait lieu d'aggraver cette peine dans l'article 189, puisque cet article prévoit une circonstance nouvelle et aggravante de là la nécessité de prononcer le maximum de la reclusion [2].

L'art. 191 prévoit la troisième hypothèse « Si, par suite desdits ordres ou réquisitions, il survient d'autres crimes punissables de peines plus fortes que celles exprimées aux art. 188 et 139, ces peines plus fortes seront appliquées aux fonctionnaires, agents ou préposés, coupables d'avoir donné lesdits ordres ou fait les

[1] Comm. du Cod. pén. art. 189, no 1. [2] Code pénal progressif, p. 247. [5] T. 1, p. 227.

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dites réquisitions. » Cette disposition est puisée dans le Code de 1791; mais ce Code énonçait d'une manière limitative l'attroupement séditieux, le meurtre et le pillage l'art. 191 s'applique à tous les crimes qui sont la suite et le résultat des réquisitions, et qui sont punis d'une peine plus forte que la reclusion. L'auteur de la réquisition est alors considéré comme complice de ces crimes il a été en quelque sorte leur instigateur; ce sont les ordres illégaux qu'il a donnés qui en ont été la cause. Ainsi, supposons qu'une réquisition ait été faite pour s'opposer à l'exécution d'un mandat de justice, et que la force requise ait exercé de criminelles violences sur les agents porteurs du mandat; l'auteur de l'ordre sera justement réputé responsable de ces violences, parce qu'il a pu prévoir les suites de l'ordre qu'il donnait, et qu'elles ont été commises dans l'exécution de cet ordre. Mais si les crimes survenus n'étaient pas la conséquence immédiate de l'ordre ou de la réquisition, le fonctionnaire cesserait d'en être responsable: cette circonstance substantielle de la responsabilité doit donc être établie par l'accusation et posée au jury.

L'art. 190 renferme une nouvelle application des principes que nous avons posés dans notre chapitre 14, sur la contrainte; il est ainsi conçu: « Les peines énoncées art. 188 et 189 ne cesseront d'être applicables aux fonctionnaires ou préposés qui auraient agi par ordre de leurs supérieurs, qu'autant que cet ordre aura été donné par ceux-ci pour des objets de leur ressort, et sur lesquels il leur était dû obéissance hiérarchique dans ce cas, les peines portées ci-dessus ne seront appliquées qu'aux supérieurs qui les premiers auront donné cet ordre.»> Nous avons, en effet, établi en principe que l'ordre d'exécuter des actes qui sont du ressort du fonctionnaire supérieur lie le subordonné dans l'ordre hiérarchique, et que dès lors ces actes ne sont pas imputables à celui-ci [3]. Cependant la disposition de l'art. 190 est peutêtre trop absolue le fonctionnaire inférieur n'est nullement dispensé de toute vérification; la cause de justification cesse quand la criminalité de l'ordre est évidente, quand le fait qui en est l'objet présente les caractères d'un délit ou d'un crime l'obéissance serait alors un acte de complicité; son devoir est de résister [4].

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[4] Voyez le développement de ces règles, t. 1 p. 225 à 228.

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