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§ Ier.

Des contraventions propres à compromettre l'état civil des personnes.

En séparant la puissance civile et la puissance religieuse, la loi a dû prévoir que, dans les premiers temps surtout qui suivraient cette séparation, les ministres des cultes, soit par suite d'habitudes prises, soit par conviction de leurs droits, tenteraient de ressaisir quelques débris du pouvoir qui leur échappait. Les actes de l'état civil, longtemps confiés aux mains des ministres du culte catholique, semblaient surtout devoir être l'objet de ces empiétements. Déjà la loi du 7 vendémiaire an IV avait défendu, sous des peines sévères, d'accorder aucune autorité aux attestations relatives à l'état civil et émanées de ces ministres. Il fallut ensuite que le législateur inscrivit, dans le concordat du 18 germinal an X, la défense imposée aux mêmes ministres de donner la bénédiction nuptiale aux personnes qui ne justifieraient pas avoir contracté le mariage civil. Cette interdiction fut étendue aux ministres des cultes dissidents et du culte israélite.

Les art. 199 et 200 sont la sanction de ces dispositions [1]; l'exposé des motifs développe la nécessité de ces articles en ces termes : « Les ministres qui procèdent aux cérémonies religieuses d'un mariage, sans qu'il leur ait été justifié de l'acte de mariage reçu par les officiers de l'état civil, compromettent évidemment l'état civil des gens simples, d'autant plus disposés à confondre la bénédiction nuptiale avec l'acte constitutif du mariage, que le droit d'imprimer au mariage le sceau de la loi était naguère dans les mains de ces ministres. Il importe qu'une si funeste méprise ne se perpétue point. »>

La loi a limité cette intervention pénale aux seules cérémonies du mariage. La commission du Corps législatif avait proposé d'interdire également la célébration des cérémonies religieuses relatives aux naissances et aux décès, avant que l'autorité civile en eût dressé les actes. Les raisons alléguées par le Conseil d'état pour repousser cette extension sont sans réplique: « Les inhumations sont faites et constatées par les officiers de l'état civil. La part que les ecclé siastiques y prennent, sous le rapport du culte,

[1] L'arrêté du gouvernement provisoire du 16 octobre 1830 n'a pas abrogé l'art. 199 du code pénal, qui frappe d'une peine le ministre d'un culte qui procède aux cérémonies religieuses d'un mariage, sans qu'il lui ait été justifié d'un acte de

CHAUVEAU. T. II.

.ne diminue ni les droits ni les devoirs de ces officiers. Il est done impossible d'étendre la loi à ce cas. A l'égard des baptêmes, on peut prétendre qu'il y en a d'urgents et qui pressent plus que l'inscription civile, pour laquelle la loi donne trois jours. La disposition doit donc être restreinte aux mariages. »

Les articles 199 et 200 sont ainsi conçus . « Art. 199. Tout ministre d'un culte qui procédera aux cérémonies religieuses d'un mariage, sans qu'il lui ait été justifié d'un acte de mariage préalablement reçu par les officiers de l'état civil, sera, pour la première fois, puni d'une amende de 16 francs à 100 francs. >> « Art. 200. En cas de nouvelles contraventions de l'espèce exprimée en l'article précédent, le ministre du culte qui les aura commises sera puni, savoir pour la première récidive d'un emprisonnement de deux à cinq ans, et pour la seconde, de la détention. »

Ces dispositions impriment au même fait trois caractères, trois criminalités diverses, suivant l'intention présumée qui a dirigé son auteur. Si le ministre du culte omet une seule fois d'exiger la justification du mariage civil, la loi ne voit dans cette omission qu'une simple négligence, et cette négligence ne constitue à ses yeux qu'une contravention matérielle; il est même à remarquer qu'ici le Code, dérogeant à la classification formulée par son article 1er, a positivement qualifié contravention un fait qu'il punissait d'une peine correctionnelle. Si l'infraction se renouvelle, elle prend dans cette récidive le caractère d'un délit moral, parce que la réitération semble indiquer une résolution arrêtée de substituer le ministère ecclésiastique à celui des seuls officiers reconnus par l'autorité publique, et de remplacer par des cérémonies religieuses des actes qui, aux yeux de la loi, sont purement civils: c'est alors un acte, non plus de négligence, mais d'usurpation de pouvoir qui révèle une pensée de désobéissance à la loi. Enfin, à la troisième infraction, l'action revêt le caractère d'un crime, parce que, suivant l'expression de l'orateur du gouvernement, celui qui a failli trois fois se place évidemment dans un état de désobéissance permanente et de révolte contre la loi.

mariage préalablement reçu par l'officier de l'état civil. Br. cass. 27 nov. 1834; Bull. de cass. 1835, p. 17; Liége, 10 avril 1835 et 6 mars 1837; J. de Belg. 1836, p. 34, et 1837, p. 232; Const. belge, art. 16.

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On trouve l'origine de cette gradation dans les délibérations du Conseil d'état. «M. Regnaud dit qu'il conçoit trois positions différentes ou le curé se contente de l'assertion des parties qui sont effectivement mariées; c'est le cas de négligence ou l'assertion des parties est fausse, et néanmoins le curé passe outre; dans cette hypothèse, il y a faute de sa part ou enfin le curé persuade aux parties qu'il n'est besoin que de la bénédiction nuptiale pour rendre le mariage légitime; alors il y a délit. M. Cambacérès répond que ces distinctions sont exactes, mais qu'il serait difficile de les prendre pour guides dans l'application. Comment prouver que le curé a dissuadé les

parties de se retirer devant l'officier de l'état civil? Il est plus simple de graduer la peine d'après les récidives, et l'on arrive également par là aux distinctions que M. Regnaud a proposées. La première faute ne doit être considérée que comme l'effet de la négligence, la deuxième comme un délit, la troisième comme un crime [1]. »

L'art. 199 semble faire résulter la contravention de la seule omission d'avoir exigé la justification légale du mariage civil. Cependant si les parties étaient effectivement mariées, la poursuite n'aurait plus de base, car quel en serait le but, puisqu'il n'y aurait alors nul préjudice possible? Si l'on admettait une autre interprétation, on arriverait à confondre dans la même peine le défaut de justification d'un acte, quand le ministre peut avoir eu la prenve acquise de la célébration du mariage civil, et la célébration du mariage religieux avec la conviction que le mariage civil n'a pas eu lieu. La loi pénale a voulu punir la simple négligence, mais à condition toutefois que cette négligence ait pu être dommageable. Cette interprétation, sur laquelle les termes de l'artiele 199 jettent quelque incertitude, se trouve parfaitement éclaircie par les discussions du Conseil d'état. On y lit, en effet, qu'un membre du Conseil avait proposé d'infliger la peine de l'amende à l'ecclésiastique qui négligerait de se faire représenter l'acte de mariage des parties qui seraient d'ailleurs mariées, et la peine de l'emprisonnement dans le cas où elles ne le seraient pas. M. Berlier répondit qu'il ne comprenait pas bien la distinction proposée, et moins encore son utilité : « Car, ajouta-t-il, si le mariage a été préalablement reçu par l'of

[1] Procès-verbaux du Conseil d'état, séance da 29 août 1809.

ficier de l'état civil, il n'y aura ni parties lésées, ni lieu à rechercher le ministre du culte, qui en tout cas dirait, ou qu'on lui a représenté l'acte, ou qu'il le connaissait pour y avoir assisté lui-même. L'article ne reçoit donc réellement son application qu'à la bénédiction nuptiale, conférée à des personnes non préalablement liées par le contrat civil, et que la cérémonie religieuse aurait induites en erreur sur leur état, si elles eussent regardé le ministre du culte comme capable de le leur conférer [1]. »

§ II.

Des critiques, censures ou provocations dirigées contre l'autorité publique dans un discours pastoral prononcé publique

ment.

Si les cultes sont libres dans leur exercice, c'est à la condition qu'ils se renfermeront dans les limites qui leur sont assignées par leur mission sainte; si leurs ministres peuvent librement annoncer leurs enseignements, c'est à la condition que leur parole sacrée, uniquement vouée aux choses de la religion, ne mêlera point à ces intérêts éternels les éphémères intérêts de la société civile. La chaire ne doit compte à personne des discours dont elle a retenti, tant qu'elle s'est renfermée dans cette sphère; sa responsabilité ne commence que lorsqu'elle a empiété sur un terrain qui lui est étranger. C'est cette limite que la loi pénale a en pour but de protéger.

Sous notre ancien droit, les prédicateurs qui, dans leurs sermons, se servaient de paroles scandaleuses et qui tendaient à émouvoir le peuple, étaient punis par les juges royaux comme perturbateurs du repos public: la déclaration du 22 septembre 1595 prononçait contre eux la peine du bannissement à perpétuité. La législation intermédiaire, s'appliquant à des temps qui apportaient au clergé plus de causes d'irritation, déploya une sévérité sans bornes : l'art. 23 de la loi du 7 vendémiaire an IV condamnait à la gêne (détention solitaire) à perpétuité tout ministre du culte qui, soit par des discours, soit par des écrits, provoquait le rétablissement de la royauté, l'anéantissement de la république et la désertion, ou qui exhortait à la trahison ou à la rébellion envers le gouvernement. Telles sont les

[2] Procès-verbaux du Conseil d'état, séance du 29 août 1809.

dispositions que le Code pénal a dû modifier qu'elle régit; aussi l'art. 26 de la loi du 17 mai en les reproduisant.

On lit dans l'exposé des motifs : « Trop souvent des prédications insensées ont pris dans les chaires de l'Évangile la place du langage sacré de la morale et de la vertu, et des hommes envoyés pour bénir se sont trop souvent permis de maudire. Trop souvent le fanatisme a fait entendre sa funeste voix là où la religion seule devait parler, et la société tout entière a été ébranlée dans ses fondements et blessée dans ses plus précieux résultats. La répression de ces délits était un devoir du législateur, et ils at taquaient trop cruellement la paix et la sécurité publique pour n'être pas mis au rang de ceux qu'une juste punition doit atteindre. Des peines sont donc prononcées contre tous les ministres des cultes qui, dans leurs discours, dans leurs écrits, dans leurs instructions, auraient censuré le gouvernement, ses lois, ses décrets, et généralement tous les actes de l'autorité civile, excité à leur désobéir, appelé la révolte contre eux, et tenté, par des déclamations criminelles, d'armer les citoyens les uns contre les autres. »

Ce délit prend deux caractères distincts, suivant qu'il est commis dans un discours ou dans un écrit pastoral. Nous avons à nous occuper d'abord, dans ce paragraphe, du cas où il se révèle dans les paroles mêmes du prêtre. Mais une question préliminaire, et qui se rattache aux deux modes de perpétration, doit être examinée en premier lieu. Une législation spéciale régit les délits qui se commettent par voie de publication; ces délits ont été définis et punis par la loi du 17 mai 1819 [1], dont les incriminations ont été depuis développées par les lois des 25 mars 1822 et 9 septembre 1835. Or, quel a été l'effet de cette législation sur les art. 202 et suivants du Code pénal? Ces articles en ontils subi quelques modifications? Il faut répondre négativement. La loi du 17 mai 1819 a posé des règles générales pour la répression des délits commis par voie de publication; le Code pénal n'a fait que tracer, au contraire, quelques règles particulières pour la répression de certains délits commis par une voie spéciale de publication et par une seule classe de personnes. Ces deux législations se concilient done facilement entre elles l'une punit les délits communs, l'autre ne punit que quelques délits particuliers de la parole et de la presse. Celleci conserve donc toute sa force pour les cas

[1] En Belgique par la loi du 20 juillet 1831.

1819 n'a point compris les art. 202 et 203 du Code parmi ceux qu'il abroge; mais hors de ces cas spécialement prévus par le Code, le ministre des cultes qui se rendrait coupable d'un délit commun de publication subirait nécessairement l'application de la législation générale de la presse, car dès que l'exception cesse de le régir, il retombe sous l'empire de la loi commune [2].

L'acte qui fait l'objet des art. 201, 202 et 203 est identique quant à sa nature et au mode de sa perpétration; il s'agit, en effet, dans ces trois articles, d'un discours prononcé par un ministre du culte dans l'exercice de son ministère et en assemblée publique. Mais la peine prend des degrés différents de gravité, suivant l'objet du discours et surtout suivant les effets qu'il produit : la loi distingue, pour établir cette gradation, si le discours ne renferme qu'une simple censure des actes du gouvernement, s'il contient une provocation directe à la désobéissance, enfin si cette provocation a été suivie de séditions.

L'art. 201, qui prévoit le premier terme de cette gradation, est ainsi conçu : « Les ministres des cultes qui prononceront dans l'exercice de leur ministère et en assemblée publique un discours contenant la critique ou censure du gouvernement, d'une loi, d'une ordonnance royale ou de tout autre acte de l'autorité publique, seront punis d'un emprisonnement de trois mois à deux ans. >>

Il faut distinguer dans cette disposition les conditions de l'incrimination du discours qui sont communes aux trois articles, et le caractère de ce discours qui détermine l'intensité de la peine. Il est nécessaire, pour motiver les poursuites, que le discours ait été prononcé par un ministre du culte dans l'exercice de son ministère et en assemblée publique. Ce sont là les éléments essentiels du délit ; si les paroles répréhensibles n'ont pas été proférées devant l'assemblée des fidèles et lorsque le ministre exerçait son sacerdoce, elles peuvent être incriminées encore en vertu des lois communes; elles ne sauraient l'être en vertu des dispositions spéciales du Code. C'est le sectaire fanatique, c'est le prédicateur séditieux que la loi a voulu atteindre; quand il est descendu de la chaire, quand il ne catéchise plus, le prêtre n'est plus qu'un citoyen soumis, pour ses paroles, aux règles de responsabilité commune à tous les citoyens.

[2] Voy. Const. belge, art. 14.

Par discours il ne faut point nécessairement entendre un prône, une conférence, un sermon. Si la loi s'est servie de cette expression, c'est parce que le plus souvent les paroles répréhensibles prendront place dans les instructions de cette nature. Mais le prêtre qui n'élèverait la voix devant l'assemblée que pour faire entendre quelques paroles séditieuses et provocatrices, serait-il moins coupable que celui qui aurait encadré ces paroles dans un discours préparé à l'avance? Cette expression comprend toutes les paroles prononcées par le ministre du culte, pourvu d'ailleurs qu'elles l'aient été en assemblée publique et dans l'exercice de son ministère. Ces deux circonstances sont seules constitutives du délit; l'étendue et la forme du discours ne peuvent en modifier la criminalité. Le discours ne constitue qu'un simple délit passible d'une peine correctionnelle de trois mois à deux ans, s'il ne renferme que la critique ou la censure du gouvernement, d'une loi, d'une ordonnance royale ou de tout autre acte de l'autorité publique. Il importe peu que cette critique soit directe ou indirecte : la loi ne distingue pas; il suffit que le fait d'une critique, d'une censure quelconque, soit établi.

Le discours ne forme encore qu'un simple délit dans le cas même où il renferme une provocation à la désobéissance ou à la rébellion, si cette provocation n'a été suivie d'aucun effet. L'art. 202 est ainsi conçu : « Si le discours contient une provocation directe à la désobéissance aux lois ou autres actes de l'autorité publique, ou s'il tend à soulever ou armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui l'aura prononcé sera puni d'un emprisonnement de deux à cinq ans, si la provocation n'a été suivie d'aucun effet; et du bannissement, si elle a donné lieu à la désobéissance, autre toutefois que celle qui aurait dégénéré en sédition ou révolte. » Cette disposition provoque deux observations. On doit remarquer d'abord que la circonstance extérieure de l'effet produit par le discours est essentielle pour qu'il soit qualifié crime; ainsi, quelle que soit la nature ou la gravité de la provocation, tant qu'il n'existe ni désobéissance ni sédition, elle n'est passible que d'une peine correctionnelle. Il ne suffirait même pas qu'elle eût été suivie de quelque effet pour revêtir la qualification de crime; car l'article exige, pour appliquer la peine du bannissement, qu'elle ait donné lieu à la désobéissance. Nous ferons remarquer ensuite que lorsqu'il s'agit de provocation à la désobéis sance aux lois, l'article exige qu'elle ait été directe; et que lorsqu'il s'agit au contraire

d'excitation à la guerre civile, elle se contente d'une tendance, et par conséquent d'une provocation indirecte. Il suit de là que, dans ce second cas, l'art. 202 est toujours applicable, quel que soit le degré de gravité de la provocation, tandis que dans le premier, si la provocation n'est qu'indirecte, cet article cesse de régir l'espèce, et c'est à la loi commune qu'il faut se référer pour caractériser les paroles provocatrices.

Nous avons dit que la provocation ne constituait encore qu'un délit dans le cas même où elle appelle la sédition ou la révolte, si elle n'a exercé aucun effet. Mais si l'effet a suivi cet appel séditieux, le ministre est considéré comme fauteur de la sédition et puni comme complice des crimes qu'elle a pu entraîner. C'est ce qui résulte des termes de l'art. 203, ainsi conçus « Lorsque la provocation aura été suivie d'une sédition ou révolte dont la nature donnera lieu contre l'un ou plusieurs des coupables à une peine plus forte que celle du bannissement, cette peine, quelle qu'elle soit, sera appliquée au ministre coupable de la provocation. » Ainsi la peine pour le ministre provocateur reste le bannissement, au cas même où son discours a été suivi d'une révolte, à moins que l'un des auteurs des actes séditieux n'ait encouru une peine plus forte; et, dans ce cas seulement, cette peine peut être appliquée au ministre, en vue de la responsabilité que ses paroles ont assumée sur sa tête.

Mais comment constater les nuances de la criminalité du discours? comment discerner s'il s'est borné à porter la censure sur un acte du gouvernement, s'il a provoqué à lui désobéir, à se révolter sur-le-champ? Lorsque les paroles fugitives n'auront laissé nulle trace, lorsqu'elles n'auront produit aucun effet, comment, sur la foi des souvenirs, les rétablir pour en faire jaillir un sens précis, un délit ? Cette objection sembla fort grave au Conseil d'état, lors de la discussion du Code. Il parut à quelques membres de ce conseil que les précautions prises par la loi, pour la garantie des accusés, ne suffisaient pas dans l'espèce; que la difficulté de la preuve appelait d'autres dispositions; que les auditeurs apprécieraient les paroles du prédicateur d'après leurs préventions, le degré de leur zèle et leurs opinions religieuses; et que la justice, mal éclairée, ou s'abstiendrait de punir, ou punirait avec une rigueur excessive. Il fut répondu à ces objections que sans doute, lorsqu'il s'agit de recueillir des paroles pour en composer un corps de délit, les organes de la justice ne sauraient user de trop de circons

pection, puisque souvent un mot transposé pent donner une physionomie coupable à une phrase innocente; mais que si quelques témoins altèrent le fait, l'accusé en produira d'autres pour le rétablir; et qu'il est assez probable que là où il n'y aurait pas un faisceau d'inculpations unanimes, ou à peu près, l'accusé serait acquitté ; qu'enfin, si la preuve est entourée de quelques difficultés, elle n'est point impossible; que ces difficultés sont les mêmes dans toutes les provocations par paroles, et que cependant la loi n'a point établi de dispositions exceptionnelles que si la valeur des paroles du prêtre peut n'être pas également comprise par tous les auditeurs, il en résulte une sorte de privilége, puisqu'il est moins facile d'atteindre le délit : la justice sera plus circonspecte dans ses poursuites; mais il suffit qu'elle puisse agir dans les cas les plus graves, pour que la conscience publique, offensée par le délit, soit satisfaite. Tels furent les motifs qui portèrent à rejeter toute disposition exceptionnelle, relativement à cette classe de délits. Mais on en inféra avec raison que les peines devraient être moins élevées et plus flexibles que celles qui se rapportent aux mêmes délits quand ils sont commis par écrit, puisque les délits de la parole ont un caractère plus vague, des nuances plus variées et plus difficiles à fixer, puisqu'on peut supposer que leur auteur a pu céder à un moment d'entraînement et d'irréflexion [1]. De là les différences qui furent établies entre les peines que prescrivent les art. 201, 202 et 203, et celles qui sont portées par les art. 204 et suivants.

Un avis du Conseil d'état a décidé, sur la demande en autorisation de poursuites formée par un préfet, qu'il n'y a pas lieu de traduire en justice le prêtre prévenu d'avoir tenu en chaire des discours propres à exciter à la haine et au mépris du gouvernement, « lorsqu'il a rétracté devant son évêque le propos répréhensible qu'il s'est permis, et s'est engagé à renouveler sa rétractation en chaire [2]. » Cette décision n'est point assurément une règle que les tribunaux puissent suivre lorsqu'ils sont saisis: la rétractation n'efface point le délit, elle en peut être seulement une circonstance atté nnante; mais cette jurisprudence témoigne de la circonspection qui doit accompagner l'action publique dans ces matières. Ce n'est pas seule ment quand les paroles répréhensibles sont

[1] Procès-verbaux du Conseil d'état, séance du 29 août 1809.

constatées que cette action doit être mise en mouvement, il faut encore que ces paroles soient animées par un esprit d'opposition et de rébellion, que la société civile ait été bravée, et qu'il y ait nécessité de soumettre le ministre provocateur au frein des lois.

§ III.

Des critiques, censures ou provocations dirigées contre l'autorité publique dans un écrit pastoral.

Les art. 204, 205 et 206 prévoient et punissent, comme les articles que nous venons d'examiner, la censure du gouverment et de ses actes, et les provocations à la désobéissance et à la révolte que les ministres des cultes peuvent répandre parmi les citoyens. Mais une différence sensible sépare ces crimes de ceux qui les précèdent. Il ne s'agit plus ici d'une censure ou d'une provocation commise par la parole; la loi la prévoit et la saisit dans l'écrit qui doit la publier. Il ne s'agit pas ensuite de toute espèce d'écrit répréhensible: la loi ne s'occupe que des seules instructions pastorales. Les écrits de cette classé, auxquels s'attache une haute autorité, ont paru appeler des dispositions spéciales, parce que les paroles qu'ils renferment ont plus de poids, et peuvent produire plus d'effet parmi les peuples.

Mais de ces dispositions ainsi limitées on doit déduire deux conséquences: la première, c'est que les crimes qu'elles définissent ne peuvent en général être commis que par les évêques, puisque ces prélats seuls ont le droit de publier des instructions pastorales; et c'est là sans doute l'une des sources de l'élévation des peines édictées par ces articles, parce que ces membres du haut clergé, plus éclairés et plus puissants, se rendent plus coupables quand ils publient dans l'exercice même de leur ministère des écrits hostiles au gouvernement. Une deuxième conséquence, c'est qu'à l'égard de tous autres écrits répréhensibles qui seraient publiés par les ecclésiastiques et par les évêques eux-mêmes; c'est au droit commun qu'il faut se référer pour y trouver les règles de responsabilité qui leur sont applicables.

L'art. 204 est ainsi concu: « Tout écrit contenant des instructions pastorales, en quelque forme que ce soit, et dans lequel un ministre du culte se sera ingéré de critiquer ou de censurer,

[2] Ordonn. du 16 déc. 1830 (Journ. du droit crim. 1831, p. 55).

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