Images de page
PDF
ePub

ou des menaces verbales pourront être considé rés comme une attaque, dès que cette attaque ne sera plus définie par les deux circonstances qui la caractérisent. On ne peut d'ailleurs supposer que la loi ait voulu donner une valeur différente, des éléments divers aux faits d'attaque et de résistance, lorsque ces faits sont présumés empreints de la même criminalité et sont punis des mêmes peines. Il est donc nécessaire de constater, dans l'un comme dans l'autre cas, les violences et les voies de fait qui seules constituent la rébellion.

Au reste, les expressions employées dans l'article 209, pour caractériser l'attaque ou la résistance avec violences et voies de fait, ne sont point sacramentelles; elles peuvent être remplacées par d'autres expressions, pourvu qu'elles présentent la même idée. C'est ainsi que la Cour de cassation a jugé que la rébellion était suffisamment caractérisée par la déclaration qu'il y avait eu opposition avec force et violence aux ordres d'un maire, et que le gendarme chargé de les faire exécuter avait été repoussé [1].

Le deuxième élément de ce délit est que l'attaque ou la résistance ait été commise envers les officiers ministériels, les gardes champêtres ou forestiers, la force publique, les préposés à la perception des taxes et des contributions, les porteurs de contraintes, les préposés des douanes, les séquestres, enfin les officiers ou agents de la police administrative ou judiciaire. On doit remar quer que cette énumération ne comprend point de fonctionnaires publics autres que les officiers de police. La raison en est que l'attaque ou la résistance consistant, ainsi qu'on vient de le dire, dans l'emploi immédiat d'une force maté rielle, elle ne peut avoir lieu que contre les agents secondaires chargés d'exécuter les or dres de l'autorité; les fonctionnaires publics, à l'exception des officiers de police, n'exécu tent jamais les ordonnances qu'ils rendent, et il ne s'agit ici que de la résistance à cette exécution. Le Code de 1791 comprenait tous ces officiers dans l'expression générique de dépositaires quelconques de la force publique: la loi a substitué avec raison à ce terme abstrait une désignation qui fait disparaître les difficultés de l'interprétation.

pour qu'il y ait rébellion : qu'elles eussent été commises sur les choses confiées à la surveillance de ces agents. Ce point, incontestable d'ailleurs, a été reconnu par un arrêt de la Cour de cassation du 29 octobre 1812, dans une espèce où des blés mis en séquestre avaient été enlevés en enfonçant le grenier qui les enfermait. Les auteurs de cette voie de fait avaient été poursuivis pour rébellion; mais, sur leur pourvoi, la Cour de cassation déclara leur poursuite mal fondée : « attendu que les art. 209 et suivants supposent des voies de fait et des violences envers la personne des officiers ministériels, et que dans l'espèce il n'en avait été commis que sur la propriété du séquestre et non sur sa personne. »

Le troisième élément de la rébellion est clairement énoncé par l'article 209: il faut que les violences soient exercées envers les agents de l'autorité, ou moment où ils agissent pour l'exécution des lois, des ordres ou ordonnances de l'autorité publique, des mandats de justice ou des jugements. Ces expressions ont néanmoins donné lieu à plusieurs questions.

En premier lieu, lorsque la résistance ne se manifeste pas au moment de l'exécution, mais qu'elle surgit pendant ou après cette exécution pour en interrompre ou en faire cesser l'effet : l'article 209 doit-il s'y appliquer ? Cette hypothèse avait été spécialement prévue par la loi du 22 floréal an 11, qui déclarait les peines portées contre la rébellion par le Code de 1791 communes à quiconque emploiera même après l'exécution des actes émanés de l'autorité publique, soit des violences, soit des voies de fait, pour interrompre cette exécution ou en faire cesser l'effet. La question s'est élevée, depuis la promulgation du Code pénal, desavoir si cette disposition était encore en vigueur; mais un avis du Conseil d'état, approuvé le 8 février 1812, a décidé qu'elle se trouvait virtuellement abrogée par l'article 484 du Code pénal ; et les motifs de cette décision sont : « que cette loi rentre par son objet sous la rubrique résistance, désobéissance et autres manquements envers l'autorité publique, qui forme l'intitulé de la section 4 ( liv. 3, tit. 1, chap. 3) du Code pénal, et qué si elle ne se retrouve pas dans cette section qui règle vérítablement et à fond toute la matière comprise dans la rubrique, et si elle n'y est pas remplacée par une disposition correspondante à ce qu'elle avait statué, c'est une preuve que le législateur à voulu l'abroger; et ne faire à l'avenir [1] Arr. cass. 15 oct. 1824; Dalloz, t. 27, p. 34. dériver du fait qu'elle avait caractérisé et qualifié

Il résulte du texte de la loi que les voies de fait doivent avoir été exercées envers la personne des préposés; il ne suffirait donc pas,

de crime qu'une action purement civile. »> Ainsi les termes de la loi ne doivent point être étendus au delà de leur sens propre; ainsi ce n'est qu'à l'instant où les officiers agissent pour l'exécution des lois ou des ordres de l'autorité, que les actes de résistance prennent le caractère de la rébellion; les troubles, les voies de fait même exercées postérieurement à cette exécution ces+ seraient d'assumer ce caractère;et pour les punir, il faudrait rechercher si les violences ne forment pas un délit particulier et distinct, tels que les coups et blessures, le vol ou le pillage, les destructions d'édifices l'opposition par voies de fait à la construction de travaux, etc. [1].

Une deuxième difficulté beaucoup plus grave, et depuis longtemps débattue, est de savoir si la résistance constitue encore un délit lorsqu'elle repousse l'exécution d'un acte irrégulier ou arbitraire. Cette question, qui touche aux considérations les plus élevées, et qui a fait naître au sein de la jurisprudence un dissentiment qui n'est point encore applani, appelle de notre part quelque développement.

La Cour de cassation a posé en principe que le délit est indépendant de la légalité de l'acte; cependant ses arrêts n'offrent pas sur ce point un corps de doctrine complétement homogène et toujours invariable. Dans une première espèce, la Cour de Toulouse avait jugé qu'il n'y avait pas de rébellion dans la résistance opposée à des gendarmes qui voulaient s'introduire dans une maison particulière pour arrêter un déserteur, parce que cette introduction était irrégulière. La cour de cassation par arrêt du 16 avril 1812 [2], rendu sous la présidence de M. Barris et sur les conclusions de M. Merlin, décida, en appréciant les faits, que la gendarmerie n'avait pas agi irrégulièrement, et que dès lors il avait été exercé sur elle des violences qui constituaient une rébellion armée, dans un temps et dans un lieu où elle agissait lé galement dans l'exercice de ses fonctions. Il est évident que cet arrêt consacre implicitement la règle posée par la Cour de Toulouse, qu'il n'y a pas rébellion contre la force armée lorsque celle-ci ne procède pas régulièrement; car le motif sur lequel il repose est que la force armée avait agi dans l'espèce légalement et dans l'exercice de ses fonctions.

Dans une deuxième espèce dont il importe de préciser avec soin les faits, un huissier, assisté

[1]C'est dans ce sens qu'il faut concilier l'art. 600 du Code de proc. civ. avec l'art. 209 du Code pénal, [2] Bull. no 93.

ne

de deux gendarmes, s'était rendu chez un particulier pour mettre à exécution un jugement rendu contre lui en matière civile et portant contrainte par corps. La résistance que cette exécution éprouva donna lieu à une poursuite pour rébellion; mais la juridiction correctionnelle déclara que les faits de résistance ne constituaient aucun délit, parce que l'huissier n'étant point accompagné du juge de paix, pouvait, aux termes de l'art. 781, no 5, du Code de procédure civile, arrêter un citoyen dans sa maison. La Cour de cassation infirma cette déclaration en disant : « que du défaut de cette formalité résultait bien en faveur de la partie une action pour faire déclarer la nullité de l'exécution par corps et demander des dommages-intérêts; mais que le défaut de ladite formalité, dont l'appréciation n'appartenait qu'au juge compétent, ne l'autorisait point à commettre des violences et voies de fait envers l'huissier qu'en effet, d'après l'article 209, il y a crime ou délit de rébellion dans la résistance avec voies de fait et violences envers les officiers ministériels, par cela seul qu'étant porteurs de mandats de justice, ils agissent pour leur exécution; que cet article ne subordonne pas le crime on délit au plus ou moins de régularité des formes avec lesquelles les officiers ministériels peuvent procéder, les particuliers n'ayant pas le droit de se constituer juges de ces formes pour refuser avec violences et voies de fait l'obéissance due à la loi et aux actes qui en émanent [3]. »

Dans une troisième espèce parfaitement analogue à celle-ci, il s'agissait de la résistance opposée à l'exécution d'un ordre d'arrestation donné par le commissaire de police hors le cas de flagrant délit, et la Cour de cassation posa également en règle : « que l'illégalité d'un acte ne peut en aucun cas autoriser un particulier à s'y opposer avec violences on voies de fait : que le système contraire qui conduirait directement à autoriser chaque particulier à se constituer juge des actes émanés de l'autorité publique, serait subversif de tout ordre public, qu'il ne serait fondé sur aucune loi, et qu'il ne peut être admis [4]. »

Ces deux arrêts s'éloignent évidemment du système consacré par le premier : ils décident que l'irrégularité des formes, et même l'illégalité de l'ordre, n'excusent pas la rébellion

[3] Arr. cass. 14 avr. 1820; Dalloz, t. 27, p. 33. [4] Arr. cass. 5 janv. 1821; Dalloz, t. 27, p. 35; S. 1821, 1, 122.

contre la force publique; mais toutefois, dans les espèces où ils sont intervenus, les officiers ministériels et les agents de la force armée étaient porteurs de mandats de justice ou de jugements, et agissaient en vertu des ordres émanés de l'autorité. Cette circonstance, qui peut justifier ces décisions, n'existe plus dans les arrêts qui vont suivre.

La Cour de cassation établit une présomption de légalité en faveur des agents de la force publique : cette présomption les accompagne et les couvre, et toutes les attaques dont ils sont l'objet sont dès lors des actes de rébellion : « Il suffit, porte l'un de ses arrêts, que les agents de la force publique paraissent avec le caractère qui leur a été conféré par la loi et dans l'exercice des fonctions qui leur ont été déléguées, pour que toutes violences et voies de fait soient interdites à leur égard; un système contraire tendrait à convertir en efforts légitimes les excès de cette nature, serait subversif de tout ordre, et serait un outrage pour la loi ellemême [1]. » Un autre arrêt ajoute: « que la présomption légale est que les chefs et agents de la force armée pour le maintien des lois, les respectent et n'agissent que conformément à ces lois; que si les chefs sont responsables de l'emploi illégal qu'ils feraient de leur autorité,

[blocks in formation]

cette responsabilité ne saurait dispenser les citoyens de l'obéissance qui leur est due, et ne saurait autoriser, dans aucun cas, à résister avec violences et voies de fait à des mesures qui sont toujours supposées, jusqu'à preuve contraire, émanées d'une autorité légale et compétente [2]. » C'est à ces termes que se résume le dernier état de la jurisprudence de cette cour; la règle est absolue: quelle que soit l'illégalité de l'ordre, quel que soit l'abus du pouvoir, les citoyens doivent silencieusement obéir; ils n'ont pas le droit de discuter l'acte que la présomption de légalité environne; ils n'ont que le droit de réclamer après son exécution [3].

[ocr errors]

Cette doctrine n'a point obtenu l'assentiment des Cours royales: la Cour d'Agen, par arrêt du 5 mai 1823, a déclaré que la résistance avec voies de fait à un détachement de troupes de ligne conduit par un chef, pour dissiper un rassemblement tumultueux, ne peut être considérée comme un délit de rébellion, lorsque ce détachement n'a pas été régulièrement requis par l'autorité civile. La Cour de Lyon, par arrêt du 10 juin 1824, a consacré le droit de résistance dans une espèce où un huissier et deux gendarmes voulaient procéder à l'exécution d'un jugement qui prononçait la contrainte par corps dans le domicile du débiteur et sans l'as

posée par un individu à qui ces actes sont entièrement étrangers. Gand, 6 févr. 1833; J. de B. 1833, P. 155-Voy. arrêts de cassation dans le même sens, Dalloz, t. 27, p. 33 et suiv., et J. du 19 s., 1825. 1, 146, et 1829, i, 348. En sens contraire, en cas d'irrégularité évidente, Liége, 5 avril 1826 Rouen, 25 mai 1821, ib., 1825, 2, 39; Lyon 24 août et 14 mars 1825; J. du 19e s., 1825, 3, 80 et 247;

1826, ib. 1827, 2, 60; Nîmes, 21 nov. 1826, ib., 1827, 2, 54; Riom, 4 janv. 1827, ib., Riom, 19 inars 1828. ib., 1828, 2, 122; cass. 22 janv. 1829, ib., 1829, 1, 248; cass.

brum. an XIV; Dalloz, vo Sureté publique, 20. Lors de la discussion de la Constitution. MM. De Robaulx et Thorn proposèrent à la séance du 27 octobre 1830, un article tendant à déclarer légitime la résistance aux actes illégaux des fonctionnaires ou agents de l'autorité. La section centrale pensa qu'il était inutile et pourrait même être dangereux de sanctionner ce principe d'une manière générale et absolue, et que la légitimité de la résistance dépendant nécessairement des circonstances, elle devait être abandonnée à l'appréciation du juge sans pouvoir étre vaguement proclamée dans la Constitution. L'article n'a pas été admis, par suite de ces observations. (Union belge, 1831, no 88 et 96.)

sistance du juge de paix. La Cour de Riom, par arrêt du 4 janvier 1827, et la Cour de Nîmes. par arrêt du 21 novembre 1826, ont jugé qu'il n'y a point de rébellion dans le fait de résistance à des gendarmes qui s'introduisaient la nuit dans le domicile d'un citoyen, ou qui, porteurs d'une ordonnance de prise de corps, ne l'exhibent pas au prévenu. La Cour de Limoges a déclaré, par arrêt du 14 décembre 1826, que les gendarmes ne pouvant, sous aucun rapport, se permettre d'arrêter le prévenu d'une simple contravention de police et le conduire en prison, celui-ci avait eu le droit de résister à un tel acte d'oppression. Enfin, la Cour de Toulouse a déclaré, par arrêt du 23 février 1826, que la résistance à des gendarmes qui s'étaient introduits la nuit dans la maison d'un conscrit pour l'arrêter était légitime [1].

Au milieu de cette collision d'arrêts, il faut rechercher les principes de la matière et le véritable sens de l'article 209. En premier lieu, il est remarquable que le droit de résister aux agents de la force publique, lorsqu'ils excèdent les limites de leurs pouvoirs, droit qui, suivant les termes de la Cour de cassation, serait subversif de tout ordre public, remonte aux temps les plus éloignés. La loi romaine Je consacrait en termes formels : ut etiamsi officiales ausi fuerint à tenore data legis desistere, ipsis privatis resistentibus, à faciendâ injuriâ arceantur [2]. Accurse étend cette règle jusqu'aux officiers du prince : quod etiam principis officialibus resistetur si excedant in suo officio [3]. Les docteurs enseignaient sans hésitation cette doctrine. Farinacius. après avoir posé en maxime l'obéissance aux ordres de justice, ajoute immédiatement une exception pour le cas où le juge ou ses officiers excèdent les limites de leurs fonctions: nam tunc licitè et impunè illis resisti posse [4]; et ce droit de résistance est même érigé en obligation, en devoir privatus non solùm impunè est resistere officiali, cùm aliquid facit contrà jura, imò quod punitur si non resistit [5].

La raison de ce droit de résistance est indiquée par Grotius. L'usage de la force, suivant

[1] Voy. le texte des arrêts dans le Traité de la liberté individuelle, par M. Coffinières, t. 2. p. 400 et suiv.; et aux recucils cités dans la note précé→ dente de l'éditeur belge.

[2] L. 5, Cod. de jure fisci.

[3] Glose sur la loi 5, C. de jure fisci.

[4] Farinacius, quæst. 32, no 88.

cet auteur, n'est injuste qu'antant qu'il donne atteinte au droit; mais il devient licite quand il ne fait que repousser une attaque injuste [6]. Or, l'agent, lorsqu'il procède contre son droit, lorsqu'il excède son pouvoir, n'est plus qu'un simple particulier dont il est permis de repousser les violences; son acte est un acte de force brutale auquel on peut opposer la force ellemême; car, suivant la réflexion de Cicéron, quid est quod contrà vim, sine vi, fieri possit [7]? « On ne peut admettre, dit Barbeyrac sur Grotius, qu'un particulier se soit engagé ou ait dû s'engager nécessairement à souffrir tout de ses supérieurs sans jamais opposer la force à la force. Si cela était, la condition de ceux qui entrent dans quelque société serait, sans contredit, plus malheureuse qu'auparavant, et rien ne les obligerait à se dépouiller de cette liberté matérielle dont chacun est si jaloux [8]. » C'est alors le cas d'appliquer l'axiome de la loi romaine : Vim vi repellere licere [9].

Cette doctrine était enseignée sous notre ancien droit : « Il y a quelque cas, dit Jousse, où il est permis à celui que l'on veut emprisonner de faire résistance, et cela a lieu principalement lorsque celui qui veut arrêter est sans caractère, ou lorsqu'ayant caractère, il n'a point les marques de son ministère, ou bien lorsqu'il est porteur d'un mandement ou décret d'un juge sans caractère, ou lorsqu'il a excédé son pouvoir ou qu'il n'a point observé les formes de justice. En effet, cette résistance est plutôt une défense légitime qu'une rébellion. Ainsi il est permis à celui qu'on veut arrêter injustement, non-seulement de résister, mais encore d'appeler ses amis et ses voisins à son secours pour l'aider à se défendre [10]. »

L'Assemblée constituante, recueillant ce principe, ne punissait les violences et les voies de fait comme constitutives de la rébellion, qu'autant qu'elles étaient opposées à un dépositaire de la force publique agissant légalement dans l'ordre de ses fonctions; et l'article 11 de la constitution du 24 mai 1793, développant la pensée du législateur de 1791, portait : « Tout acte exercé contre un homme, hors les cas et sans les formes que la loi détermine, est

[5] Ibid.

[6] De jure belli et pacis, t. 1, p. 69. [7] Epist. ad fam., lib. 12, ep. 3. [8] Nutus dur Grotius, t. 1, p. 171. [9] L. 1, § 27, Dig, de vi et de vi armatá. [10] Traité des matières criminelles, t. 4, p. 79.

:

arbitraire et tyrannique celui contre lequel on voudrait l'exécuter par la violence a le droit de le repousser par la force. » Cette disposition, trop absolue sans doute, a été reproduite dans plusieurs législations modernes la loi brésilienne ne punit la rébellion que lorsqu'elle s'est opposée par la force à l'exécution des ordres légaux des autorités compétentes (art. 116). Le Code de la Louisiane ne prévoit également le même délit que dans le seul cas où il entrave l'exécution légale d'un acte officiel (the lawful execution of an official act), et la loi ajoute que l'opposition ne constitue ni crime ni délit lorsqu'elle n'a eu pour but que d'empêcher l'exécution d'un acte illégal [1].

Essayons maintenant de poser les vrais princi pes de la matière et d'abord écartons une considération qui semble le principal appui du système de la Cour de cassation. Est-il possible de croire que la théorie de la résistance, mise en vigueur pendant des siècles, proclamée par les lois anciennes, recueillie par les législations modernes, enseignée par les plus graves jurisconsultes, soit subversive de tout ordre, soit un outrage pour la loi elle-même? Non, la société n'est pas mise en péril parce que la loi pose la limite de l'action du pouvoir, parce qu'elle cesse de le protéger quand il la dépasse et se livre à des actes arbitraires; non, la loi n'est point outragée parce que les agents chargés de l'exécuter sont méconnus, quand ils méconnaissent eux-mêmes leur mission. Le péril serait de confondre l'abus et le droit et de les couvrir de la même protection; l'outrage, de donner la provision aux actes arbitraires sur la réclamation légale. Il faut poser la question avec clarté il ne s'agit point d'établir ici le germe d'un principe de résistance envers l'autorité; si une telle interprétation peut être donnée à ces lignes, nous la désavouons à l'avance: l'agent cesse d'être le représentant de l'autorité au moment où il s'écarte de ses fonctions, car l'autorité dans un gouvernement constitutionnel, c'est la loi, c'est le droit. Toute la question est donc de savoir si la loi doit le soutenir même dans les excès qu'il commet, doit l'avouer encore quand il en viole les préceptes. Or, si les solutions peuvent être diverses, du moins, il faut le reconnaître, l'ordre public n'est point sérieusement engagé dans cette

question, car l'ordre n'est point intéressé à soutenir les abus des agents du pouvoir; il se fonde sur la loi et non sur l'arbitraire.

Mais en cette matière toute règle absolue est inexacte. Le péril cesserait d'être illusoire, si le droit de résistance pouvait se puiser indistinctement dans toutes les illégalités qui peuvent entacher les actes des dépositaires de la force publique. Il est impossible, il serait puéril de retirer à ces agents la protection que la loi leur doit, dès qu'ils s'écartent, même à leur insu, du cercle légal dans lequel ils doivent se mouvoir. Lorsque l'huissier est porteur d'un titre, il n'est point appelé à en apprécier la régularité; si ce titre est irrégulier, on ne peut le rendre responsable d'une faute qui n'est pas la sienne : le citoyen lui-même est incompétent pour prononcer sur les nullités qui peuvent entacher l'acte; il ne peut que se réserver de les faire valoir devant la justice. Attribuer à chaque partie le droit de discuter les actes qui sont exécutoires contre elle, ce serait priver l'officier public de toute la force que la loi lui a déléguée; les inquiétudes manifestées par la Cour de cassation se trouveraient peut-être justifiées. Sans doute toute irrégularité dans l'exécution des lois et des actes de l'autorité est la privation d'une garantie; mais la résistance active est un moyen extrême qui ne peut être légitime que lorsqu'elle repousse une attaque flagrante contre le droit, « Il faut distinguer, dit Barbeyrac, entre les injustices douteuses ou supportables et les injustices manifestes et insupportables: on doit souffrir les premières, mais on n'est point obligé de souffrir les autres. » La difficulté est de poser la limite.

Le principe général est l'obéissance aux ordres des pouvoirs publics, la soumission aux actes des agents de la force publique. Toute résistance effective, toutes violences ou voies de fait opposées à ces agents sont donc réputées constituer un délit ; elles ne perdent ce caractère qu'en prouvant la cause d'excuse ou de justification. C'est donc avec raison que la Cour de cassation a établi en principe que la présomption de légalité est en faveur des agents de l'autorité; cette présomption favorable résulte de la nature même des choses, mais il faut prendre garde d'en forcer les conséquences.

Nous en déduirons d'abord, comme autant de

[1] This offence is not commited by an opposition to any others than official acts, therefore the penalty is not incurred by opposing an officer of jus

tice, when he attempts to do any act that is not authorized by his legal powers, or to do an authorized act by illegal means. (Art, 157.)

« PrécédentContinuer »